20 décembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, avec l'"Osservatore Romano", "Centre de Télévision du Vatican" et "Radio Vatican" le 20 décembre 2007, sur les relations entre la France et le Vatican, la situation au Liban, le conflit israèlo-palestinien, la laïcité et la place des religions en France, l'Union de la Méditerranée et sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne.

QUESTION - Monsieur le Président, bonjour. Tout d'abord merci d'accorder cet entretien aux médias du Vatican réunis pour la première fois. C'est une première, l'Osservatore Romano, le C TV, le centre de télévision du Vatican et Radio-Vatican.
LE PRESIDENT - C'est un honneur que vous me faites en m'invitant.
QUESTION - Merci Monsieur le Président. Vous avez été reçu par BENOIT XVI ce matin. Il y a une semaine, le porte-parole de l'Élysée, en annonçant cette visite, avait affirmé qu'elle était extrêmement importante. Alors nous aimerions avoir votre sentiment sur cette visite et si possible, sans indiscrétion, quelques détails sur la teneur de vos entretiens ?
LE PRESIDENT - Elle est importante parce que le Pape est un chef d'État, le Pape est un chef religieux et je me sens catholique de tradition et de coeur. C'est une autorité mondiale, spirituelle. Pour moi, c'était une rencontre différente des rencontres avec d'autres chefs d'État. Il y a une dimension spirituelle. Il incarne un message de paix, d'espoir et de conciliation qui est utile dans le monde d'aujourd'hui, qui est tout entier tourné vers la division, les affrontements, les incompréhensions.
L'entretien que j'ai eu avec le Pape était extrêmement chaleureux. C'est un homme de grande culture. C'est un homme intelligent, c'est un homme qui aime écouter, qui a une grande expérience, à qui on peut parler franchement et nous avons eu cette conversation.
QUESTION - Est-ce que vous pourriez nous donner quelques précisions sur l'échange que vous avez eu avec lui ?
LE PRESIDENT - Nous avons parlé en détail de la situation au Liban. Je lui ai dit combien j'étais attaché à la notion de diversité dans les pays de l'Orient et du Moyen-Orient. Je lui ai dit l'importance pour moi des valeurs chrétiennes dans l'histoire de France. Je lui ai dit combien j'attachais d'importance à la défense, à l'incarnation d'une identité européenne dans un monde qui ne devait pas s'aplatir devant une seule culture. C'était un échange extrêmement libre. Mais je lui ai également dit combien je serai heureux que nous le recevions en France, indépendamment de la visite à Lourdes, bien sûr, et combien je serai heureux qu'il vienne à Paris.
QUESTION - Il y a de nombreuses convergences dans la diplomatie, la politique étrangère de la France et du Saint-Siège. Le Liban, vous l'avez dit est une priorité, avez-vous une proposition concrète pour sortir le Liban de l'impasse actuelle ? Est-ce que c'était l'un des sujets de conversation ? Avez-vous approfondi ?
LE PRESIDENT - J'ai dit au Saint-Père la nature des échanges que j'avais eus avec l'ensemble des interlocuteurs de la scène libanaise et même avec le Président syrien. Je lui ai dit également ma préoccupation, le souci qui était celui de la France que le Liban sorte de cette période d'incertitude pour se rassembler derrière un Président de consensus. Je lui ai dit que la France jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière seconde ferait tous ses efforts pour préserver ce miracle de la diversité qu'est le Liban.
QUESTION - Y a-t-il, selon vous, une possibilité d'action conjointe entre la diplomatie du Saint-Siège et l'église maronite ?
LE PRESIDENT - D'une certaine façon, il y a eu, puisque le patriarche a joué un rôle extrêmement important, prenant ses responsabilités pour tenter de concilier la communauté chrétienne libanaise. Par ailleurs, la voix du Pape est entendue dans le monde entier, spécialement au Liban où il compte de nombreux fidèles.
QUESTION - Le Liban mais aussi le conflit israélo-palestinien. On sait que la France est très engagée dans ce domaine. On l'a vu encore lundi dernier à la conférence de Paris. Là aussi, y a-t-il convergence et de quels moyens la France dispose-t-elle pour agir ?
