29 décembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Al Ahram" du 29 décembre 2007, sur les relations franco-égyptiennes, la situation au Proche-Orient, le projet d'Union de la Méditerranée, la question du Darfour et sur le nucléaire iranien.


Q - Monsieur le Président Nicolas Sarkozy, nous vous souhaitons la bienvenue en Egypte dans votre première visite en tant que président de la République, en espérant que vous avez passé de bonnes vacances dans notre pays et parmi nos ancêtres en Haute Egypte. Monsieur le Président, à l'occasion de votre troisième rencontre avec le président Hosni Moubarak, entretenez-vous avec lui un dialogue continu sur les problèmes internationaux et surtout sur le Proche-Orient ? Quels sont les nouveaux projets économiques que vous allez évoquer avec le Président Moubarak qui feront de la France le premier investisseur en Egypte ? Est-ce qu'il y aura une coopération pacifique pour les ressources énergétiques ?
R - J'aime profondément l'Egypte et j'y ai, à nouveau, passé des moments inoubliables. D'une part, parce que ce pays est d'une extraordinaire richesse historique et culturelle, une richesse unique au monde, et d'autre part, en raison de la gentillesse et de la chaleur des Egyptiens. Ma visite en Egypte, quelques mois seulement après mon élection le 6 mai dernier, témoigne de l'attention particulière que je porte à la relation franco-égyptienne. Le dialogue entre nos deux pays est franc et confiant. Nous partageons les mêmes vues concernant les grands dossiers régionaux. J'ai eu l'occasion de voir à deux reprises le président Moubarak à Paris, et je suis heureux de pouvoir le voir aujourd'hui au Caire.
Pour ce qui est des relations économiques entre nos deux pays, sachez que la France devrait devenir très bientôt le premier investisseur en Egypte, dès que le rachat d'Orascom Cement par Lafarge annoncé le 10 décembre 2007 sera formalisé. Cette opération représente un montant de 8,8 milliards d'euros. Concernant le nucléaire civil, ma position est connue : je trouve tout à fait normal que tout pays puisse accéder à l'énergie nucléaire dans le respect des traités internationaux. L'Egypte a de gros besoins énergétiques et c'est tout naturellement qu'elle envisage de se lancer dans la construction de centrales nucléaires. La France, qui a sans doute la meilleure expertise et la plus grande expérience en la matière, est prête à collaborer avec l'Egypte, si elle le souhaite, sur ce dossier. Il y a en France près de 60 réacteurs nucléaires et 78 % de notre électricité est produite à partir du nucléaire : c'est dire si nous sommes à la pointe de cette énergie du futur.
Q - La lutte contre le terrorisme paraît parmi les sujets les plus urgents dans votre agenda présidentiel. Envisagez-vous une éventuelle coordination avec l'Egypte dans ce domaine ?
R - En matière de lutte contre le terrorisme, la coopération entre les autorités françaises et égyptiennes est ancienne et efficace et se déroule dans un climat de confiance. Les services concernés se rencontrent régulièrement. Le terrorisme est un fléau que nous devons combattre ensemble. Cette menace est globale, elle vise tout le monde. Vous avez été victimes du terrorisme à Louxor en 1997 ou plus récemment dans le Sinaï et vous savez que personne n'en est à l'abri.
Q - Le Proche-Orient a trois volets importants : le Liban, la Syrie et le conflit israélo-palestinien. Le Liban demeure dans un état de "vide présidentiel". Est-ce que la France entend changer son approche vis-à-vis de la crise libanaise et tendre vers l'approche américaine qui appellerait à élire le président à la majorité simple ? Comment la France entend-elle poursuivre ses efforts avec la Syrie, aucune solution n'ayant été trouvée le 22 décembre ? Enfin, après la conférence très réussie des donateurs à Paris, comment la France entend-elle poursuivre ses efforts pour qu'un Etat palestinien puisse voir le jour dans un proche avenir ?
