21 mai 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les opérations extérieures de l'Armée française, à Paris le 21 mai 2008.

Mesdames, Messieurs,
Il y a trente ans presque jour pour jour, les légionnaires du 2ème REP commandé par le colonel Philippe Erulin, écrivaient à Kolwezi, l'une des plus belles pages de l'histoire militaire de notre pays, en prenant part à une opération aéroportée de grande envergure, l'une des plus importantes sans doute depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Après avoir quitté Solenzara pour Kinshasa le 17 mai, ils étaient parachutés à moins de 250 mètres d'altitude au dessus de Kolwezi en deux vagues, le 19 et le 20 mai. Ils atterrirent à quelques centaines de mètres seulement des premiers rebelles fortement armés et durent immédiatement livrer de violents combats pour sauver des otages sur le point d'être fusillés.
En quelques heures, les légionnaires prirent le dessus sur un adversaire dix fois supérieur en nombre. La victoire récompensait la surprise, l'audace et la rapidité de la manoeuvre. Elle récompensait aussi l'exceptionnelle valeur militaire des soldats engagés dans cette opération. Le 20 mai au soir, la totalité de la ville était sécurisée, les milliers de civils promis à un massacre certain étaient sauvés. Les jours suivants, nos forces contraignaient les rebelles à se replier en abandonnant la plupart de leurs armes et de leur matériel. A la mi-juin, une force africaine composée du Maroc, du Gabon, de la Côte d'Ivoire, du Sénégal et du Togo prenait le relais.
Cette opération est d'abord l'expression d'un courage et d'un sens du devoir hors du commun.
Le courage physique des soldats au combat bien sûr et j'ajouterai même leur force d'âme, cultivée dans la cohésion et l'entraînement exemplaire d'un régiment magnifiquement commandé. Ce haut fait d'arme a été accompli par des hommes qui, pour la plupart, n'avait jamais connu l'épreuve du feu. Plusieurs qui ont sauté sur Kolwezi sont aujourd'hui dans cette cour d'honneur. Je veux leur dire ma reconnaissance, mon estime, mon admiration comme celle de toute la Nation pour leur action proprement héroïque. Cinq de leurs camarades ne sont jamais revenus. Vingt autres furent blessés.
Kolwezi est aussi l'expression d'un courage politique que je veux saluer. Car il en fallait du courage politique pour donner l'ordre de déclencher une opération aussi audacieuse, à des milliers de kilomètres de la France, en exposant nos soldats à un rapport de force particulièrement défavorable du point de vue des effectifs en présence. Qu'il me soit permis de rendre aujourd'hui hommage au chef des Armées de l'époque, le président Valéry Giscard d'Estaing, dont l'implication personnelle, a été décisive. Je mesure la formidable épreuve que représente une telle prise de décision et la somme des qualités qu'il faut réunir pour être au rendez-vous de l'histoire le moment venu. Ces qualités, ce sont celles qui font l'homme d'Etat. Ces qualités, ce furent celles ce jour-là du président Giscard d'Estaing. Je veux lui témoigner aujourd'hui le respect et la considération de la Nation.
Les événements de Kolwezi ont été des moments de vérité pour tous, du chef des Armées aux soldats parachutés sur le théâtre d'opérations. Et tous ont été à la hauteur. Tous ont fait honneur à la patrie. Tous ont fait face. Aucun ne s'est dérobé.
Ce courage, ce sens du devoir, ce sont les manifestations de la volonté de notre pays. Une volonté forgée par l'histoire, à l'épreuve des conflits et dans l'adversité. Une volonté qui puise sa force dans les souffrances endurées par les Poilus de 1914, par les soldats et les résistants de la Deuxième Guerre mondiale, par les combattants des conflits de la décolonisation.
Quand on a par deux fois manqué de disparaître en tant que Nation libre, on ne souhaite plus connaître ces heures sombres où le destin du pays se joue sur une seule bataille. Alors, plutôt que de compter sur la chance, il est plus sûr de mobiliser son courage et de faire face. Il est plus sûr d'agir soi-même pour préserver la vie de ses compatriotes, plutôt que de compter sur la mansuétude de l'ennemi. Il est plus sûr de projeter ses forces au loin pour circonscrire une crise plutôt que d'avoir à livrer une bataille décisive sur notre sol. Il est plus sûr tout simplement de défendre, au besoin par les armes, les valeurs qui nous sont chères, la liberté, le droit, l'égale et irréductible dignité de tous les hommes.
Voici pourquoi le courage et la volonté conduisent la France et ses armées, depuis plus de trente ans, à mener, presque au quotidien, des opérations extérieures.
