8 octobre 2008 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations entre l'Union européenne et la Russie, à Evian le 8 octobre 2008.
Mesdames et Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement,
Cher Dmitri,
Cher Thierry de Montbrial,
En choisissant pour thème central « Où va le monde ? », les organisateurs de cette Conférence ne pouvaient, viser plus juste : c'est bien aujourd'hui le sentiment d'un monde sans boussole et sans repère qui domine.
Après plusieurs décennies où le monde était partagé en deux camps, l'ordre unipolaire autour duquel on prédisait que le monde s'organiserait n'a pas résisté à la multiplication des crises, au développement des défis globaux, et à l'affirmation de nouvelles puissances. Nous sommes face à la situation radicalement nouvelle, qui ouvre l'ère des « puissances relatives », et qui engendre donc de l'instabilité. Aucun acteur, aussi puissant soit-il, ne peut plus à lui seul régler les crises, faire face aux défis, ni même rallier le monde à sa seule vision des choses.
Je l'ai dit il y a trois semaines devant l'Assemblée générale des Nations Unies : l'instabilité et les désordres s'amplifieront si nous n'adaptons pas aux réalités du XXIe siècle les institutions internationales héritées d'un ordre aujourd'hui révolu. Cette nouvelle multipolarité n'accouchera d'un nouvel équilibre, c'est-à-dire qu'elle ne sera un facteur de paix et de prospérité, que si nous savons ensemble l'encadrer par un nouveau multilatéralisme. Ceci passe notamment, pour la France, par l'élargissement du Conseil de sécurité, par l'ouverture du G8 aux grandes puissances émergentes. Nous sommes au XXIe siècle, nous avons les organisations internationales du XXe siècle, ce qui est étonnant c'est que cela marche aussi bien, malgré cela. Il est temps de changer notre organisation.
La tempête financière sans précédent qui secoue le monde depuis plus d'un an et qui s'est emballée au cours des dernières semaines confirme les termes de cette analyse jusqu'à la caricature : la crise financière née aux Etats-Unis s'est diffusée partout dans le monde, conséquence de la globalisation £ aucun pays, même parmi les mieux dotés en ressources naturelles et en réserves de change, n'est à l'abri de ses répercussions, même si certains résistent mieux que d'autres £ seule l'action coordonnée des banques centrales et des gouvernements permettra d'enrayer le risque systémique et d'assurer le financement des économies, il ne peut y avoir de réponse isolée à des défis globaux. La France et la Présidence européenne travaillent à cette réponse globale et coordonnée. Dans les heures qui viennent, on en trouvera la concrétisation. En révélant l'ampleur des dérives d'un capitalisme financier livré à lui-même, le coût exorbitant pour la collectivité, la crise a donc démontré l'urgence de définir un cadre réglementaire nouveau qui préviendra les futures dérives et recentrera le système financier sur sa véritable fonction, qui est de financer l'économie. C'est l'objectif du Sommet du G8 élargi dont j'ai proposé la tenue avant la fin de l'année. Je remercie Dmitri Medvedev d'avoir compris cette initiative et la Russie d'être prête à s'y associer. Je dis d'ailleurs au Président russe que, dans mon esprit, le G8 est un minimum.
Je ne reviendrai pas, Mesdames et Messieurs, plus longuement sur la vision de la France pour bâtir une nouvelle gouvernance internationale. Je l'ai déjà exposée et la présence aujourd'hui du Président russe Dmitri Medvedev et ma qualité de Président du Conseil européen m'offrent l'occasion de concentrer mon propos sur un sujet, à mes yeux, fondamental : l'avenir des relations entre la Russie et l'Union européenne.
Ne nous le cachons pas, et nous nous connaissons suffisamment, le Président Medvedev et moi, pour parler vrai : la relation entre la Russie et l'Union européenne vient de traverser une rude épreuve. J'en tire la conclusion que l'Union européenne et la Russie ne doivent pas s'éloigner l'une de l'autre, suscitant la crainte d'une nouvelle division de l'Europe, ravivant même les fantasmes de la « nouvelle guerre froide ». Cette nouvelle guerre froide serait une erreur historique.
Depuis quelques années, la Russie est de retour : retour de la croissance conduisant à une nouvelle richesse £ retour de l'autorité de l'Etat £ retour de l'influence de la Russie sur la scène internationale. Le monde, et l'Europe plus que quiconque, ont intérêt à une Russie prospère, stable, engagée dans les affaires du monde. C'est notre intérêt. L'Europe souhaite une Russie forte : l'histoire de la construction européenne, réfléchissons un peu, l'histoire de notre continent nous a enseigné qu'un bon voisin, c'est un voisin heureux. Mais la vigueur de ce retour a surpris et parfois inquiété : à l'intérieur, les modalités de la restauration de l'autorité de l'Etat ont fait naître des interrogations, et vis-à-vis de l'extérieur, le recours à une rhétorique de force et l'accumulation de contentieux ou d'irritants bilatéraux avec plusieurs Etats membres de l'Union européenne ont suscité la crainte que la Russie puisse considérer la confrontation comme un moyen parmi d'autres pour défendre ses vues et promouvoir ses intérêts.
