14 décembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur l'avenir de la construction européenne, la question du Kosovo, la négociation pour un accord cadre avec la Libye et sur la ratification par le Parlement du Traité de Lisbonne, à Bruxelles le 14 décembre 2007.

Ecoutez, je ferai un bref propos liminaire parce les propos liminaires ne servent à rien. En général, c'est plutôt une satisfaction préparée par tout un tas de spécialistes pour, qu'à l'arrivée, on ne dise pas grand-chose. Je vais me sortir d'un texte qui n'en n'est pas un d'ailleurs, pour vous dire voilà ce que l'on a obtenu d'utile au fond.
D'abord, la création du groupe des Sages. Comme vous le savez, c'était une proposition française qui vient de la conviction qui est la mienne que nous devons réfléchir, à nouveau, au contenu du rêve européen à proposer aux Européens.
Il y a plusieurs décennies, des visionnaires ont imaginé ce que serait l'Europe. Grosso modo depuis le lendemain de la guerre mondiale, la direction que prend l'Europe est la vision d'une Europe politique intégrée avec la réunification du continent. J'ai voulu poser la question de savoir si le rêve européen devait être le même ou s'il devait y en avoir un autre, avec naturellement toute la question de la préférence communautaire, des frontières, etc. Ma conviction est que les chefs d'Etat et de gouvernement ont besoin qu'un groupe, dit "de Sages", réfléchisse à l'horizon 2020-2030 pour savoir quel serait le bon, le nouveau rêve européen. Est-ce que l'on est dans la poursuite de celui du lendemain de la guerre ? Est-ce qu'il en faut un autre ? Le groupe n'a, d'ailleurs, pas forcément à trancher la question. Le groupe peut proposer des alternatives.
Après l'initiative de la France du traité simplifié, il s'agit d'une autre initiative de la France. Ce groupe des Sages est donc décidé, son mandat est précisé. Mieux que cela et c'était aussi une proposition de notre part, le triumvirat qui l'animera a été choisi. Le président sera Felipe Gonzalez. Deux Vice-présidents : Vaira Freiberga et Jorma Ollila, président du groupe NOKIA, feront partis de cette troïka. Il y aura neuf membres, dont je souhaite, en plus de ce triumvirat, qu'ils nous soient proposés par ce triumvirat, de façon à ce que le groupe puisse se mettre au travail en septembre, parce que nous ne voulons pas interférer, du moins le moins possible, avec le processus de ratification qui va maintenant occuper chacun des Etats membres. C'est donc une très bonne nouvelle.
Vous savez que j'avais fait du traité simplifié un premier objectif, puis du groupe des Sages un deuxième objectif. Voici donc que le groupe est désigné, je m'en réjouis profondément.
Deuxième chose que je voudrais vous dire, c'est l'excellence travail de la Commission. Cela ne vous étonnera pas. Nous travaillons main dans la main avec M. Barroso sur l'amorce d'une politique d'immigration européenne que j'appelle de mes voeux. C'est un travail excellent qui a été engagé et soutenu par tous les Etats membres. Et regardez d'où nous venons. C'est extrêmement réjouissant de voir que les positions se rapprochent. Nous sommes arrivés à des conclusions qui vont permettre à la Présidence française, du moins je l'espère, de prendre d'autres initiatives en matière d'immigration. C'est d'autant plus important que nous sommes à un moment où dix nouveaux pays rentrent dans Schengen. Si mes calculs sont exacts, nous avons 22 pays sur 27 dans Schengen, qui abolissent leurs frontières intérieures. Il est évident que plus il y a de pays dans Schengen, plus on doit avoir une politique d'immigration européenne. Cela progresse. Je ne dis pas qu'on a abouti mais ce sera un élément majeur du contenu de la Présidence française.
Je voudrais également me réjouir de la décision que prend l'Europe de négocier un accord-cadre avec la Libye. J'envoie cette carte postale avec un clin d'oeil sympathique à tous ceux qui avaient critiqué l'initiative de la France. Voici que cette initiative est rejointe par la totalité de l'Europe qui considère qu'il faut avoir des relations avec la Libye, compte-tenu des décisions qu'a prises la Libye ces dernières années.
