4 mai 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les efforts français et internationaux en faveur de l'aide humanitaire, à Paris le 4 mai 2009.

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge,
Monsieur le Président du Comité international de la Croix-Rouge,
Mesdames et Messieurs les Présidents des sociétés nationales,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est une grande joie pour moi de vous accueillir aujourd'hui pour célébrer le 90ème anniversaire de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Au fond, c'est toute la famille du mouvement Croix-Rouge qui est ici représentée.
Je vous remercie, Monsieur le Président del Toro, d'avoir rappelé quelques-uns des hauts faits des sociétés de la Croix-Rouge, si nombreux depuis 1919. La mission à laquelle vous vous consacrez partout dans le monde, dans les 186 pays où des sociétés nationales ont été créées, mérite le respect et l'admiration. Chiffre extraordinaire : vous comptez près de 100 millions de bénévoles et de volontaires, qui travaillent avec un dévouement exceptionnel et qui sont le visage d'un monde plus juste et plus solidaire.
Vous incarnez l'universalité des valeurs d'entraide et de respect de la dignité humaine à laquelle la France, Monsieur le Président, est si attachée : vous apportez chaque année assistance et espoir à 200 millions de personnes. C'est l'occasion pour la France d'adresser son salut fraternel et d'exprimer sa reconnaissance à toute la famille de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Cher Jean-François Mattei, c'est l'occasion également de rendre un hommage particulier à l'action de la Croix-Rouge française, dont nos compatriotes peuvent être fiers. Elle a été l'une des cinq sociétés nationales qui ont fondé, le 5 mai 1919 à Paris, la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge, devenue depuis Fédération internationale.
Le partenariat tissé depuis de nombreuses décennies entre les pouvoirs publics et la Croix-Rouge française est en tout point remarquable. Nous allons le renforcer encore, dans un esprit de coopération, en préservant naturellement l'indépendance de la Croix-Rouge. Le statut "d'auxiliaire des pouvoirs publics" que vous revendiquez dans le domaine humanitaire prend tout son sens dans un rapport de complémentarité, et non de soumission, entre les autorités et les sociétés nationales.
Mesdames et Messieurs,
C'est avec un sentiment de responsabilité que je reçois la Déclaration de Paris adoptée ce matin même par l'ensemble des membres de la Fédération internationale. Je comprends et j'approuve votre attente à l'égard des Etats. Vous avez raison de rappeler aux autorités nationales de chaque pays que leur premier devoir est de protéger leurs concitoyens, d'organiser la solidarité à l'égard des plus vulnérables. Vous avez raison de nous demander de nous mobiliser davantage pour faire face aux drames humanitaires.
Le monde est trop souvent frappé d'impuissance. Pourtant, jamais dans l'Histoire les Etats n'ont disposé d'autant de moyens pour intervenir. Jamais l'information venue des coins les plus reculés de notre planète n'a été immédiate, comme elle l'est aujourd'hui. Jamais enfin il n'y a eu autant de volontaires mobilisés, prêts à se rendre sur le terrain.
Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous résigner à l'impuissance. Nous ne pouvons pas nous résigner au spectacle des souffrances de millions de femmes et d'hommes victimes des guerres, des catastrophes naturelles, du manque de nourriture ou d'eau. Nous devons agir. Agir ensemble, agir plus efficacement, agir plus rapidement, agir mieux.
Nous voudrions privilégier trois axes : le premier, imposer l'application effective du droit international humanitaire £ le second, renforcer le consensus international sur l'accès des personnels humanitaires aux populations en détresse £ enfin, accroître la coopération entre les Etats pour prévenir les risques humanitaires les plus graves.
Nous célébrons cette année l'anniversaire des Conventions de Genève, adoptées en 1949, il y a exactement 60 ans. Elles marquaient alors un progrès de la conscience universelle après les horreurs de la seconde guerre mondiale.
Toutes les parties à des conflits armés, et d'abord les Etats, doivent strictement respecter leur engagement à appliquer les dispositions du droit international humanitaire. L'un de ses principes les plus fondamentaux est la distinction entre objectifs civils et objectifs militaires : or, ce sont aujourd'hui les populations civiles qui paient, et de très loin, le plus lourd tribut dans les conflits armés. Ceci est un scandale, ceci est inacceptable.
Au Sri Lanka, où se trouvait Bernard Kouchner il y a quelques jours, la France se mobilise pour que les populations civiles ne soient plus prises en otage. Le mouvement des Tigres tamouls doit cesser de recourir à des boucliers humains et déposer les armes. Avec le Secrétaire général des Nations unies, nous exigeons une trêve humanitaire pour permettre aux populations civiles de quitter la zone des combats et de recevoir l'aide à laquelle elles ont droit.