Ce jugement, bien sûr, doit être nuancé. Cela a été mon rôle de Président de l'Europe que de le nuancer : d'abord parce qu'il existe toujours d'importants espaces de coopération entre l'Europe et la Russie : contre le terrorisme international, nous sommes ensemble pour éviter le retour d'un régime allié d'Al Qaïda en Afghanistan, nous sommes ensemble contre la piraterie maritime, contre la prolifération des armes de destruction massive, nous sommes ensemble. C'est évidemment le cas sur le dossier nucléaire iranien, comme le montre l'adoption récente de la résolution du Conseil de sécurité qui a confirmé que nous sommes unis dans le refus d'un Iran doté de l'arme nucléaire. Ensuite, parce qu'il faut rendre justice à la Russie pour le chemin considérable parcouru en moins d'une génération, après sept décennies de nuit totalitaire, là où il avait fallu parfois plusieurs siècles à nos pays européens £ il faut aussi constater que le peuple russe apprécie la restauration de l'Etat et le retour de la croissance £ enfin, nous devons reconnaître que la Russie - et l'honnêteté n'est pas une preuve de faiblesse - nous devons reconnaître que la Russie a pu avoir le sentiment d'être négligée par les pays occidentaux, qui ne voyaient plus en elle un partenaire égal, au point que la Russie a pu croire que seul le rapport de force lui permettrait de se faire respecter.
La crise géorgienne a enfoncé un nouveau coin, profond, dans la confiance entre l'Europe et la Russie. J'ai suffisamment confiance dans le Président Medvedev pour que l'on se parle franchement et j'ai apprécié cette capacité à dialoguer à un moment où peu nombreux étaient ceux qui acceptaient le dialogue. J'ai pensé que la réaction de l'armée russe avait été disproportionnée à l'intervention militaire géorgienne. Je dis les choses comme je les pense. Il y a eu une intervention militaire géorgienne qui a été une erreur. Mais la réaction de l'armée russe a été disproportionnée. Par ailleurs, je ne crois pas que soit acceptable la reconnaissance unilatérale par Moscou des indépendances autoproclamées sud-ossète et abkhaze. En Europe et ailleurs, les interrogations et les craintes sur les objectifs réels de la Russie, notamment vis-à-vis de ses voisins, et sur les méthodes qu'elle s'estime légitime à mettre en oeuvre pour les atteindre ont suscité cette crise de confiance.
Ce malaise entre l'Europe et la Russie, s'il continuait de s'installer, aurait des conséquences graves, à la fois pour la stabilité et la prospérité de tout le continent européen et sur l'équilibre global du monde.
Moi, je veux vous le dire parce que je le crois profondément, le destin de l'Europe et celui de la Russie sont liés. Ils sont liés par la géographie, c'est rare les pays qui changent d'adresse. Ils sont liés par l'histoire, ils sont liés par la culture, oui par la culture, ils sont liés par l'interdépendance croissante de nos économies. Entre l'Europe et la Russie, les complémentarités sont évidentes : le marché russe est en pleine expansion. Il est pour l'Europe le troisième débouché par ordre d'importance £ et pour réussir la modernisation et la diversification de son économie, la Russie doit s'appuyer sur l'Europe, qui est son premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger : 80% des investissements réalisés en Russie proviennent de l'Union européenne, et 80% des investissements russes à l'étranger ont pour destination l'Union européenne. Construire la confrontation entre nous serait folie. En 2007, l'Europe a investi dix fois plus en Russie que la Chine, autre voisin de la Russie ! L'Europe achète un tiers de son énergie à la Russie, et la Russie écoule 60% de ses exportations de gaz et de pétrole. L'Europe a donc besoin de la Russie pour garantir la sécurité de ses approvisionnements et la Russie a besoin de l'Europe pour assurer la sécurité de ses débouchés. La raison commande ainsi à l'Europe et à la Russie d'être l'une pour l'autre des partenaires stratégiques. Nous sommes voisins, nous avons un intérêt stratégique à travailler ensemble.
Indispensables l'une à l'autre, l'Europe et la Russie sont aussi deux acteurs essentiels du nouveau monde multipolaire : la Russie s'est relevée de manière absolument spectaculaire des traumatismes des années 1990 £ la Russie est à nouveau une puissance, une puissance écoutée, qui dispose à la fois des moyens et de la volonté de peser sur les affaires du monde. De son côté, l'Union européenne, qui constitue déjà le premier ensemble économique et commercial, intensifie ses efforts pour se doter d'institutions stables et de moyens militaires qui lui permettront de jouer pleinement le rôle d'acteur global auquel ses atouts la destinent. De la nature des relations qui s'établiront entre la Russie et l'Europe dépendent donc également l'équilibre global du système international, et notre capacité à faire face aux grands problèmes du monde. On l'a vu à l'occasion du conflit géorgien, c'est la médiation de l'Union européenne qui a permis la cessation des hostilités et ouvert la voie à un processus négocié pour sortir d'une crise dont les conséquences dépassent la seule région du Caucase. Le partenariat entre l'Europe et la Russie c'est une chance pour le monde, pour sa stabilité, pour sa prospérité et pour sa paix.
Alors entre nous, il faut rétablir la confiance, qui est la condition de la relance d'un partenariat euro-russe ambitieux. Comment faire ?
D'abord, en réglant la crise géorgienne.