Enfin, je me réjouis profondément que l'Europe ait sauvegardé son unité sur la question du Kosovo, question absolument essentielle. C'est une affaire européenne. L'Europe s'est mise d'accord pour décider le principe de l'envoi d'une force civile. Chacun pouvait craindre qu'il y ait une division de l'Europe. Avec Bernard Kouchner, nous avons beaucoup milité pour que l'Europe prenne une décision, même si les modalités opérationnelles de cette force, le principe en est décidé, et les modalités opérationnelles en seront plus clairement précisées lors du prochain Conseil européen qui doit être fin janvier.
Pour moi, c'était très important au lendemain de la signature du Traité dit de Lisbonne, que l'on mette du contenu dans ce qui a été initié. Parce que le Traité de Lisbonne crée des institutions. C'est capital. On a mis du contenu dans ce Traité. C'est donc une réunion qui a été, sous bien des aspects, très positive.
Mesdames et Messieurs, s'il y a des questions, j'essayerai d'y répondre très volontiers.
Q - Monsieur le Président, je voudrais savoir pour le groupe des Sages, qui est une idée française, si vous comptez demander à ce groupe des Sages ou si vous attendez de ce groupe qu'il parle de la Turquie, des frontières. Ce groupe des Sages peut-il en parler d'après le mandat qui lui a été donné? Y a t-il eu un accord là-dessus dans votre esprit ?
R - L'accord que nous avons eu, c'est que le groupe des Sages ne parle pas des institutions, puisque l'on ne doit pas rouvrir le débat institutionnel. Il n'est pas là pour cela. Nous n'allons pas compliquer la tâche de nos amis britanniques de surcroît. Le groupe des Sages ne parlera pas du contenu des politiques spécifiques, politiques agricoles, même des perspectives financières, ce n'est pas son problème. Le problème du groupe des Sages est de réfléchir aux possibilités d'un nouveau rêve européen à l'horizon 2020-2030. Dans ce nouveau rêve européen, se posera forcément la question des frontières. Ce n'est pas simplement la question de la Turquie, c'est la question des frontières.
Faut-il que l'Europe se dote de frontières ou pas ? Doit-elle s'élargir indéfiniment ? Et si elle s'élargit, quelles conséquences cela peut avoir ? C'est la question du groupe des Sages. C'est évident. A partir de ce moment-là, s'imposera certainement la question : est-ce que l'on continue sur une Europe politique intégrée, ce qui est ma position, ou est-ce que l'on fait un autre choix car il est bien évident que plus on élargira l'Europe, plus se posera la question de son intégration ? Il y aura bien un moment donné où il faudra regarder les choses en face et se demander s'il y a contradiction ou pas entre intégration et élargissement, c'est sûr, même si la France n'est pas opposée à l'élargissement à l'ensemble des pays de l'Europe.
Donc la question fait bien sûr partie de la réflexion sur l'avenir de l'Europe.
Q - Monsieur le Président, Carla Del Ponte, avant de partir, de quitter son poste de Procureur du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, appelle les Européens à rester fermes sur la Serbie. Elle s'inquiète que l'Europe fasse passer la politique avant la justice et que l'on laisse tomber, en quelque sorte, l'arrestation du général Mladic. Elle se dit stupéfaite notamment de l'attitude de la France qui a assoupli sa position. Est-ce que Mme Del Ponte a raison ou a-t-elle tort d'être inquiète ?
R - Je ne comprends même pas ce que cela veut dire, faire passer la politique avant la justice. Je suis désolé, la décision de la création du tribunal, c'était une décision profondément politique. Cela n'a pas de sens. La justice est dans un Etat démocratique, c'est donc une décision profondément politique. Qu'est-ce que cela veut dire ? J'en ai vu des idées qui n'avaient aucun sérieux, mais alors celle-là! La justice après la politique, ah bon ? Je ne comprends même pas.
