28 mai 2008 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-polonaises et la construction européenne, à Varsovie le 28 mai 2008.
Monsieur le Maréchal de la Diète,
Monsieur le Maréchal du Sénat,
Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Et si vous me le permettez, Chers Amis,
Je voudrais vous dire combien c'est un honneur que vous réservez à la France que d'avoir le privilège de s'adresser aujourd'hui aux deux chambres réunies du Parlement de Pologne et, en m'adressant à vous, c'est à la grande nation polonaise toute entière que je souhaite m'adresser. La Pologne est une nation qui a toujours maintenu avec le peuple français, à travers la longue et tumultueuse histoire de l'Europe, une relation exceptionnelle, une relation fraternelle.
C'est le général de Gaulle, à Varsovie en 1967, qui a sans doute le mieux décrit l'amitié entre la Pologne et la France, lorsque s'adressant au peuple polonais, il a dit : "Nous, Polonais et Français, nous nous ressemblons tant ! En dépit de la distance et de tout ce qui les distingue, la Pologne et la France s'aiment et savent, d'instinct et d'expérience, que leurs destins doivent se conjuguer".
Et de fait, il y a 1000 ans, monastères et universités, érudits et intellectuels, Polonais et Français, bâtissaient cette tradition d'ouverture et de dialogue par laquelle nos sociétés et nos cultures n'ont cessé de s'enrichir. Nos pays furent le berceau de l'humanisme et les Lumières rayonnaient en Pologne et en France en même temps et se sont nourries de nos échanges. Nos affinités intellectuelles et artistiques portent les noms les plus brillants, de Copernic à Marie Curie, de Chopin à Milosz.
Voici 1000 ans que nos deux pays qui se sont constitués en Etats à la même époque, croisent leurs destins sans jamais se dresser l'un contre l'autre, jamais. La France a réussi à faire la guerre à pratiquement tous les Etats d'Europe. Mais jamais à la Pologne ! Il faut bien que je profite de cette phrase, parce que je ne pourrai plus la prononcer nulle part en Europe, juste à Varsovie ! Quand nos deux nations étaient en guerre, elles étaient toujours du même côté, toujours ensemble, toujours alliées, toujours amies.
Cette longue histoire partagée entre la Pologne et la France est donc celle du sang mêlé de nos officiers et de nos soldats qui sont morts sur les mêmes champs de bataille. Nos hymnes se font écho. Vos héros sont les nôtres.
Notre histoire est celle d'une fidélité, celle du peuple français quand, au fil des siècles, les menaces, les partages, l'oppression étaient pour le peuple polonais le seul horizon. La France fut, pendant ces siècles, le refuge de l'âme polonaise. C'est depuis la France que vos héros en exil - Kosciuszko, le poète Mickiewicz, Frédéric Chopin et tant d'autres - entretinrent la flamme de la résistance. Et c'est pour la France que combattirent tant de Polonais puis de Français d'origine polonaise. La France qui plaidait au Traité de Versailles pour la renaissance de la Pologne. La France qui s'engageait à vos côtés, 20 ans après, et partageait votre malheur. La France enfin dont le coeur continuait, dans une Europe en paix mais déchirée, de battre au rythme du vôtre.
Pendant deux longues générations, la Pologne fut interdite d'Europe. Et les Polonais, une fois de plus, marquèrent chaque jour leur volonté de tenir et de résister avec l'oppression afin de renouer, par tous les moyens, le fil de notre histoire commune, celle d'une Europe en paix et d'une Europe unie. En 1980, les Français apportèrent un soutien enthousiaste au vaste mouvement surgi des profondeurs de votre nation, rassemblée autour de son Eglise, emmenée par Solidarnosc. Pour toute ma génération, Gdansk et Solidarnosc restent des noms synonymes de révolte contre l'oppression et de courage au service de la liberté. A ce moment-là, l'Europe entière regardait avec admiration et amitié la Pologne résistante et bientôt victorieuse.
Je voudrais ici saluer la mémoire d'un homme que nous admirons beaucoup, c'est la mémoire du Pape Jean-Paul II. Pendant la dictature communiste, il a incarné l'espérance de la Pologne. Il n'a cessé de rappeler qu'il existait un espoir plus fort que la peur, plus fort que la brutalité.