Avec le déploiement des observateurs européens aux côtés de ceux de l'OSCE et de l'ONU et le retrait des troupes russes des zones adjacentes à l'Ossétie du Sud et à l'Abkhazie, ainsi que nous étions convenus au terme de longues négociations, l'Europe et la Russie auront tenu parole et rempli la première partie de leur contrat. La crise a commencé le 8 août, nous sommes le 8 octobre. Deux mois. Alors, je vois bien les donneurs de leçons qui trouvaient que ce n'était pas assez clair, pas assez rapide. Vous connaissez le proverbe « quand je m'ausculte, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure ». C'était indispensable, pour enrayer l'aggravation de la crise de confiance et pour montrer que le dialogue entre l'Europe et la Russie produit des résultats, et donc l'annonce d'aujourd'hui est capitale. Il faut désormais, sur le terrain, que les parties s'abstiennent de toute provocation et respectent le travail des observateurs internationaux. Il faut aussi que la même volonté de trouver des solutions justes, durables et conformes aux principes internationaux préside aux discussions internationales qui doivent s'engager à quelques kilomètres d'ici, à Genève le 15 octobre. Pour aboutir, ces discussions doivent associer tous les acteurs concernés, mais aussi respecter les positions de chacun. Ce sera, je le pense, l'objet d'une partie de notre déjeuner.
Pour résorber le malaise qui s'est installé et rétablir durablement la confiance entre l'Europe et la Russie, il faut aussi que, l'un comme l'autre, nous manifestions dans nos paroles et dans nos actes le même désir d'écoute, de partenariat et de dialogue. L'Union européenne a fait des gestes clairs en ce sens à l'occasion de la crise géorgienne. J'ai fait le pari du dialogue avec Moscou, au moment où celui-ci n'allait pas de soi et où nombreuses étaient les voix, en Europe et ailleurs, qui prônaient l'adoption de sanctions. Eh bien, je ne regrette pas d'avoir fait le pari de la confiance et du dialogue. L'Union a mis sa relation avec la Russie « sous observation », mais elle a choisi le dialogue, et la mise en oeuvre intégrale des accords du 12 août et du 8 septembre ouvre la perspective de la reprise de la négociation d'un accord cadre ambitieux, tant par son champ - les "quatre espaces" définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg -, que par l'intensité de la coopération.
Une telle ambition, si elle est partagée, tracera le chemin vers un véritable « espace économique et humain commun », entre la Russie et l'Union européenne :
- dans le domaine de l'énergie, nous avons un partenariat à créer, fondé sur la transparence, la réciprocité, la règle de droit et la non-discrimination, et des coopérations ambitieuses pour promouvoir l'efficacité énergétique et le développement des énergies nouvelles £
- en matière d'investissements, qui doivent être accueillis de part et d'autres dans le cadre de règles prévisibles, claires, stables £
- dans le domaine commercial, en établissant un accord renforcé et global de libre-échange, qui prendrait appui sur les résultats de l'adhésion de la Russie à l'OMC, qui demeure de son intérêt, à la Russie, et du nôtre £
- dans le domaine financier, où la crise que nous traversons et ses répercussions en Europe comme en Russie démontrent que nous avons un intérêt commun à définir des règles et des pratiques convergentes en matière de régulation, de comptabilité et de surveillance, Dmitri Medvedev a fait des propositions. Il n'y a rien dans ses propositions qui ne me choque ou qui ne soit contraire avec ce que je pense moi-même £
- entre nos peuples, enfin, en facilitant les déplacements conformément aux accords conclus en matière de visas, avec pour objectif ultime un espace de circulation sans visas, et en multipliant les échanges entre nos sociétés civiles. Quel meilleur chemin pour favoriser la meilleure compréhension mutuelle des valeurs auxquelles nous sommes attachés, la démocratie et les droits de l'Homme ? Un espace économique commun entre la Russie et l'Union européenne, voilà une vision digne du siècle que nous commençons.
L'Europe espère que la Russie n'hésitera pas à faire ce choix stratégique du partenariat qui ne se résume pas aux relations particulières que la Russie entretient avec chacun de nos membres. Les contentieux bilatéraux qui subsistent doivent être apurés, car le fondement même de l'Union, c'est la solidarité entre les États qui la composent. La Russie doit s'engager dans la négociation de l'accord cadre avec le souci légitime d'y défendre ses intérêts et le droit que ceux-ci soient pris en compte, mais aussi avec la volonté de rassurer et d'apporter des réponses aux interrogations des pays européens qui ne sont pas toutes dénuées de sens. Je pense en particulier au domaine énergétique, où l'ère des suspicions doit céder la place à l'ère de la sécurité réciproque
J'ai entendu le Président Medvedev présenter ses idées pour un nouveau pacte de sécurité de Vancouver à Vladivostok. Eh bien, je veux lui dire que nous sommes prêts à en discuter, car la s??curité, en Europe et au-delà, est un bien commun et donc un autre champ naturel de coopération entre l'Europe et la Russie. Cette coopération doit d'abord se fonder sur les acquis, qui sont loin d'être négligeables mais que nous pouvons encore développer : à l'OTAN, d'abord, où le Conseil OTAN/Russie, symbole de la fin de la guerre froide, offre un cadre pour une réflexion stratégique commune, mais aussi pour des coopérations concrètes entre nos systèmes de défense £ dans le cadre de l'Union européenne ensuite, où la participation militaire de la Russie à l'opération EUFOR au Tchad peut préfigurer un véritable partenariat £ et nous avons été contents d'avoir nos amis Russes à nos côté sur ce dossier si difficile. On pourrait même faire de la Russie un interlocuteur privilégié de la PESD. La France est prête, dans chacune de ces organisations, à approfondir le travail commun avec la Russie.
