13 janvier 2008 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Al Hayat" du 13 janvier 2008, notamment sur les relations franco-saoudiennes, la situation au Liban, la question du nucléaire iranien et sur l'implication de la France en Irak.

QUESTION - C'est votre premier déplacement en Arabie Saoudite mais votre seconde rencontre avec son roi, qu'attendez-vous de cette visite sur le plan politique et sur le plan économique ?
LE PRESIDENT - Cette visite est d'abord l'occasion de réaffirmer la force du lien qui unit la France et l'Arabie saoudite, et cela depuis très longtemps. Parce qu'elle est un pôle de modération et de stabilité, l'Arabie saoudite est un allié incontournable de la France dans la région et un pont indispensable entre le monde arabo-musulman et l'Occident. Je reverrai avec un très grand plaisir Sa Majesté le Roi Abdallah bin Abdulaziz Al Saoud avec qui j'ai une relation de confiance et d'estime. L'objectif, c'est de donner une nouvelle dimension à notre partenariat stratégique avec l'Arabie saoudite. Nous devons renouveler la relation entre nos deux pays pour mieux l'adapter aux enjeux actuels et aux priorités qui sont celles de l'Arabie d'aujourd'hui. Nous devons par exemple approfondir notre dialogue politique sur les grands dossiers régionaux, afin de tirer le meilleur profit de notre convergence de vues très large, sinon exceptionnelle, sur la plupart des questions régionales et internationales. Je veux d'ailleurs rendre hommage à la diplomatie saoudienne qui oeuvre sans relâche pour la stabilité et de la préservation des équilibres régionaux, tout particulièrement au Liban et sur le dossier du processus de paix. Sur le plan économique, les responsables saoudiens ont fait le choix de parier sur l'avenir à la faveur des réformes lucides et ambitieuses menées au cours des dernières années et des grands projets de développement lancés par le Roi, comme celui des villes nouvelles. La France veut accompagner le développement de l'économie saoudienne. Les entreprises françaises sont en mesure de répondre aux attentes de l'Arabie Saoudite dans tous les secteurs et plus particulièrement ceux de l'énergie, des transports, notamment ferroviaires et aériens, ou de la distribution d'eau. Les domaines essentiels de l'éducation et de la formation, qui sont des priorités pour les autorités saoudiennes, doivent devenir des axes majeurs de notre partenariat. Nous répondrons favorablement aux demandes de partenariats entre institutions académiques françaises et saoudiennes pour la formation professionnelle et l'enseignement supérieur, domaines pour lesquels deux accords vont être signés au cours de ma visite. Vous savez que l'Arabie a une population très jeune, en forte croissance. La France est sensible au fait que son modèle soit l'un des tout premiers sollicités pour répondre au défi que l'Arabie s'est lancée à elle-même dans l'accès du plus grand nombre à une formation de qualité.
QUESTION - Y-a t-il de nouveaux projets de coopération entre la France et les pays du Golfe que vous allez visiter ?
LE PRESIDENT - Les pays du Golfe font preuve d'un grand dynamisme à la mesure de leur formidable développement économique. Il suffit de voir le nombre de projets qui surgissent dans tous les domaines. Si de tels projets sont favorisés par une situation économique favorable, ils le sont également par une politique d'investissement avisée, en particulier dans l'éducation.
Il y a là, je dois dire, d'ailleurs, un démenti au pessimisme qu'affichent certains rapports sur le développement d'un monde arabe présenté à tort comme assoupi. Si nous entendons poursuivre et approfondir les nombreux projets de coopération déjà lancés, il nous faut aussi aller plus loin. L'ouverture d'une antenne de la Sorbonne à Abou Dabi, la création prochaine d'une antenne de l'Ecole spéciale militaire de Saint Cyr Coëtquidan au Qatar ou la création du musée du Louvre Abou Dabi, sont les exemples les plus emblématiques des réalisations déjà engagées. L'éducation, la formation, la jeunesse, la culture, les transports, les services et l'énergie font partie des champs de coopération que nous entendons privilégier. Par principe, nous ne nous limitons d'ailleurs à aucun domaine. Ma visite aux Emirats Arabes Unis sera ainsi l'occasion de signer un accord de coopération pour l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. J'ai souvent dit que le monde musulman n'était pas moins raisonnable que le reste du monde pour recourir au nucléaire civil pour ses besoins en énergie dans la pleine conformité avec les obligations découlant du droit international.
QUESTION - Quel est l'avenir pour la diplomatie française de réconciliation au Liban après votre première tentative qui n'a pas abouti avec la Syrie ? Allez-vous normaliser vos relations avec la Syrie malgré la négociation qui n'a pas abouti avec le Liban ?