La question qui nous est posée, est très simple, la France ne cède pas sur ses principes. On a une difficulté avec le Kosovo, dont chacun voit bien que l'indépendance est inéluctable, avec une force des Nations unies qui se trouve au Kosovo, avec une Serbie qui ne doit pas être condamnée à l'isolement et au désespoir. Parce qu'à partir de ce moment-là, on va créer les conditions d'un affrontement entre les uns et les autres. C'est quand même une question. Et l'Europe et la France peuvent adresser un signal positif à la Serbie en disant : portez-vous candidat et votre place, à terme, sera acquise lorsque vous aurez satisfait à toutes les conditions et au respect des droits de l'Homme £ c'est une des conditions. Plutôt, qu'est-ce que vous voulez que l'on dise ? Que le Kosovo proclame son indépendance unilatéralement et que la Serbie est vouée à l'hégémonie ? Si c'est cela que l'on veut, alors vous verrez que l'on fera passer et la politique et la justice, derrière quoi, derrière la guerre. Il faut réfléchir de temps en temps, ce n'est quand même pas interdit la réflexion. On essaie de rassembler les gens, pas de les diviser. On essaie de trouver une voie de passage.
Qui ne voit qu'entre le Kosovo et la Serbie, cela ne peut plus fonctionner. Ce n'est pas de notre faute. Ce n'est pas la France qu'il faut accuser. La France a fait son travail, son devoir. Bernard Kouchner y a passé deux ans, il y a des soldats français qui s'y trouvent. La France, peut-être plus que d'autres, a pris ses responsabilités. Le Tribunal pénal international, la France a été l'un des premiers pays à le ratifier. J'ai moi-même toujours soutenu le TPI. Ne confondons pas la recherche de criminels de guerre, ou suspectés comme tels, et la possibilité pour un pays comme la Serbie d'adhérer un jour à l'Union européenne.
On a le droit, en Europe et en France, d'avoir des convictions sans immédiatement être mis au pilori de non-respect des Droits de l'Homme. Quel est le rapport ? Il y a un TPI que la France a toujours soutenu et continue de soutenir et puis il y a un peuple, qui est le peuple serbe, qui ne doit pas être condamné à se dire : mais si on reconnaît l'indépendance du Kosovo, ce qui est de facto le cas, il y n'y a aucun espoir et aucun avenir pour eux.
Ecoutez, cela me paraît utile de dire cela. Cela n'a rien à voir avec le reste. Si Mme Del Ponte n'est que stupéfaite de cela, franchement, son indignation est tranquille. Voilà, on soutient tout à fait la recherche des criminels de guerre et tout à fait le TPI.
Mais en même temps, c'est toute l'Europe qui dit à la Serbie : si vous êtes candidat, si vous satisfaites aux conditions, si vous respectez les Droits de l'Homme, si vous vous intégrez économiquement, si vous respectez l'indépendance du Kosovo, eh bien vous avez un avenir dans la famille.
Ces positions intolérantes de tout le monde, certains de sa conviction et que l'autre en face ne dit que des bêtises, que des mensonges, c'est insupportable. L'Europe, c'est aussi comprendre l'autre et ses problèmes. Nous avons une affaire, excusez du peu, extraordinairement difficile à gérer, et c'est une affaire européenne.
Ce que nous avons fait valoir, avec Bernard Kouchner, c'est que ce n'était pas aux Russes, que ce n'était pas aux Américains de régler la question du Kosovo, c'était aux Européens. Mais chacun conviendra que pour régler la question du Kosovo, le problème de la Serbie se pose aussi, ou alors ce n'est pas la même région et ce n'est pas la même histoire, et on n'a pas étudié les mêmes dossiers. Si vous dites -ce qui est la position de la France- l'indépendance du Kosovo est inéluctable et si on ne dit rien aux Serbes, est-ce que vous croyez que l'on a fait progresser les choses ? Il faut essayer d'apaiser et non pas, sans arrêt, de jeter de l'huile sur le feu. On peut défendre l'idée qu'un jour la Serbie, si elle satisfait aux conditions, rentrera en Europe sans pour autant vouloir exonérer un certain nombre de personnes suspectées d'être des criminels de guerre de l'avoir fait et de rendre des comptes dans le TPI.
Q - Monsieur le Président, toujours sur cette indépendance inéluctable du Kosovo, la majorité des dirigeants européens considère que finalement, il s'agit d'un cas d'espèce unique, d'un cas sui generis...
R - C'est très important, c'est dans le texte.