Permettez-moi de saluer aussi la mémoire d'un autre homme d'Eglise, le cardinal Lustiger. D'origine polonaise, d'origine juive, vous faites honneur à la France et à la Pologne.
Je veux dire en tant que président français que je soutiens avec conviction la construction du futur musée de l'histoire des Juifs de Pologne. Pendant la seconde guerre mondiale, la Pologne a perdu six millions de citoyens. La moitié d'entre eux étaient juifs. Ce fut une tragédie pour la Pologne et pour toute l'Europe. Il faut un lieu pour que nos enfants connaissent cette histoire.
De nombreux Français ont été émus par le dernier film de Wajda, "Katyn". C'est une partie de votre histoire qui commence enfin à s'écrire. Enfin, la vérité triomphe aujourd'hui du mensonge.
Ce nécessaire exercice de mémoire nous aide à nous émanciper, nous les Européens, d'un passé de haine et d'un passé de destruction en retenant les leçons, sans rien oublier, sans rien retrancher.
Je le dis ici, à Varsovie, dont le nom même, Varsovie, évoque pour les Français tant d'épreuves et tant de courage. Il me plaît de dire que Varsovie si souvent meurtrie incarne le symbole aussi de l'Europe nouvelle, d'un vieux continent qui renaît grâce à sa nouvelle unité.
Je ne suis pas venu devant votre assemblée pour évoquer seulement le passé.
Je suis venu pour vous parler du présent et de l'avenir. Nos pères, nos grands-pères ont construit l'amitié entre la Pologne et la France. Alors, chers amis polonais, est-ce que nous allons être à la hauteur de cette amitié ? Quels sont les chantiers qui s'ouvrent à nous ? Nous avons été amis dans la guerre, dans l'oppression, dans les épreuves, nous devons mettre cette amitié, maintenant, au service de la paix et au service de la prospérité. Nous avons une chance et une opportunité. C'est que contrairement au traité d'alliance passé que signaient nos anciens, notre partenariat entre la Pologne et la France ne doit être dirigé contre personne. Nous avons à être amis sans avoir à désigner aucun ennemi.
L'ambition de notre partenariat, c'est de renforcer nos liens, les liens qui existent déjà entre nos deux pays au plan politique, au plan militaire et au plan administratif.
Le développement spectaculaire de l'économie polonaise est la meilleure réponse au fantasme du "plombier polonais". La libre circulation des personnes est à la base de l'Union européenne. Aujourd'hui, il est temps pour la France de lever les dernières restrictions à la libre-circulation des travailleurs polonais comme des travailleurs des autres Etats qui ont rejoint l'Union en 2004. Je vous annonce que la France lèvera toutes les dernières restrictions avant le 1er juillet de cette année.
L'amitié, ce ne sont pas des mots, l'amitié ce sont des décisions. On ne peut pas dire à la Pologne : vous êtes des amis mais vous n'êtes pas les bienvenus. Je suis venu vous dire : vous êtes des amis et vous êtes les bienvenus. C'est cela l'Europe que la France veut construire avec la Pologne.
Mesdames et Messieurs,
Au-delà de nos relations bilatérales et quelle qu'en soit l'importance, il y a notre appartenance commune à l'Union européenne.
Mais que de chemin parcouru en quelques années ! Qui pouvait raisonnablement penser, il y a vingt ans, que la Pologne serait aujourd'hui un grand d'Europe ! J'imagine pour un certain nombre d'entre vous qui avez fait la grandeur de l'histoire de la Pologne que vous n'avez pas connu que les bancs du Parlement, vous avez connu de longues années d'enfermement et de prison. J'imagine que pour vous, ce rêve qui se réalise, parfois, vous devez avoir du mal à en comprendre l'ampleur et la rapidité. Qu'il soit permis à un Français de dire à la Pologne combien nous admirons le chemin que vous avez parcouru en moins de deux décennies. Depuis 4 ans, la Pologne a rejoint sa famille, après cinq décennies de dictature communiste. Les Français saluent votre courage et votre détermination.
J'ai toujours, à titre personnel, été aux côtés de la Pologne, même dans les moments difficiles. Lors de la négociation du Traité de Lisbonne, la France a refusé de s'engager dans une voie qui aurait conduit à l'isolement de la Pologne. J'avais la conviction que l'Europe de demain ne pouvait pas se construire sans la Pologne. Imaginons pour les 7 autres pays de l'Europe de l'Est ce qu'aurait signifié l'isolement du plus grand pays de l'Europe de l'Est, la Pologne ! Le message qui aurait été envoyé aurait été un message détestable après que vous vous soyez libérés seuls de la dictature. La France n'aurait jamais accepté qu'on divise l'Europe de la liberté. L'Europe a besoin de la Pologne.