LE PRESIDENT - Comme vous le savez, l'engagement de la France en faveur du Liban est très ancien et ne s'est jamais démenti. Depuis ma prise de fonctions, nous avons redoublé d'efforts pour aider tous les Libanais à dialoguer entre eux et à trouver ensemble une solution à la crise. Je pense notamment à la rencontre que nous avons organisée à La Celle Saint Cloud et aux nombreuses visites que Bernard Kouchner a effectuées au Liban.
Nous n'avons pas ménagé non plus nos efforts pour que les différentes parties intéressées par la situation au Liban exercent une influence positive dans la recherche d'une solution. J'ai envoyé mes collaborateurs à Damas et j'ai même appelé à plusieurs reprises le Président El Assad.
C'est vrai que jusqu'à présent, nous n'avons pas atteint le premier objectif que nous nous étions fixés, à savoir l'élection sans délai d'un nouveau Président pour le Liban. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai décidé de ne pas poursuivre mes contacts (ou les contacts que mes collaborateurs et moi avons eus) avec Damas, ce qui ne signifie d'ailleurs pas que nous nous interdisions toute communication avec la Syrie.
Je tiens ici à être très clair : ces contacts ne constituaient pas en eux-mêmes un début de normalisation. Ils étaient exclusivement centrés sur la résolution de la crise libanaise. Comme nous l'avons toujours dit, c'est à partir du moment où un résultat concret aura été obtenu au Liban que nous pourrons envisager une véritable normalisation et la reprise d'un vrai dialogue politique avec Damas sur l'ensemble des sujets régionaux et pas seulement sur le pays du cèdre.
Pour autant, il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas eu d'affrontements sur le terrain, comme beaucoup le redoutaient. Le dialogue que nous avons toujours encouragé se poursuit. La Ligue Arabe est parvenu à adopter à l'unanimité un plan de sortie de crise que la France et l'Union européenne soutiennent pleinement, très fortement inspiré de l'initiative française et de nos efforts depuis plusieurs mois. Il y a donc toutes les raisons d'espérer que notre souhait de voir tous les Libanais s'entendre se réalise.
Ce que nous attendons, c'est que les responsables politiques libanais prennent leurs responsabilités et mettent en oeuvre le plan arabe, à commencer par l'élection sans délai du candidat de consensus qu'est Michel Sleimane.
Ceci suppose aussi que toutes les parties régionales, à commencer par la Syrie, jouent un rôle positif en ce sens.
QUESTION - Le dialogue ferme et les sanctions avec l'Iran ont-ils une limite dans le temps ? Pensez-vous que le Président Bush attaquera L'Iran militairement avant la fin de son mandat ?
LE PRESIDENT - L'approche européenne consiste, depuis 2003, à offrir des perspectives de coopération très ambitieuses aux Iraniens en échange de la suspension de leurs activités illicites et à adopter des sanctions croissantes si l'Iran s'y refuse. Les Européens ont été rejoints par les États-Unis, la Russie et la Chine. Cette offre ayant été rejetée, les Six ont décidé de mettre en place des sanctions, en gardant ouverte la voie du dialogue.
Cette méthode produit des effets. La pression internationale a conduit l'Iran à s'engager à donner des éléments supplémentaires sur son programme nucléaire, dans le cadre du « programme de travail » conclu avec l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA). L'Iran persistant à ne pas respecter ses obligations internationales, nous souhaitons donc continuer à renforcer la pression internationale, au Conseil de sécurité et au sein de l'Union européenne, afin que ce pays se conforme à toutes ses obligations internationales, c'est-à-dire qu'il suspende ses activités sensibles et mette en oeuvre les garanties supplémentaires demandées par l'AIEA, et parvenir à une solution négociée, satisfaisante pour tous.
Je veux poursuivre avec une grande détermination dans cette voie, la seule à même de permettre une solution négociée et d'éviter d'être confrontés un jour à l'alternative entre la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran.
Les États-Unis reconnaissent que la stratégie alliant disponibilité au dialogue et pressions porte ses fruits. Les contacts actuels entre Américains, Européens, Russes et Chinois relatifs à l'adoption de nouvelles mesures témoignent de l'adhésion des États-Unis à cette démarche, qui privilégie l'adoption de pressions par la communauté internationale dans un cadre multilatéral. Notre objectif est donc une solution négociée dans le cadre du système multilatéral. Les autorités américaines se sont exprimées à plusieurs reprises et au plus haut niveau dans le même sens. Les résolutions 1737 et 1747 des Nations Unies sont placées sous l'article 41 de la Charte, qui exclut le recours à la force.
