16 juin 2008 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien tchèque "Hospodarske Noviny" du 16 juin 2008, notamment sur le partenariat franco-tchèque, les priorités de la présidence française de l'Union européenne, les relations euro-russes et sur la défense européenne.
Q - La France a signé des accords de partenariat stratégique avec la Hongrie et la Pologne. On s'attend à ce qu'elle le signe également avec la République tchèque. Quel changement concret ce partenariat devrait-il apporter aux Tchèques et à l'Europe centrale en général ?
R - J'ai la conviction que la France doit être beaucoup plus présente en Europe centrale et qu'elle doit développer avec les pays de la région des relations beaucoup plus étroites. C'est pourquoi je suis heureux de signer aujourd'hui à Prague, avec le Premier ministre Topolanek, un accord de partenariat stratégique entre nos deux pays, qui va donner un nouvel élan à notre coopération. Nos relations se sont déjà fortement développées depuis un an grâce à la préparation de nos présidences successives de l'Union et il n'y a jamais eu autant d'échanges entre nos ministres et nos administrations !
Ce partenariat stratégique va permettre de conforter et d'amplifier cette nouvelle dynamique dans nos relations, à travers des coopérations concrètes dans toute une série de domaines. Nous devons rapprocher nos positions sur les grands sujets de politique étrangère et européenne, par exemple sur les relations entre l'Union et ses voisins du Sud comme de l'Est. Ce partenariat doit permettre à nos entreprises de renforcer leurs échanges et leurs investissements et j'espère que des progrès tangibles seront réalisés dans le cadre des manifestations organisées dans le cadre de "l'Année économique franco-tchèque". L'indépendance et la sécurité énergétiques sont aussi un domaine essentiel de la coopération franco-tchèque dans les prochaines années car nous avons des intérêts communs - je pense par exemple à notre coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables afin de mieux lutter contre le réchauffement climatique. Ce partenariat recouvre encore bien d'autres sujets, comme l'immigration, l'éducation, les sciences, la culture.
Comme vous le voyez, nous avons beaucoup à faire ensemble !
Q - A partir de juillet prochain, la France présidera l'Union européenne. A quoi voudrait-elle arriver lors de la préparation de la réforme de la Politique agricole commune et quels sont ses objectifs dans le domaine de l'énergie, actuellement très sensible ?
R - Il faut que l'Europe apporte des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens européens : l'Europe doit rassurer, aider, encourager. C'est dans cet esprit que j'ai fixé les quatre principales priorités de notre Présidence : la lutte contre le changement climatique, qui est un défi vital pour l'humanité toute entière et pour lequel l'Europe doit conserver son rôle de leader mondial £ l'immigration, qui concerne tous nos pays et qui appelle une réponse européenne commune £ la relance de l'Europe de la défense, en complémentarité avec l'OTAN, pour que les Européens soient capables de jouer pleinement le rôle que leur donne leur poids économique £ la modernisation de la Politique agricole commune (PAC), pour que nous soyons en mesure de peser sur le défi alimentaire.
Q - L'Union européenne a consacré l'année en cours à la ratification du Traité de Lisbonne. Si elle parvenait à l'achever d'ici la fin de l'année, il reviendrait à la France de coordonner le choix des personnalités opportunes pour les fonctions nouvellement créées. Quels sont les critères auxquels devrait satisfaire la personnalité qui devrait être la première à occuper la fonction de président de l'Union européenne ? Dans quelle mesure devrait-on tenir compte, au moment de son choix, de son pays d'origine ?
R - La priorité, c'est que le processus de ratification se poursuive. C'est très important car grâce au Traité de Lisbonne, l'Europe aura enfin une représentation forte dans le monde, avec un président stable du Conseil européen et un Haut représentant pour la politique étrangère. L'Union pourra ainsi mieux affirmer sur la scène mondiale ses valeurs et ses intérêts. Il faudra naturellement choisir des personnalités de grande envergure, qui aient la capacité de réunir les Européens et de promouvoir le rôle et la place de l'Europe dans le monde. Il ne s'agira évidemment pas d'un choix français, mais d'un choix collectif.
Q - Dès le mois de juin, l'Union européenne commencera à négocier un nouveau partenariat avec la Russie, son grand voisin de l'Est qui n'est pas membre de l'Union européenne. Les relations avec ce pays ne sont pas toujours faciles - comment trouver la proportion adéquate entre l'accent mis sur le respect des Droits de l'Homme et les intérêts commerciaux ?
