30 juin 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, à France 3 le 30 juin 2008, notamment sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, la lutte contre l'immigration clandestine en France et sur l'avenir de France Télévisions.

PAUL NAHON - Madame, Monsieur, bonsoir. Monsieur le Président, bonsoir.
LE PRESIDENT - Bonsoir, merci de m'avoir invité.
PAUL NAHON - Merci d'avoir accepté notre invitation. C'est la deuxième fois dans l'histoire de la Ve République qu'un président en exercice se rend dans les studios d'une chaîne de télévision...
LE PRESIDENT - Ça prouve que j'apprécie FRANCE TELEVISIONS en général et FRANCE 3 en particulier.
PAUL NAHON - Merci beaucoup. Ce soir, nous allons parler de l'Europe et aussi de la télévision, vous verrez, à la fin de l'émission, car dans quelques heures, la France va présider aux destinées de l'Union européenne et ce pendant six mois. Alors pour vous interroger sur les initiatives que vous allez prendre pendant ce laps de temps, Audrey PULVAR, Véronique AUGER, Gérard LECLERC. En duplex de FRANCE 3 Strasbourg, Anne de CHALENDAR, à Toulouse Olivier LOUBET, à FRANCE 3 Rennes, Robin DURAND et à la rédaction de Lille, Pierre-Yves GRENU. Alors Monsieur le Président, comment expliquez-vous, c'est la première question : comment expliquez-vous que l'Europe qui a été créée pour protéger les citoyens, cette Europe commence à inquiéter ? On a l'impression qu'il y a un fossé qui est en train de se creuser entre les dirigeants et les citoyens ?
LE PRESIDENT - Moi je ne pense pas que c'est une impression... je pense que c'est une réalité. Le premier devoir d'un responsable quel qu'il soit, c'est la lucidité. Ca ne va pas. Ca ne va pas du tout. L'Europe inquiète et pire je trouve, peu à peu nos concitoyens se demandent si finalement l'échelon national n'est pas mieux à même de les protéger que l'échelon européen...
PAUL NAHON - C'est un retour en arrière j'ai l'impression non ?
LE PRESIDENT - Moi je pense que c'est un retour en arrière mais s'il y a retour en arrière, c'est qu'il y a eu erreur dans la façon de construire l'Europe. Il faut donc changer profondément notre façon de construire l'Europe. D'ailleurs au fond ça s'explique : l'Europe a été construite pour faire la paix. Le continent sortait épuisé d'affrontements d'une violence inouïe, je dirais même d'affrontements moyenâgeux £ c'est en Europe qu'on a inventé la Shoah, c'est en Europe au 20e siècle qu'on s'est entre-tué. Et l'Union européenne a été construite pour la paix. Et ça a marché. Ensuite, l'Union européenne, s'était construite pour la prospérité. Et ça a marché parce que les trente glorieuses... on a reconstruit un continent ravagé par la guerre à partir de la communauté européenne du charbon et de l'acier et ça a plutôt bien marché. Troisième chose qui a bien marché, c'est que l'Europe a été construite pour la démocratie. Ca a bien marché parce qu'il y a quatre ans, ça paraît un siècle mais il y a quatre ans, la famille européenne s'est réconciliée, le mur de Berlin est tombé...
VERONIQUE AUGER - Et c'est ça qui a inquiété...
LE PRESIDENT - Je ne pense pas. Je pense que les Européens sont favorables et ont profité de cette réunification. Mais maintenant qu'est-ce qu'on attend de l'Europe ? C'est qu'elle protège les Européens contre les risques que fait peser la mondialisation et c'est là où ça ne marche pas.
AUDREY PULVAR - Et est-ce que les dirigeants européens dont vous, donnent envie aux citoyens européens, d'Europe, de l'Union européenne, est-ce qu'ils leur donnent confiance ?
LE PRESIDENT - D'abord... dont moi... merci de me cibler là-dessus. D'abord j'ai l'habitude d'assumer mes responsabilités, je ne vais pas dire que c'est la faute des autres. On est naturellement tous responsables mais ce n'est pas si facile que cela. D'abord parce que de dirigeants authentiquement européens, il n'y en a pas, il n'y a pas un président élu... Paul NAHON a dit que je serai demain président de l'Union européenne pour six mois mais je suis président du conseil, c'est une responsabilité très lourde, très difficile mais ce n'est pas président à la manière de président d'un pays. Mais surtout je crois qu'il faut qu'on réfléchisse comment on fait de cette Europe un moyen pour protéger les Européens dans leur vie quotidienne et je prendrai des exemples tout au long de l'émission. Mais il ne faut pas avoir peur de ce mot de protection £ on a besoin de l'Europe pour résoudre les grands problèmes de la France. Et je dis d'ailleurs aux Français qu'en m'occupant de l'Europe, je m'occuperai d'eux parce que c'est lié. Il y a des sujets - il faut bien que chacun le comprenne - il y a des sujets qu'on ne peut résoudre qu'au niveau européen, voire au niveau mondial. Commençons par l'Europe.
PAUL NAHON - Alors Monsieur le Président, si vous le permettez, on va être très concret pendant toute cette émission et on va commencer par le pouvoir d'achat. On va tout de suite à Strasbourg avec Anne de CHALENDAR qui vous pose la première question. Anne, c'est à vous.
ANNE DE CHALENDAR - Bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT - Bonsoir Madame.
ANNE DE CHALENDAR - Passer la frontière pour aller faire ses courses, c'est un acte banal pour de nombreux Français frontaliers de l'Allemagne et du Luxembourg £ à trois kilomètres de Strasbourg, de l'autre côté du Rhin, il y a la petite commune allemande de Kehl £ un client sur deux est Français pour une raison toute simple, c'est moins cher. L'écart des prix peut atteindre jusqu'à 30% pour des produits identiques. Pourquoi une telle différence de prix entre la France et l'Allemagne ?
LE PRESIDENT - La différence de prix, c'est dû au fait qu'en France, les lois qui existaient sur l'organisation de la grande distribution, ne prévoyaient pas assez de concurrence. En ce moment même, Madame, le Parlement français vote la loi de modernisation de l'économie qui va imposer la concurrence notamment aux grandes surfaces pour faire baisser les prix. Vous avez parfaitement raison, Luc CHATEL, a fait une incursion à Kehl et à Strasbourg. Le même panier : 15% de prix plus chers en France. Ce n'est pas admissible. C'est parce qu'en France, un certain nombre de grands groupes se sont partagés les régions £ il n'y a pas assez de concurrence. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu avec la loi de modernisation de l'économie, avec le gouvernement et François FILLON qu'il y ait davantage de concurrence. Alors vous auriez pu également me poser la question du carburant...
VERONIQUE AUGER - Au Luxembourg, c'est moins cher...
LE PRESIDENT - Allez jusqu'au bout du raisonnement... et en Allemagne, c'est plus cher !
VERONIQUE AUGER - Ca a été longtemps moins cher et ça s'est mis à rattraper la France...
LE PRESIDENT - Non, non, c'est plus cher, pour une raison très simple, c'est que l'Allemagne a fait la TVA sociale et donc a une TVA - je parle sous votre contrôle, vous êtes une spécialiste, Madame - je crois que c'est de 22%. La TVA sur le litre d'essence est à 15% au Luxembourg, est à 19,6% en France, est à peu près 22% en Allemagne. Pourquoi ? Parce que ces pays ont choisi un taux de TVA pour tous les produits comme vous le savez... Le taux de TVA choisi en France, ça a été 19,6 £ en Allemagne, 22 et au Luxembourg 15. Quel est le combat que j'essaie de mener ? Je voudrais m'expliquer devant les Français là-dessus : il y a des réponses structurelles à la cherté du prix du pétrole. Les réponses structurelles, c'est développer le nucléaire, la France a choisi grâce au Général de GAULLE l'énergie nucléaire £ c'est un choix remarquable £ c'est un choix qui nous permet d'être indépendant. Nous allons construire les centrales nucléaires de la nouvelle génération £ on va vraisemblablement lancer une deuxième centrale EPR pour que nous dépendions encore moins du pétrole et du gaz qui lui est indexé.
PAUL NAHON - 145 dollars le baril aujourd'hui.
LE PRESIDENT - 145 dollars le baril. Deuxièmement, on va mettre le paquet sur les énergies renouvelables parce que pourquoi choisir le nucléaire ou le renouvelable ? On va faire les deux. Et troisièmement c'est tout le Grenelle de l'environnement de Jean-Louis BORLOO, on va se lancer dans un programme d'économies d'énergie indispensable et incontournable. Mais ça ce n'est pas une réponse pour tout de suite au pouvoir d'achat des Français. Vous allez me dire et vous aurez raison : oui mais enfin le temps que vous l'ouvriez... ça va prendre... alors qu'est-ce que j'ai proposé ? Le prix du pétrole augmente, pour une raison simple : chaque année, il y a 3% de pétrole produit en moins par raréfaction de la matière première. Et par ailleurs vous avez la croissance de l'Inde, de la Chine, du Brésil, de l'Afrique du sud, tant mieux : plus de demande, moins d'offre, les prix explosent. Avec ça, vous avez la spéculation. Comme les Bourses tombent, un certain nombre d'agents financiers mettent l'argent sur les matières premières dont ils sont sûrs que ça va monter. Tout ça pousse à la montée. Et puis en plus sur le prix du pétrole, il y a deux types de fiscalité. Pardon de rentrer dans le détail mais je veux qu'on nous comprenne, même si c'est complexe, il faut dire la vérité aux Français : la fiscalité sur les volumes, la TIPP, je pourrais la baisser £ c'est une décision nationale. Mais c'est une fiscalité qui est fonction du volume. Or avec la cherté et l'augmentation du prix du baril, la consommation baisse, donc les volumes baissent £ ça ne servirait à rien de diminuer la fiscalité sur les volumes. En revanche, il y a une fiscalité qui est assise sur les prix : la TVA. Et je dis à mes partenaires : écoutez, prendre 20% de TVA sur un baril à 40 dollars, vous savez quand le baril était à 40 dollars ? En 2004, il y a quatre ans. Il est à 145 dollars aujourd'hui, on ne va pas continuer à prendre 20% de fiscalité et je demande donc l'autorisation à mes partenaires européens car il faut l'accord des 27 de pouvoir arrêter de prélever la TVA... à un niveau qu'on définirait ensemble d'évolution de prix du pétrole... Je termine, Gérard LECLERC... j'ai été chargé d'une étude làdessus, on prendra la décision en octobre. Je maintiens qu'on ne peut pas dire : les pays producteurs spéculent avec le prix à la production qui augmente et nous les pays consommateurs, profiter de cette spéculation par une fiscalité sur les prix proportionnelle aux prix de production. Voilà ce qu'on essaie de faire.
