16 juin 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et Mirek Topolanek, Premier ministre de la République tchèque, sur l'avenir du Traité de Lisbonne après le vote négatif des Irlandais et sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne, à Prague le 16 juin 2008.


LE PREMIER MINISTRE - Monsieur le Président, chers amis, nous venons d'effectuer des pas très intenses au sein du Visegrad 4 et avec le Président de la République française, M. Nicolas SARKOZY. Nous avons eu aussi un échange bilatéral. Nous venons de signer trois accords qui font cadre, qui illustrent l'intérêt imminent de la France, de la République Tchèque et de ses régions pour un partenariat stratégique. Nous avons signé le protocole sur le partenariat stratégique et nous prenons cela très au sérieux. Nous avons signé un accord sur la coopération dans l'enseignement supérieur, la coopération dans les domaines de la science et de la recherche. Nous voulons surtout que cela ne se passe pas au niveau gouvernemental mais au niveau réel de la collaboration. L'année franco-tchèque de collaboration économique montre que l'on peut trouver des solutions, des approches, des pas concrets non seulement entre nos deux pays, mais dans le cadre de l'Union européenne. Nous apprécions énormément la suppression du moratoire aux mouvements de main-d'oeuvre qu'a présenté la France. Surtout pour la France, c'est une chose très précieuse. J'apprécie énormément l'intention de la France de revenir dans les structures politiques de l'OTAN. Je ne peux pas éviter l'un des thèmes qui nous a été quelque peu imposé dans ce format, notamment ce qui va se passer maintenant après le non irlandais, après le référendum qui a eu lieu le week-end dernier. Je respecte complètement l'opinion du Président français qui sait, plus que d'autres, ce qu'est un non prononcé dans un référendum. C'est ainsi que nous allons nous préparer pour le Conseil européen, nous préparer pour chercher des solutions, même passagères ou temporaires, qui pourraient prévenir qu'une crise de l'Union européenne ne se déclenche. Je sais que le Traité de Lisbonne ne rentrera pas en vigueur dès le 1er janvier de l'année prochaine. Mais je pense que la République Tchèque saura poursuivre la Présidence française au Conseil européen et que nous saurons faire face à la responsabilité d'autant plus aigue que les réformes qui étaient prévues par le Traité de Lisbonne ne seront pas en vigueur. Il y a des complications. Par exemple, on ne peut pas, en l'absence du Traité de Nice, admettre la Croatie dans l'Union européenne. Ce non et cette situation nouvellement survenue peuvent obscurcir les problèmes qui sont les problèmes de tous les jours, par exemple les prix du pétrole, les prix des produits alimentaires, etc. Et puis le paquet de l'énergie et du climat. Il peut y en avoir aussi qui se diront : « cela suffit les discussions », ce qui représenterait une menace pour l'Europe. Donc il faut se préparer. Nous allons nous préparer pour le Conseil de l'Europe et la manière de faire face à cette situation nouvelle.
LE PRESIDENT - Je voudrais remercier le Premier ministre tchèque pour la qualité de son accueil. Vous savez que, pour la France, son retour en Europe centrale est une priorité. L'Europe a besoin de l'Europe centrale, de sa croissance, de sa jeunesse, de son dynamisme, de son espérance. Et c'est la raison pour laquelle j'ai fait du retour de la France en Europe centrale une priorité de la diplomatie européenne, française. Nous avons, avec le groupe de Visegrad, eu une discussion passionnante ce matin et lors du déjeuner. Nous avons à faire face, sous Présidence française, aux conséquences du non irlandais. Ce n'est pas une affaire facile, c'est la raison pour laquelle il faut gérer le non irlandais avec calme, sang-froid, ne pas dramatiser et ne pas minimiser. Qu'est-ce que cela veut dire ? Ne pas dramatiser, c'est se souvenir que 18 pays ont déjà ratifié, un a refusé. J'aurai l'occasion d'avoir un entretien avec Gordon BROWN jeudi, à midi, à Paris. Je sais que son intention est de poursuivre la ratification. Ne pas minimiser c'est tenir compte de ce que disent les peuples. La décision irlandaise est un fait politique. Je me suis entretenu avec le Premier ministre irlandais et j'aurai l'occasion, dès que possible, d'aller en Irlande pour examiner avec lui dans quelles conditions on peut surmonter cette difficulté. Ce qui compte donc, c'est que nous évitions d'accroître les conséquences de la décision irlandaises pour éviter absolument une crise européenne, qui empêcherait, par exemple, comme l'a dit le Premier ministre, la Croatie d'intégrer l'Europe et qu'en même temps nous ne condamnions pas l'Europe à l'immobilisme. Personne ne le comprendrait. Avec les difficultés institutionnelles, l'Europe avait pris dix ans d'immobilisme. Mais il faut absolument éviter cela. C'est la raison pour laquelle nous devrons prendre des initiatives sur la hausse des matières premières, pas simplement le pétrole. C'est la raison pour laquelle il faut prendre des initiatives sur l'immigration et sur un certain nombre d'autres sujets dont nous aurons l'occasion de parler jeudi et vendredi. J'ai dit d'ailleurs au Premier ministre tchèque qu'il aurait la responsabilité de la Présidence après la Présidence française, qu'il faut donc qu'on travaille ensemble. Et la responsabilité d'une Présidence, chacun doit le comprendre c'est d'amener toute la famille européenne vers une décision commune. Parce que le monde a besoin d'une Europe unie et qui avance, pas d'une Europe immobile et divisée. C'est dans cet esprit que nous préparons le Conseil européen de jeudi et de vendredi, en multipliant les contacts et, avec un peu de chance, j'aurai terminé mon propos avant qu'il ne pleuve complètement ce qui évitera que je réponde à vos questions !