Je veux le dire solennellement : construire l'Europe n'implique aucunement de renoncer à la nation. Au contraire ! C'est en respectant les nations que l'Europe se construit et c'est grâce à l'Europe que nos vieilles nations pourront peser de tout leur poids dans le monde du XXIe siècle. Nul n'est obligé de choisir entre l'attachement à la nation et son engagement au service de l'Europe. Mes Chers Amis, je viens d'un pays qui a voté non à 55 % sur le projet de Constitution. Mieux que d'autres, la France peut comprendre les préoccupations polonaises. Mais je vous le dis aussi : les Français ont accepté, comme vous de ratifier le Traité de Lisbonne par la voie du Parlement. Notre avenir, notre paix, notre prospérité dépendent de la vitalité de l'Europe. Et quand on a des idées sur l'avenir de l'Europe, il faut les exprimer à l'intérieur de l'Europe. Car c'est de l'intérieur que l'on pèse sur l'évolution des choses, ce n'est pas de l'extérieur. Je veux saluer l'engagement de la classe politique polonaise, l'engagement du président polonais, l'engagement du Premier ministre de Pologne au service de la ratification du Traité de Lisbonne. L'Europe ne pouvait plus rester dans l'immobilisme institutionnel. Ce n'est qu'une étape mais cette étape était décisive.
Dans un mois, la France exercera la Présidence de l'Union. La France a besoin de la Pologne. Nous ne réussirons pas sans votre engagement et sans votre soutien. Pendant notre Présidence, il faudra prendre des décisions. Quelles décisions ? Des décisions qui donneront le sentiment aux Polonais, aux Français, aux Européens que l'Europe les protège. Il faut tourner le dos à une Europe qui inquiète, à une Europe technocratique, à une Europe bureaucratique, à une Europe dont on ne comprend pas les décisions. Il n'y a qu'une seule façon de faire : que les femmes et les hommes politiques prennent et assument leurs responsabilités. Quelles responsabilités ? Et dans quels domaines ?
D'abord un domaine où nous, Français et Polonais sommes proches : la Politique agricole commune. Je souhaite que nous réfléchissions à l'avenir de cette Politique agricole commune. Cette politique est à la base de la création de l'Europe. Il faut profiter des prix élevés des matières premières agricoles aujourd'hui pour réfléchir à l'évolution de la politique agricole commune. Il faut se battre pour convaincre tous les Européens, quels qu'ils soient, que l'indépendance de l'Europe est un élément de sa puissance. Il faut faire comprendre à chacun que la sécurité alimentaire de tous les consommateurs européens impose une nouvelle Politique agricole commune. Pays agricoles ou pays qui ne le sont pas, nous avons les mêmes ambitions : protéger nos consommateurs, protéger l'Europe et ne pas avoir peur de décliner les préférences communautaires. A quoi cela servirait-il d'imposer à nos agriculteurs des règles si dans le même temps nous acceptions de continuer à importer en Europe des produits qui ne respectent aucune des règles que nous imposons à nos propres producteurs ?
J'ajoute qu'il y aura aussi le dossier de la défense et de la sécurité. Vous êtes attachés à l'amitié avec les Etats-Unis, nous aussi. Mais cela ne doit pas nous empêcher d'assumer nos responsabilités. Face aux crises, nous avons besoin, à la fois, d'une Alliance atlantique forte et d'une Europe forte et d'une Europe de la défense forte. Je comprends bien l'état d'esprit des Polonais. L'Europe signifie la démocratie et la prospérité. Les Etats-Unis ont signifié pendant longtemps la sécurité. Il n'y a pas à vous faire le procès de votre amitié avec les Etats-Unis et je mesure le poids de l'histoire quand vous pensiez qu'une partie de l'Europe de l'Ouest vous avait oublié. Mais, aujourd'hui, je voudrais que chacun comprenne que l'Europe aux côtés de ses alliés et de ses amis américains doit être capable d'assumer aussi sa part de défense et de sécurité.