Q - ... Position qui n'est pas forcément partagée par l'ensemble de la communauté internationale. D'ailleurs, même en France, M. Chevènement considère que vous ouvrez un petit peu la boîte de Pandore, pour revenir à la réunion du Conseil de sécurité dans quelques jours...
R - ... Si M. Chevènement n'est pas d'accord, c'est déjà un bon signe. Franchement, compte tenu du nombre d'erreurs assez colossales accumulées, c'est quand même un bon signe.
Q - Comment allez-vous convaincre au Conseil de sécurité, dans quelques jours, Moscou et M. Vladimir Poutine, qu'il ne s'agit pas d'un précédent en matière de droit international ?
R - D'abord, il y a une situation de fait, que vous connaissez parfaitement bien, les Kosovars et les Serbes ne veulent plus vivre ensemble. L'Europe a fait tout ce qu'il était possible de faire pour rapprocher les points de vue. Il y a une troïka. On a multiplié les efforts. On a tout essayé, y compris lorsque j'étais à Moscou, d'expliquer à M. Poutine qu'une solution confédérale serait une bonne solution. Regardons les choses telles qu'elles sont. Cela a échoué. La troïka a échoué. On fait tout ce que l'on peut. Le Finlandais a échoué. Tout a échoué. Maintenant, M. Chevènement peut dire ce qu'il veut, les Kosovars et les Serbes ne veulent plus vivre ensemble. La Yougoslavie, cela n'existe plus, de même que l'Union soviétique. Yalta, c'est fini. J'avais d'ailleurs eu l'occasion de le dire à mes interlocuteurs, notamment à M. Poutine. C'est une réalité. Qu'est-ce que l'on fait avec cela ? Est-ce qu'on laisse les gens s'entretuer ?
Pendant des années, on a envoyé une force militaire qui faisait quoi ? De l'interposition, en vérité, pour éviter que les gens ne s'entretuent. Et nous disons, ce n'est pas l'affaire de M. Poutine qui peut avoir des amis, ce n'est pas l'affaire de M. Bush qui peut avoir des amis. C'est l'affaire des Européens, parce qu'on est en Europe. Il n'est pas absurde que l'Europe ait une position politique sur ce sujet. Qu'est-ce que cela veut dire ouvrir la boîte de Pandore ? C'est quand même pas parce que l'Europe va reconnaître l'indépendance inéluctable du Kosovo, ce n'est quand même pas nous qui sommes responsables du fait que les Serbes et les Kosovars ne veulent plus vivre ensemble. De même que l'on n'est pas responsable de ce qui s'est passé avec la Bosnie-Herzégovine, avec la Slovénie, avec l'ensemble de ce qui constituait l'ancienne Yougoslavie. Cela n'existe plus. On ne peut pas faire revenir le maréchal Tito. Il faut prévenir, notamment en France, M. Chevènement. C'est fini, cela.
Nous, on a à gérer l'Europe de 2007 et si possible l'Europe de 2020, pas l'Europe de 1945 sur laquelle, d'ailleurs, il y aurait beaucoup de choses à dire. C'est un débat historique qui est extrêmement intéressant. A partir de ce moment-là, nous essayons, nous avons mis dans le texte, vous avez parfaitement raison, l'expression "sui generis". Pourquoi ? Parce que cela serait tellement facile pour ceux qui ne veulent pas que l'on règle les problèmes, de dire "ne touchez pas ce problème, cela va créer des difficultés ailleurs". Mais c'est à ce titre que 80 millions d'Européens de l'Est n'ont pas connu la liberté pendant cinquante ans. C'est exactement cela, le même problème.
On essaye de résoudre les difficultés de notre famille européenne en disant : ce n'est pas parce que l'on règle ce problème là que l'on ouvre un front en Ossétie. C'est un autre problème, c'est une autre question. Et, comme la politique cela compte, on l'a précisé "expressis verbis". Parce que, qu'est-ce que l'on peut dire ? On peut dire que le Kosovo, c'est la dernière étape d'un processus de désagrégation de ce qui était quand même un pays, entre guillemets, artificiel, je veux dire la Yougoslavie, qui a pu tenir dans des conditions historiques bien précises qui étaient les conséquences de la guerre des deux blocs et de l'ensemble de l'histoire que vous connaissez. C'est exactement comme si vous disiez : la Croatie n'avait pas le droit à l'indépendance, la Slovénie n'avait pas le droit à l'indépendance, la Bosnie-Herzégovine n'avait pas le droit à l'indépendance, la Serbie n'avait pas droit à l'indépendance. Qu'est-ce qu'il reste ? Il reste le Kosovo et c'est ce que l'on essaye de résoudre. On essaye de le résoudre entre Européens, mais après je ne porte pas de jugement, mais on essaye de résoudre le problème, parce que le problème, il est là.