GERARD LECLERC - Mais cette proposition du plafonnement de la TVA, vous l'avez faite, les Européens n'en veulent pas, ils disent que ça fait le jeu des pays producteurs. Est-ce qu'il n'y a pas d'autres solutions à promouvoir, à mettre en oeuvre face au mécontentement, face aux difficultés des Européens et des Français en particulier ? Et puis si l'Europe ne le veut pas, pourquoi ne pas prendre des décisions françaises ?
PAUL NAHON - Par exemple... baisser le prix du gasoil... par exemple... unilatéralement...
LE PRESIDENT - Vous m'avez appelé à être concret, je veux être concret, je ne veux pas me dérober, je veux expliquer les choses. D'abord, Gérard LECLERC, on serait plus fort vis-à-vis des pays producteurs en leur disant : modérez les prix à la production, nous modèrerons la fiscalité à la consommation. Comprenez qu'on est plus efficace quand on se met autour d'une table et qu'on demande à celui qui est en face de faire un effort si soi-même on fait un effort £ parce que les pays producteurs, ils nous disent « ah ah ah ! Vous vous plaignez des prix à la pompe mais comme vous prenez de la fiscalité au passage, commencez par baisser la fiscalité » ! C'est ce que je demande...
ANNE DE CHALENDAR - Monsieur le Président justement... une question encore s'il vous plaît...
LE PRESIDENT - Je veux terminer juste là-dessus...
PAUL NAHON - Anne de CHALENDAR, on laisse terminer le président...
LE PRESIDENT - Pardon... on a refusé la décision que je souhaitais prendre tout de suite mais ils ont accepté qu'en tant que président de l'Union je conduise avec la commission et monsieur BARROSO qui est d'accord, une étude sur le sujet pour prendre une décision en octobre. Et si en octobre, le prix du baril a continué à augmenter, qu'il est à 175, 180, 200 dollars pourquoi pas ! On ne va pas continuer en plus à prendre 20% de fiscalité. Dans l'attente, qu'est-ce qu'on peut faire nationalement ? On peut faire deux choses : la première, j'ai dit avec le Premier ministre que le surplus de recettes, vous avez bien compris, puisque c'est proportionnel aux prix, si les prix augmentent, les recettes augmentent £ au premier trimestre 2008, c'était 170 millions £ on peut évaluer le surplus de recettes entre 600 et 700 millions d'euros, ce qui n'est pas rien. J'ai dit qu'on allait le rendre aux Français. Comment ? D'abord en doublant la prime à la cuve. Pour ceux qui se chauffent dans un pavillon, qui ont des problèmes pour s'en sortir, on va la passer de cent à deux cents euros. Et deuxièmement le Premier ministre et je le soutiens totalement, a décidé de revoir la prime transport, c'est-à-dire qu'on va voir un système, avec les partenaires sociaux, on est en train de discuter pour une décision à la mi-septembre où l'employeur vous rembourserait tout ou partie de la carte transports en commun ou des factures d'essence parce qu'il y a des gens qui habitent dans des coins... où il n'y a pas de métro, où il n'y a pas de bus... il faut prendre la voiture et les employeurs qui rembourseraient une partie de la facture d'essence, on leur baisserait leurs charges sociales, financé par le surplus des recettes. Voilà concrètement. Mais vous voyez bien qu'il y a des réponses structurelles avec l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables et puis des réponses d'urgence pour le pouvoir d'achat des Français, ce que je viens de vous expliquer.
PAUL NAHON - Vous ne m'avez pas répondu : est-ce qu'on peut baisser unilatéralement le prix du gasoil... la France, en disant : c'est le carburant le plus utilisé. Est-ce qu'on peut le baisser ?
LE PRESIDENT - Non, non, unilatéralement non, pour les raisons que je viens de vous expliquer. Pourquoi ? Parce que la France ne produit pas de pétrole £ on est donc soumis à un marché mondial £ le prix du gaz par ailleurs est accroché au prix du pétrole. Ce qu'on peut faire, c'est aider les gens à changer de voiture, le système bonus-malus...
VERONIQUE AUGER - Ce n'est pas trop cher, ça, pas trop coûteux ? Justement de pousser les gens à faire des économies d'énergie...
LE PRESIDENT - Voyez, c'est fantastique parce que ça ne marche pas, on dit « votre truc est nul, ça ne marche pas » et quand ça marche, on dit « c'est coûteux ». C'est un truc qu'on a inventé avec Jean-Louis BORLOO qui est fantastique... enfin fantastique, pardon, le résultat...
PAUL NAHON - Qui marche plutôt...
LE PRESIDENT - Non mais regardez, les cinq modèles de voitures les plus vendus le mois dernier, sont les voitures propres. C'est-à-dire que quand vous achetez une voiture qui pollue moins, on vous donne un bonus et quand vous achetez une voiture qui pollue plus, on fait un malus, moi je crois que c'est une solution d'avenir. J'ajoute que pendant la présidence française, je vais essayer avec nos partenaires de faire adopter ce qu'on appelle le paquet climat énergie...
PAUL NAHON - On va en parler tout à l'heure...
LE PRESIDENT - Ah pardon si c'est un sujet pour tout à l'heure, mais c'est important : 20% d'émissions de gaz à effet de serre pour l'Europe en moins, 20% d'énergies renouvelables en plus, 20% d'économies d'énergie en plus.
PAUL NAHON - Promis, on en parle tout à l'heure. Monsieur le Président, la suite de la question d'Anne de CHALENDAR. Anne ?
ANNE DE CHALENDAR - Oui, Monsieur le Président, j'avais encore une question sur la concurrence : beaucoup de distributeurs français se plaignent d'une démarche peu loyale de la part des grands industriels, des fournisseurs donc français qui vendraient à l'Allemagne leurs produits moins chers qu'en France. Comment est-il possible de mettre un terme à ces pratiques ?
LE PRESIDENT - Madame, alors je suis très heureux que vous me posiez cette question parce que moi je me retrouve confronté à ça. Alors quels que soient mes interlocuteurs, c'est la faute à personne. Les grandes surfaces disent : nous, on n'y peut rien, c'est les industriels, les grands, qui nous tordent le bras. Les industriels, les grands, qui tordent le bras des grandes surfaces disent : nous, on n'y est pour rien, c'est les grandes surfaces qui nous tordent le bras. Ce qui est sûr, c'est que le consommateur français paie ses produits plus chers et il n'y a aucune raison. Et au fond la réponse du gouvernement au pouvoir d'achat, c'est trois choses : les heures supplémentaires défiscalisées. Ca marche : 60% des entreprises le mois dernier les ont utilisées. Deuxièmement la baisse des prix £ alors là je ne peux pas dire que ça marche puisqu'on est en train de le voter mais je crois beaucoup à cela, il n'y a aucune raison qu'on paie nos produits au supermarché 15% plus cher qu'en Allemagne. Je ne me laisserai pas faire £ je n'accepterai pas les pétitions de principe, je veux des résultats. Et troisième chose, je vous l'annonce : à la rentrée d'octobre, je veux dire la rentrée parlementaire, projet de loi sur l'intéressement et la participation, crédit d'impôt de 20% pour toute entreprise qui donnera un centime d'euro de plus de participation et d'intéressement à ses salariés. Aujourd'hui, on distribue entre 5 et 6 milliards d'euros par an d'intéressement aux salariés, je voudrais qu'on le triple £ parce qu'après tout, quand les entreprises font des bénéfices, c'est les salariés qui ont travaillé pour cela et il est normal qu'ils en aient une partie.
PAUL NAHON - Deuxième illustration très concrète : on part à Rennes confrontée depuis plusieurs mois à la colère des pêcheurs. Robin DURAND ?
ROBIN DURAND - Oui, bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT - Bonsoir.
ROBIN DURAND - Avec la flambée du pétrole il y a encore quelques semaines, un chalutier qui partait en mer, perdait de l'argent, d'où ce mouvement de colère qui a embrasé les ports français, notamment les ports bretons. Le calme semble être revenu aujourd'hui notamment avec votre plan d'aide d'urgence débloqué par le gouvernement. Les premières mesures seront effectives ces tout prochains jours £ or là c'est une réponse nationale : les pêcheurs aujourd'hui n'ont toujours pas obtenu de garanties quant à l'euro compatibilité de ce plan d'urgence £ ils veulent aujourd'hui un signe fort et notamment un dispositif pour le long terme. Ils demandent un prix plafond européen pour le gasoil. Cette mesure peut-elle, va-t-elle être réalisable ?
LE PRESIDENT - Le problème de la pêche, ce n'est pas l'un des problèmes les plus simples auxquels je suis confronté !... La liste est longue... D'abord on voit bien pourquoi c'est une compétence européenne... parce que la ressource halieutique, elle doit bien être gérée autrement que nationalement parlant parce que les thons rouges, on en a beaucoup parlé, les maquereaux, les sardines, que sais-je encore... ignorent les frontières de nos pays. Pensez à tous les pêcheurs de la Méditerranée £ il y a neuf pays européens méditerranéens £ il est parfaitement normal que l'Europe s'en préoccupe. Alors on a deux problèmes très graves avec eux : on a d'abord un problème de la ressource. Les uns disent, les scientifiques, que la ressource diminue, donc il faut arrêter de pêcher dans l'intérêt même des pêcheurs et les pêcheurs...
AUDREY PULVAR - Limiter en tout cas...
LE PRESIDENT - Enfin non, là en l'occurrence pour le thon rouge, c'est arrêté puisqu'ils ont arrêté, vous le savez certainement, vous êtes une spécialiste de la pêche...
AUDREY PULVAR - Je veux dire que les scientifiques recommandent 15.000 tonnes de pêche de thon rouge par an...
LE PRESIDENT - Oui mais enfin, vous savez que la pêche au thon rouge, c'est entre le mois d'avril et le mois de juin...
AUDREY PULVAR - Donc elle est arrêtée... Mais je connais bien la pêche au thon rouge...
LE PRESIDENT - Mais je le sais bien, je parle à une spécialiste et c'est pour ça que je vous le dis £ mais en même temps les pêcheurs qu'on voit nous disent : mais enfin ce n'est pas vrai ! Il y a des espèces qui migrent du fait du réchauffement climatique £ ça n'a rien à voir, disent-ils, je ne suis pas spécialiste, avec la raréfaction de la ressource. Première proposition que j'essaierai de porter en tant que Président de l'Union européenne, écoutez, que les scientifiques et que les pêcheurs, c'est-à-dire ceux qui vivent de la mer, se rencontrent.