On ne peut pas imaginer de faire de l'Europe une puissance politique, une puissance économique, l'une des régions les plus riches du monde sans être capables d'assurer nous-mêmes notre sécurité. C'est un sujet majeur sur lequel, Polonais et Français, nous devons avoir le courage de réfléchir. Contre personne mais simplement avec le souci de protéger les Européens et d'assumer nos responsabilités.
En tant que futur président de l'Union, je porterai également la question de l'émigration. Chers Amis polonais, vous êtes aujourd'hui un pays d'émigration et votre souci est que les travailleurs polonais puissent travailler ailleurs mais votre réussite économique fera bientôt de vous un pays d'immigration. On ne peut pas avoir une Europe où l'on peut librement circuler entre 27 Etats sans se poser la question de la définition d'une politique d'immigration commune. C'est un rendez-vous politique incontournable.
Enfin, sujet bien difficile, l'environnement, la préservation des équilibres de la planète. La responsabilité de notre génération est d'éviter que nos enfants, se tournant vers nous disent : qu'avez-vous fait de la planète qu'on vous a laissée ? Aucun d'entre nous ne peut s'exonérer de ses responsabilités. Bien sûr que la Pologne a envie de prospérité et de développement et, à votre place, nous, les Français, ferions comme vous. Bien sûr que la Pologne vit avec comme énergie à 90 % le charbon. Et bien sûr que le charbon pollue. Alors je voulais vous dire deux choses. La première, c'est que la France est décidée à vous aider de toutes ses forces si vous devez faire le choix de l'énergie nucléaire. Et dans le même temps, la France vous dit : aidez-nous à faire de l'Europe, le lieu exemplaire dans le monde pour le développement durable. Que l'on me comprenne bien, personne n'a le droit de vous demander de choisir entre la croissance et la pollution, la stagnation et la préservation de l'environnement. Mais, ensemble, en Europe, nous pouvons inventer un nouveau modèle de développement, le développement durable. Et la Pologne qui réunira en décembre 2008 la Conférence mondiale de Poznan a une responsabilité immense, pour que cette conférence soit un succès universel.
Mes Chers Amis,
Vous le comprenez, en conclusion, le Traité simplifié n'est qu'un commencement. Le Traité de Lisbonne, c'est le début, c'est du mécano, ce sont des institutions mais ce n'est pas le Traité de Lisbonne qui va réconcilier l'Europe avec les Européens. Le Traité de Lisbonne, c'est un moyen. A nous maintenant d'imaginer les politiques qui vont faire comprendre d'un bout à l'autre de l'Europe, que l'Europe est essentielle dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Et voilà bien la responsabilité qui est la nôtre. Pendant des siècles, en Europe, on s'est haï, on s'est déchiré, on s'est détesté, on aurait pu s'anéantir, il y a quelques décennies seulement. Maintenant que nos pères ont créé l'Europe, c'est à nous de la faire vivre. On ne la fera pas vivre, cette Europe, simplement avec des règles technocratiques, avec des directives incompréhensibles. On la fera vivre avec de l'ambition politique, avec du courage politique, avec la volonté de bouger les choses et de changer les choses pour que l'Europe connaisse le plein-emploi et la démocratie. Mais pour que l'Europe puisse porter et développer son modèle dans le monde entier, pour arriver à cela, nous avons besoin de vous, de votre jeunesse dans l'Europe politique, de votre espérance, de votre exigence indomptable, de votre tempérament et même à ceux d'entre vous qui ont des réserves vis-à-vis de l'Europe, je leur dis qu'on a besoin d'eux pour changer l'Europe de l'intérieur.
Mes Chers Amis,
Il n'y a pas d'autre alternative pour notre continent que l'Union européenne. Mais, dans cette Union, la Pologne a un rôle de premier plan à jouer, forte de ses 38 millions de Polonais. Ce rôle vous confère des droits, des droits importants mais ce rôle vous confère des responsabilités. Quand un petit pays dit "non", c'est un problème. Quand un grand pays dit "non", c'est un drame. La France le sait, elle, qui a eu à faire supporter les conséquences de son "non" à l'Europe. C'est sans aucune arrogance mais avec beaucoup d'amitié pour vous que je suis venu vous dire, Mes Chers Amis polonais que la France compte sur vous, que l'Europe a besoin de vous.
Vive la Pologne !