La vérité, c'est soit on fait quelque chose et on a une chance d'éviter le maximum de drames, soit on ne fait rien et on aura le maximum de drames.
Q - Monsieur le Président, pensez-vous qu'il y ait un risque sérieux et important que d'autres régions, dans les Balkans, demandent le droit à l'autodétermination. Comment, Monsieur le Président, expliqueriez-vous aux gens, par exemple, que la République serbe de Bosnie, qu'eux ne disposent pas du même droit à l'autodétermination comme le Kosovo, par exemple ?
R - D'abord, il va y avoir des élections en Serbie et je ne ferai rien qui complique la tâche de ces élections, de ceux qui sont candidats à ces élections et de certains d'entre eux qui ont un discours plus apaisant que d'autres. Sans me mêler de la politique serbe, vous voyez parfaitement ce que je veux dire. Et si nous avons demandé du temps, parce qu'avec Bernard Kouchner, nous n'avons cessé de dire : allez, donnons-nous un peu de temps. On a arrêté les négociations, cela ne sert à rien, mais on a demandé un peu de temps, parce que j'ai le calendrier en tête, fin janvier, début février, qui est une étape importante pour la Serbie. Il y a un problème qui est un problème extrêmement aigu, qu'il nous faut régler en évitant les effusions de sang. C'est ce que nous avons décidé : l'Europe unie. Cela, c'est colossal. J'ajoute que la force civile que nous allons envoyer sera extrêmement importante et, de mon point de vue, restera plus longtemps qu'on ne le croit. Cela demandera beaucoup de moyens. C'est une décision qui a été prise aujourd'hui. Notre objectif, à Bernard Kouchner et à moi, c'était que l'Europe n'explose pas. C'est quand même une très bonne nouvelle.
Pour le reste, je n'ignore pas que l'Europe, c'est compliqué, qu'il y a des sous-régions, des régions et des problèmes. On commence à régler un problème colossal qui aurait pu faire exploser l'Europe. Eh bien, bonne nouvelle, l'Europe n'a pas explosé ! Moi, je comprends parfaitement les problèmes de Chypre, parfaitement, cela fait 25 ans qu'on a les Casques bleus. Les problèmes des Bulgares, les problèmes des Roumains, on peut parfaitement comprendre cela. Je peux même comprendre le problème des Hollandais qui ont le Tribunal pénal international. Malgré cela, on est resté unis. Malgré cela, on a pris une décision. Malgré cela, l'Europe a progressé. Ce n'est pas si mal, et la France y a joué un rôle. Je ne réponds plus à cette question, j'ai déjà beaucoup à faire avec mes collègues européens sur le problème du Kosovo. Cela n'épuise pas le débat sur les nationalités. Cela, c'est sûr. Je vous en donne acte et vous avez raison. Cela ne l'épuise pas. De même pour le président espagnol, cela pouvait lui poser un problème avec la question basque. Malgré tout, on a surmonté cela. Cela n'épuise pas la question, vous avez raison, en même temps, on ne peut pas considérer qu'il ne s'est rien passé depuis la chute du mur de Berlin.
Q - Monsieur le Président, vous venez de faire allusion au problème de Chypre, ici. Comment peut-on s'assurer que Chypre reste dans le bateau européen ? Avez-vous des contacts avec le gouvernement de Chypre ?