AUDREY PULVAR - Vous aviez proposé des états généraux ce printemps... entre scientifiques et pêcheurs...
LE PRESIDENT - Ce n'est pas pour écarter le dossier, au contraire £ je ne comprends pas comment des gens qui vivent de la mer, ne sont pas davantage écoutés, entendus par les scientifiques. Les anchois avaient disparu, on nous explique qu'on peut maintenant traverser la mer sans mettre le pied dans l'eau tellement il y en a. Je vous raconte ce qu'on me dit. Donc première chose, au lieu de s'opposer les uns aux autres, on devrait pouvoir trouver une solution. Deuxième chose, les quotas, écoutez, les quotas de thon rouge ont été dépassés par la France de 100% en 2007, par l'Italie et l'Espagne aussi £ ce n'est pas anormal que les autorités européennes disent attention à la ressource...
AUDREY PULVAR - Mais vous soutenez l'action de Joe BORG, le commissaire européen à la Pêche ?
LE PRESIDENT - Non il faut des règles, on ne peut pas faire n'importe quoi, il faut préserver la ressource £ moi je ne veux pas tenir ce discours démagogique qui consiste à dire que c'est toujours la faute de l'Europe...
AUDREY PULVAR - Pardon de vous interrompre mais vous, quand vous étiez en déplacement à Boulogne-sur-Mer au début de l'année, vous avez dit que justement vous alliez profiter... qu'il y avait une opportunité avec la présidence de l'Union européenne de remettre en question cette politique des quotas. Est-ce qu'aujourd'hui vous allez effectivement la remettre en question ?
LE PRESIDENT - Ce que je veux, c'est qu'on se pose la question de la ressource, pas des quotas. Si on me démontre que la ressource est en voie de disparition, il faut des quotas. Je ne conteste pas les quotas £ je conteste l'analyse scientifique qui doit rencontrer l'avis des spécialistes. Quand on est en mer toute l'année, on doit quand même avoir une idée de la ressource qui vous fait vivre. Alors deuxième problème que l'on a, qui est effrayant et c'est pour cela que j'ai été voir les pêcheurs et qu'avec Michel BARNIER qui par parenthèses a fait un travail remarquable, on a fait ce plan pêche de 310 millions d'euros, c'est parce qu'avec le doublement du prix du fioul pour faire fonctionner les bateaux, vous avez des pêcheurs qui passaient trois semaines... des marins qui passaient trois semaines en mer et qui partaient avec un petit paquet de poissons ! Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible ! Ils ne peuvent pas s'en sortir. Alors qu'est-ce qu'on fait pour eux ? On a donné des aides : la suppression de la taxe professionnelle £ on a donné des aides à la modernisation de notre flotte pour que ça consomme moins d'essence et puis on leur donne des aides pourquoi ? Parce que eux, à la différence des routiers, j'imagine qu'on en parlera, ne peuvent pas mettre dans le prix l'évolution du coût du gasoil parce qu'ils sont soumis à une concurrence et que c'est le consommateur qui se trouve derrière.
GERARD LECLERC - Alors pourquoi pas aller jusqu'à l'idée du prix plafond pour le gasoil pour les pêcheurs ?
LE PRESIDENT - Mais parce qu'il faut, quand on prend une décision en Europe, c'est toute la difficulté de l'Europe, avoir l'accord des 27, pour toute décision fiscale. Imaginez ce que ça peut représenter comme difficulté de mettre 27 pays dont certains d'ailleurs n'ont aucune compagnie maritime... là-dessus.
VERONIQUE AUGER - Mais vous trouvez normal que tout ce qui est fiscal doive être adopté à l'unanimité ?
LE PRESIDENT - Non. J'ai proposé... je me battrai sur un autre système, voyez-vous Madame : je pense qu'il faut faire la différence entre ce qui peut être délocalisé et ce qui ne l'est pas.
VERONIQUE AUGER - Par exemple la restauration...
LE PRESIDENT - Exactement. Alors j'ai bien l'intention de faire aboutir la TVA sur la restauration, promise par d'autres et comme ça ça me permettra de tenir en plus mes promesses et celles de mes prédécesseurs et j'ai bien l'intention que sous la présidence française, on arrive à obtenir la TVA à taux réduits. Je ne comprends toujours pas pourquoi il est normal quand vous allez dans un restaurant sans service, ce qu'on appelle la restauration rapide, la TVA est à 5,5 et quand vous allez dans un restaurant où il y a du service à table, la TVA est à 19,6, je ne l'accepte pas. Et d'ailleurs vous imaginez bien qu'on ne va pas délocaliser le restaurant ! Quand on va au restaurant à Brest, on ne se demande pas si on peut aller à Munich en fonction de la différence de TVA. Mais je veux aller plus loin là-dessus. Je voudrais - et c'est un combat que je ferai - que la TVA sur le disque comme sur la vidéo soit mise au niveau de la TVA sur le livre parce que le disque et la vidéo... écoutez, c'est des produits culturels au même titre que le livre ! Le livre est à 5,5, les autres sont à 19,6, on est en train de tuer l'industrie du disque et on tuera l'industrie de la vidéo. Et troisièmement je vais me battre pour qu'il y ait une fiscalité européenne... une fiscalité propre. Autrement dit ce n'est pas normal que quand vous achetez une voiture propre, elle coûte plus cher qu'une voiture sale £ ce n'est pas normal que quand vous construisez un appartement, une maison économe en énergie, ça vous coûte plus cher que quand vous construisez une maison qui n'est pas économe. Donc je proposerai que tout ce qui est écologique, immeubles HQE - Haute Qualité Environnementale - ça soit 5,5. Donc c'est un combat que je vais mener.
GERARD LECLERC - Ca fait des années qu'on en parle. Vous pensez vraiment que là sous présidence française, vous allez obtenir satisfaction sur les restaurants, sur les disques !
PAUL NAHON - Véronique AUGER aussi sur le paquet...
LE PRESIDENT - Je vais essayer de répondre...
PAUL NAHON - Rapidement Monsieur le Président, on est en retard déjà...
LE PRESIDENT - Oui... ce n'est pas des petits sujets non plus ! J'espère obtenir satisfaction sur le principe pour la restauration avant la fin de la présidence française. Je veux aller loin dans le débat sur la fiscalité du disque et de la vidéo qui est un sujet pendant depuis des années £ c'est un problème de justice quand même. Il ne viendrait à l'idée de personne de mettre la fiscalité sur le livre à 19,6 ! On n'a déjà plus de disquaires, les ventes de disques chutent, les ventes de vidéos, ça sera pareil, donc voilà... alors ce que je voudrais obtenir, c'est qu'on nous laisse le faire, qu'on n'oblige personne d'y aller, mais qu'on laisse faire pour montrer l'exemple. Alors sur l'environnement et sur le disque, je ne pense pas qu'on l'aura avant la fin de la présidence française...
GERARD LECLERC - Mais sur les restaurants, on y arrivera...
LE PRESIDENT - Mais ce qui est important, c'est de faire bouger les choses ! C'est pareil pour la TVA sur les produits pétroliers. Au moins, on accepte de l'étudier parce que le processus européen, il est long, mais quand on rentre dans le tube, après ça sort toujours.
VERONIQUE AUGER - Une question sur l'environnement puisque c'est l'un de vos gros dossiers, c'est ce que vous avez appelé le paquet énergie climat, c'est-à-dire réduction des gaz à effet de serre... Justement là on revient sur l'unanimité, si vous voulez faire adopter tout ce dossier, il va falloir que vous ayez l'accord de tout le monde £ est-ce que la France ne va pas devoir faire des compromis sur par exemple le nucléaire ou sur l'industrie automobile en matière de pollution... et notamment vis-à-vis des Allemands ?
LE PRESIDENT - Avec les Allemands, on a trouvé un compromis sur le CO 2 automobile, ils fabriquent des grosses berlines, on fabrique des berlines moyennes, on a trouvé un accord, ça fonctionne. Le paquet énergie climat, c'est sans doute le dossier le plus difficile de ma présidence mais il est capital.
VERONIQUE AUGER - Pourquoi ?
LE PRESIDENT - Pourquoi ? Parce que quand vous avez un pays comme la Pologne, il est à 90% branché sur le charbon et quand vous parlez d'un pays comme la France, il est à 85% branché sur l'énergie... l'électricité pardon... nucléaire...
VERONIQUE AUGER - Qui n'émet pas de gaz à effet de serre...
LE PRESIDENT - Attendez, et pour simplifier le truc, l'Allemagne sous la pression des Verts et des socialistes et comme ils sont en coalition, a arrêté le nucléaire et quant à l'Autriche... il y a vingt-cinq ans... je crois me souvenir, ils ont fait un référendum sur le nucléaire £ le non au nucléaire l'a emporté à 51% et aujourd'hui ils sont à 90% contre le nucléaire.
VERONIQUE AUGER - Les Italiens aussi.
LE PRESIDENT - Les Italiens, c'est un peu plus compliqué. Qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? Derrière le paquet énergie climat ? Trois objectifs : d'abord ma conviction c'est que la planète danse sur un volcan, c'est le cas de le dire, et qu'il faut agir tout de suite. Deuxième conviction : l'Europe doit montrer l'exemple. Si on doit faire céder les Etats- Unis, si on veut faire bouger la Chine, le Brésil, l'Inde, il faut qu'on montre l'exemple ! Parce que si on dit aux autres : allez, commencez et nous on suivra, personne ne commencera.
VERONIQUE AUGER - Vous parlez de la prochaine négociation à Copenhague...
LE PRESIDENT - L'après Kyoto si vous voulez, l'après-Kyoto, Postdam et compagnie, c'est 2009, donc il faut que l'Europe soit exemplaire pour protéger la planète et les équilibres environnementaux. On s'est donc donné trois objectifs, c'est très simple : pour 2020, 20% d'économies d'énergie en plus £ 20% de gaz à effet de serre en moins et 20% d'énergies renouvelables en plus. C'est des objectifs très ambitieux... Et mon travail, c'est sur la base de la proposition de la Commission, d'amener tout le monde. Alors làdedans je n'ignore nullement que certains pays seront contre le nucléaire et d'autres pour...
GERARD LECLERC - Les Allemands par exemple...
LE PRESIDENT - Mais d'autres... les Anglais par exemple qui choisissent le nucléaire. Que ceux qui sont pour le nucléaire, que ceux qui n'en veulent pas, développent les énergies renouvelables comme nous, nous allons le faire également mais au moins qu'on se mette d'accord sur les objectifs. Le problème viendra des pays de l'Est, des pays lettons parce qu'ils disent : on a une croissance à 6%, ce qui est beaucoup, on veut rattraper notre retard de développement, laissez-nous faire de la croissance et ne tuez pas notre croissance. Donc il va falloir faire des trésors de diplomatie. J'ajoute un autre problème : je n'ai pas l'intention qu'on sacrifie les industries européennes.