Au Sri Lanka, comme dans tous les autres conflits armés, un rôle particulier revient au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Je veux à mon tour lui rendre un hommage particulier à travers son président M. Kellenberger, que je salue, je veux remercier tous ses personnels qui accomplissent dans le monde leur mandat avec courage, en toute impartialité et en totale indépendance, l'indépendance étant essentielle pour la Croix-Rouge. Monsieur le Président, vous venez d'être durement touché par la mort de deux des vôtres au Sri Lanka et j'ai une pensée particulière pour votre délégation aux Philippines, qui tente actuellement d'obtenir la libération de son dernier otage.
Le respect du droit international humanitaire n'est pas négociable. Il n'est pas non plus subordonné aux impératifs de la lutte contre le terrorisme. Il implique enfin un combat résolu contre la culture de l'impunité qui marque encore aujourd'hui la majorité des conflits. Les auteurs, les inspirateurs de crimes commis contre les populations civiles doivent être punis, où qu'ils se trouvent. Voilà pourquoi - je le dis devant Bernard Kouchner et Rama Yade - nous avons besoin de la Cour pénale internationale, que la France soutient pleinement !
Le deuxième axe pour mettre fin à l'impuissance internationale, c'est l'amélioration de l'accès aux populations. Il n'y a jamais eu autant de personnels humanitaires déployés sur le terrain, mais les barrières posées à leur action n'ont jamais été aussi nombreuses. Pire, leur sécurité est aujourd'hui de plus en plus menacée.
Tous les acteurs humanitaires subissent cette situation : sociétés nationales des Croix-Rouge et Croissant-Rouge, agences des Nations unies, ONG.
L'an dernier, ce chiffre est invraisemblable, c'est 260 agents humanitaires qui ont été tués, enlevés ou gravement blessés. Ce chiffre est insupportable. Les Etats sont responsables de la sécurité des personnels humanitaires intervenant sur leur territoire. Ils doivent les protéger. Ils doivent punir les coupables d'exactions à leur encontre.
Au-delà des acteurs humanitaires, il y a les populations martyrisées, otages d'enjeux politiques qui les dépassent. Je reprends les termes mêmes de votre Déclaration de Paris : "C'est aux Etats qu'il incombe au premier chef de fournir une aide humanitaire aux personnes vulnérables sur leurs territoires respectifs". Est-ce le cas au Soudan ? Non. Est-ce le cas en Birmanie ? Non. Est-ce le cas au Zimbabwe ? Non.
Le Soudan a récemment ordonné l'expulsion d'ONG qui étaient pourtant au service des victimes du conflit du Darfour. Plus d'un million de personnes sont directement mises en danger par cette décision politiquement et moralement injustifiable.
Lors du passage du cyclone Nargis qui a ravagé la Birmanie l'année dernière, la junte au pouvoir n'a permis que très tardivement et dans des limites étroites, aux acteurs humanitaires du monde entier d'exercer leur mission. Combien de vies ont-elles été perdues à cause des arrière-pensées de la junte birmane qui a refusé les offres d'assistance venues de tous les continents ?
Au Zimbabwe, la récente épidémie de choléra a été absolument dévastatrice. C'est un scandale. Comment ce scandale a-t-il pu être possible dans ce pays qui avait l'une des meilleures infrastructures de santé de toute l'Afrique ? Qui d'autre que M. Mugabe peut être tenu pour responsable de cette catastrophe ?
Les ONG expulsées du Darfour doivent pouvoir y retourner. Les acteurs humanitaires doivent avoir accès aux civils prisonniers de la zone des combats au Sri Lanka. Ils doivent pouvoir accomplir leur mission en Afghanistan, en Irak, en République démocratique du Congo, en Somalie, sans devenir les cibles ou les otages des forces en présence. La France n'épargnera aucun effort pour qu'au Conseil de sécurité, et sur le terrain, ce devoir de protection qui s'impose à tous les Etats soit strictement appliqué et respecté.
Il nous faut, enfin, renforcer les coopérations internationales pour prévenir efficacement les catastrophes humanitaires.
La prévention est l'une de vos grandes priorités, Cher Jean-François Mattei. Vous avez évoqué, Monsieur le Président del Toro, l'action des Etats pour surmonter la crise économique et pour maîtriser les conséquences du réchauffement climatique.
Vous savez combien la France s'est battue à l'automne dernier pour imposer le Sommet du G20 et répondre à la crise financière. Des progrès ont été faits, il reste beaucoup à faire. Et un troisième sommet se tiendra en septembre à New York.
La France se battra pour que nous aboutissions à ce sommet, à une nouvelle régulation et pour qu'à Copenhague, en décembre, il y ait la conclusion d'un accord mondial ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Car ce sont, là encore, les pays les plus pauvres qui sont les premiers menacés. Ils seront les premières victimes des conflits provoqués par le changement climatique ou des migrations imposées par la désertification ici, la montée des eaux ailleurs. Avec ses partenaires de l'Union européenne, la France veut obtenir à Copenhague un accord très ambitieux et particulièrement contraignant. Avec l'adoption du paquet "énergie-climat", l'Europe a montré le chemin. Jusqu'au dernier jour, l'Europe restera à l'avant-garde de cette négociation essentielle.