R - Je vous raconte ce que l'on a fait aujourd'hui, ce n'est déjà pas si mal, quand même. Il y a encore du travail, il y a un agenda, il y a des dossiers, il y a les questions. D'abord, je ne suis pas omniscient, je n'ai pas des idées sur tout. Il y a bien des problèmes qui restent. J'ai simplement voulu dire par là qu'un certain nombre de pays, avec les conseils et l'amitié de la France, ont dû faire des efforts, ce que je comprends parfaitement. En plus, on prépare avec Bernard Kouchner, la Présidence française. J'attire votre attention, parce qu'une Présidence dans le système européen, surtout au moment elle sera passée, cela oblige à trouver des compromis et à rassembler. C'est ce que l'on essaye de faire et je comprends les problèmes qui se sont exprimés autour de la table. S'agissant de toutes les autres questions qui restent, croyez bien que l'agenda de la Présidence slovène puis de la Présidence française sera bien chargé.
Q - Vous rappeliez la décision de l'Europe de négocier un accord cadre avec la Libye. Justement, aujourd'hui que la visite de M. Kadhafi touche à sa fin à Paris, quel bilan en tirez-vous ?
R - J'observe qu'il se rend en Espagne, dans un gouvernement socialiste. Cela ne doit pas marcher très bien l'internationale socialiste européenne, parce que, franchement, voilà. Moi, j'ai fait ce que j'ai cru devoir faire, c'est-à-dire éviter de toute force un affrontement entre le monde musulman et le monde occidental, parce que si l'on traite de la même façon quelqu'un qui fait le chemin de l'abandon du terrorisme, de l'abandon de l'arme nucléaire, si on le traite de la même façon que ceux qui continuent à vouloir le terrorisme et l'arme nucléaire, alors on se met dans une situation de guerre des civilisations qui est la pire des solutions pour le monde et pour sa stabilité. Si 26 autres pays proposent un accord cadre à la Libye, c'est que je ne dois pas être le seul à partager cette opinion. Il y a autour de la table des gens du nord et des gens du sud, des gens de l'est et des gens de l'ouest, des socialistes, des conservateurs, des gens de gauche et des gens de droite. Ils font tous la même analyse. Cela doit quand même amener à réfléchir sur ces questions. J'ajoute que j'ai été très ému de recevoir, hier, l'association des victimes du DC 10 d'UTA, qui m'ont dit : "cette visite était douloureuse pour nous, mais elle était nécessaire". Et je voudrais lancer cet exemple de dignité et de responsabilité à tous ceux qui ont réagi avec excès et sans responsabilité. Je les ai reçus longuement et c'était d'ailleurs quelque chose de très émouvant.
Q - Monsieur le Président, quels sont les détails que l'on peut avoir sur cet accord cadre entre la Libye et l'Union européenne ? C'est un accord de quel type et il va porter sur quel domaine ?
R - La proposition de l'Union européenne c'est d'ouvrir des négociations pour négocier un accord cadre, pour le coup, c'est la décision politique qui est intéressante. L'accord cadre n'est pas rédigé, c'est une volonté politique de proposer cet accord cadre. D'ailleurs, je vous renvoie aux conclusions du Conseil.
Q - La question du Tchad, est-ce que vous l'avez évoquée, est-ce que vous avez trouvé des solutions pour permettre le déploiement des forces européennes ?
R - Bernard Kouchner, avec beaucoup de détermination, continue à grappiller les hélicoptères les uns après les autres et cela progresse, et elle se déploiera. Je précise par ailleurs que j'ai eu avec Bernard Kouchner un long entretien avec le président Deby hier et que je verrai l'association des familles de l'Arche de Zoé ce soir pour leur faire un point de la situation.
Q - Jean-Claude Juncker se dit convaincu que la croissance en Europe va être ralentie par la crise financière actuelle, est-ce qu'il en a été question ?
R - Non, il n'en a pas été question en détail aujourd'hui même si Gordon Brown et Angela Merkel et moi avons pris - enfin il y a quelques semaines - des initiatives pour demander plus de transparence et plus de régulation mais écoutez, on réfléchit pour prendre d'autres initiatives le moment venu.
Q - Avez-vous évoqué le projet d'Union Méditerranéenne ?
R - Non, le projet d'Union Méditerranéenne n'a pas été évoqué dans ce cadre là, mais j'aurai l'occasion de l'évoquer dès la semaine prochaine dans une visite. Après ma visite au Vatican, je me rendrai à Rome pour un dîner avec MM. Prodi et Zapatero, de façon à faire progresser cette Union de la Méditerranée dont vous savez toute l'importance que j'y attache.