Mais, ces dialogues et ces coopérations manquent sans doute de cohérence. Et c'est là que la proposition de Dmitri Medvedev répond à un besoin réel. Alors, pourquoi ne pas remettre à plat, tous ensembles, institutions et pays concernés, tout ce qui concerne la sécurité de notre continent ? Et puisque nous sommes au début du siècle et que tu as fait cette proposition pourquoi ne pas moderniser ensemble une pensée, des réflexes, des habitudes qui datent de la Guerre froide ? Nous pouvons sans doute le faire dans le cadre de l'OSCE, seule enceinte qui rassemble sur un pied d'égalité tous les acteurs de la sécurité paneuropéenne. Je propose qu'un Sommet de l'Organisation soit spécialement convoqué à cet effet avant la fin de l'année 2009 pour que nous discutions de tes propositions et de celles de l'Union européenne pour de nouveaux concepts de défense paneuropéens.
Cet exercice supposera naturellement une volonté de compromis, Dmitri, une compréhension mutuelle et une honnêteté mutuelle£ un effort pour inscrire notre sécurité commune dans un cadre rénové fondé sur nos intérêts mais aussi sur nos valeurs : l'histoire tragique de notre continent enseigne qu'il n'y pas de sécurité durable qui repose seulement sur l'équilibre des forces. L'équilibre des forces, ce n'est pas le garant de la sécurité durable, il faut aussi la démocratie, il faut aussi les droits de l'Homme qui sont des facteurs essentiels de stabilité. Il ne s'agit pas de donner des leçons à qui que ce soit. Chacun d'entre nous avons dans nos propres pays nos faiblesses. Mais c'est le message que porte l'Union européenne. C'est ce message que je porterai dans le dialogue que nous aurons avec la Russie sur cette question de la sécurité.
Un cadre de sécurité paneuropéen comporterait donc des arrangements de sécurité, notamment dans le domaine des armements conventionnels, mais aussi la réaffirmation de ces valeurs et des instruments et institutions qui en permettent l'expression et la protection. Ce cadre devrait également permettre la résolution pacifique des différends, parce que la crise géorgienne nous a appris qu'un conflit prétendument gelé peut vite dégénérer en guerre ouverte.
Enfin, mais est-il besoin de le préciser, ce dialogue dans lequel nous sommes prêts à entrer avec la Russie, je le dis à Dmitri, doit associer nos amis et nos alliés américains. Je ne prends pas mes instructions en Amérique, mais l'Amérique c'est notre amie et notre alliée. Il ne faut pas craindre cette relation entre l'Europe et les Etats-Unis. Nous sommes amis, nous sommes alliés. Nous avons notre propre vision. Nous ne sommes pas les agents de quelque puissance que ce soit. Mais si on parle sécurité, de Vladivostok à Vancouver, cela concerne aussi nos alliés. Cela concerne la sécurité sur notre continent, parce que la sécurité de notre continent repose sur un lien transatlantique fort. Je me sens suffisamment indépendant pour revendiquer ce lien. Nous avons bien été contents, nous, en Europe d'avoir ce lien au moins à deux reprises.
Autant que de la nature des institutions ou des contours des alliances, la sécurité en Europe dépend aussi du renoncement définitif à l'ambition de « sphères d'influence », et du respect de l'intégrité territoriale et de l'indépendance de chaque pays. Je le dis devant le Président serbe, l'histoire récente n'a pas été facile pour la nation serbe, qui a vocation, à mes yeux, à intégrer l'Union européenne. Ne l'oublions pas : l' « étranger proche » de la Russie est souvent, aussi, celui de l'Union européenne. C'est un fait notre « voisinage commun ». Il doit être un champ de coopération, pas un terrain de rivalités.
Mesdames et Messieurs,
La multiplication des crises et la montée des défis globaux ont mis en lumière le dérèglement du monde en même temps qu'elles ont révélé l'insuffisance des règles et des institutions internationales héritées d'une autre époque. Nous avons la responsabilité aujourd'hui d'inventer rien moins qu'une nouvelle gouvernance mondiale. Nous le devons pour préserver la paix et la prospérité pour nos peuples, et éviter que les relations internationales ne basculent à nouveau dans un jeu à somme nulle où les uns doivent forcément perdre pour que les autres gagnent. Ce raisonnement est un raisonnement insensé.
La relation entre l'Europe et la Russie a été éprouvée au cours des dernières années. Nous devons surmonter ce malaise, car entre la Russie et l'Europe, le partenariat est naturel, il est nécessaire. Il sera un facteur majeur d'équilibre. Il apportera une contribution décisive à la stabilité de l'ordre international que nous devons bâtir. Jamais au cours de ces dernières semaines, je n'ai eu à regretter de faire le pari du dialogue et de la confiance avec le Président de la République de la Russie, Dmitri Medvedev, que je suis heureux de retrouver ici, à Evian.