GERARD LECLERC - Alors justement j'allais vous poser la question : le principe du pollueur payeur conduit à ce que les entreprises qui polluent, paient. Il y a un certain nombre d'entreprises, les cimenteries par exemple, les entreprises d'énergie également qui disent « on ne sera plus compétitives » et qui menacent d'ores et déjà de se délocaliser. Est-ce qu'on ne prend pas là un risque très important ?
PAUL NAHON - Et qu'est-ce qu'on fait avec les délocalisations ?
LE PRESIDENT - Déjà la question de monsieur LECLERC, c'est le dumping environnemental. Au fond on est confronté à un dumping fiscal, un dumping social, un dumping monétaire et en plus un dumping environnemental. Alors la solution qu'on va proposer avec la Commission et monsieur BARROSO, c'est la suivante : pour me faire bien comprendre, respecter l'environnement, c'est une charge de plus qu'on met sur le dos des entreprises européennes. Oui parce que ça consiste par exemple à laver les fumées pour les usines d'incinération et mettre un certain nombre de procédures pour que ce soit plus propre. Eh bien je propose qu'il y ait un mécanisme d'ajustement aux frontières : nous n'avons aucune raison d'importer en Europe des produits venant de pays qui ne respectent aucune règle environnementale. C'est ce qu'on appelle la taxe carbone.
PAUL NAHON - On leur met des taxes...
LE PRESIDENT - Pas une taxe pour protectionnisme £ une taxe pour rééquilibrer la concurrence. Il n'y a aucune raison qu'on accepte en Europe de consommer et d'importer des produits qu'on interdit à nos propres entreprises de fabriquer et c'est bien pour ça qu'on a besoin de l'Europe et c'est comme ça que l'Europe peut vous défendre parce que si on faisait cette règle uniquement nationale, la France s'engagerait à des rétorsions de tous les pays avec qui elle commerce. Si c'est les 27 pays de l'Europe, ça n'a rien à voir ! On est beaucoup plus fort, on est cinq cent millions d'habitants et on peut dire la réciprocité qui sera la priorité de ma présidence européenne.
PAUL NAHON - Vous pensez que les 27 vont vous suivre sur ce terrain-là ?
LE PRESIDENT - Comme je vous ai dit, Monsieur NAHON, c'est la chose la plus difficile qui soit. Pour être clair sur la procédure : la Commission a mis un paquet sur la table £ moi je vais essayer de convaincre nos 26 partenaires de ne pas le rouvrir pour qu'on l'adopte en l'état avec sans doute une clause comme on dit dans le social, de revoyure, c'est extrêmement complexe mais en même temps, écoutez, on ne peut pas continuer nous les responsables politiques, à faire comme si l'on ne savait pas... le GIEC, les scientifiques du monde entier ont dit que la situation était dramatique, ce n'est pas demain qu'il faut agir pour protéger l'environnement, c'est tout de suite ! Eh bien que l'Europe impose son modèle, prenne des décisions et avec ça on comprendra que l'Europe nous protège. L'Europe nous protège des délocalisations, l'Europe nous protège de déséquilibres planétaires du fait du réchauffement de la planète.
PAUL NAHON - Monsieur le Président, merci, on s'interrompt quelques minutes £ il est 19 heures 29 et 45 secondes. On s'interrompt quelques minutes, le reste de l'actualité en France et dans le monde et on commence par le drame de Carcassonne. Vous y étiez ce matin.
REPORTAGE
PAUL NAHON - Monsieur le Président, vous étiez à Carcassonne ce matin au chevet des blessés. Que vous a-t-on dit de ce drame épouvantable ?
LE PRESIDENT - Ecoutez c'est épouvantable parce qu'il y a encore quatre blessés très graves, des enfants victimes de blessures de guerre faites par une arme de guerre £ les équipes de l'hôpital de Carcassonne comme l'hôpital de Toulouse où j'ai été, sont absolument remarquables. Le procureur a dit qu'il n'y avait pas d'intention criminelle, j'en prends acte bien sûr mais bon, tout ça témoigne d'une absence de maîtrise dans l'organisation de ces journées portes ouvertes, effrayante. Et ça ne peut pas rester sans conséquence. Je le dis en tant que chef des armées. Je connais l'importance de ce régiment très apprécié de Carcassonne £ je connais le dévouement de ces soldats mais il y a un relâchement extrêmement grave. Il est tout à fait anormal qu'un soldat garde par devers lui des munitions. C'est tout à fait anormal qu'il les confonde avec des munitions à blanc £ c'est tout à fait invraisemblable que dans une simulation de prise d'otages, on prenne le public comme cible. J'en suis resté accablé. Et j'ai demandé au ministre de la Défense de conduire une enquête extrêmement précise, indépendamment de l'enquête judiciaire car il y a au minimum des fautes d'encadrement. Je ne veux accabler personne mais enfin personne ne comprendrait non plus que je n'assume pas mes responsabilités. Je les ai assumées en allant voir moi-même les victimes en tant que chef des armées £ enfin tout ceci n'est pas satisfaisant, c'est le moins qu'on puisse dire.
PAUL NAHON - Monsieur le Président, nous continuons sur l'Europe et nous allons maintenant à Toulouse pour évoquer l'un des grands symboles de cette Europe : AIRBUS. Olivier LOUBET, FRANCE 3 Toulouse.
OLIVIER LOUBET - Oui, Monsieur le Président, bonsoir.
LE PRESIDENT - Bonsoir Monsieur.
OLIVIER LOUBET - L'idée européenne, ici on la vit au quotidien, elle s'appelle l'industrie spatiale mais elle s'appelle aussi AIRBUS et depuis quelques mois, quelque chose ne tourne plus rond dans ce qui est essentiellement une coopération franco-allemande, à tel point que deux mille Allemands qui sont détachés ici à Toulouse sur les chaînes d'assemblage du géant... l'AIRBUS A380 pour tenter de rattraper les retards sur cet avion, eh bien sur la chaîne, l'ambiance est particulièrement tendue £ du coup, la question que se posent ingénieurs, techniciens français ou compagnons sur les chaînes, c'est : faut-il tout céder aux Allemands au motif qu'on doit recoller les morceaux dans un couple franco-allemand malmené ?
LE PRESIDENT - La réponse, c'est non. D'abord vous le savez bien, Monsieur, qui m'avez reçu en quelque sorte... ou couvert mes visites souvent £ j'ai été très souvent à Toulouse, à Méaulte, à Saint-Nazaire £ je connais pratiquement toutes les usines AIRBUS en France et j'en ai même visité en Allemagne. Mais enfin les difficultés ne viennent pas d'il y a quelques mois. Quand je suis devenu Président de la République, AIRBUS et EADS avaient une organisation invraisemblable ! Tous les postes étaient en franco-allemand. On ne gérait pas une entreprise, on gérait une organisation internationale. Avec Angela MERKEL, ça n'a pas été simple. On a décidé de changer cela. Et désormais il y a un patron d'EADS qui est un Français, Louis GALLOIS...
OLIVIER LOUBET - Oui mais tous les postes clefs sont quand même tenus aujourd'hui par des Allemands néanmoins...
LE PRESIDENT - Ecoutez ! Non, il y a un patron d'EADS qui est un Français et un patron d'AIRBUS qui est un Allemand, ENDERS. Mais enfin vous savez très bien que si j'avais choisi de mettre un Français à la tête d'AIRBUS, vous m'auriez dit : eh eh ! Pourquoi vous avez mis un Allemand à la tête d'EADS la maison-mère !? Alors c'est du franco-allemand, on ne peut pas avoir tous les postes ! Bon. Et puis il y a le plan POWER 8 avec un certain nombre de fermetures de sites pour essayer de retrouver de la cohérence. Quand les Allemands ont décidé de ne pas faire le leur pour des raisons qui leur appartiennent, j'ai indiqué que moi, je m'opposais à la fermeture de Méaulte, vous savez, cette usine qui fabrique les nez d'avion en composite et qui est par ailleurs une usine très moderne. Mais vraiment AIRBUS a eu des problèmes... enfin le premier problème... disons la vérité aux Français ! C'est qu'AIRBUS fabrique en zone euro et vend pour l'essentiel en zone dollar. Alors quand vous avez l'euro qui monte par rapport au dollar qui baisse, chaque fois que ça bouge de dix centimes d'euro, AIRBUS perd un milliard d'euros ! Comment voulez-vous qu'on fasse la concurrence avec BOEING qui vend en dollars si on a 30% de surévaluation de l'euro par rapport au dollar !? C'est ce que je me tue à dire, c'est qu'il faut faire attention qu'on garde des usines en Europe parce qu'avec le dumping environnemental dont on parlait tout à l'heure, si en plus il y a du dumping monétaire, qu'est-ce qui se passe ? Regardons la planète ! Les grandes monnaies, le yuan chinois, ce n'est pas faire injure à nos amis chinois que de dire qu'ils gèrent leur monnaie allez... disons avec une ambition politique.
VERONIQUE AUGER - Il est extrêmement bas...
LE PRESIDENT - Oui mais Madame AUGER, vous connaissez très bien ça, vous savez parfaitement que le yuan n'obéit pas seulement à la question de l'offre et de la demande, oui ou non ? Est-ce qu'en disant ça, je dis quelque chose de vrai ? Deuxièmement vous avez le dollar qui ne cesse de se casser la figure pourquoi ? Plombé qu'il est, pardon de l'expression, par des déficits abyssaux du budget américain. Le yen est assez bas et vous avez donc les capitaux du monde qui se retrouvent sur l'euro.
GERARD LECLERC - Alors parlons clair : est-ce que vous reprochez à la Banque centrale européenne, à monsieur TRICHET, de mener une politique de l'euro fort, de l'euro trop fort puisque tous les autres, vous venez de le dire...
LE PRESIDENT - En tant que Président de l'Union, je dois rassembler toute la famille, je ne dois pas commencer par faire des reproches. Mais enfin vous savez ce que j'ai dit depuis bien longtemps...
GERARD LECLERC - On annonce une hausse du taux demain encore... du taux de l'euro...
LE PRESIDENT - Oui... Ce que j'en pense ?
AUDREY PULVAR - C'est une mauvaise décision ?
