23 mai 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Jornal de Angola" du 23 mai 2008, notamment sur les relations franco-africaines et franco-angolaises.

Q - Alors qu'un an s'est écoulé depuis l'investiture du président de la République, quelles sont les évolutions les plus remarquables de la politique étrangère française en relation avec le continent africain et quels sont les objectifs qui peuvent être considérés comme déjà atteints ?
R - J'ai quelques convictions simples.
La première, c'est que les relations entre la France et l'Afrique doivent être fondées sur le respect mutuel, l'égalité, la transparence et les intérêts réciproques, ceux de mon pays et ceux des Africains.
La deuxième, c'est que l'Afrique de 2008 n'est pas celle de 1960. Ce qui était valable il y a cinquante ans ne l'est plus aujourd'hui. L'Afrique s'émancipe et veut régler par elle-même ses problèmes et ses crises. La France doit en tirer toutes les conséquences et appuyer l'ambition des Africains.
Ma troisième conviction, c'est que l'Afrique a payé dans sa chair le XXème siècle, et que la France, assumant son passé en Afrique, n'oublie rien de ce qu'elle lui doit. La France croit en la renaissance de l'Afrique et l'aidera à s'insérer dans le monde globalisé du XXIème siècle.
Dans ce cadre, j'ai pris des positions très fermes, jamais dites jusqu'à présent, sur la colonisation et ses crimes.
En outre, j'ai proposé à nos amis africains de réexaminer ensemble les accords de défense qui nous lient pour moderniser nos relations militaires. Ces discussions ont déjà commencé.
J'ai également annoncé que les forces armées françaises n'avaient pas vocation à rester indéfiniment en Afrique. Les Africains bâtissent leur propre système de défense collective. La France veut les y aider car c'est notre intérêt à tous.
La France souhaite également une plus forte implication de l'Europe aux côtés des Africains. Nous déployons en ce moment même la force européenne EUFOR au Tchad et le programme français d'entraînement des forces africaines RECAMP a été transformé en un programme européen intitulé EUROCAMP. C'est une évolution majeure.
Par ailleurs, la France va mettre en place de nouveaux outils d'aide financière au développement. Ce que je veux, c'est que l'on aide les Africains à créer leurs propres entreprises génératrices d'emplois. Le développement économique de l'Afrique est entre les mains des entrepreneurs africains. Il faut les aider à innover et à créer de la richesse et des emplois au profit de leurs pays. Il faut accélérer la croissance africaine. Déjà, la France vient de mettre en place un fonds d'investissement de 250 millions d'euros et un fonds de garantie du même montant. Vous le voyez, la France fait ce qu'elle dit ! Et j'espère que d'autres bailleurs emboîteront le pas.
Enfin, je n'accepte pas que l'Afrique, qui représente un cinquième de la planète, -excusez du peu ! -, n'ait pas toute sa place dans les instances mondiales, que ce soit au G8 ou au Conseil de sécurité.
La France ne veut pas être en Afrique pour perpétuer, sous d'autres formes, des rapports inégaux qui appartiennent à un passé révolu.
Q - Quelles sont les priorités de la France dans le domaine de la coopération bilatérale franco-angolaise ?
R - La France souhaite pleinement participer à l'effort de reconstruction de l'Angola dans tous les domaines, dans les infrastructures, comme dans les ressources humaines. En matière d'infrastructures, nous avons déjà décidé de la reprise des activités de l'Agence française de Développement (AFD) qui financera de grands projets dans les domaines de l'énergie, de l'eau, de l'assainissement mais aussi de la formation professionnelle. Une agence AFD rouvrira à Luanda avant la fin de l'année 2008.
La formation des ressources humaines sera au coeur de notre relation et de l'effort de la France en faveur du développement de l'Angola. Deux projets vont démarrer dans les semaines qui viennent : le premier dans le domaine de l'agro-alimentaire, qui est le secteur le plus prometteur de l'Angola en dehors des ressources minérales. Nous voulons aider votre pays à retrouver le rang qu'il occupait dans la production agricole mondiale et à se préparer aux grands défis alimentaires qui s'annoncent. L'Ecole supérieure des Technologies alimentaires de Malanje, que l'Etat angolais a créée, formera avec (???) notre (???) les ingénieurs et techniciens supérieurs qui seront les futurs chefs d'entreprise de l'industrie agroalimentaire angolaise. Pour l'épauler, nous avons choisi Agropolis à Montpellier qui est le premier ensemble mondial en agronomie tropicale et en agroalimentaire.