Vive la France !
Et vive l'amitié entre la France et la Pologne !
Monsieur le Maréchal du Sénat,
Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Et si vous me le permettez, Chers Amis,
Je voudrais vous dire combien c'est un honneur que vous réservez à la France que d'avoir le privilège de s'adresser aujourd'hui aux deux chambres réunies du Parlement de Pologne et, en m'adressant à vous, c'est à la grande nation polonaise toute entière que je souhaite m'adresser. La Pologne est une nation qui a toujours maintenu avec le peuple français, à travers la longue et tumultueuse histoire de l'Europe, une relation exceptionnelle, une relation fraternelle.
C'est le général de Gaulle, à Varsovie en 1967, qui a sans doute le mieux décrit l'amitié entre la Pologne et la France, lorsque s'adressant au peuple polonais, il a dit : "Nous, Polonais et Français, nous nous ressemblons tant ! En dépit de la distance et de tout ce qui les distingue, la Pologne et la France s'aiment et savent, d'instinct et d'expérience, que leurs destins doivent se conjuguer".
Et de fait, il y a 1000 ans, monastères et universités, érudits et intellectuels, Polonais et Français, bâtissaient cette tradition d'ouverture et de dialogue par laquelle nos sociétés et nos cultures n'ont cessé de s'enrichir. Nos pays furent le berceau de l'humanisme et les Lumières rayonnaient en Pologne et en France en même temps et se sont nourries de nos échanges. Nos affinités intellectuelles et artistiques portent les noms les plus brillants, de Copernic à Marie Curie, de Chopin à Milosz.
Voici 1000 ans que nos deux pays qui se sont constitués en Etats à la même époque, croisent leurs destins sans jamais se dresser l'un contre l'autre, jamais. La France a réussi à faire la guerre à pratiquement tous les Etats d'Europe. Mais jamais à la Pologne ! Il faut bien que je profite de cette phrase, parce que je ne pourrai plus la prononcer nulle part en Europe, juste à Varsovie ! Quand nos deux nations étaient en guerre, elles étaient toujours du même côté, toujours ensemble, toujours alliées, toujours amies.
Cette longue histoire partagée entre la Pologne et la France est donc celle du sang mêlé de nos officiers et de nos soldats qui sont morts sur les mêmes champs de bataille. Nos hymnes se font écho. Vos héros sont les nôtres.
Notre histoire est celle d'une fidélité, celle du peuple français quand, au fil des siècles, les menaces, les partages, l'oppression étaient pour le peuple polonais le seul horizon. La France fut, pendant ces siècles, le refuge de l'âme polonaise. C'est depuis la France que vos héros en exil - Kosciuszko, le poète Mickiewicz, Frédéric Chopin et tant d'autres - entretinrent la flamme de la résistance. Et c'est pour la France que combattirent tant de Polonais puis de Français d'origine polonaise. La France qui plaidait au Traité de Versailles pour la renaissance de la Pologne. La France qui s'engageait à vos côtés, 20 ans après, et partageait votre malheur. La France enfin dont le coeur continuait, dans une Europe en paix mais déchirée, de battre au rythme du vôtre.
Pendant deux longues générations, la Pologne fut interdite d'Europe. Et les Polonais, une fois de plus, marquèrent chaque jour leur volonté de tenir et de résister avec l'oppression afin de renouer, par tous les moyens, le fil de notre histoire commune, celle d'une Europe en paix et d'une Europe unie. En 1980, les Français apportèrent un soutien enthousiaste au vaste mouvement surgi des profondeurs de votre nation, rassemblée autour de son Eglise, emmenée par Solidarnosc. Pour toute ma génération, Gdansk et Solidarnosc restent des noms synonymes de révolte contre l'oppression et de courage au service de la liberté. A ce moment-là, l'Europe entière regardait avec admiration et amitié la Pologne résistante et bientôt victorieuse.
Je voudrais ici saluer la mémoire d'un homme que nous admirons beaucoup, c'est la mémoire du Pape Jean-Paul II. Pendant la dictature communiste, il a incarné l'espérance de la Pologne. Il n'a cessé de rappeler qu'il existait un espoir plus fort que la peur, plus fort que la brutalité.
Permettez-moi de saluer aussi la mémoire d'un autre homme d'Eglise, le cardinal Lustiger. D'origine polonaise, d'origine juive, vous faites honneur à la France et à la Pologne.