R - L'Union européenne et la Russie doivent établir un véritable partenariat. Ce sera l'un des enjeux de la Présidence française que de bâtir ce partenariat durable et équilibré avec la Russie, notamment lors du Sommet euro-russe du 14 novembre à Nice. La Russie doit être reconnue en tant que grande puissance. En contrepartie, il faut que les Russes gardent à l'esprit les devoirs liés à une telle responsabilité sur la scène internationale. Chacun doit respecter les règles de droit et reconnaître que l'ordre de Yalta est révolu. Nous serons vigilants sur ce point pour rester fidèles aux valeurs qui sont au coeur du pacte européen.
Q - Que pensez-vous des reproches russes émis à l'égard du projet d'installation des éléments des bases anti-missiles en République tchèque et en Pologne ?
R - L'augmentation du risque balistique, notamment en provenance du Moyen-Orient, est une réalité, à laquelle il est légitime de chercher une réponse. La France considère pour sa part qu'une capacité de défense anti-missiles peut apporter un complément utile face à une frappe limitée mais qu'elle ne pourra jamais suffire à préserver ses intérêts vitaux car la garantie ultime de sa sécurité repose sur la dissuasion nucléaire. Le projet américain d'installer un troisième site en Pologne et en République tchèque contribue à la sécurité de l'ensemble des Alliés, comme l'a reconnu le récent Sommet de l'OTAN à Bucarest.
La France participera avec pragmatisme à la poursuite des discussions au sein de l'OTAN sur ce sujet. Il est important pour les Alliés de continuer le dialogue approfondi engagé avec la Russie pour l'assurer que ce système n'est pas dirigé contre elle et pour examiner dans quelle mesure elle pourrait même y être associée.
Q - La politique de défense et de sécurité européenne à laquelle la France porte traditionnellement intérêt, ne stagne-t-elle pas ? Est-elle possible sans la participation du Royaume-Uni dont le gouvernement est actuellement très occupé par les problèmes de sa politique intérieure ?
R - Des progrès importants ont déjà été accomplis depuis dix ans. Plus de quinze opérations civiles et militaires ont été menées par l'Union européenne dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie. Mais les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces et des crises actuelles. Il suffit de constater les difficultés que nous avons eues pour lancer l'opération EUFOR au Tchad. Il faut redonner un nouvel élan à l'Europe de la défense.
Nous souhaitons le faire avec pragmatisme et en évitant les débats théoriques qui ont divisé les Européens par le passé. L'important c'est de renforcer les capacités d'action des Européens, et de le faire dans un esprit de complémentarité avec l'OTAN. Nous avons besoin des Etats-Unis tout comme les Etats-Unis ont besoin d'alliés européens forts. Pour cela il faudra une participation forte du Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi de l'Allemagne, de la Pologne, de la République tchèque, de la Grèce, etc. Bref de tous les Etats membres qui le souhaitent. Tel est le message que j'ai transmis lors de mes visites en Europe et tel est le message que je veux porter aujourd'hui à Prague.
Q - La France qui souhaite protéger l'Europe que juge-t-elle du slogan de la présidence tchèque de l'Union européenne "L'Europe sans barrières " ?
R - Il ne s'agit pas de protéger l'Europe mais de faire en sorte que l'Europe protège ses citoyens et ses intérêts, comme le font nos amis américains, japonais, canadiens, etc. Il s'agit de ne pas être naïf. Je ne crois pas que cela soit contradictoire avec l'idée d'une "Europe sans barrières".
L'Europe doit rester ouverte sur le plan économique, c'est évident, mais elle doit aussi mieux défendre ses intérêts économiques - je pense notamment aux négociations dans le cadre de l'OMC - et se battre pour obtenir la réciprocité lorsqu'elle décide d'ouvrir ses propres marchés.
Depuis décembre dernier, il est possible de circuler librement entre les 24 Etats membres de l'espace Schengen. C'est une formidable avancée pour les Européens, un symbole d'autant plus fort qu'il y a moins de 20 ans, un rideau de fer nous séparait. Je sais l'importance de la libre circulation dans le projet européen et c'est pourquoi j'ai décidé de lever les dernières restrictions qui existaient encore à l'entrée en France des travailleurs des Etats entrés dans l'Union en 2004. Maintenant il faut que nous nous organisions pour mieux contrôler nos frontières extérieures, lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine, mieux organiser l'immigration légale et promouvoir le co-développement. C'est le sens du projet de pacte européen sur l'immigration et l'asile que je souhaite voir adopté lors de la Présidence française.