Le deuxième projet concerne l'enseignement de la langue française, parce qu'il nous parait indispensable que les jeunes étudiants angolais, s'ils le souhaitent, aient les moyens de poursuivre une spécialisation dans notre pays, par exemple en médecine, en sciences exactes et en ingénierie. Par ailleurs, pour nous le moment est venu d'associer étroitement l'Angola aux centres de recherche et aux universités francophones d'Afrique, pour que les futures grandes universités angolaises en cours de création puissent constituer des pôles régionaux et s'intégrer dans un réseau mondial d'universités et de centres de recherche. Par exemple pour la formation des administrateurs et hauts fonctionnaires angolais, l'ENAD (Ecole nationale d'Administration) vient d'être inaugurée par le président dos Santos. Il me paraît essentiel que l'ENA (Ecole nationale d'Administration) en France vienne apporter son appui à cet ambitieux projet, en association s'il le faut avec les écoles d'administration de Dakar, de Tunis ou d'Alger.
Pour résumer ma pensée, je viens en Angola pour poser une question au président Dos Santos : vous souhaitez construire l'Angola de demain £ comment la France peut-elle vous aider à réaliser vos ambitions ?
Je suis convaincu, et c'est le sens de ma visite en Angola, de la nécessité d'associer pleinement les forces vives de nos deux pays. J'entends par-là mobiliser les entreprises, les universités, les régions, les grandes villes, nos musées, nos centres de création culturelle ou de formation audiovisuelle à l'effort de développement de l'Angola. Pour cela, il nous faut être inventifs. C'est pourquoi, je propose la création d'une fondation France-Angola, qui réunirait les partenaires publics et privés, pour mettre en oeuvre des grands projets de formation des ressources humaines et de création culturelle. Cette fondation sera l'instrument du renouveau des relations entre de nos pays.
Q - Quels secteurs économiques la France souhaite-t-elle privilégier dans ses relations avec l'Angola ?
R - En ce qui concerne les relations économiques entre la France et l'Angola, je constate d'abord que celles-ci se développent de manière vigoureuse dans un sens comme dans l'autre. En deux ans, les exportations angolaises de pétrole vers la France ont tellement augmenté que l'Angola est devenu un fournisseur majeur de la France. Dans le même temps, les ventes françaises ont cru des deux-tiers. Nous pouvons faire encore plus. J'en suis convaincu.
La première priorité de la France est d'accompagner l'Angola dans la diversification de son économie, et pas seulement dans le développement de ses hydrocarbures. La France, par conséquent, encourage les entreprises françaises des secteurs non pétroliers à venir découvrir l'Angola. Le mouvement s'est déjà amorcé. Des entreprises sont déjà présentes comme le groupe Castel, qui possède des brasseries en quatre points du pays et qui est en train de doubler son investissement.
Pour mieux se connaître encore, il y aura des réunions d'information sur l'Angola en France et des missions collectives de découverte amenant en Angola des entreprises françaises.
La deuxième priorité de la France est d'accompagner le développement régional de l'Angola. Afin de réduire les déséquilibres. Déjà, quand on regarde la carte de l'Angola, tous secteurs confondus, on voit que les entreprises françaises ne sont pas qu'à Luanda. Elles ont déjà investi à Soyo et à Lobito. Mais bientôt, on les verra dans d'autres villes, à Huambo ou à Ambriz. Et les missions d'entreprises qui viendront en Angola ne resteront pas à Luanda. Elles iront systématiquement en province.
La troisième priorité est l'angolanisation, c'est-à-dire le recours aux fournisseurs angolais, une politique d'emploi croissant de personnels angolais par les entreprises françaises en Angola, et la création de partenariats. A cet égard, les entreprises françaises sont les plus avancées. Elles emploient plusieurs milliers de personnes au total. Elles utilisent les fournisseurs locaux. Elles ont aussi créé des joint-ventures. La France continuera à privilégier ces partenariats. En retour, il est normal que ces entreprises espèrent des donneurs d'ordre angolais la prise en compte de leurs efforts.