Je vous remercie.
Cher Dmitri,
Cher Thierry de Montbrial,
En choisissant pour thème central « Où va le monde ? », les organisateurs de cette Conférence ne pouvaient, viser plus juste : c'est bien aujourd'hui le sentiment d'un monde sans boussole et sans repère qui domine.
Après plusieurs décennies où le monde était partagé en deux camps, l'ordre unipolaire autour duquel on prédisait que le monde s'organiserait n'a pas résisté à la multiplication des crises, au développement des défis globaux, et à l'affirmation de nouvelles puissances. Nous sommes face à la situation radicalement nouvelle, qui ouvre l'ère des « puissances relatives », et qui engendre donc de l'instabilité. Aucun acteur, aussi puissant soit-il, ne peut plus à lui seul régler les crises, faire face aux défis, ni même rallier le monde à sa seule vision des choses.
Je l'ai dit il y a trois semaines devant l'Assemblée générale des Nations Unies : l'instabilité et les désordres s'amplifieront si nous n'adaptons pas aux réalités du XXIe siècle les institutions internationales héritées d'un ordre aujourd'hui révolu. Cette nouvelle multipolarité n'accouchera d'un nouvel équilibre, c'est-à-dire qu'elle ne sera un facteur de paix et de prospérité, que si nous savons ensemble l'encadrer par un nouveau multilatéralisme. Ceci passe notamment, pour la France, par l'élargissement du Conseil de sécurité, par l'ouverture du G8 aux grandes puissances émergentes. Nous sommes au XXIe siècle, nous avons les organisations internationales du XXe siècle, ce qui est étonnant c'est que cela marche aussi bien, malgré cela. Il est temps de changer notre organisation.
La tempête financière sans précédent qui secoue le monde depuis plus d'un an et qui s'est emballée au cours des dernières semaines confirme les termes de cette analyse jusqu'à la caricature : la crise financière née aux Etats-Unis s'est diffusée partout dans le monde, conséquence de la globalisation £ aucun pays, même parmi les mieux dotés en ressources naturelles et en réserves de change, n'est à l'abri de ses répercussions, même si certains résistent mieux que d'autres £ seule l'action coordonnée des banques centrales et des gouvernements permettra d'enrayer le risque systémique et d'assurer le financement des économies, il ne peut y avoir de réponse isolée à des défis globaux. La France et la Présidence européenne travaillent à cette réponse globale et coordonnée. Dans les heures qui viennent, on en trouvera la concrétisation. En révélant l'ampleur des dérives d'un capitalisme financier livré à lui-même, le coût exorbitant pour la collectivité, la crise a donc démontré l'urgence de définir un cadre réglementaire nouveau qui préviendra les futures dérives et recentrera le système financier sur sa véritable fonction, qui est de financer l'économie. C'est l'objectif du Sommet du G8 élargi dont j'ai proposé la tenue avant la fin de l'année. Je remercie Dmitri Medvedev d'avoir compris cette initiative et la Russie d'être prête à s'y associer. Je dis d'ailleurs au Président russe que, dans mon esprit, le G8 est un minimum.
Je ne reviendrai pas, Mesdames et Messieurs, plus longuement sur la vision de la France pour bâtir une nouvelle gouvernance internationale. Je l'ai déjà exposée et la présence aujourd'hui du Président russe Dmitri Medvedev et ma qualité de Président du Conseil européen m'offrent l'occasion de concentrer mon propos sur un sujet, à mes yeux, fondamental : l'avenir des relations entre la Russie et l'Union européenne.
Ne nous le cachons pas, et nous nous connaissons suffisamment, le Président Medvedev et moi, pour parler vrai : la relation entre la Russie et l'Union européenne vient de traverser une rude épreuve. J'en tire la conclusion que l'Union européenne et la Russie ne doivent pas s'éloigner l'une de l'autre, suscitant la crainte d'une nouvelle division de l'Europe, ravivant même les fantasmes de la « nouvelle guerre froide ». Cette nouvelle guerre froide serait une erreur historique.
Depuis quelques années, la Russie est de retour : retour de la croissance conduisant à une nouvelle richesse £ retour de l'autorité de l'Etat £ retour de l'influence de la Russie sur la scène internationale. Le monde, et l'Europe plus que quiconque, ont intérêt à une Russie prospère, stable, engagée dans les affaires du monde. C'est notre intérêt. L'Europe souhaite une Russie forte : l'histoire de la construction européenne, réfléchissons un peu, l'histoire de notre continent nous a enseigné qu'un bon voisin, c'est un voisin heureux. Mais la vigueur de ce retour a surpris et parfois inquiété : à l'intérieur, les modalités de la restauration de l'autorité de l'Etat ont fait naître des interrogations, et vis-à-vis de l'extérieur, le recours à une rhétorique de force et l'accumulation de contentieux ou d'irritants bilatéraux avec plusieurs Etats membres de l'Union européenne ont suscité la crainte que la Russie puisse considérer la confrontation comme un moyen parmi d'autres pour défendre ses vues et promouvoir ses intérêts.