R - J'ai la conviction que la France doit être beaucoup plus présente en Europe centrale et qu'elle doit développer avec les pays de la région des relations beaucoup plus étroites. C'est pourquoi je suis heureux de signer aujourd'hui à Prague, avec le Premier ministre Topolanek, un accord de partenariat stratégique entre nos deux pays, qui va donner un nouvel élan à notre coopération. Nos relations se sont déjà fortement développées depuis un an grâce à la préparation de nos présidences successives de l'Union et il n'y a jamais eu autant d'échanges entre nos ministres et nos administrations !
Ce partenariat stratégique va permettre de conforter et d'amplifier cette nouvelle dynamique dans nos relations, à travers des coopérations concrètes dans toute une série de domaines. Nous devons rapprocher nos positions sur les grands sujets de politique étrangère et européenne, par exemple sur les relations entre l'Union et ses voisins du Sud comme de l'Est. Ce partenariat doit permettre à nos entreprises de renforcer leurs échanges et leurs investissements et j'espère que des progrès tangibles seront réalisés dans le cadre des manifestations organisées dans le cadre de "l'Année économique franco-tchèque". L'indépendance et la sécurité énergétiques sont aussi un domaine essentiel de la coopération franco-tchèque dans les prochaines années car nous avons des intérêts communs - je pense par exemple à notre coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire et des énergies renouvelables afin de mieux lutter contre le réchauffement climatique. Ce partenariat recouvre encore bien d'autres sujets, comme l'immigration, l'éducation, les sciences, la culture.
Comme vous le voyez, nous avons beaucoup à faire ensemble !
Q - A partir de juillet prochain, la France présidera l'Union européenne. A quoi voudrait-elle arriver lors de la préparation de la réforme de la Politique agricole commune et quels sont ses objectifs dans le domaine de l'énergie, actuellement très sensible ?
R - Il faut que l'Europe apporte des réponses concrètes aux préoccupations des citoyens européens : l'Europe doit rassurer, aider, encourager. C'est dans cet esprit que j'ai fixé les quatre principales priorités de notre Présidence : la lutte contre le changement climatique, qui est un défi vital pour l'humanité toute entière et pour lequel l'Europe doit conserver son rôle de leader mondial £ l'immigration, qui concerne tous nos pays et qui appelle une réponse européenne commune £ la relance de l'Europe de la défense, en complémentarité avec l'OTAN, pour que les Européens soient capables de jouer pleinement le rôle que leur donne leur poids économique £ la modernisation de la Politique agricole commune (PAC), pour que nous soyons en mesure de peser sur le défi alimentaire.
Q - L'Union européenne a consacré l'année en cours à la ratification du Traité de Lisbonne. Si elle parvenait à l'achever d'ici la fin de l'année, il reviendrait à la France de coordonner le choix des personnalités opportunes pour les fonctions nouvellement créées. Quels sont les critères auxquels devrait satisfaire la personnalité qui devrait être la première à occuper la fonction de président de l'Union européenne ? Dans quelle mesure devrait-on tenir compte, au moment de son choix, de son pays d'origine ?
R - La priorité, c'est que le processus de ratification se poursuive. C'est très important car grâce au Traité de Lisbonne, l'Europe aura enfin une représentation forte dans le monde, avec un président stable du Conseil européen et un Haut représentant pour la politique étrangère. L'Union pourra ainsi mieux affirmer sur la scène mondiale ses valeurs et ses intérêts. Il faudra naturellement choisir des personnalités de grande envergure, qui aient la capacité de réunir les Européens et de promouvoir le rôle et la place de l'Europe dans le monde. Il ne s'agira évidemment pas d'un choix français, mais d'un choix collectif.
Q - Dès le mois de juin, l'Union européenne commencera à négocier un nouveau partenariat avec la Russie, son grand voisin de l'Est qui n'est pas membre de l'Union européenne. Les relations avec ce pays ne sont pas toujours faciles - comment trouver la proportion adéquate entre l'accent mis sur le respect des Droits de l'Homme et les intérêts commerciaux ?