La quatrième priorité de la France est d'accompagner l'Angola dans sa politique de création de couloirs régionaux, ferroviaires et routiers, en particulier, entre l'Océan atlantique, l'Afrique centrale et l'Océan indien. Cette politique vise à rétablir des axes de circulation qui ont parfaitement fonctionné dans le passé, je pense en particulier au chemin de fer de Benguela. Cette politique redonnera à l'Angola une place accrue dans la région car l'Angola, de par sa position géographique, deviendra une plate-forme régionale, y compris en matière de transport aérien.
Alors, quels secteurs en particulier ? Je pense d'emblée aux transports, aux infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires, à l'agroalimentaire et à l'agriculture, à l'eau, au BTP, aux télécommunications, aux technologies de l'information, aux établissements de santé, aux partenariats publics-privés. La France est prête à mettre son expertise à la disposition de l'Angola dans tous ces domaines qui nécessitent des compétences de haute technologie.
Q - Le secteur pétrolier est pratiquement un domaine traditionnel de coopération entre les deux pays. Quelles propositions nouvelles la France compte-t-elle faire dans ce domaine ?
R - Elf a été présent en Angola depuis des décennies. Total, successeur de Elf, est l'un des premiers opérateurs pétroliers en Angola et la France est le sixième client pétrolier de l'Angola. C'est dire si la relation est ancienne et importante. Dans le domaine para-pétrolier, les entreprises françaises sont aussi actives. Elles ont créé de nombreux partenariats. Je pense, par exemple, à Acergy, Bourbon, Petromar, Ponticelli, Schlumberger, Spie, Technip. Il y en d'autres encore.
En termes de propositions nouvelles venant de la France, je vois le gaz. Total est partenaire du projet de gaz naturel liquéfié de Soyo qui commence à prendre forme. Le gaz deviendra un nouveau champ de coopération entre les deux pays.
La France souhaite privilégier ses relations dans de nombreux autres domaines car la compétence, l'excellence des entreprises françaises - souvent en position de leadership - couvre une large gamme de secteurs. Et puis, l'Angola de son côté, avec un taux de croissance de 20 % depuis quatre ans, adresse une demande de plus en plus variée au monde.
Q - Peut-on considérer comme clos le "dossier" Pierre Falcone ?
R - Cette affaire concerne un citoyen français poursuivi par la justice française pour ne pas avoir respecté des dispositions légales françaises. Ce procès devrait intervenir dans les prochains mois. Ce qui est important pour la France et pour l'Angola, c'est de regarder ensemble leur avenir commun.
Q - L'Afrique réclame une réforme des Nations unies et plus particulièrement de la composition de son Conseil de sécurité de façon à ce qu'elle prenne en compte ses aspirations et la nouvelle réalité politique mondiale. Comment la France répond-t-elle à cette question ?
R - Il est de notre intérêt de travailler à la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies pour améliorer son efficacité et sa légitimité dans la résolution des crises de demain. Une telle réforme passe par un élargissement du nombre de sièges permanents et non-permanents.
La France soutient l'accession à un siège de membre permanent du Brésil, de l'Allemagne, de l'Inde et du Japon, ainsi qu'une plus juste représentation de l'Afrique au Conseil de sécurité, notamment par l'attribution aux pays de ce continent de deux sièges permanents.
Je regrette profondément - je le dis avec mon coeur car c'est pour moi une injustice profonde et intolérable - que les négociations sur la réforme du Conseil de sécurité demeurent dans l'impasse. Je suis prêt à envisager une réforme intérimaire, qui pourrait prévoir une nouvelle catégorie de sièges avec un mandat plus long que celui des membres élus actuellement, et qui serait renouvelable. A la fin de la phase initiale, il pourrait être décidé de transformer ces nouveaux sièges en sièges permanents.
Il faut réussir cette réforme du Conseil de sécurité.
Je me battrai également pour passer d'un G8 à un G13 où l'Afrique aurait toute sa place. Au Sommet du G8 à Heiligendamm, nous avons travaillé à huit pays pendant deux jours et demi. Pour le déjeuner du dernier jour, nous avons invité deux milliards et demi d'habitants. J'étais gêné pour ces invités de la dernière minute. Je veux que la moitié de la planète soit invitée dès la première minute du sommet !