Sur le terrain, des progrès sont possibles dès maintenant pour prévenir les conséquences des catastrophes naturelles et mieux préparer les populations vulnérables. L'année 2008 a été la quatrième année la plus meurtrière depuis 1970 par le nombre de victimes de catastrophes naturelles, 250.000 morts.
La France s'est dotée d'une structure d'alerte et de réaction rapide avec le Centre de crise créé par Bernard Kouchner au sein de son ministère, qui est en contact permanent avec vous. La France est prête à travailler davantage encore avec la Croix-Rouge française et tous les membres de la Fédération internationale au renforcement des capacités sur le terrain.
Mesdames et Messieurs,
Je ne voudrais pas conclure sans aborder un sujet difficile et, à mes yeux essentiel : la responsabilité de protéger. Cette responsabilité de protéger est dans le droit fil de la Déclaration que vous avez adoptée ce matin. En 2005, aux Nations unies, le Sommet du "Millénaire +5" a fait franchir à l'intervention humanitaire un seuil décisif en adoptant par consensus ce principe simple et fort porté depuis si longtemps, à l'initiative de Bernard Kouchner, par la France.
La France abordera les prochains débats sur ce sujet aux Nations unies avec deux préoccupations. D'abord, veiller à ce que l'ambitieuse avancée de 2005 ne soit pas remise en question. Or, soyons lucides, l'avancée de 2005 est contestée et elle est menacée. Le combat pour l'imposer sur le terrain, et même dans l'esprit de nombreux dirigeants, n'est pas terminé. Ensuite et surtout, il faut rendre la responsabilité de protéger opérationnelle. Je parle devant la ministre de l'Intérieur.
Pour cela, il faut une action cohérente de renforcement de la capacité des Etats les moins bien préparés à leurs devoirs de protection. Mais la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger passe aussi par un engagement politique déterminé de toute la communauté internationale, au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies comme au Conseil de sécurité, chaque fois que des Etats refusent d'assumer leurs devoirs. Le recours à ces deux institutions de l'ONU est contesté par certains Etats mais la France ne se lassera jamais de plaider cette cause. Parce que, Monsieur le Président, cette cause est juste. Parce qu'elle s'inscrit dans le droit fil de la Charte et de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Parce que, tout simplement, cette cause répond à une exigence morale qui, pour moi, pour vous tous, a la force de l'évidence. Et comprenez bien que chaque fois qu'un pays empêchera du personnel humanitaire de porter secours aux populations civiles, la France agira sur la tribune internationale pour faire condamner l'action de ces pays.
Il faut savoir ce que l'on veut. Nul n'a le droit de prendre sa population en otage. J'étais pour ma part indigné de ce qui s'est passé en Birmanie. Indigné de ce qui se passe au Zimbabwe. Il y a d'autres exemples mais c'est inqualifiable qu'un pouvoir en place empêche l'action humanitaire de pénétrer dans son pays. La souveraineté ne signifiera jamais d'empêcher des humanitaires de porter secours aux populations civiles. Cela n'a rien à voir avec la souveraineté. Des avancées ont été faites, les Etats démocratiques doivent se mobiliser pour exiger ce qui n'est au fond que le début de la démocratie, que des personnels humanitaires d'autres pays puissent porter secours à des populations innocentes. Si l'on n'est pas capable d'accepter cela, alors on est capable d'accepter quoi ? Autant vous dire à vous, Monsieur le Président, à toi, Cher Jean-François, que la France sera au côté des personnels, des volontaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Je sais bien que votre indépendance est consubstantielle à votre mission et la condition de votre sécurité. Mais ce n'est pas parce que vous êtes indépendant que des Etats démocratiques comme la France ne doivent pas vous défendre. L'indépendance, ce n'est pas l'indifférence. Et justement, nous devons vous défendre et défendre vos personnels et vos volontaires d'autant plus fortement que vous êtes indépendants, que vous menez une action humanitaire au service de qui ? Des victimes, quelles que soient ces victimes.
Je tenais donc à saluer votre engagement en ce jour de célébration. Un engagement noble qui offre chaque jour le témoignage de ce que notre humanité a produit de meilleur. Et dans une société où l'on a tant de mal à mobiliser les gens pour s'engager, hommage soit rendu à tous ceux qui, anonymement, travaillent sous le drapeau de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Vous pouvez donc, j'espère que bous l'avez compris, compter sur la France pour défendre et promouvoir les principes sur lesquels vous fondez votre action au fond, la défense des droits de l'Homme.
Je vous remercie.