Je veux dire en tant que président français que je soutiens avec conviction la construction du futur musée de l'histoire des Juifs de Pologne. Pendant la seconde guerre mondiale, la Pologne a perdu six millions de citoyens. La moitié d'entre eux étaient juifs. Ce fut une tragédie pour la Pologne et pour toute l'Europe. Il faut un lieu pour que nos enfants connaissent cette histoire.
De nombreux Français ont été émus par le dernier film de Wajda, "Katyn". C'est une partie de votre histoire qui commence enfin à s'écrire. Enfin, la vérité triomphe aujourd'hui du mensonge.
Ce nécessaire exercice de mémoire nous aide à nous émanciper, nous les Européens, d'un passé de haine et d'un passé de destruction en retenant les leçons, sans rien oublier, sans rien retrancher.
Je le dis ici, à Varsovie, dont le nom même, Varsovie, évoque pour les Français tant d'épreuves et tant de courage. Il me plaît de dire que Varsovie si souvent meurtrie incarne le symbole aussi de l'Europe nouvelle, d'un vieux continent qui renaît grâce à sa nouvelle unité.
Je ne suis pas venu devant votre assemblée pour évoquer seulement le passé.
Je suis venu pour vous parler du présent et de l'avenir. Nos pères, nos grands-pères ont construit l'amitié entre la Pologne et la France. Alors, chers amis polonais, est-ce que nous allons être à la hauteur de cette amitié ? Quels sont les chantiers qui s'ouvrent à nous ? Nous avons été amis dans la guerre, dans l'oppression, dans les épreuves, nous devons mettre cette amitié, maintenant, au service de la paix et au service de la prospérité. Nous avons une chance et une opportunité. C'est que contrairement au traité d'alliance passé que signaient nos anciens, notre partenariat entre la Pologne et la France ne doit être dirigé contre personne. Nous avons à être amis sans avoir à désigner aucun ennemi.
L'ambition de notre partenariat, c'est de renforcer nos liens, les liens qui existent déjà entre nos deux pays au plan politique, au plan militaire et au plan administratif.
Le développement spectaculaire de l'économie polonaise est la meilleure réponse au fantasme du "plombier polonais". La libre circulation des personnes est à la base de l'Union européenne. Aujourd'hui, il est temps pour la France de lever les dernières restrictions à la libre-circulation des travailleurs polonais comme des travailleurs des autres Etats qui ont rejoint l'Union en 2004. Je vous annonce que la France lèvera toutes les dernières restrictions avant le 1er juillet de cette année.
L'amitié, ce ne sont pas des mots, l'amitié ce sont des décisions. On ne peut pas dire à la Pologne : vous êtes des amis mais vous n'êtes pas les bienvenus. Je suis venu vous dire : vous êtes des amis et vous êtes les bienvenus. C'est cela l'Europe que la France veut construire avec la Pologne.
Mesdames et Messieurs,
Au-delà de nos relations bilatérales et quelle qu'en soit l'importance, il y a notre appartenance commune à l'Union européenne.
Mais que de chemin parcouru en quelques années ! Qui pouvait raisonnablement penser, il y a vingt ans, que la Pologne serait aujourd'hui un grand d'Europe ! J'imagine pour un certain nombre d'entre vous qui avez fait la grandeur de l'histoire de la Pologne que vous n'avez pas connu que les bancs du Parlement, vous avez connu de longues années d'enfermement et de prison. J'imagine que pour vous, ce rêve qui se réalise, parfois, vous devez avoir du mal à en comprendre l'ampleur et la rapidité. Qu'il soit permis à un Français de dire à la Pologne combien nous admirons le chemin que vous avez parcouru en moins de deux décennies. Depuis 4 ans, la Pologne a rejoint sa famille, après cinq décennies de dictature communiste. Les Français saluent votre courage et votre détermination.
J'ai toujours, à titre personnel, été aux côtés de la Pologne, même dans les moments difficiles. Lors de la négociation du Traité de Lisbonne, la France a refusé de s'engager dans une voie qui aurait conduit à l'isolement de la Pologne. J'avais la conviction que l'Europe de demain ne pouvait pas se construire sans la Pologne. Imaginons pour les 7 autres pays de l'Europe de l'Est ce qu'aurait signifié l'isolement du plus grand pays de l'Europe de l'Est, la Pologne ! Le message qui aurait été envoyé aurait été un message détestable après que vous vous soyez libérés seuls de la dictature. La France n'aurait jamais accepté qu'on divise l'Europe de la liberté. L'Europe a besoin de la Pologne.