Q - Deux questions pour vous détendre.
R - Venant de Libération cela ne peut qu'être une bonne surprise !
Q - A propos du Traité de Lisbonne, il ne vous a pas échappé qu'un peu plus de 80 parlementaires français réclament à nouveau un référendum ainsi qu'un certain nombre d'acteurs de la société civile. Je voudrais savoir s'ils ont une chance, une seule chance, d'obtenir satisfaction sur cette demande.
R - Aucune. Je vais m'en expliquer, c'est très simple. Si l'on veut casser l'Europe, il faut le faire. On avait déjà eu M. Fabius qui s'y était exercé avec un certain talent. Moi, pendant la campagne électorale, j'étais d'une honnêteté totale. J'ai beaucoup de défauts mais pas l'hypocrisie. J'étais très franc, je l'ai dit, y compris pendant la campagne électorale, y compris pendant le débat qui m'a opposé à Madame Royal. J'ai dit que si j'étais élu, si les Français me faisaient confiance, j'essaierai à toute force de remettre la France au centre de l'Europe parce que, franchement, notre influence n'avait pas grandi à la suite de ce qui s'était passé. Vous êtes des spécialistes, vous suivez ces questions-là, vous pouvez en porter témoignage. D'ailleurs, non seulement j'ai porté l'idée du traité simplifié et M. Quatremer s'en souvient certainement, c'était en juillet à Bruxelles, j'étais le premier à porter cette idée, et deuxièmement cela s'est débloqué parce que la France a dit que l'on ferait une ratification parlementaire.
Un pays comme l'Espagne, auquel je veux rendre hommage, a ratifié la constitution de M. Giscard d'Estaing par référendum, a dit oui et ne s'est pas opposé au traité simplifié. Il faut quand même que chacun fasse un effort, c'est pourquoi j'ai mis, au nom de la France, sur la table, l'idée que la ratification serait parlementaire. Rappelez-vous des 18 - la réunion qui était celle de Madrid -, rappelez-vous pour la première fois une réunion qui se passe sans la France, totalement isolée. J'ai pris cet engagement-là.
J'ajoute, pour ceux qui veulent réfléchir, que si la France devait organiser un référendum, à la minute où la France le fait, la Grande-Bretagne le fait, et quelle est la chance que la Grande-Bretagne ait un oui ? Et à ce moment-là, à quoi ça aurait servi de faire le traité simplifié qui doit être ratifié à l'unanimité pour entrer en vigueur ?
Donc j'ai reçu un mandat des Français et je n'ai pas été hypocrite, j'ai été franc. J'ajoute que je crois profondément au référendum, mais alors un référendum sur le traité simplifié, alors franchement, c'est la mauvaise idée par construction. On a fait un référendum sur Maastricht, il y avait une seule idée, la monnaie unique, l'abandon du franc, ce n'était pas rien. Le référendum était parfaitement justifié. Aujourd'hui, faire un référendum sur le traité simplifié dont la quasi-totalité des mesures qui sont dedans ont fait l'objet d'un consensus, y compris de la part de ceux qui demandent un référendum aujourd'hui, non je ne le ferai pas.
Voilà, je prends mes responsabilités de président de la République. Vous savez, quand vous êtes président, vous devez prendre des responsabilités et, à un moment donné, vous devez conduire le pays qui vous a fait confiance. Vous devez rendre des comptes et conduire le pays. Moi, je suis profondément européen et je ne serai pas celui qui isolera la France de l'Europe. Et je ne serai pas celui qui portera un message de division en Europe. J'ai mes convictions, il m'est arrivé de dire ce que je pensais sur l'euro fort, sur les délocalisations, sur les négociations commerciales, sur la réciprocité, sur la Turquie, et sur un certain nombre de sujets, mais je le dis comme je le pense, je suis profondément européen. On a besoin de l'Europe, on a d'ailleurs besoin de la Grande-Bretagne en Europe, et ce n'est pas maintenant que l'on a remis l'Europe sur les rails qu'il faut s'amuser à recasser ce que, par ailleurs, on a eu tant de mal à raccommoder.