Ce jugement, bien sûr, doit être nuancé. Cela a été mon rôle de Président de l'Europe que de le nuancer : d'abord parce qu'il existe toujours d'importants espaces de coopération entre l'Europe et la Russie : contre le terrorisme international, nous sommes ensemble pour éviter le retour d'un régime allié d'Al Qaïda en Afghanistan, nous sommes ensemble contre la piraterie maritime, contre la prolifération des armes de destruction massive, nous sommes ensemble. C'est évidemment le cas sur le dossier nucléaire iranien, comme le montre l'adoption récente de la résolution du Conseil de sécurité qui a confirmé que nous sommes unis dans le refus d'un Iran doté de l'arme nucléaire. Ensuite, parce qu'il faut rendre justice à la Russie pour le chemin considérable parcouru en moins d'une génération, après sept décennies de nuit totalitaire, là où il avait fallu parfois plusieurs siècles à nos pays européens £ il faut aussi constater que le peuple russe apprécie la restauration de l'Etat et le retour de la croissance £ enfin, nous devons reconnaître que la Russie - et l'honnêteté n'est pas une preuve de faiblesse - nous devons reconnaître que la Russie a pu avoir le sentiment d'être négligée par les pays occidentaux, qui ne voyaient plus en elle un partenaire égal, au point que la Russie a pu croire que seul le rapport de force lui permettrait de se faire respecter.
La crise géorgienne a enfoncé un nouveau coin, profond, dans la confiance entre l'Europe et la Russie. J'ai suffisamment confiance dans le Président Medvedev pour que l'on se parle franchement et j'ai apprécié cette capacité à dialoguer à un moment où peu nombreux étaient ceux qui acceptaient le dialogue. J'ai pensé que la réaction de l'armée russe avait été disproportionnée à l'intervention militaire géorgienne. Je dis les choses comme je les pense. Il y a eu une intervention militaire géorgienne qui a été une erreur. Mais la réaction de l'armée russe a été disproportionnée. Par ailleurs, je ne crois pas que soit acceptable la reconnaissance unilatérale par Moscou des indépendances autoproclamées sud-ossète et abkhaze. En Europe et ailleurs, les interrogations et les craintes sur les objectifs réels de la Russie, notamment vis-à-vis de ses voisins, et sur les méthodes qu'elle s'estime légitime à mettre en oeuvre pour les atteindre ont suscité cette crise de confiance.
Ce malaise entre l'Europe et la Russie, s'il continuait de s'installer, aurait des conséquences graves, à la fois pour la stabilité et la prospérité de tout le continent européen et sur l'équilibre global du monde.
Moi, je veux vous le dire parce que je le crois profondément, le destin de l'Europe et celui de la Russie sont liés. Ils sont liés par la géographie, c'est rare les pays qui changent d'adresse. Ils sont liés par l'histoire, ils sont liés par la culture, oui par la culture, ils sont liés par l'interdépendance croissante de nos économies. Entre l'Europe et la Russie, les complémentarités sont évidentes : le marché russe est en pleine expansion. Il est pour l'Europe le troisième débouché par ordre d'importance £ et pour réussir la modernisation et la diversification de son économie, la Russie doit s'appuyer sur l'Europe, qui est son premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger : 80% des investissements réalisés en Russie proviennent de l'Union européenne, et 80% des investissements russes à l'étranger ont pour destination l'Union européenne. Construire la confrontation entre nous serait folie. En 2007, l'Europe a investi dix fois plus en Russie que la Chine, autre voisin de la Russie ! L'Europe achète un tiers de son énergie à la Russie, et la Russie écoule 60% de ses exportations de gaz et de pétrole. L'Europe a donc besoin de la Russie pour garantir la sécurité de ses approvisionnements et la Russie a besoin de l'Europe pour assurer la sécurité de ses débouchés. La raison commande ainsi à l'Europe et à la Russie d'être l'une pour l'autre des partenaires stratégiques. Nous sommes voisins, nous avons un intérêt stratégique à travailler ensemble.
Indispensables l'une à l'autre, l'Europe et la Russie sont aussi deux acteurs essentiels du nouveau monde multipolaire : la Russie s'est relevée de manière absolument spectaculaire des traumatismes des années 1990 £ la Russie est à nouveau une puissance, une puissance écoutée, qui dispose à la fois des moyens et de la volonté de peser sur les affaires du monde. De son côté, l'Union européenne, qui constitue déjà le premier ensemble économique et commercial, intensifie ses efforts pour se doter d'institutions stables et de moyens militaires qui lui permettront de jouer pleinement le rôle d'acteur global auquel ses atouts la destinent. De la nature des relations qui s'établiront entre la Russie et l'Europe dépendent donc également l'équilibre global du système international, et notre capacité à faire face aux grands problèmes du monde. On l'a vu à l'occasion du conflit géorgien, c'est la médiation de l'Union européenne qui a permis la cessation des hostilités et ouvert la voie à un processus négocié pour sortir d'une crise dont les conséquences dépassent la seule région du Caucase. Le partenariat entre l'Europe et la Russie c'est une chance pour le monde, pour sa stabilité, pour sa prospérité et pour sa paix.
Alors entre nous, il faut rétablir la confiance, qui est la condition de la relance d'un partenariat euro-russe ambitieux. Comment faire ?
D'abord, en réglant la crise géorgienne.