Je veux le dire solennellement : construire l'Europe n'implique aucunement de renoncer à la nation. Au contraire ! C'est en respectant les nations que l'Europe se construit et c'est grâce à l'Europe que nos vieilles nations pourront peser de tout leur poids dans le monde du XXIe siècle. Nul n'est obligé de choisir entre l'attachement à la nation et son engagement au service de l'Europe. Mes Chers Amis, je viens d'un pays qui a voté non à 55 % sur le projet de Constitution. Mieux que d'autres, la France peut comprendre les préoccupations polonaises. Mais je vous le dis aussi : les Français ont accepté, comme vous de ratifier le Traité de Lisbonne par la voie du Parlement. Notre avenir, notre paix, notre prospérité dépendent de la vitalité de l'Europe. Et quand on a des idées sur l'avenir de l'Europe, il faut les exprimer à l'intérieur de l'Europe. Car c'est de l'intérieur que l'on pèse sur l'évolution des choses, ce n'est pas de l'extérieur. Je veux saluer l'engagement de la classe politique polonaise, l'engagement du président polonais, l'engagement du Premier ministre de Pologne au service de la ratification du Traité de Lisbonne. L'Europe ne pouvait plus rester dans l'immobilisme institutionnel. Ce n'est qu'une étape mais cette étape était décisive.
Dans un mois, la France exercera la Présidence de l'Union. La France a besoin de la Pologne. Nous ne réussirons pas sans votre engagement et sans votre soutien. Pendant notre Présidence, il faudra prendre des décisions. Quelles décisions ? Des décisions qui donneront le sentiment aux Polonais, aux Français, aux Européens que l'Europe les protège. Il faut tourner le dos à une Europe qui inquiète, à une Europe technocratique, à une Europe bureaucratique, à une Europe dont on ne comprend pas les décisions. Il n'y a qu'une seule façon de faire : que les femmes et les hommes politiques prennent et assument leurs responsabilités. Quelles responsabilités ? Et dans quels domaines ?
D'abord un domaine où nous, Français et Polonais sommes proches : la Politique agricole commune. Je souhaite que nous réfléchissions à l'avenir de cette Politique agricole commune. Cette politique est à la base de la création de l'Europe. Il faut profiter des prix élevés des matières premières agricoles aujourd'hui pour réfléchir à l'évolution de la politique agricole commune. Il faut se battre pour convaincre tous les Européens, quels qu'ils soient, que l'indépendance de l'Europe est un élément de sa puissance. Il faut faire comprendre à chacun que la sécurité alimentaire de tous les consommateurs européens impose une nouvelle Politique agricole commune. Pays agricoles ou pays qui ne le sont pas, nous avons les mêmes ambitions : protéger nos consommateurs, protéger l'Europe et ne pas avoir peur de décliner les préférences communautaires. A quoi cela servirait-il d'imposer à nos agriculteurs des règles si dans le même temps nous acceptions de continuer à importer en Europe des produits qui ne respectent aucune des règles que nous imposons à nos propres producteurs ?
J'ajoute qu'il y aura aussi le dossier de la défense et de la sécurité. Vous êtes attachés à l'amitié avec les Etats-Unis, nous aussi. Mais cela ne doit pas nous empêcher d'assumer nos responsabilités. Face aux crises, nous avons besoin, à la fois, d'une Alliance atlantique forte et d'une Europe forte et d'une Europe de la défense forte. Je comprends bien l'état d'esprit des Polonais. L'Europe signifie la démocratie et la prospérité. Les Etats-Unis ont signifié pendant longtemps la sécurité. Il n'y a pas à vous faire le procès de votre amitié avec les Etats-Unis et je mesure le poids de l'histoire quand vous pensiez qu'une partie de l'Europe de l'Ouest vous avait oublié. Mais, aujourd'hui, je voudrais que chacun comprenne que l'Europe aux côtés de ses alliés et de ses amis américains doit être capable d'assumer aussi sa part de défense et de sécurité.