LE PRESIDENT - Ecoutez je crois que la BCE - et son indépendance doit être préservée - devrait se poser la question de la croissance économique en Europe et pas simplement de l'inflation. Je m'explique là-dessus...
VERONIQUE AUGER - ... qui est un vrai problème, on est à 4% maintenant dans la zone euro.
LE PRESIDENT - Oui mais Madame, je vais m'expliquer... l'inflation d'il y a trente ans et l'inflation de maintenant n'ont rien à voir. L'inflation d'il y a trente ans était due au fait qu'il y avait du plein emploi donc qu'il y avait une pression sur les salaires et pas beaucoup de concurrence. L'inflation d'aujourd'hui, elle n'est pas une inflation structurelle parce qu'il y a beaucoup de concurrence. Elle est due à l'explosion des matières premières. Alors on ne va pas m'expliquer que pour lutter contre l'inflation, il faut monter les taux d'intérêt parce que si vous indexez les taux d'intérêt européens sur l'évolution du baril de pétrole, vous pouvez monter jusqu'au sommet les taux d'intérêt, vous ne ferez pas baisser pour autant le baril de pétrole.
VERONIQUE AUGER - Donc comme monsieur ZAPATERO ou comme les Allemands, vous demandez un peu de flexibilité ?
LE PRESIDENT - Un petit peu, je vais m'expliquer. L'inflation, c'est une production de monnaie... de masse monétaire, qui ne correspond pas à une production de richesse, c'est ça. Donc quand il y a trop de monnaie par rapport à la richesse produite, on monte les taux d'intérêt pour assécher la masse monétaire £ ça c'est l'inflation d'il y a trente ans. L'inflation d'aujourd'hui n'a rien à voir, elle est due à l'explosion du prix des matières premières. Donc si vous raréfiez la monnaie en augmentant les taux d'intérêt, vous empêchez les particuliers d'investir et d'emprunter, vous empêcher les entreprises d'emprunter et d'investir mais pour autant vous pouvez doubler, tripler les taux d'intérêt, ce n'est pas pour ça que vous ferez baisser l'évolution du baril ... Pardon de rentrer là-dedans mais c'est quand même ça le problème.
AUDREY PULVAR - Vous disiez à l'instant que vous prenez la présidence, donc vous êtes là pour rassembler la famille £ mais il y a quelques jours encore, juste après le non irlandais, vous mettiez très sévèrement en cause la responsabilité de la Commission européenne et d'un commissaire en particulier...
LE PRESIDENT - Monsieur MANDELSON...
AUDREY PULVAR - Alors est-ce qu'aujourd'hui, vous allez défendre la Commission européenne ?
LE PRESIDENT - Je reçois toute la Commission demain à l'Elysée pour dîner...
AUDREY PULVAR - Et nous recevrons monsieur BARROSO demain soir dans le 19/20... pour en parler...
LE PRESIDENT - Eh bien c'est un remarquable président de la Commission, dites-le lui bien de ma part, c'est un homme de qualité, que je respecte. Mais je veux m'expliquer là aussi. Les Français doivent le comprendre : depuis sept ans, il y a des discussions pour l'Organisation mondiale du commerce, c'est-à-dire les autorisations que tous les pays ont, de mettre des barrières tarifaires à l'entrée sur leur marché. Alors eux ils voudraient nous vendre leurs produits agricoles, nous, on voudrait leur vendre nos produits industriels et nos services. Ca fait sept ans qu'il n'y a pas d'accord. Jusqu'au mois d'août dernier, le monde n'avait jamais connu une telle croissance. Qu'on ne vienne pas me raconter qu'un accord, c'est la condition de la croissance puisque le monde a connu six années de croissance forte, aux alentours de 3 à 5% sans accord. Deuxièmement, monsieur LAMY et monsieur MANDELSON voudraient nous faire accepter un accord au terme duquel tenez-vous bien, l'Europe s'engagerait à diminuer de 20% sa production agricole, à diminuer de 10% ses exportations agricoles, c'est 100.000 emplois supprimés ! Je ne le laisserai pas faire ! Dans un monde, Madame AUGER, où il y a 800 millions de pauvres gens qui ne mangent pas à leur faim et où il y a un gosse toutes les trente secondes qui meurent de faim £ on ne me fera pas accepter la réduction de la production agricole sur l'autel du libéralisme mondial. D'autant plus, Madame PULVAR...
AUDREY PULVAR - Et la réduction des subventions à l'agriculture...
LE PRESIDENT - J'y viens, j'y viens... mais d'autant plus que les pays émergents, les grands géants demain, ils veulent avoir des droits, ce que je comprends, mais ils doivent avoir des responsabilités, ne baissent aucune de leurs barrières tarifaires pour l'industrie et aucune de leurs barrières tarifaires pour les services. Alors vous me parlez des subventions. Moi je suis prêt à ce qu'on fasse moins de subventions mais dans ce cas-là, il faut garantir les prix parce qu'il faut dire la vérité y compris aux pays non agricoles européens : la sécurité alimentaire, ça concerne tout le monde et moi j'en ai assez qu'on fasse venir de la viande australienne - je n'ai rien contre les Australiens - où il n'y a aucune traçabilité et qu'on impose à nos éleveurs des conditions de traçabilité. Savezvous que quand un jeune agriculteur rachète une entreprise agricole, il doit remettre aux normes l'entreprise pour ce qu'on appelle - et je l'accepte et je le comprends - le bienêtre animal. Mais alors dans ce cas-là qu'on ne fasse pas venir en Europe des produits qui ne respectent aucune des conditions de sécurité, de traçabilité ou de bien-être animal qu'on impose à nos propres agriculteurs. Eh bien c'est ça l'Europe qui protège...
VERONIQUE AUGER - ... Le poulet chloré qui arrive des Etats-Unis, qui a été accepté par l'Europe, tout le monde s'interroge de savoir si c'est bon ou si ce n'est pas bon.
LE PRESIDENT - Eh bien oui, eh bien moi je voudrais vous dire une chose : je crois à l'Europe, je suis profondément européen. Je refuse le protectionnisme mais j'en ai assez de la naïveté et je veux la réciprocité et l'Europe doit se battre à armes égales et si on construit cette Europe - regardez le tour qu'on a fait sur l'environnement, sur l'agriculture, sur la sécurité, sur l'immigration y compris sur la fiscalité - on dessine une Europe concrète, une Europe qui va défendre les gens et non pas une Europe qui va les inquiéter. Eh bien c'est ça que je voudrais contribuer à faire. Alors en six mois, en étant président du Conseil, vous savez parfaitement que je n'arriverai pas au bout mais je voudrais provoquer un choc salutaire £ c'est l'idée européenne qui est en danger si on ne fait pas la protection des Européens.
PAUL NAHON - Justement, cette politique d'immigration qui sera l'un des grands dossiers de votre présidence. On y va tout de suite : Pierre-Yves GRENU à Lille.
PIERRE-YVES GRENU - Bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT - Bonsoir.
PIERRE-YVES GRENU - En 2002, vous étiez ministre de l'Intérieur et vous aviez frappé fort lors d'une visite dans le Nord de la France en annonçant la fermeture radicale du centre de Sangatte, énorme hangar qui accueillait à l'époque deux mille clandestins en attente d'un passage clandestin également évidemment vers l'Angleterre. Aujourd'hui, six ans plus tard, le problème n'est pas vraiment réglé. Certes il y a moins de monde en attente £ il y a environ quatre cents personnes bon an mal an, qui vivent à Calais dans des conditions parfois épouvantables. Aujourd'hui, de Dunkerque à Cherbourg, les passeurs prospèrent littéralement. Alors sur ce dossier-là, est-ce que vous considérez qu'il y a une sorte de fatalité ? Est-ce que c'est un échec ? Ou pensez-vous les Européens capables d'harmoniser leurs positions sur la question ?
LE PRESIDENT - Non, non et non ! Enfin vous connaissez la région ! D'abord Sangatte, personne ne s'en était occupé avant que je ne m'en occupe, oui ou non ?!
GERARD LECLERC - Mais le problème n'est pas réglé !
LE PRESIDENT - Non, non, je vais y venir... non mais vous êtes du Nord-Pas-de-Calais, vous savez parfaitement l'attente qu'il y avait à cela...
PIERRE-YVES GRENU - Et je peux même vous confirmer qu'à l'époque les élus comme Jack LANG par exemple avaient salué votre décision.
LE PRESIDENT - Mais c'était scandaleux ! Vous parlez de deux mille... la vérité, c'est qu'on était à trois ou quatre mille et vous le savez très bien, avec des règlements de compte, des assassinats dans le hangar, c'était inadmissible, avec l'accord des Anglais et notamment de Tony BLAIR, nous l'avons fermé et vous avez eu l'honnêteté, Monsieur, de reconnaître qu'on avait divisé par dix le problème. Oh ! Il n'est pas complètement résolu, vous avez raison. Il a été simplement divisé par dix. Je me souviens du village de Sangatte où les gens... d'abord je veux rendre hommage aux gens du Nord. Ecoutez, ils ont quand même supporté ce que bien peu de nos compatriotes auraient supporté : à Sangatte, ils ont eu pendant des années des cohortes de malheureux, Afghans, Irakiens, Kurdes, ne parlant pas un mot, qui occupaient par centaine la seule allée du village et la seule cabine téléphonique. Il n'y a eu aucune exaction de la population. Hommage soit rendu à cette population du Nord et à sa capacité d'accueillir et je pense aussi à Calais et à l'ensemble des élus. Alors on l'a fermé. Mais aujourd'hui, quel est le problème ? Nous sommes dans Schengen £ savez-vous que sur 27 pays européens, on est 24 dans Schengen ! Qu'est-ce que c'est Schengen ? Les Français, il faut leur expliquer ! Schengen, ça veut dire qu'on peut passer sans visa d'un pays à l'autre...
VERONIQUE AUGER - Les Anglais ne sont pas dans Schengen...
LE PRESIDENT - Non, les Anglais ne sont pas dans Schengen, vous savez pourquoi ? Parce que les Anglais refusent obstinément d'avoir une carte d'identité. Alors c'est difficile quand il n'y a pas de carte d'identité, de les accepter dans Schengen. Mais enfin c'est un autre problème. On est 24 sur 27. Ca veut dire concrètement, vous parliez de mon ami ZAPATERO tout à l'heure, que lorsqu'un pays d'Europe régularise des étrangers, en Espagne par exemple, ces étrangers ont le droit de venir en France, c'est Schengen. D'où ma conviction : puisque c'est un espace de libre circulation entre nous, à l'intérieur de l'Europe, eh bien mettons-nous d'accord sur une politique qui nous protège ensemble de l'extérieur de l'Europe...