R - Comme vous le savez, je me suis entretenu à plusieurs reprises avec le président syrien pour lui demander de contribuer au bon déroulement de l'élection présidentielle, dans le respect de l'indépendance et de la souveraineté du Liban. Je devais dire les choses au président Assad : la France peut accompagner la Syrie sur la voie de la respectabilité internationale. Mais il faut que la situation se dénoue au Liban. J'estime que la France a fait sa part du travail. Je n'ai pas ménagé mes efforts ces derniers mois. La bonne volonté doit maintenant se traduire en actes. Quant au conflit israélo-palestinien, je me suis personnellement impliqué pour que la conférence des donateurs à Paris soit un succès. Je pense pouvoir dire que ce fut le cas puisque plus de 7,4 milliards de dollars ont été récoltés pour les Palestiniens. J'en suis très heureux. Je suis convaincu que la seule solution durable passe par une paix juste, donc négociée, avec l'établissement de deux Etats vivant côte à côte dans la sécurité et dans des frontières reconnues. Je soutiens la dynamique d'Annapolis et les efforts en cours pour parvenir à l'édification d'un Etat palestinien indépendant, démocratique, viable et moderne avant la fin 2008. Les paramètres d'un règlement final sont connus. Tout est désormais affaire de volonté plus que d'imagination. Israéliens et Palestiniens connaissent le but à atteindre. La communauté internationale doit les accompagner. Je l'ai dit souvent : je suis l'ami des Etats-Unis et d'Israël, mais cela ne signifie pas que j'ai toujours le même avis qu'eux. Quand on est ami, on se parle franchement et surtout lorsqu'on n'est pas d'accord. Je suis avant tout un ami de la paix. Etre proche des uns et des autres est une force pour créer ce climat de confiance qui fait défaut entre les peuples de la région qui veulent vivre en paix. La paix est possible.
Q - En décembre, vous avez lancé avec le Premier ministre espagnol M. Zapatero et le Premier ministre italien M. Prodi l'appel de Rome où vous avez rappelé les grands principes qui guident le projet d'Union de la Méditerranée, et lancé deux dates importantes : le 13 juillet 2008, pour un Sommet Méditerranée et le 14 juillet pour un Sommet réunissant l'Union européenne et les chefs d'Etat et de gouvernement des pays riverains de la Méditerranée. Quelles sont les mesures prises pour faire de ces deux dates un succès ?
R - Je crois que les gens comprennent mieux aujourd'hui l'initiative que j'ai lancée le jour même de mon élection. Ils comprennent qu'elle ne vise nullement à se substituer aux enceintes euro-méditerranéennes déjà existantes comme le processus de Barcelone. Il s'agit de donner une nouvelle impulsion aux relations entre les deux rives de la Méditerranée à travers des solidarités actives. Ce seront des projets concrets à géométrie variable, c'est à dire qu'ils mobiliseront autour d'une action donnée tous les gouvernements, toutes les entreprises, toutes les organisations qui seront prêtes à travailler ensemble. D'ici le Sommet de juillet prochain en France, où je me propose de réunir tous les pays de la Méditerranée, nos efforts porteront avant tout sur la définition de ces projets sur des thèmes comme le développement durable ou l'environnement. Je crois que le succès de ce Sommet de la Méditerranée repose en grande partie sur cela : de vrais projets, mis en oeuvre dans l'intérêt commun. Je serais heureux d'en parler avec le président Moubarak.
Q - La question du Darfour paraît se compliquer. Est-ce que la France pense que l'imposition de sanctions plus dures comme le souhaitent les Etats-Unis est la bonne solution ?
R - Le déploiement d'une force internationale, décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies, est l'un des volets de la solution à la crise du Darfour. La situation humanitaire dans cette région est grave. Il faut s'en préoccuper. Il faut que le gouvernement soudanais lève les obstacles qui empêchent la force internationale de se déployer rapidement pour ramener la stabilité au Darfour et la sécurité de ses habitants. Mais la solution de la crise comporte également un volet politique, tout aussi important. Nous encourageons le gouvernement soudanais et les mouvements rebelles à reprendre des négociations sous l'égide de la communauté internationale. Je sais que l'Egypte partage cette idée.
Q - Quelle est la politique de la France vis-à-vis de l'Iran, surtout après le rapport américain du NIE qui confirme que l'Iran a cessé ses projets nucléaires depuis 2003 ?
R - L'action de la communauté internationale repose sur des faits, des faits inscrits dans les rapports de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA). Et que dit l'AIEA ? Elle dit que l'Iran n'a toujours pas répondu à toutes les questions posées sur ses activités passées et présentes. L'Iran cherche à maîtriser la technologie de l'enrichissement. Bref, l'Iran ne respecte pas ses obligations internationales, ce qui explique que notre position reste inchangée. Il faut continuer dans la voie de la fermeté et du dialogue. Tout ce que demande la communauté internationale à l'Iran est de coopérer pleinement avec l'AIEA et de suspendre ses activités d'enrichissement. Le Conseil de sécurité des Nations unies l'a déjà exigé par trois résolutions successives depuis un an et demie.