7 juin 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans les quotidiens libanais "L'Orient le jour", "Annahar" et "Assafir" du 7 juin 2008, sur les relations franco-libanaise et franco-syrienne dans le contexte de la crise politique au Liban.

QUESTION - Monsieur le Président, vous êtes le premier chef d'Etat occidental à visiter le Liban pour présenter vos félicitations au Président Sleimane. Quel message êtes-vous venu porter à Beyrouth ?
LE PRESIDENT - C'est pour moi une grande joie de venir enfin, après plusieurs mois d'attente, saluer et féliciter le nouveau Président de la République libanaise, le Général Michel Sleimane. Cette élection est synonyme d'espoir pour tous les Libanais, mais aussi pour tous les amis du Liban et pour la France en particulier.
Comme je m'y étais engagé, je suis venu rapidement à Beyrouth féliciter le Président élu. Je souhaite lui exprimer mon estime personnelle et lui dire mon plein soutien ainsi que la totale disponibilité de la France à accompagner le Liban dans cette phase décisive. Je suis aussi venu rendre hommage au peuple libanais, qui a traversé tant d'épreuves et qui mérite de retrouver la paix et la prospérité dans un pays indépendant et souverain.
QUESTION - Une partie des Libanais considère l'accord de Doha comme la victoire d'un axe régional aux dépens de la volonté de la communauté internationale qui soutient le gouvernement et la majorité. Cet accord est-il viable ?
LE PRESIDENT - L'accord de Doha me paraît être un texte équilibré, qui consacre avant tout la victoire du dialogue sur la violence. Il offre à tout le monde une sortie de crise par le haut, sans vaincu et avec un seul vainqueur : le peuple libanais. Les graves affrontements récents, qui ont laissé des traces, doivent faire prendre conscience aux responsables libanais qu'il faut mettre un terme à l'inquiétante division du pays.
Grâce au rôle actif du Qatar, de la Ligue arabe et aussi de l'investissement de la France et d'autres pays européens, l'accord de Doha a permis de procéder à l'élection présidentielle, retardée depuis six mois. C'est déjà là un premier acquis essentiel. Au-delà, l'objectif de l'accord est de jeter les bases de la réconciliation nationale. Cela nécessite de la part de tous les responsables libanais qu'ils respectent leur engagement de ne pas recourir à la violence et de participer de bonne foi au dialogue qu'animera le chef de l'Etat.
QUESTION - Votre visite s'inscrit-elle, dans la continuité de la politique française au regard du Liban ? Quelle différence y a-t-il entre la France de Jacques Chirac et celle de Nicolas Sarkozy concernant le Liban ?
LE PRESIDENT - Cette visite a une dimension tout à fait inhabituelle parce que je suis accompagné des dirigeants de partis politiques représentés au Parlement français et du Premier ministre. C'est exceptionnel et je crois même que cela ne s'est jamais fait avant. Le message, il est clair : la solidarité de la France envers le peuple libanais, l'attachement de notre pays à l'indépendance et à la souveraineté du Liban, ce n'est pas une affaire de partis, ce n'est pas une affaire de personnes, c'est l'affaire de la Nation française toute entière, c'est la politique constante de la France.
Et avec la délégation qui m'accompagne, nous allons rencontrer les représentants de tous les groupes politiques libanais représentés au Parlement libanais. Là aussi le message est très clair : la France est l'amie de tous les Libanais, sans distinction.
Cette visite, vous l'avez compris, est clairement placée sous le signe de l'amitié entre la France et le Liban. Or cette amitié, elle est indivisible, d'un côté comme de l'autre.
Pour le reste, vous le savez, l'engagement de la France pour la reconstruction économique du Liban est complet, à travers les engagements contractés lors de la conférence de Paris III. Au sud, la France reste un pilier de la FINUL renforcée aux côtés des autres contingents et contribue tous les jours à la stabilisation de la situation, conformément à la résolution 1701 des Nations Unies. Enfin, notre exigence de vérité et de justice en ce qui concerne les assassinats politiques perpétrés au Liban est intacte.
QUESTION - Quel est le changement en cours dans la politique française vis-à-vis du Liban, de la Syrie et de l'Iran ? Comment valoriser la récente ouverture française sur la Syrie ?
LE PRESIDENT - Comme vous le savez, j'avais dit clairement, au Caire, le 30 décembre dernier, que je reprendrais des contacts avec la Syrie seulement lorsque des développements positifs et concrets seraient intervenus au Liban en vue d'une sortie de crise. Il faut bien reconnaître que l'accord de Doha, l'élection du Président Sleimane, la reconduction du Fouad Siniora dans ses fonctions de Premier ministre constituent de tels développements. J'en ai tiré les conséquences et j'ai appelé le Président Assad pour lui faire part de mon souhait de voir le processus de mise en oeuvre de l'accord se poursuivre. Je lui ai aussi dit que les pourparlers indirects de son pays avec Israël, via la Turquie allaient également dans le bon sens et je l'ai encouragé à poursuivre sur cette voie. J'ai également saisi cette occasion pour l'inviter à participer au Sommet de l'Union pour la Méditerranée, le 13 juillet, comme j'ai invité tous les chefs d'Etat et de gouvernement des pays méditerranéens, à commencer par le Président Sleimane.
Aujourd'hui, une nouvelle page est peut-être en train de s'ouvrir dans les relations entre la France et la Syrie. Depuis trop longtemps, la situation de blocage et de crise au Liban empêchait la reprise progressive d'un dialogue£ je veux dire d'un vrai dialogue qui permette à nos deux pays de parler de leurs intérêts communs. Les choses sont peut-être en train de changer. C'est en tout cas ce que je souhaite.
Je crois que le sort du Liban et de la région sont intimement liés. Il n'y aura pas de paix et de stabilité au Proche-Orient s'il n'y en a pas au Liban. Mon souhait, mon espoir est que Damas contribue positivement à faire en sorte que l'Etat du Cèdre redevienne ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un pays ouvert et prospère, uni dans la diversité, sûr et stable, souverain et indépendant. Tout le monde devrait trouver intérêt à la stabilisation du Liban.
QUESTION - Pensez-vous que l'action du Tribunal spécial pour le Liban pourrait faire l'objet d'un quelconque marchandage avec Damas en cas d'amélioration des rapports du régime syrien avec les pays occidentaux ?LE PRESIDENT - Les Libanais veulent mettre fin à l'impunité et ont soif de justice. La communauté internationale est déterminée à aider le Liban à tourner la page des assassinats politiques. La mise en place du Tribunal spécial progresse rapidement. Il s'agit d'un processus irréversible et les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies s'imposent à tous. J'accorde une grande importance à ce dossier, qui continue de fait l'objet d'une attention toute particulière de la communauté internationale. On l'a encore vu récemment lorsque le Conseil de sécurité a décidé à l'unanimité d'étendre le mandat de la commission d'enquête pour six mois, sur la base d'un projet français.