LE PRESIDENT - Lors de la conférence de Paris, nous avions invité le nonce apostolique, Monseigneur BALDELLI, qui témoignait de la présence de l'Église dans une enceinte où il y avait tant de représentants des diplomaties d'autres pays. Le Vatican comme la France, nous voulons la paix et nous pensons que c'est le moment de faire la paix autour de deux États. Un État palestinien moderne, démocratique, viable. Et un État israélien, garanti dans sa sécurité. Et j'ai dit au Pape combien je pensais que c'était maintenant qu'il fallait faire tous les efforts pour aboutir au résultat de la paix et il m'a semblé qu'il partageait cette analyse.
QUESTION - Vous n'avez pas eu l'occasion de discuter avec lui des moyens ? Par quels moyens passe la paix aujourd'hui dans cette région ?
LE PRESIDENT - Vous savez, je crois que le Pape m'a dit combien il avait été satisfait des résultats de la conférence de Paris. Sept milliards et trois cent millions pour aider à la reconstruction d'un État palestinien moderne, parce que la misère fait le lie, le terreau du terrorisme. Et partant, ces moyens qui ont été dégagés à la conférence de Paris, cela compte. Nous avons également parlé des suites de cette conférence de Paris et le Pape s'inquiétait de savoir s'il y aurait d'autres conférences. Je lui ai confirmé qu'il y en aurait d'autres.
QUESTION - Si vous le voulez, on va passer à la politique intérieure. La France et la laïcité notamment. En 2004, vous pensiez à une modification de la loi de 1905. A la veille de l'élection présidentielle, il semblerait que vous ayez renoncé. C'était dans un entretien à La Croix, que vous renonciez à cette modification. Qu'en est-il aujourd'hui ? Parce que tôt ou tard, il faudra affronter cette question.
LE PRESIDENT - Moi, vous savez, je suis passionné par la question spirituelle depuis bien longtemps, je ne suis pas le seul. La vie a-t-elle un sens ? Qu'est-ce qu'il se passe après la mort ? Ce sont tout de même des questions essentielles. La question spirituelle se pose depuis que l'homme a conscience de sa destinée singulière. La place des religions, la laïcité positive, c'est-à-dire qui reconnaît à chacun le droit de vivre sa foi et de la transmettre à ses enfants. Les besoins immenses qui sont ceux des religions révélées pour s'adapter à la nouvelle réalité française. La France profonde c'était la France des campagnes il y a 50 ans. Aujourd'hui, la France profonde c'est la France des banlieues. Or les lieux de cultes sont dans les campagnes où il y a moins de monde et les banlieues sont devenues des déserts cultuels. Ce n'est pas positif. Et donc, j'avais imaginé des adaptations nécessaires pour la loi de 1905. Mais j'ai dit, on ne peut faire ces adaptations que dans le cadre d'un consensus. C'est autour de ce consensus que l'on pourra construire d'éventuelles évolutions. Partant du principe également que je ne souhaite pas un Islam en France mais un Islam de France, c'est aussi la question d'un Islam européanisé, compatible avec les valeurs de la civilisation européenne. Donc c'est pour cela que j'ai créé le CFCM et voilà les débats que je souhaite voir prospérer en France et nous verrons ensuite s'il y a lieu de faire telle ou telle modification.
QUESTION - Le Pape, vous ne l'ignorez pas, appelle les laïcs à un engagement, à une visibilité, il demande d'avoir le courage de la différence aux catholiques d'aujourd'hui. Quelles sont vos convictions profondes sur ce point ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, le message du Christ, c'est un message très audacieux, puisqu'il annonce un Dieu fait de pardon et une vie après la mort. Je ne pense pas que ce message d'audace extrême et d'espérance totale puisse être porté de façon mitigée. Il nécessite une grande affirmation, une grande confiance et je suis de ceux qui pensent que dans les débats d'aujourd'hui, les grandes voix spirituelles doivent s'exprimer plus fortement.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez souvent qualifié de déterminante la place du christianisme dans la réalité française et au début de cet entretien, vous l'avez rappelé. Vous savez que l'Église de France a émis quelques réserves sur certains points de la politique française comme la maîtrise de l'immigration ou encore sur certains points concernant la famille, la bioéthique, il y a quelques craintes concernant l'euthanasie. Alors quelle place pensez-vous pouvoir accorder dans une république laïque à ces voix d'Église ?