VERONIQUE AUGER - Mais les Espagnols ne sont pas très favorables à cela...
LE PRESIDENT - Non, non... ça progresse £ et c'est le pacte européen pour l'immigration. Mais prenez un exemple : nous sommes 27 démocraties en Europe. Savez-vous qu'un réfugié politique peut déposer 27 dossiers dans 27 pays, avoir 26 non et obtenir un oui ! Je suis désolé : le non d'un pays doit valoir pour les autres. Le oui d'un pays doit valoir pour les autres. Deuxièmement les régularisations : on ne doit pas pouvoir régulariser globalement et en tout cas si on le fait, on doit demander l'avis de ses voisins puisqu'en régularisant chez soi, on accueille aussi ceux qui sont dans l'espace Schengen.
VERONIQUE AUGER - Vous allez avoir l'accord des Italiens et des Espagnols là-dessus ? Parce que eux, ils sont spécialistes.
LE PRESIDENT - Eh bien voilà, je ne vous dis pas que c'est facile mais c'est un autre objectif de la présidence française : une politique d'immigration commune, pour aider les pays d'Afrique à se développer. Ecoutez je voudrais vous donner juste un chiffre : il y a 450 millions de jeunes Africains de moins de 17 ans et l'Afrique par le Détroit de Gibraltar, c'est à 13 kilomètres de l'Europe £ donc il faut qu'on se mette ensemble pour faire une grande politique du développement.
AUDREY PULVAR - Oui mais l'immigration ne vient pas que du continent africain, l'immigration clandestine.
LE PRESIDENT - Certes.... Il y a trois vagues en vérité, une vague africaine, une vague de l'Est mais là aussi je dis que les pays limitrophes de l'Union européenne comme la Roumanie, ne peuvent pas garder leurs frontières seuls, il faut que l'Europe les aide pour être plus efficace £ parce que garder la frontière de la Roumanie, c'est aussi garder la frontière de la France...
VERONIQUE AUGER - Il y a FRONTEX...
LE PRESIDENT - Oui... il faut le développer, donner davantage de moyens £ et la troisième vague migratoire, c'est la vague asiatique bien sûr.
GERARD LECLERC - On vient d'évoquer les grandes priorités de la présidence française £ est-ce que vous n'en avez pas oublié une et pas n'importe laquelle : le social, l'emploi, le pouvoir d'achat, le salaire minimum, les services publics. C'est les premières préoccupations des Français et ce n'est pas une des priorités de la France... de la présidence française pour l'Europe...
LE PRESIDENT - Oui mais Monsieur LECLERC, pourquoi ? Parce que le social n'est pas une compétence européenne, il est une compétence nationale.
GERARD LECLERC - On ne peut rien faire au niveau de l'Europe ? Contre le dumping social...
AUDREY PULVAR - Ca n'a pas vocation à le devenir...
LE PRESIDENT - Enfin, est-ce que vous accepteriez, vous, par exemple à FRANCE TELEVISIONS que votre système de retraite soit décidé par les Allemands, par les Anglais ?
AUDREY PULVAR - C'était quand même l'un des points sensibles pour l'adoption ou pas du traité de Constitution européenne...
LE PRESIDENT - Attendez, excusez-moi, c'est justement le point où l'ensemble des peuples d'Europe ont dit non, s'agissant de la santé, du social, des retraites, ça doit rester national ! Nous avons le meilleur système de protection sociale d'Europe £ vous ne voulez quand même pas que je le mette en discussion avec tous les autres...
GERARD LECLERC - Mais sur le dumping social par exemple, il n'y a rien à faire ? Sur les salaires minimums, sur les conditions de travail, sur les services publics ?
LE PRESIDENT - Alors d'abord Monsieur LECLERC, deux choses : la première des politiques sociales, c'est de trouver un travail pour chacun £ en me battant pour la croissance, c'est ce que je fais. Nous sommes à 7,2% de chômage. Jamais depuis 25 ans le niveau de chômage n'a été si bas en France. Monsieur NAHON me dit : alors un salaire minimum en Europe... Vous savez que les Allemands viennent de le refuser...
AUDREY PULVAR - ... n'en ont pas...
LE PRESIDENT - Non, non, ce n'est pas qu'ils n'en ont pas simplement, ils viennent de le refuser. Alors imaginez un petit peu si je me battais pour un salaire minimum en Europe, il ne serait jamais au niveau du SMIC français £ donc ça voudrait dire qu'il faudrait qu'on le rabaisse. La vérité, c'est qu'il faut qu'on essaie de lutter contre le dumping fiscal, en donnant la liberté à chaque Etat de s'adapter. Nous avons des ambitions sociales sur le travail intérimaire, sur les comités d'entreprise mais pour l'essentiel, l'Europe ne doit pas s'occuper de tout. Et alors la chose extraordinaire, Monsieur LECLERC, c'est qu'on passe son temps à m'expliquer que l'Europe veut s'occuper de tout et sur chaque sujet, on me dit « pourquoi vous n'en faites pas plus » ? Le social doit rester national. C'est le pacte social national.
AUDREY PULVAR - D'un mot parce que l'immigration c'est quand même l'un des dossiers principaux de votre présidence : vous avez fixé à 25.000 le nombre de reconduites à la frontière par an en France. Je voudrais savoir combien de contrôles d'identité et à combien d'arrestations il faut procéder pour pouvoir expulser 25.000 personnes par an ?
PAUL NAHON - Pour arriver à ce chiffre...
LE PRESIDENT - ... C'est une curieuse façon de présenter les choses...
AUDREY PULVAR - C'est une question...
LE PRESIDENT - C'est une question, quand même... par les questions, on peut présenter les choses. Vous me dites combien d'arrestations ? Enfin écoutez Madame...
AUDREY PULVAR - C'set une question qu'on se pose...
LE PRESIDENT - Vous me dites... enfin vous partez des arrestations, je ne comprends pas...
AUDREY PULVAR - Combien de contrôles d'identité, combien de personnes arrêtées pour obtenir 25.000 expulsions...
LE PRESIDENT - Mais il ne s'agit pas d'obtenir Madame...
AUDREY PULVAR - Mais c'est un objectif que vous avez fixé, Monsieur SARKOZY, comment on y arrive ?
LE PRESIDENT - Non mais ce n'est pas comme ça que ça se passe £ l'objectif que j'ai fixé, c'est que les étrangers qu'on reçoit, on leur garantisse un logement, un emploi et qu'on ne fasse pas la fortune, Madame, des négriers, de ceux qui utilisent la misère humaine en disant à des pauvres gens qui n'ont rien qu'ils peuvent venir en France parce qu'il n'y a pas de contrôle et qu'on peut y faire n'importe quoi...
AUDREY PULVAR - Non mais ce n'était pas ça ma question...
LE PRESIDENT - Mais Madame, c'est ma réponse si vous me le permettez, et je ne critique pas du tout votre question... mais.... Ma réponse, c'est celle-ci : le laxisme des années où il n'y avait aucun contrôle a conduit à l'enrichissement de ceux qui trafiquent sur la misère de pauvres gens, voilà la vérité. Alors le problème, il est le suivant...
AUDREY PULVAR - Mais vous n'avez pas répondu à ma question...
LE PRESIDENT - Je vais y répondre ... quand on n'a pas de papiers Madame, on n'a pas vocation à rester dans notre pays.
AUDREY PULVAR - Même quand on a un emploi, même quand on a des enfants scolarisés ou qu'on a des situations sanitaires critiques ?
LE PRESIDENT - Je comprends que ce sujet vous touche, il me touche beaucoup aussi, figurez-vous...
AUDREY PULVAR - En tant qu'être humain oui...
LE PRESIDENT - Peut-être plus que vous puisque moi j'ai eu à le gérer... vous, vous le voyez en tant qu'être humain, je suis également un être humain, j'ai un coeur, peut-être pas forcément le même que le vôtre, en tout cas il est à la même place, à gauche, comme tous les êtres humains. Il n'y a pas d'un côté les êtres humains qui comprennent et de l'autre les sans coeur £ mais il y a d'un côté ceux qui ont une responsabilité qui n'est pas facile à assumer. Si Madame, je devais donner comme consigne que tous ceux qui n'ont pas de papiers, restent dans notre pays, alors pourquoi ceux qui se donnent la peine d'avoir un papier, y resteraient-ils et demanderaient-ils ces papiers ? Et quand vous trouvez quelqu'un qui n'a pas de papiers, il a vocation à être reconduit chez lui parce que Madame, il y a une loi en France. Cette loi, si elle ne plaît pas, il faut la changer mais quand elle est là, cette loi, il faut l'appliquer. C'est le devoir de l'Etat...
AUDREY PULVAR - Et est-ce que vos partenaires européens sont prêts à mettre en place la même politique avec le même niveau d'exigence ?
LE PRESIDENT - Madame, mieux que ça ! Le Parlement européen... qui est un exemple de démocratie, vient de voter une directive demandant aux Etats membres de reconduire dans leur pays d'origine ceux qui n'ont pas de papiers. Pourquoi Madame ? Parce que les étrangers, c'est des êtres humains. Et quand ils viennent, ils ont des droits sociaux. Si nous acceptons tout le monde - Michel ROCARD avait eu cette belle phrase « La France ou l'Europe, ne peut pas accepter toute la misère du monde » - on fait exploser le pacte social français et européen £ on fait tout exploser Madame ! Et le Parlement européen nous demande... nous demande... de reconduire dans leur pays d'origine ceux qui n'ont pas de papiers. Alors vous m'avez dit « et ceux qui ont un travail ? ». Bonne question. Eh bien ceux qui ont un travail, j'ai dit à Brice HORTEFEUX qu'il faut leur donner la possibilité de régulariser. Alors un certain nombre d'employeurs disaient : si on avait su, si on avait su ! Oui ! Taratata ! Au bal des hypocrites, les candidats étaient nombreux parce qu'il y a un certain nombre de gens qui étaient bien contents d'utiliser la main-d'oeuvre de gens non déclarés parce que comme ça, on ne payait pas de charges sociales ! C'est ça la vérité ! Alors ceux qui ont un travail et donc une insertion, on peut parfaitement les régulariser £ ceux qui n'ont pas de travail, pas de logement, pas de papiers, c'est un grand malheur £ alors on va essayer de leur donner la chance du développement dans leur pays. Mais de grâce Madame, c'est un sujet trop difficile pour qu'il soit humain et pas humain. Malheureusement quand on est en responsabilité, on doit faire son devoir et croyez bien que j'essaie de le faire avec le maximum d'humanité. Mais je dois prendre des décisions. Vous savez, quand il y a eu ces enfants qui serraient le coeur avec ces reportages à la télévision, où les enfants étaient scolarisés, les parents n'avaient pas de papiers. Si j'avais accepté que tous les parents dont les enfants sont scolarisés, aient des papiers, alors comme c'est une obligation de scolariser un enfant, ça aurait été une obligation de donner des papiers à tout le monde et on ne peut pas donner de papiers à tout le monde. D'ailleurs c'est très simple : en Europe, il y a autant de gouvernements socialistes que de gouvernements de droite ou du centre. Tous nous nous sommes mis d'accord sur la même politique. Est-ce que vous croyez qu'aucun de nous n'a un coeur ? Est-ce que vous croyez qu'aucun de nous quand il voit les images, ça ne lui serre pas le coeur ?