Avec le déploiement des observateurs européens aux côtés de ceux de l'OSCE et de l'ONU et le retrait des troupes russes des zones adjacentes à l'Ossétie du Sud et à l'Abkhazie, ainsi que nous étions convenus au terme de longues négociations, l'Europe et la Russie auront tenu parole et rempli la première partie de leur contrat. La crise a commencé le 8 août, nous sommes le 8 octobre. Deux mois. Alors, je vois bien les donneurs de leçons qui trouvaient que ce n'était pas assez clair, pas assez rapide. Vous connaissez le proverbe « quand je m'ausculte, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure ». C'était indispensable, pour enrayer l'aggravation de la crise de confiance et pour montrer que le dialogue entre l'Europe et la Russie produit des résultats, et donc l'annonce d'aujourd'hui est capitale. Il faut désormais, sur le terrain, que les parties s'abstiennent de toute provocation et respectent le travail des observateurs internationaux. Il faut aussi que la même volonté de trouver des solutions justes, durables et conformes aux principes internationaux préside aux discussions internationales qui doivent s'engager à quelques kilomètres d'ici, à Genève le 15 octobre. Pour aboutir, ces discussions doivent associer tous les acteurs concernés, mais aussi respecter les positions de chacun. Ce sera, je le pense, l'objet d'une partie de notre déjeuner.
Pour résorber le malaise qui s'est installé et rétablir durablement la confiance entre l'Europe et la Russie, il faut aussi que, l'un comme l'autre, nous manifestions dans nos paroles et dans nos actes le même désir d'écoute, de partenariat et de dialogue. L'Union européenne a fait des gestes clairs en ce sens à l'occasion de la crise géorgienne. J'ai fait le pari du dialogue avec Moscou, au moment où celui-ci n'allait pas de soi et où nombreuses étaient les voix, en Europe et ailleurs, qui prônaient l'adoption de sanctions. Eh bien, je ne regrette pas d'avoir fait le pari de la confiance et du dialogue. L'Union a mis sa relation avec la Russie « sous observation », mais elle a choisi le dialogue, et la mise en oeuvre intégrale des accords du 12 août et du 8 septembre ouvre la perspective de la reprise de la négociation d'un accord cadre ambitieux, tant par son champ - les "quatre espaces" définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg -, que par l'intensité de la coopération.
Une telle ambition, si elle est partagée, tracera le chemin vers un véritable « espace économique et humain commun », entre la Russie et l'Union européenne :
- dans le domaine de l'énergie, nous avons un partenariat à créer, fondé sur la transparence, la réciprocité, la règle de droit et la non-discrimination, et des coopérations ambitieuses pour promouvoir l'efficacité énergétique et le développement des énergies nouvelles £
- en matière d'investissements, qui doivent être accueillis de part et d'autres dans le cadre de règles prévisibles, claires, stables £
- dans le domaine commercial, en établissant un accord renforcé et global de libre-échange, qui prendrait appui sur les résultats de l'adhésion de la Russie à l'OMC, qui demeure de son intérêt, à la Russie, et du nôtre £
- dans le domaine financier, où la crise que nous traversons et ses répercussions en Europe comme en Russie démontrent que nous avons un intérêt commun à définir des règles et des pratiques convergentes en matière de régulation, de comptabilité et de surveillance, Dmitri Medvedev a fait des propositions. Il n'y a rien dans ses propositions qui ne me choque ou qui ne soit contraire avec ce que je pense moi-même £
- entre nos peuples, enfin, en facilitant les déplacements conformément aux accords conclus en matière de visas, avec pour objectif ultime un espace de circulation sans visas, et en multipliant les échanges entre nos sociétés civiles. Quel meilleur chemin pour favoriser la meilleure compréhension mutuelle des valeurs auxquelles nous sommes attachés, la démocratie et les droits de l'Homme ? Un espace économique commun entre la Russie et l'Union européenne, voilà une vision digne du siècle que nous commençons.
L'Europe espère que la Russie n'hésitera pas à faire ce choix stratégique du partenariat qui ne se résume pas aux relations particulières que la Russie entretient avec chacun de nos membres. Les contentieux bilatéraux qui subsistent doivent être apurés, car le fondement même de l'Union, c'est la solidarité entre les États qui la composent. La Russie doit s'engager dans la négociation de l'accord cadre avec le souci légitime d'y défendre ses intérêts et le droit que ceux-ci soient pris en compte, mais aussi avec la volonté de rassurer et d'apporter des réponses aux interrogations des pays européens qui ne sont pas toutes dénuées de sens. Je pense en particulier au domaine énergétique, où l'ère des suspicions doit céder la place à l'ère de la sécurité réciproque
J'ai entendu le Président Medvedev présenter ses idées pour un nouveau pacte de sécurité de Vancouver à Vladivostok. Eh bien, je veux lui dire que nous sommes prêts à en discuter, car la s??curité, en Europe et au-delà, est un bien commun et donc un autre champ naturel de coopération entre l'Europe et la Russie. Cette coopération doit d'abord se fonder sur les acquis, qui sont loin d'être négligeables mais que nous pouvons encore développer : à l'OTAN, d'abord, où le Conseil OTAN/Russie, symbole de la fin de la guerre froide, offre un cadre pour une réflexion stratégique commune, mais aussi pour des coopérations concrètes entre nos systèmes de défense £ dans le cadre de l'Union européenne ensuite, où la participation militaire de la Russie à l'opération EUFOR au Tchad peut préfigurer un véritable partenariat £ et nous avons été contents d'avoir nos amis Russes à nos côté sur ce dossier si difficile. On pourrait même faire de la Russie un interlocuteur privilégié de la PESD. La France est prête, dans chacune de ces organisations, à approfondir le travail commun avec la Russie.