LE PRESIDENT - La laïcité, c'est le droit à chacun de vivre sa religion, ses croyances et d'espérer. Dans la République laïque, des voix religieuses doivent s'exprimer justement parce qu'elles ne sont pas l'État, qu'elles sont séparées de l'État. C'est justement bien pour cela qu'elles doivent s'exprimer. Parce que si elles étaient l'État, elles n'auraient pas besoin d'être garanties dans leur droit à l'expression. C'est justement parce que l'État est laïc qu'il est indépendant des religions, que le temporel et le spirituel sont séparés, qu'il est important que dans le débat des voix indépendantes spirituelles s'expriment. Je suis pour qu'elles s'expriment, mais je ne suis pas pour qu'elles s'expriment pour dire qu'elles sont d'accord avec ce que je pense. Que l'Église ait un message particulier sur les plus pauvres, sur ceux qui n'ont rien, sur les immigrés... Mais si l'Église ne l'avait pas qui l'aurait ? Je reconnais le droit à la différence, mais je pense que c'est positif que l'on s'exprime. Et je souhaite que les grandes religions y compris la religion de l'Islam de France puissent avoir des voix qui s'expriment tranquillement, avec un message d'amour, un message de paix. Et cela compte pour moi qu'ils puissent s'exprimer. Cela manque les intellectuels chrétiens, cela manque les grandes voix qui portent dans les débats pour faire avancer une société, lui donner du sens et montrer que la vie n'est pas un bien de consommation comme les autres.
QUESTION - Et vous pensez que les décideurs politiques devraient être à l'écoute de ces voix différentes ?
LE PRESIDENT - En tout cas je pense que l'on ne doit pas avoir peur d'aller au contact quand Monseigneur Vingt-Trois a été crée Cardinal, j'ai été moi-même en tant que Président, lui présenter mes félicitations, lui dire combien c'était positif. Il ne faut pas avoir peur des religions, personne n'imagine que les religions vont mettre l'État français sous le boisseau, sous tutelle. Il faut simplement voir les grands courants religieux comme des témoignages d'espérance : qu'est-ce qu'un homme qui croit si ce n'est un homme qui espère ? Et je ne vois pas au nom de quoi l'espérance serait contraire avec l'idéal républicain. J'ai vu avec plaisir que le Pape prenait le thème de l'espérance comme thème premier. Je m'étais laissé aller à écrire un livre en 2004 appelé : « La République, les religions, l'espérance ».
QUESTION - Nous voulions y venir. Si vous voulez je vais vous amener en Europe, on va sortir de France. Vous rencontrerez ce soir Monsieur PRODI et Monsieur ZAPATERO, pour discuter de votre projet d'Union méditerranéenne. Est-ce que vous voulez nous dire quelles seront les limites de cette union, et est-ce que cette union ne risque pas d'affaiblir l'Union européenne ?
LE PRESIDENT - Non. Ecoutez en Europe, il y a 60 ans. Cette Europe reclus de souffrances, d'affrontements, de guerres fratricides, a décidé de s'unir. La question est posée, est-ce que la rive sud et la rive nord de la méditerranée ne doivent pas s'unir ? Est-ce qu'il n'est pas temps d'arrêter les souffrances et les oppositions ? Est-ce qu'il n'est pas temps de construire autour de cette mer Méditerranée qui est notre mer et je le dis en Italie, une zone de paix. De faire de la mer Méditerranée la mer la plus propre au monde ? De créer des sources d'énergie communes entre le Nord et le Sud ? Notamment autour du nucléaire, de créer une zone de développement, d'assurer la paix et la sécurité, de réunir ces peuples qui, de toutes manières ne changeront pas d'adresse, et c'est la grande idée, la grande vision que j'ai de cette Union de la méditerranée, rassembler pour faire la paix. L'Europe s'est rassemblée sur l'acier et sur le charbon, dont on avait besoin pour reconstruire après la guerre et bien la Méditerranée doit se rassembler autour de projets concrets : la paix, le développement, l'écologie, la sécurité, la maîtrise de l'immigration, le dialogue des cultures.
QUESTION - Bien entendu cette Union concernerait tous les pays du pourtour méditerranéen ?
LE PRESIDENT - Bien sûr, on est méditerranéen ou on le l'est pas et je ne vois pas comment on peut porter un message de rassemblement et de paix en excluant tel ou tel.
QUESTION - Vous n'ignorez pas, Monsieur le Président, que certains analystes estiment que ce projet a aussi pour but d'écarter définitivement la candidature de la Turquie à l'Union européenne ou de lui donner une autre forme. Est-ce que vous avez eu l'occasion de parler de votre point de vue concernant la Turquie et l'Union européenne au Vatican et est-ce que vous pensez que votre point de vue rejoint celui du Saint- Siège ?