AUDREY PULVAR - Ma question n'allait pas jusque-là Monsieur SARKOZY...
LE PRESIDENT - Non mais c'est important de le dire parce que vous-même, Madame, peut-être que si j'étais à votre place, je poserais la même question mais vous-même si vous étiez en charge du destin d'un pays de 64 millions d'habitants, qui a le système social le plus généreux du monde, en tout cas d'Europe, et que vous vous trouviez avec une pression migratoire comme ça, peut-être que vous diriez « on ne peut pas accepter tout le monde » £ et comme vous ne pouvez pas accepter tout le monde, eh bien vous reconduisez ceux qui n'ont pas de papiers, hélas £ ça ne veut pas dire que vous le faites le coeur gai, ça ne veut pas dire que vous vous en moquez !
PAUL NAHON - Monsieur le Président... vous avez été très long sur ce sujet-là...
LE PRESIDENT - Non ce n'est pas très long £ c'est un sujet d'êtres humains. Je le comprends parfaitement...
PAUL NAHON - Mais on a compris votre réponse...
LE PRESIDENT - Oui mais je veux sortir de la dialectique où soit on est un humain irresponsable, soit on est un responsable qui n'a pas de coeur.
VERONIQUE AUGER - Sur les 32 jours de rétention, vous maintenez ? Vous n'augmenterez pas ?
LE PRESIDENT - Je ne les augmenterai pas. Mais vous vous rendez compte qu'en Allemagne, la rétention pour un étranger est de six mois. Vous savez qu'au Royaume-Uni, le berceau de la démocratie, la détention est illimitée et que le Parlement européen a pris une décision pour une détention minimum de six mois. On restera à 32 jours.
PAUL NAHON - Monsieur le Président, le non irlandais va compliquer singulièrement votre tâche. Est-ce qu'il faut refaire voter les Irlandais ? Rapidement si vous permettez...
LE PRESIDENT - Rapidement bien sûr... tout ça d'un trait de plume ! Bon. D'abord le non irlandais, ça complique notre tâche. Oui. Pas simplement la tâche du président de l'Union, ça complique la tâche des Européens £ on s'était mis d'accord à 27. Bon, il y en a 19 qui ont ratifié le traité de Lisbonne. Alors première priorité pour nous : circonscrire le problème aux Irlandais et que les autres continuent à ratifier, je pense notamment à nos amis Tchèques. S'agissant des Irlandais, j'irai sur place pour d'abord essayer de comprendre avec eux qu'est-ce qui s'est passé et pourquoi ? Et qu'est-ce qu'on peut faire pour arranger la situation. Il ne faut pas se presser mais en même temps on n'a pas trop de temps. Quelle est la limite ? Juin 2009. Parce qu'il y a les élections européennes...
PAUL NAHON - Mais il faut faire revoter les Irlandais ?
LE PRESIDENT - Je ne veux pas le dire comme ça parce que ça donnerait le sentiment de leur forcer un peu la main... ça avait déjà été le cas en 2001 comme vous le savez, en Irlande, à la suite du traité de Nice. Bon. Je verrai avec eux ce qu'il convient de faire. Il faut prendre du temps mais il faut bien savoir sous quel régime on va organiser les élections européennes de 2009. Mais je dis une chose à nos partenaires, même si ça va froisser un petit peu : si on ne fait pas la ratification de Lisbonne, on est sur le traité de Nice. Le traité de Nice, c'est l'Europe à 27. Je dis une chose : il n'est pas question de continuer à élargir l'Europe si l'Europe n'est pas capable de se doter d'institutions. On l'a déjà fait pour l'élargissement à l'Est. Ce fut une erreur. Moi je suis pour l'élargissement à l'Est. Mais on aurait dû réformer nos institutions avant de faire l'élargissement...
VERONIQUE AUGER - Donc on bloque la Croatie...
LE PRESIDENT - Oui. Attention, moi je crois que l'intérêt de l'Europe, c'est de s'élargir aux Balkans parce qu'on a tout intérêt à enraciner la paix et la démocratie... c'est une région du monde qui nous a valu une guerre mondiale, chacun s'en souvient bien. Mais je dis une chose : on ne peut pas élargir et démolir l'Europe £ donc si on ne veut pas de Lisbonne, on aura Nice. Nice, c'est l'Europe à 27 sans la Croatie. Moi je souhaite qu'on accueille la Croatie, donc il faut Lisbonne.
GERARD LECLERC - Monsieur le Président, le président GISCARD d'ESTAING vous conseille une présidence modeste. C'est un peu en écho aux critiques qu'on entend souvent de l'arrogance française, aux reproches qu'on peut vous faire d'un style trop allant, trop brutal. Vous n'auriez pas suffisamment la culture du compromis ?
LE PRESIDENT - D'abord les conseils du président GISCARD d'ESTAING sur la modestie sont toujours des conseils que je suivrai avec beaucoup de plaisir. C'est un grand Européen, c'est un homme qui a beaucoup fait pour l'Europe £ c'est un homme qui connaît la machine européenne, il a raison. Notre pays a été vécu un peu comme arrogant parfois. Pourquoi ? Ce n'est pas une question de tempérament. C'est qu'en vérité, on avait tendance à dire aux autres : allez, faites ce que vous avez à faire et puis nous, on ne le fera pas ! Et c'est bien tout ça le mouvement de réforme qu'avec François FILLON on impulse...
AUDREY PULVAR - Notamment sur les déficits...
LE PRESIDENT - Sur tout Madame ! Mais comment on va les résoudre les déficits, Madame ? Pas par un plan de rigueur, ça n'a jamais marché ! Vous savez, s'il s'agit de faire de la rigueur y compris à FRANCE TELEVISIONS, ça ne marche pas ! Ce qui compte, c'est la réforme. C'est la réforme qui permettra la réduction des déficits.
GERARD LECLERC - Justement, les déficits, la dette qui progresse en France, est-ce que ça n'affaiblit pas la position française, la crédibilité française et donc votre possibilité d'action ?
LE PRESIDENT - Mais Gérard LECLERC bien sûr ! Mais enfin écoutez, ça fait plus de trente ans que la France présente un budget en déficit £ on ne va pas me le mettre sur le dos à moi tout seul quand même !
GERARD LECLERC - Ça s'est aggravé de nouveau depuis deux ans... 2007... sur le déficit...
LE PRESIDENT - Non, non... Ecoutez... ça fait plus de trente ans que la France présente un budget en déficit. Quand je décide qu'on remplacera un départ sur deux de fonctionnaires, c'est pour faire quoi d'après vous ? Des économies ou pas ? Quand j'engage la fusion de la direction générale des impôts et celle de la comptabilité publique, quand j'engage la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC, c'est quoi ? Quand on fait la réforme des armées dont on pourrait parler... réforme sans précédent... sans précédent... qui va conduire à un certain nombre de fermetures de bases et une modernisation de notre armée, c'est pourquoi Monsieur LECLERC ? Toutes ces réformes, moi j'aurais été très content de ne pas avoir à les conduire. Quand je mets à 41 ans les durées de cotisation, pourquoi ? Quand on réforme les régimes spéciaux de retraite, moi j'aurais été très heureux que les autres le fassent avant ! Mais ça contribue à quoi ? A la réduction du déficit.
PAUL NAHON - Monsieur le Président, nous arrivons au terme de cette émission. Une dernière question... une avant-dernière question : le 8 août, le début des jeux olympiques à Pékin. Vous y allez personnellement, vous serez présent ?
LE PRESIDENT - C'est un sujet extrêmement complexe. Pourquoi il est complexe ? D'abord parce qu'il ne faut en aucun cas pousser un peuple de 1,3 milliard d'habitants dans un nationalisme blessé...
PAUL NAHON - Donc vous irez...
LE PRESIDENT - Non... dans un nationalisme blessé... attention à cela. Deuxièmement, ce qui s'est passé au Tibet a suscité une grande émotion et à certains points de vue n'était pas acceptable. La France a beaucoup poussé à la reprise du dialogue entre le Dalaï Lama et les autorités chinoises. Il y a une deuxième session qui va commencer, de dialogue, dans les jours qui viennent, j'en attends beaucoup. Je suis en contact avec le président chinois Hu JINTAO, et le Dalaï Lama, je crois que ça progresse bien. Si ça devait progresser encore et que et le Dalaï Lama et le président chinois reconnaissaient les progrès, alors l'obstacle à ma participation serait levé. Réponse début de semaine prochaine.
AUDREY PULVAR - Est-ce que vous n'êtes pas tributaire d'une décision de vos partenaires en tant que président de l'Union européenne ?
PAUL NAHON - Ils vont vous dire d'y aller ?
LE PRESIDENT - Nos partenaires ont une position différente mais alors c'est très intéressant, regardez, au Parlement européen, le président du Parlement qui est de la CDU, de droite pour faire clair, est plutôt contre £ le président du groupe socialiste du Parlement européen, Martin SCHULTZ est pour que j'y aille. Mais je dois consulter mes partenaires mais je suis président français quand même... je ne suis pas aux ordres...
AUDREY PULVAR - Vous avez un mandat de président de l'Union européenne...
LE PRESIDENT - J'ai le droit en tant que président de la République française... ce n'est pas parce que je suis président de l'Union que je ne suis pas président de la République française, d'y aller. Donc on est en train de discuter de tout cela. On parle beaucoup avec le Dalaï Lama. J'aurai d'ailleurs certainement l'occasion d'annoncer un certain nombre d'initiatives sur ce sujet... allez... début de semaine prochaine, au Japon, j'aurai l'occasion de donner une réponse sur le sujet.
VERONIQUE AUGER - Et vous allez voir le Dalaï Lama, il va venir en France ?
LE PRESIDENT - C'est une question qui est possible...
PAUL NAHON - Monsieur le Président, une dernière question sur l'avenir de FRANCE TELEVISIONS. Vous êtes à FRANCE 3 ici £ vous aviez promis de compenser à l'euro près la perte de la publicité. Est-ce que vous comptez maintenir cette promesse ?