QUESTION - Monsieur le Président, c'est à vous que cela s'adresse. Est-ce que vous avez eu le sentiment que vous avez réussi à convaincre vos homologues tchèques de poursuivre le processus de ratification du Traité de Lisbonne ? Et au cas où il y aurait un non malgré tout, est-ce que vous parleriez toujours d'incident ou est-ce que vous considèreriez que le processus serait alors mort ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, s'il y a un pays qui peut comprendre la République Tchèque c'est bien la France qui a dit non en 2005. Et donc, ce que j'ai compris, c'est que nos amis tchèques ont besoin de temps pour discuter au sein de la majorité et peut-être avec leur opposition aussi, de la meilleure solution pour eux. Et je crois que ce temps-là, il faut leur donner. Personne ne doit se sentir acculé de façon à ce que les positions ne se rigidifient pas. C'est cela que nous avons essayé de faire et je crois qu'avec le Premier ministre, nous sommes d'accord là-dessus. Ne nous précipitons pas, ne dramatisons pas et essayons de trouver, dès jeudi et vendredi, le meilleur des chemins pour ramener de l'unité dans la famille européenne. Et je crois que, là-dessus, on est assez d'accord.
LE PREMIER MINISTRE - Je m'excuse de la pluie, on pleure peut-être le résultat du match de football d'hier. Je pense qu'effectivement, c'était quelque chose qui a présagé la journée d'aujourd'hui. En fait, pour nous, ce n'est pas la question de savoir si on dit oui ou non. Chez nous, on a la discussion, avec le cas du non irlandais, s'il est possible voire légitime de poursuivre le processus de ratification. Heureusement, ce n'est pas à nous de résoudre le problème parce que chez nous le problème à été suspendu par la décision de la Cour constitutionnelle tout comme en Allemagne ou même en Pologne. Ce n'est pas encore signé par le Président donc inutile d'en faire un problème plus important que cela ne l'est, inutile de parler de la crise. Je suis tout à fait d'accord avec Monsieur SARKOZY, on ne peut pas minimiser la situation dans laquelle on s'est retrouvés. On va chercher des solutions ensemble mais il faut donner du temps aux politiciens européens pour trouver cette solution. Je vous remercie.
QUESTION - Une question au Président de la République française. N'avez-vous pas peur que, lors de votre Présidence, il puisse y avoir encore un non d'un autre pays européen ? Qu'est-ce que cela voudrait dire ? Quelles en seraient les implications pour le destin du Traité ?LE PRESIDENT - Monsieur, avoir peur ne simplifie pas la tâche. La question c'est pourquoi des Européens voient l'Europe comme une menace alors que l'Europe est là pour protéger. La meilleure façon, me semble-t-il, c'est éviter d'accroître la crise en ayant un autre problème avec un autre pays pour ne pas créer de fossé entre les pays qui ratifient - immense majorité - et ceux qui ne l'ont pas encore fait. Et la deuxième réponse, c'est tout de suite, en attendant la résolution du problème institutionnel, d'apporter des éléments concrets qui vont faciliter la vie quotidienne des Européens. Par exemple sur les prix des matières premières et sur le prix du pétrole. Et mon devoir de futur Président de l'Union, c'est d'essayer de rassembler tout le monde autour d'un chemin commun. Je dois donc multiplier les contacts, discuter avec chacun, comprendre les préoccupations et les problèmes, par exemple, de nos amis tchèques et amener tout le monde sur un chemin commun. Mais regardez l'histoire : la République Tchèque est peut-être, plus que d'autres pays, favorable à l'élargissement de l'Europe aux Balkans et c'est même une préoccupation constante. Eh bien, pour qu'on s'ouvre aux Balkans et notamment à la Croatie, il faut le Traité de Lisbonne. C'est comme cela. S'il n'y a pas le Traité de Lisbonne, il n'y a pas d'ouverture, c'est un élément. Mais, d'un autre côté, je sais parfaitement qu'en République Tchèque il y a une forme d'euroscepticisme que nous avons connu en France. Je vais discuter avec le Premier ministre irlandais, avec le Premier ministre tchèque et on va essayer de voir à quelles conditions et comment on peut arriver vers la ratification. On ne va pas remettre l'Europe pour dix ans de discussions institutionnelles, avec les Européens qui attendront les bras croisés qu'on se soit enfin mis d'accord. Voilà ce qu'on essaye de faire. Ce n'est pas simple mais c'est le seul chemin crédible. J'ajoute qu'après la Présidence française c'est la Présidence tchèque. Donc, non seulement, il faut bien sûr que les dirigeants tchèques tiennent compte de leur opinion publique et je les comprends parfaitement mais, de surcroît, il faut aussi qu'ils se préparent en accord avec la Présidence française, dans un travail main dans la main, à assurer la Présidence de l'Union dans six mois. Et ils se trouveront, eux aussi, confrontés à cette situation. Voilà. Donner un peu de temps sans en perdre, voilà la stratégie qui sera celle de la Présidence française.