LE PRESIDENT - Pour ça, je ne suis pas le porte-parole du Saint-Siège mais j'en ai parlé bien sûr avec le Saint-Siège, mais la Turquie n'est pas en Europe. C'est une réalité géographique, la Turquie est en Asie Mineure. Donc il faut des liens très étroits entre la Turquie et l'Europe, la Turquie c'est une grande civilisation, c'est un grand Etat, c'est un grand peuple mais qui n'est pas en Europe. Nous avons encore en Europe les Balkans, c'est l'Europe, et par ailleurs, la Turquie est méditerranéenne. Alors je veux un accord de partenariat entre la Turquie et l'Europe le plus intense possible qui n'est pas une adhésion et bien sûr la Turquie, dans le cadre de l'Union de la Méditerranée a toute sa place. C'est une grande puissance méditerranéenne, en tous cas à ma connaissance, mais ça ne veut pas dire que parce qu'elle est dans l'Union de la méditerranée elle ne doit pas être en Europe. Elle ne doit pas être en Europe de mon point de vue parce qu'elle n'est pas européenne.
QUESTION - Vous parliez tout à l'heure de l'espérance, vous avez écrit en 2004 ce livre « La République, les religions, l'espérance ». Le Saint Père vient de publier sa deuxième encyclique, justement sur le thème de l'espérance, c'est une belle coïncidence, mais qu'en dites-vous ? Ce terme d'espérance....
LE PRESIDENT - Ah, je ne prétends pas qu'il soit inspiré de moi. J'en dis, j'en dis qu'il est plus facile d'espérer que d'être condamné au désespoir et que dans le doute il vaut mieux trouver des raisons d'espérer.
QUESTION - Peut-être j'aurais une dernière question, peut-être plus personnelle, mais dans le cadre diplomatique. La presse quotidienne italienne ou internationale se fait l'écho quotidiennement de votre diplomatie, il semble que vous innoviez, en dehors de la diplomatie bilatérale et multilatérale et que vous utilisiez une diplomatie qu'ils appellent de l'émotion. Au Vatican, du temps de Jean-Paul II, on appelait cela la diplomatie du coeur. Je pense aux infirmières bulgares mais je pense à Ingrid Betancourt en lisant aujourd'hui le communiqué de presse (du Saint Siège), je sais que vous avez parlé des otages avec le Saint-Père. Est-ce que cette défense des droits de l'homme, elle n'a pas de prix pour vous et tout est possible disons...
LE PRESIDENT - La diplomatie du coeur, c'est une belle expression, mais ce n'est pas parce que c'est de la diplomatie qu'il faut y mettre ni sentiment ni coeur. C'est peut-être pour ça que la diplomatie a si souvent échoué et si tout d'un coup on y mettait du coeur et des sentiments. Moi je suis comme je suis et j'essaie d'être authentique, sincère, honnête, vrai et partant je ne vois pas comment on fait de la diplomatie en faisant abstraction de toute forme de sentiment. J'ai remercié le Saint-Père pour ses prières et son message pour qu'Ingrid BETANCOURT sorte de l'enfer où elle se trouve. En ce qui me concerne je mettrai tous mes efforts jusqu'à la dernière seconde pour qu'elle en sorte. Comme j'ai mis tous mes efforts pour que les infirmières en sorte. Appelez cela de l'émotion, je plains beaucoup ceux qui n'en n'ont pas. Parce que sans émotion, on ne fait rien du pouvoir que le peuple vous a confié. Moi, je veux faire quelque chose du pouvoir que l'on m'a confié, ce quelque chose, c'est être utile.
QUESTION - Nous n'avons pas parlé de l'avenir de l'Europe. Je ne sais pas si le temps presse. Nous avons encore une dernière question. L'avenir de l'Europe c'est un thème qui tient à coeur le Pape Benoît XVI et vous nous disiez que vous en avez parlé. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur cet échange.LE PRESIDENT - L'Europe a franchi une grande étape avec le traité simplifié, l'Europe s'est doté d'un groupe des sages, l'Europe doit maintenant mettre du concret. La France assurera la Présidence de l'Europe après nos amis Slovènes, au 1er juillet 2008. La France essaiera de porter l'idée d'une Europe de l'immigration, d'une Europe de la défense et d'une Europe de l'environnement. C'est-à-dire d'une Europe qui ait de grandes ambitions en matière de développement durable. Pour montrer le chemin au monde, il faut que le monde arrête de danser.