Mais, ces dialogues et ces coopérations manquent sans doute de cohérence. Et c'est là que la proposition de Dmitri Medvedev répond à un besoin réel. Alors, pourquoi ne pas remettre à plat, tous ensembles, institutions et pays concernés, tout ce qui concerne la sécurité de notre continent ? Et puisque nous sommes au début du siècle et que tu as fait cette proposition pourquoi ne pas moderniser ensemble une pensée, des réflexes, des habitudes qui datent de la Guerre froide ? Nous pouvons sans doute le faire dans le cadre de l'OSCE, seule enceinte qui rassemble sur un pied d'égalité tous les acteurs de la sécurité paneuropéenne. Je propose qu'un Sommet de l'Organisation soit spécialement convoqué à cet effet avant la fin de l'année 2009 pour que nous discutions de tes propositions et de celles de l'Union européenne pour de nouveaux concepts de défense paneuropéens.
Cet exercice supposera naturellement une volonté de compromis, Dmitri, une compréhension mutuelle et une honnêteté mutuelle£ un effort pour inscrire notre sécurité commune dans un cadre rénové fondé sur nos intérêts mais aussi sur nos valeurs : l'histoire tragique de notre continent enseigne qu'il n'y pas de sécurité durable qui repose seulement sur l'équilibre des forces. L'équilibre des forces, ce n'est pas le garant de la sécurité durable, il faut aussi la démocratie, il faut aussi les droits de l'Homme qui sont des facteurs essentiels de stabilité. Il ne s'agit pas de donner des leçons à qui que ce soit. Chacun d'entre nous avons dans nos propres pays nos faiblesses. Mais c'est le message que porte l'Union européenne. C'est ce message que je porterai dans le dialogue que nous aurons avec la Russie sur cette question de la sécurité.
Un cadre de sécurité paneuropéen comporterait donc des arrangements de sécurité, notamment dans le domaine des armements conventionnels, mais aussi la réaffirmation de ces valeurs et des instruments et institutions qui en permettent l'expression et la protection. Ce cadre devrait également permettre la résolution pacifique des différends, parce que la crise géorgienne nous a appris qu'un conflit prétendument gelé peut vite dégénérer en guerre ouverte.
Enfin, mais est-il besoin de le préciser, ce dialogue dans lequel nous sommes prêts à entrer avec la Russie, je le dis à Dmitri, doit associer nos amis et nos alliés américains. Je ne prends pas mes instructions en Amérique, mais l'Amérique c'est notre amie et notre alliée. Il ne faut pas craindre cette relation entre l'Europe et les Etats-Unis. Nous sommes amis, nous sommes alliés. Nous avons notre propre vision. Nous ne sommes pas les agents de quelque puissance que ce soit. Mais si on parle sécurité, de Vladivostok à Vancouver, cela concerne aussi nos alliés. Cela concerne la sécurité sur notre continent, parce que la sécurité de notre continent repose sur un lien transatlantique fort. Je me sens suffisamment indépendant pour revendiquer ce lien. Nous avons bien été contents, nous, en Europe d'avoir ce lien au moins à deux reprises.
Autant que de la nature des institutions ou des contours des alliances, la sécurité en Europe dépend aussi du renoncement définitif à l'ambition de « sphères d'influence », et du respect de l'intégrité territoriale et de l'indépendance de chaque pays. Je le dis devant le Président serbe, l'histoire récente n'a pas été facile pour la nation serbe, qui a vocation, à mes yeux, à intégrer l'Union européenne. Ne l'oublions pas : l' « étranger proche » de la Russie est souvent, aussi, celui de l'Union européenne. C'est un fait notre « voisinage commun ». Il doit être un champ de coopération, pas un terrain de rivalités.
Mesdames et Messieurs,
La multiplication des crises et la montée des défis globaux ont mis en lumière le dérèglement du monde en même temps qu'elles ont révélé l'insuffisance des règles et des institutions internationales héritées d'une autre époque. Nous avons la responsabilité aujourd'hui d'inventer rien moins qu'une nouvelle gouvernance mondiale. Nous le devons pour préserver la paix et la prospérité pour nos peuples, et éviter que les relations internationales ne basculent à nouveau dans un jeu à somme nulle où les uns doivent forcément perdre pour que les autres gagnent. Ce raisonnement est un raisonnement insensé.
La relation entre l'Europe et la Russie a été éprouvée au cours des dernières années. Nous devons surmonter ce malaise, car entre la Russie et l'Europe, le partenariat est naturel, il est nécessaire. Il sera un facteur majeur d'équilibre. Il apportera une contribution décisive à la stabilité de l'ordre international que nous devons bâtir. Jamais au cours de ces dernières semaines, je n'ai eu à regretter de faire le pari du dialogue et de la confiance avec le Président de la République de la Russie, Dmitri Medvedev, que je suis heureux de retrouver ici, à Evian.
Je vous remercie.