Q - Concernant la Belgique, où nous nous trouvons, vous savez que depuis six mois, ce pays n'arrive pas à constituer un gouvernement. Vous ne craignez, pas parce qu'il y a une mésentente, vous le savez entre les Flamands et les francophones, vous ne craigniez pas qu'il y ait un précédent fâcheux constitué avec le Kosovo, que ça puisse donner des idées ?
R - Vous allez le chercher loin celui-là...
Q - Je savais que j'allais vous détendre...
R - Non mais, écoutez franchement, d'abord c'est une affaire sérieuse et la position de la France, c'est de souhaiter que la Belgique, qui est un grand pays voisin et ami, surmonte ses difficultés. C'est la position qui est la nôtre. Et nous ne voulons en aucun cas interférer. Enfin, le problème entre les Flamands et Wallons, d'après ce que j'ai compris, n'a rien à voir avec la question du Kosovo, mais avec un sentiment différencié des progrès de l'un et de l'autre, de la situation financière de l'un et de l'autre.
Cette crise rentre dans son 7ème mois. M. Verhofstadt, qui a été Premier ministre depuis 8 ans et demi, s'est vu confier une nouvelle mission par le Roi, ce qui lui a profité puisqu'il est devenu instantanément l'homme politique le plus populaire dans les trois régions, puisqu'il faut rajouter aux Flamands, aux Wallons, Bruxelles qui est une région à part entière. La France lui souhaite le meilleur succès et la France ne se réjouit jamais des difficultés de ses amis.
Q - Je voulais savoir si vous avez eu l'occasion d'aborder avec M. Prodi la question Air France-Alitalia ?
R - Non, mais sans doute que l'on aura l'occasion d'en parler, non pas là, mais lors de ma visite à Rome. Je suis très heureux de rendre visite au Pape, d'abord au Vatican et je lui lancerai d'ailleurs une invitation à venir en France, notamment à Paris et pas simplement à Lourdes - mais s'il veut aller à Lourdes, bien sûr ! Deuxièmement, s'agissant des rapports avec l'Italie, nous avons eu un très bon sommet franco-italien avec M. Prodi à Nice, c'était vraiment très sympathique. Sur le fond, c'était utile et sur la forme, c'était extrêmement sympathique. Nous allons discuter de cette question-là, bien sûr, mais nous n'en n'avons pas parlé aujourd'hui. Vous savez, nous avons eu un agenda assez chargé, cela n'a pas été très simple. Peut-être une dernière question ?
Q - Monsieur le Président, hormis la Libye, a-t-il été question du monde arabe et notamment du Liban et de l'attentat qui a coûté la vie à M. François El Hajj ?
R - Ecoutez, il n'en a pas été question, mais sur cet attentat, nous avons adopté sans discussion, tellement cela faisait consensus les conclusions du Sommet. Vous savez, il y a un texte avec 86 points à l'ordre du jour et nous ne parlons des points que lorsqu'ils provoquent division entre nous. Il y avait consensus sur le Liban. Nous condamnons avec la plus grande force cet assassinat lâche visant à déstabiliser, une nouvelle fois, ce malheureux Liban. Lundi, c'est vraiment le jour de la dernière chance et la France appelle toutes les parties internes et externes à faire en sorte que l'on puisse se doter d'un président de rassemblement et de consensus. Je le dis vraiment, la France s'est engagée comme aucun autre pays, à aider le Liban à se sortir de ses difficultés. Bernard Kouchner y est allé un nombre de fois incalculable, mais vraiment, lundi, c'est la dernière chance et ceux qui prendraient la responsabilité de tuer cette chance, il faut bien qu'ils sachent qu'ils se couperont définitivement d'un certain nombre de pays, au premier rang desquels se trouve la France. Je crois qu'il faut parler mais il y a un moment où faits et décisions parlent pour vous et, ce moment-là, il approche vraiment.
Q - Je voulais savoir sur l'Iran, si la proposition française de sanctions renforcées est encore sur la table.
R - Le texte sur l'Iran est un texte de consensus que nous avons accepté et qui n'a pas fait l'objet de difficultés et donc, nous n'avons pas eu un débat approfondi sur le sujet, si ce n'est le texte des conclusions qui est à votre disposition.
Je vous remercie infiniment pour cette conférence de presse et je vous souhaite un bon Noël si je ne vous revois pas avant.