R - L'Union européenne et la Russie doivent établir un véritable partenariat. Ce sera l'un des enjeux de la Présidence française que de bâtir ce partenariat durable et équilibré avec la Russie, notamment lors du Sommet euro-russe du 14 novembre à Nice. La Russie doit être reconnue en tant que grande puissance. En contrepartie, il faut que les Russes gardent à l'esprit les devoirs liés à une telle responsabilité sur la scène internationale. Chacun doit respecter les règles de droit et reconnaître que l'ordre de Yalta est révolu. Nous serons vigilants sur ce point pour rester fidèles aux valeurs qui sont au coeur du pacte européen.
Q - Que pensez-vous des reproches russes émis à l'égard du projet d'installation des éléments des bases anti-missiles en République tchèque et en Pologne ?
R - L'augmentation du risque balistique, notamment en provenance du Moyen-Orient, est une réalité, à laquelle il est légitime de chercher une réponse. La France considère pour sa part qu'une capacité de défense anti-missiles peut apporter un complément utile face à une frappe limitée mais qu'elle ne pourra jamais suffire à préserver ses intérêts vitaux car la garantie ultime de sa sécurité repose sur la dissuasion nucléaire. Le projet américain d'installer un troisième site en Pologne et en République tchèque contribue à la sécurité de l'ensemble des Alliés, comme l'a reconnu le récent Sommet de l'OTAN à Bucarest.
La France participera avec pragmatisme à la poursuite des discussions au sein de l'OTAN sur ce sujet. Il est important pour les Alliés de continuer le dialogue approfondi engagé avec la Russie pour l'assurer que ce système n'est pas dirigé contre elle et pour examiner dans quelle mesure elle pourrait même y être associée.
Q - La politique de défense et de sécurité européenne à laquelle la France porte traditionnellement intérêt, ne stagne-t-elle pas ? Est-elle possible sans la participation du Royaume-Uni dont le gouvernement est actuellement très occupé par les problèmes de sa politique intérieure ?
R - Des progrès importants ont déjà été accomplis depuis dix ans. Plus de quinze opérations civiles et militaires ont été menées par l'Union européenne dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie. Mais les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des menaces et des crises actuelles. Il suffit de constater les difficultés que nous avons eues pour lancer l'opération EUFOR au Tchad. Il faut redonner un nouvel élan à l'Europe de la défense.
Nous souhaitons le faire avec pragmatisme et en évitant les débats théoriques qui ont divisé les Européens par le passé. L'important c'est de renforcer les capacités d'action des Européens, et de le faire dans un esprit de complémentarité avec l'OTAN. Nous avons besoin des Etats-Unis tout comme les Etats-Unis ont besoin d'alliés européens forts. Pour cela il faudra une participation forte du Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi de l'Allemagne, de la Pologne, de la République tchèque, de la Grèce, etc. Bref de tous les Etats membres qui le souhaitent. Tel est le message que j'ai transmis lors de mes visites en Europe et tel est le message que je veux porter aujourd'hui à Prague.
Q - La France qui souhaite protéger l'Europe que juge-t-elle du slogan de la présidence tchèque de l'Union européenne "L'Europe sans barrières " ?
R - Il ne s'agit pas de protéger l'Europe mais de faire en sorte que l'Europe protège ses citoyens et ses intérêts, comme le font nos amis américains, japonais, canadiens, etc. Il s'agit de ne pas être naïf. Je ne crois pas que cela soit contradictoire avec l'idée d'une "Europe sans barrières".
L'Europe doit rester ouverte sur le plan économique, c'est évident, mais elle doit aussi mieux défendre ses intérêts économiques - je pense notamment aux négociations dans le cadre de l'OMC - et se battre pour obtenir la réciprocité lorsqu'elle décide d'ouvrir ses propres marchés.
Depuis décembre dernier, il est possible de circuler librement entre les 24 Etats membres de l'espace Schengen. C'est une formidable avancée pour les Européens, un symbole d'autant plus fort qu'il y a moins de 20 ans, un rideau de fer nous séparait. Je sais l'importance de la libre circulation dans le projet européen et c'est pourquoi j'ai décidé de lever les dernières restrictions qui existaient encore à l'entrée en France des travailleurs des Etats entrés dans l'Union en 2004. Maintenant il faut que nous nous organisions pour mieux contrôler nos frontières extérieures, lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine, mieux organiser l'immigration légale et promouvoir le co-développement. C'est le sens du projet de pacte européen sur l'immigration et l'asile que je souhaite voir adopté lors de la Présidence française.