On ne peut pas imaginer de faire de l'Europe une puissance politique, une puissance économique, l'une des régions les plus riches du monde sans être capables d'assurer nous-mêmes notre sécurité. C'est un sujet majeur sur lequel, Polonais et Français, nous devons avoir le courage de réfléchir. Contre personne mais simplement avec le souci de protéger les Européens et d'assumer nos responsabilités.
En tant que futur président de l'Union, je porterai également la question de l'émigration. Chers Amis polonais, vous êtes aujourd'hui un pays d'émigration et votre souci est que les travailleurs polonais puissent travailler ailleurs mais votre réussite économique fera bientôt de vous un pays d'immigration. On ne peut pas avoir une Europe où l'on peut librement circuler entre 27 Etats sans se poser la question de la définition d'une politique d'immigration commune. C'est un rendez-vous politique incontournable.
Enfin, sujet bien difficile, l'environnement, la préservation des équilibres de la planète. La responsabilité de notre génération est d'éviter que nos enfants, se tournant vers nous disent : qu'avez-vous fait de la planète qu'on vous a laissée ? Aucun d'entre nous ne peut s'exonérer de ses responsabilités. Bien sûr que la Pologne a envie de prospérité et de développement et, à votre place, nous, les Français, ferions comme vous. Bien sûr que la Pologne vit avec comme énergie à 90 % le charbon. Et bien sûr que le charbon pollue. Alors je voulais vous dire deux choses. La première, c'est que la France est décidée à vous aider de toutes ses forces si vous devez faire le choix de l'énergie nucléaire. Et dans le même temps, la France vous dit : aidez-nous à faire de l'Europe, le lieu exemplaire dans le monde pour le développement durable. Que l'on me comprenne bien, personne n'a le droit de vous demander de choisir entre la croissance et la pollution, la stagnation et la préservation de l'environnement. Mais, ensemble, en Europe, nous pouvons inventer un nouveau modèle de développement, le développement durable. Et la Pologne qui réunira en décembre 2008 la Conférence mondiale de Poznan a une responsabilité immense, pour que cette conférence soit un succès universel.
Mes Chers Amis,
Vous le comprenez, en conclusion, le Traité simplifié n'est qu'un commencement. Le Traité de Lisbonne, c'est le début, c'est du mécano, ce sont des institutions mais ce n'est pas le Traité de Lisbonne qui va réconcilier l'Europe avec les Européens. Le Traité de Lisbonne, c'est un moyen. A nous maintenant d'imaginer les politiques qui vont faire comprendre d'un bout à l'autre de l'Europe, que l'Europe est essentielle dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Et voilà bien la responsabilité qui est la nôtre. Pendant des siècles, en Europe, on s'est haï, on s'est déchiré, on s'est détesté, on aurait pu s'anéantir, il y a quelques décennies seulement. Maintenant que nos pères ont créé l'Europe, c'est à nous de la faire vivre. On ne la fera pas vivre, cette Europe, simplement avec des règles technocratiques, avec des directives incompréhensibles. On la fera vivre avec de l'ambition politique, avec du courage politique, avec la volonté de bouger les choses et de changer les choses pour que l'Europe connaisse le plein-emploi et la démocratie. Mais pour que l'Europe puisse porter et développer son modèle dans le monde entier, pour arriver à cela, nous avons besoin de vous, de votre jeunesse dans l'Europe politique, de votre espérance, de votre exigence indomptable, de votre tempérament et même à ceux d'entre vous qui ont des réserves vis-à-vis de l'Europe, je leur dis qu'on a besoin d'eux pour changer l'Europe de l'intérieur.
Mes Chers Amis,
Il n'y a pas d'autre alternative pour notre continent que l'Union européenne. Mais, dans cette Union, la Pologne a un rôle de premier plan à jouer, forte de ses 38 millions de Polonais. Ce rôle vous confère des droits, des droits importants mais ce rôle vous confère des responsabilités. Quand un petit pays dit "non", c'est un problème. Quand un grand pays dit "non", c'est un drame. La France le sait, elle, qui a eu à faire supporter les conséquences de son "non" à l'Europe. C'est sans aucune arrogance mais avec beaucoup d'amitié pour vous que je suis venu vous dire, Mes Chers Amis polonais que la France compte sur vous, que l'Europe a besoin de vous.
Vive la Pologne !
Vive la France !
Et vive l'amitié entre la France et la Pologne !