Voici pourquoi, au moment où je parle, 11.000 soldats français sont en opération, au Kosovo, au Tchad, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, au Liban. Ces opérations s'inscrivent à chaque fois dans des processus politiques et diplomatiques fragiles et complexes. Ce sont là deux dimensions indissociables qui doivent mutuellement se conforter. Les discussions politiques et diplomatiques s'appuient pour progresser sur le déploiement des forces de maintien de la paix. L'action de ces forces a besoin dans la durée des progrès politiques et diplomatiques pour produire tous les résultats escomptés. Nous devons aux soldats que nous engageons de toujours veiller à donner un sens et des perspectives politiques à leurs missions.
Nous sommes un grand pays. Nous sommes riches d'une longue histoire. Un pays qui pense qu'il peut faire oeuvre utile dans ce monde. Il n'y a aucune arrogance dans l'attitude de la France. Il n'y a pas de manifestation d'une quelconque supériorité mais la conviction que nous pouvons contribuer à un monde meilleur, et notre détermination à traduire cette conviction en actes au sein de la communauté internationale. Ce n'est pas seulement un choix libre, un choix assumé. Car ce n'est pas un choix, c'est le devoir de la France. C'est sa responsabilité. Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies. C'est un honneur et c'est une immense responsabilité. Cela signifie que nous sommes, un peu plus que d'autres en charge de la paix dans notre monde. Cela signifie que nous devons consentir davantage d'efforts que d'autres pour préserver ou pour rétablir cette paix.
En cette année marquée par le 60ème anniversaire des opérations de maintien de la paix et de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, je veux souligner nos engagements sous la bannière de l'ONU. Plus de la moitié des opérations de maintien de la paix engagées par les Nations unies ont bénéficié de la participation de soldats français. Au-delà de la cérémonie qui nous rassemble aujourd'hui, j'ai souhaité en lien avec le Secrétaire général des Nations unies, Monsieur Ban Ki-moon, que le prochain défilé du 14 juillet mette à l'honneur les opérations de maintien de la paix et les forces de l'ONU qui y concourent sans relâche. Cet engagement constant est la preuve éclatante de notre attachement à la légalité internationale et la marque que la France assumera toutes ses responsabilités. Et nous considérons comme légitime l'aspiration de certains pays à se voir confier par la communauté internationale des responsabilités mondiales plus importantes, dès lors qu'ils sont moralement et matériellement prêts à consentir tous les efforts associés à de telles responsabilités.
Sur le terrain, ces responsabilités échoient directement aux armées. Elles sont aujourd'hui engagées dans un contexte difficile, la plupart du temps au contact direct de populations civiles et sous la menace d'adversaires non déclarés, plus faibles militairement mais qui ne respectent pas nos valeurs et pas nos principes. Si nos forces ne sont généralement pas attaquées, elles peuvent localement et pour un temps très bref être confrontées à des situations de violence extrême. Ce n'est pas parce que nous n'avons plus d'ennemi déclaré que la guerre a disparu de notre horizon.
Les opérations extérieures ont profondément transformé nos armées. Elles les ont conduites vers la professionnalisation, car l'ensemble des qualités professionnelles et humaines exigées aujourd'hui de nos soldats nécessite une maîtrise technique et une maturité que l'on ne peut obtenir qu'avec une armée de professionnels.
En commémorant aujourd'hui Kolwezi et les opérations extérieures, je rends hommage à nos armées. Nos armées ont su évoluer rapidement pour s'adapter aux conditions modernes d'emploi. Je ne doute pas qu'elles continueront de le faire pour garantir la sécurité de la France et préserver sa capacité d'action.
Il y a quelques mois, le père d'un militaire tué au combat m'écrivait : "le nom de mon fils, tombé loin de France, ne figure sur aucun monument. Le serait-il que je ne saurais déterminer avec exactitude le jour qui conviendrait le mieux pour m'y recueillir".
C'est en pensant à ce père et à travers lui à toutes les familles qui ont perdu un être cher ces dernières années que j'ai voulu cet hommage, dans ce lieu hautement symbolique, qui a si souvent accueilli la douleur des militaires et le chagrin de leurs familles.
Pour rappeler qu'aujourd'hui encore des hommes meurent pour la France, n'hésitant pas à mettre leur vie en jeu pour la défense de nos valeurs, le respect de nos engagements internationaux et le service de la paix. Mes pensées et mon affection vont vers eux et vers leur famille. Au nom de la Nation, je m'incline devant leur sacrifice, le plus grand qui soit parce qu'il est librement consenti. Que chacun soit persuadé que la France les chérit comme les meilleurs de ses fils.