LE PRESIDENT - Oui... je suis très content d'abord... si je ne croyais pas au service public, je ne viendrais pas - on a dit que c'est la deuxième fois qu'un Président de la République venait - alors dites donc ! Ceux qui ne venaient pas, ils ne devaient pas vous aimer beaucoup alors ! Deuxièmement, je vais parler très franchement : j'ai une haute idée du service public, du programme de service public, des missions de service public, je pense qu'on peut faire mieux quels que soient par ailleurs les mérites des équipes actuelles, on peut faire beaucoup mieux. Pour tout dire, je trouve que les programmes de FRANCE TELEVISIONS ressemblent encore trop aux programmes d'une chaîne privée.
GERARD LECLERC - La qualité, ça coûte cher, Monsieur le Président...
VERONIQUE AUGER - Ce n'est pas vous qui allez les faire... parce que c'est le reproche qu'on entend beaucoup...
LE PRESIDENT - Vous savez si on devait s'arrêter à tous les reproches, on ne ferait pas grand chose, croyez-moi £ en tout cas ceux qui font des reproches, ils n'ont rien fait et honnêtement le danger pour le service public, Madame, c'est de ressembler aux chaînes privées, ça c'est un grand danger parce qu'à un moment, les gens diront « mais pourquoi on paie la redevance ? Pour avoir la même chose ? ». Et en plus on a la publicité. Alors pourquoi ?... Parce que la publicité a une logique : la tyrannie de l'audience quart d'heure par quart d'heure et la tyrannie de la fameuse ménagère de moins de cinquante ans. Pourquoi ? Parce que les gens qui vous achètent, les entreprises, des écrans de publicité, ne le font pas pour vos beaux yeux, ils le font pour toucher les consommateurs et le téléspectateur est un consommateur quand il y a de la publicité. Quand il n'y a pas de publicité, qu'on ait moins de cinquante ans ou plus de cinquante ans, on compte comme téléspectateur. J'avais dit que je garantirai... nous allons garantir... au centime d'euro près. Deuxièmement je veux qu'on ait un vrai débat sur les missions de service public. Le cahier des charges, allez ! Plus d'Europe dans vos programmes. La science, c'est quand même un sujet de service public ! L'environnement, c'est quand même un sujet de service public ! Le débat démocratique, c'est un sujet de service public ! Le samedi soir, c'est un sujet où lorsqu'on doit aller regarder une chaîne de service public, on doit tout de suite se dire « ah ! C'est différent ! ».
GERARD LECLERC - Il faut supprimer DRUCKER le samedi soir ? Il faut supprimer les émissions de...
LE PRESIDENT - Pourquoi supprimer...
PAUL NAHON - Monsieur le Président...
LE PRESIDENT - Non, non, je veux terminer là-dessus... pourquoi supprimer ce qui est de qualité ? Il y aurait bien d'autres choses à supprimer mais ça ce n'est pas mon rôle.
AUDREY PULVAR - Il y a des émissions de sciences, d'environnement, des grands débats il en a déjà sur FRANCE TELEVISIONS...
PAUL NAHON - Franchement le service public ne ressemble pas au service privé...
LE PRESIDENT - Mais écoutez franchement c'est bien...
PAUL NAHON - On ne regarde pas les mêmes chaînes alors...
LE PRESIDENT - ...que vous soyez content de votre travail, ça ne m'étonne pas...
PAUL NAHON - On n'est pas content, on n'est pas toujours content...
LE PRESIDENT - Mais enfin, permettez-moi de vous dire monsieur NAHON que ce débat sur la présence de la publicité dans le service public, c'est un débat qui date de trente ans. Beaucoup de gens sont d'accord avec la nécessité de vous enlever la tyrannie des recettes publicitaires et y compris à l'intérieur de la chaîne, il y a beaucoup de gens qui pensent comme moi. Deuxièmement, la question de la refondation du cahier des charges, les missions de service public elles ne sont pas simplement faites parce qu'on diffuse la messe le dimanche matin, et parce que il y a un quart d'heure pour les Bouddhistes, vingt minutes pour les Musulmans et une émission pour les Juifs de France, ce n'est pas ça...
PAUL NAHON - On ne diffuse pas de la messe...
LE PRESIDENT - Et par ailleurs, la télévision devrait être fantastiquement heureuse d'être un sujet de débat, et je pense qu'en faisant cela, on donne les moyens au service public de son développement ...
VERONIQUE AUGER - Mais est-ce que l'Europe va vous laisser faire...
LE PRESIDENT - ...parce que je crois à sa différence...
VERONIQUE AUGER - Est-ce que l'Europe justement va vous permettre de trouver ces modes de financement ? On dit que la commission estime que les propositions que vous faites ne sont pas forcément compatibles avec...
LE PRESIDENT - Enfin je veux bien rentrer dans le débat...
PAUL NAHON - Pas très longtemps...
LE PRESIDENT - Non c'est parfaitement compatible à partir du moment où on ne l'affecte pas. Si vous voulez, la question, c'est une question...mais pour terminer là-dessus il y avait beaucoup de tristesse ou de mal être ou de crise identitaire dans le service public avant que je ne propose cette réforme. Il y a beaucoup de producteurs qui pourraient encore faire davantage, il y a beaucoup d'idées sur la table...
VERONIQUE AUGER - Mais ça coûte de l'argent...
LE PRESIDENT - Il ne faut pas craindre la réforme, il ne faut pas la craindre. Il faut arrêter l'immobilisme, il faut donner aux téléspectateurs français la chance d'un service public de grande qualité. Moi quand j'étais enfant ce n'est quand même pas le Moyen-âge il y avait deux chaînes et puis trois chaînes, on voyait du théâtre toutes les semaines £ on voyait des concerts toutes les semaines £ on avait une émission qui s'appelait « Apostrophes » toutes les semaines. Et finalement depuis...
PAUL NAHON - Il y a des émissions littéraires toutes les semaines...
LE PRESIDENT - Mais bien sûr...plus il y a de chaînes, et parfois moins on a le sentiment vu du téléspectateur que les missions de service public qu'on aimerait encore plus grandes...Je reconnais bien volontiers que l'équipe là actuelle a fait faire un virage éditorial bienvenu et important. Mais en le dégageant de la tyrannie de la publicité...parce que ça a une logique £ si vous avez 35 % de votre budget financé par la publicité, vous êtes obligé de faire un programme pour attirer des écrans publicitaires. Les grandes chaînes de service public comme la BBC n'ont pas de publicité...
PAUL NAHON - Elles ont dix fois plus d'argent...
VERONIQUE AUGER - Elles ont une redevance dix fois plus élevée monsieur SARKOZY...
PAUL NAHON - Cent quatre-vingt euros de redevance...
LE PRESIDENT - Mais vous voyez bien qu'ils n'ont pas de publicité, la ZDF a-t-elle de la publicité ? Ils n'ont pas de publicité...
AUDREY PULVAR - ...Plus de deux cent euros de redevance...
LE PRESIDENT - ...et s'agissant de la redevance, qu'on parle ! Il n'y a pas que le niveau, moi je suis contre l'augmentation de la redevance, je l'ai toujours été...
AUDREY PULVAR - Il y a l'assiette aussi...
LE PRESIDENT - Il y a l'assiette et il y a l'indexation, notamment sur les nouveaux supports.
GERARD LECLERC - Monsieur le président il y a une autre réforme qui surprend beaucoup, c'est la nomination du PDG de FRANCE TELEVISIONS par le gouvernement, ce serait impensable dans des pays comme l'Angleterre, comme l'Allemagne, comme les Pays scandinaves.
LE PRESIDENT - Gérard LECLERC pardon...
PAUL NAHON - Est-ce que ce n'est pas un retour en arrière de trente ans...
LE PRESIDENT - Oh si on faisait un retour en arrière alors certainement pas...écoutez, combien avez-vous eu de président sur les vingt dernières années ?
PAUL NAHON - Beaucoup !
LE PRESIDENT - Non, dites-moi un chiffre, c'est intéressant, vous êtes passionné de ça...
PAUL NAHON - Trop...
LE PRESIDENT - Il y en a eu sept...
AUDREY PULVAR - Seulement...
LE PRESIDENT - Je ne compte pas les directeurs généraux...comment voulez-vous faire tourner une boutique, je crois que vous êtes cinq, six mille non, je ne veux pas dire de bêtises...
AUDREY PULVAR - Plus que ça...
GERARD LECLERC - Onze mille...
PAUL NAHON - ...onze mille sur l'ensemble du groupe...
LE PRESIDENT - Je parle de FRANCE 3...
AUDREY PULVAR - FRANCE 3, six mille...
LE PRESIDENT - Six mille...bon comment voulez-vous faire tourner une boutique six mille à FRANCE 3, onze mille sur l'ensemble avec des présidents qui changent grosso modo tous les trois ans. Et alors qui les nomme, qui c'est qui les nomme dans le manque de transparence mille fois dénoncé par tout le monde ? On est dans l'hypocrisie la plus totale, moi j'assume mes responsabilités...
AUDREY PULVAR - C'est les sages du Conseil supérieur de l'audiovisuel quand même...
LE PRESIDENT - Attendez, je vais vous dire le système qu'on va proposer £ une nomination par l'Etat avec l'avis du CSA qui est beaucoup plus dans ce rôle de contrôle en donnant un avis conforme et l'avis du parlement qui aujourd'hui ne donne aucun avis sur le sujet. J'ajoute que comme ça les téléspectateurs français sauront qui est responsable des bons ou des mauvais programmes, le cahier des charges sera refondé, les moyens seront garantis. Quand l'équipe fera bien son travail elle continuera, quand l'équipe ne fera pas son travail elle changera et c'est comme ça qu'on aura un service public parmi les meilleurs du monde, parce que c'est l'ambition que le gouvernement a pour le service public français. Je ne vous laisserai pas tomber, je vous donnerai les moyens de vous développer, mais je ne ferai pas non plus...je ne regarderai pas le service public comme une petite secte qui appartient à quelques micro organisations qui descendent de temps en temps dans la rue. Parce que le service public fonctionne avec l'argent du contribuable et que le contribuable et le téléspectateur est en droit de donner son avis. J'ajoute madame AUGER que sur ce sujet comme sur les autres, je serai jugé aux résultats et je ne doute pas que les résultats, on va en avoir.
BERNARD NAHON - Monsieur le président, merci beaucoup d'avoir répondu à toutes nos questions.
LE PRESIDENT - Merci de m'avoir invité surtout.