QUESTION - Israël n'a pas entendu vos appels sur l'arrêt des colonies et le mur. Quel levier avez-vous pour faire entendre vos appels à vos amis israéliens ?
LE PRESIDENT - J'ai dit, à plusieurs reprises, y compris en ouvrant la Conférence des donateurs pour l'Etat palestinien, que c'était le moment pour les Israéliens de faire les gestes qui permettraient de prouver que la paix était possible. Le gel complet et immédiat de la colonisation est une priorité, y compris à Jérusalem-Est. Je relève que les États-Unis ont récemment rappelé dans ces termes ses obligations à Israël.
Je note également qu'Ehud Olmert a adressé début janvier un message à ses ministres leur enjoignant de ne lancer aucun projet de colonisation en Cisjordanie sans son aval. Nous regarderons avec attention dans les semaines à venir la concrétisation des décisions prises à cet égard.
Les deux parties ont pris des engagements à la conférence d'Annapolis. Les Palestiniens doivent tout faire pour renforcer leurs forces de sécurité et lutter contre les actions et les mouvements terroristes. Les Israéliens doivent geler la colonisation. Le respect de ces engagements est indispensable pour le processus d'Annapolis ne soit pas un processus de plus. Les parties veulent aboutir à un accord de paix avant la fin 2008, nous pouvons et devons les aider, pas à pas, à atteindre cet objectif.
QUESTION - Les Américains préparent leur retrait à terme de l'Irak ? Voyez-vous un rôle pour la France dans l'avenir de l'Irak ? Pourquoi ouvrir une antenne d'ambassade au Kurdistan est-ce une reconnaissance tacite d'un Kurdistan indépendant ?
LE PRESIDENT - Le retrait américain d'Irak est une question qui concerne avant tout le gouvernement irakien (à la demande de qui la Force multinationale est présente). La résolution 1790 du Conseil de sécurité des Nations Unies (18 décembre 2007), que la France a approuvée, a renouvelé le mandat de cette Force multinationale pour un an. Le gouvernement irakien a toutefois fait part du souhait que ce renouvellement soit le dernier pour recourir, ensuite, à des accords bilatéraux de défense. La France, quant à elle, a toujours estimé qu'un horizon de retrait des forces étrangères constituerait un élément susceptible d'accélérer la prise de responsabilité par les autorités irakiennes.
En ce qui concerne le rôle de la France en Irak, c'est à ma demande que M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes, s'est rendu à Bagdad en août dernier. C'était la première visite officielle d'un ministre français des Affaires étrangères en Irak depuis 1988. Il s'agit donc bien du signe que la France, qui a entretenu une présence diplomatique constante dans ce pays et qui a des relations d'amitié anciennes avec le peuple irakien, entend jouer un rôle dans l'avenir de l'Irak. Notre souci premier est que ce pays puisse recouvrer la paix et la stabilité. Ensuite, qu'il puisse se reconstruire sur des bases qui assurent la sécurité matérielle de son peuple. A cet égard, nous avons dit la disposition de la France, en lien avec nos partenaires européens, à aider les Irakiens - particulièrement dans leur objectif de réconciliation nationale -, de même que les Nations Unies, dont le mandat en Irak a été élargi l'an dernier.
A Istanbul, le 3 novembre, lors de la conférence ministérielle élargie des pays voisins de l'Irak, la France a par exemple proposé d'accueillir en France, loin des passions et en terrain neutre, une conférence d'entente inter-irakienne qui soit la plus large possible, sur le modèle de ce qui s'est fait pour le Liban, à La Celle Saint-Cloud. C'est aux différentes parties qu'il appartient d'envisager, le cas échéant, la suite à y donner.Enfin, nous ouvrons effectivement un bureau d'ambassade à Erbil, non pas dans l'optique d'une hypothétique future indépendance du Kurdistan (dont je note qu'elle n'est envisagée ni par le Président de la région du Kurdistan, ni par le Président - kurde - de la République irakienne), mais parce que les bonnes conditions de sécurité qui prévalent dans cette région le permettent aujourd'hui. Nous envisageons, depuis cette « plate-forme » sûre, de mener des actions de coopération en direction de tout l'Irak. Il s'agit donc bien, au contraire, d'une implication accrue de la France en direction de l'ensemble du pays. Nous formons en outre le voeu d'ouvrir également un bureau d'ambassade, dans le sud, à Bassorah, aussitôt que les conditions de sécurité le permettront. Au total, la France est attachée à l'unité d'un Irak démocratique et à l'intégrité de ce pays, dans le respect de sa diversité.