10 décembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Point de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la visite en France du Colonel Mouammar Kadhafi, notamment concernant la question des droits de l'homme et des contrats négociés avec la Libye, à Paris le 10 décembre 2007.

Mesdames et Messieurs, bonjour.
Je voudrais vous dire dans quel état d'esprit la France reçoit aujourd'hui le président Kadhafi.
La France reçoit un chef d'Etat qui a choisi de renoncer définitivement à la possession de l'arme nucléaire.
La France reçoit un chef d'Etat qui a choisi de rendre les stocks sous le contrôle des organisations internationales.
La France reçoit un chef d'Etat qui a choisi de renoncer définitivement au terrorisme.
La France reçoit un chef d'Etat qui a choisi d'indemniser les victimes. Je recevrai, d'ailleurs, les associations de victimes. Et j'ai, d'ores et déjà, eu l'occasion de dire au président Kadhafi qu'il faudrait régler ce que la partie libyenne s'est engagée à faire, les derniers éléments du litige qui restent en cours de discussion.
La France reçoit un chef d'Etat qui a choisi de libérer les infirmières bulgares détenues pendant plus de huit années. Je voudrais d'ailleurs dire à ceux qui font des commentaires sans savoir que, si la France n'avait pas conduit l'action qu'elle a conduite, ces malheureuses seraient toujours retenues aujourd'hui.
C'est la France qui a demandé la libération et qui a négocié, avec l'Union européenne, cette libération et qui l'a obtenue.
J'ajoute que ma conviction, la plus profonde, est que la France doit parler avec tous ceux qui veulent trouver le chemin de la respectabilité et de la réintégration dans la communauté internationale. Il faut encourager ceux qui tournent le dos au terrorisme. Il faut encourager ceux qui tournent le dos à la possession de l'arme nucléaire. Et je peux témoigner de la collaboration des services français avec les services libyens pendant les quatre années où j'étais ministre de l'Intérieur. J'ai dit au président Kadhafi, combien il fallait continuer à progresser sur le chemin des Droits de l'Homme dans tous ses aspects, tout ce qu'il restait à faire. Mais à l'inverse, que dirions-nous aujourd'hui aux dirigeants iraniens si nous ne tendions pas la main au dirigeant libyen qui a choisi lui-même de tourner le dos à l'arme nucléaire et au terrorisme ? J'aimerais que chacun réfléchisse à cela, loin de toute polémique. Si vous avez des questions à me poser, j'y répondrai bien volontiers.
Q - Monsieur le Président, la secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme s'est exprimée ce matin dans la presse. Elle est manifestement hostile à la venue de M. Kadhafi ?
R - Non, pas du tout. Vous savez la confiance et l'amitié que j'ai pour Rama Yade. Elle était à mes côtés à Tripoli lorsque la France a indiqué au président Kadhafi qu'elle le recevrait en France après la libération des infirmières. Et Rama Yade a confirmé, par ailleurs, depuis, combien elle était en accord avec le principe de cette visite. Par ailleurs, elle est secrétaire d'État aux Droits de l'Homme et c'est parfaitement normal qu'elle assure une conviction sur le sujet que par ailleurs, je partage et que j'ai rappelée au président libyen.
J'aimerais d'ailleurs que l'on m'explique comment on peut faire progresser toutes ces questions sans discuter avec les gens. Quant à tous les autres qui donnent des leçons cela ne les empêchait pas d'aller en Libye alors même que les infirmières étaient en prison. J'ai dit, président nouvellement élu, que je n'irai en Libye qu'à la minute où les infirmières seraient sorties de prison. La défense des droits de l'Homme, ce n'est pas des pétitions de principe entre soi, ce sont des résultats. Aujourd'hui, les infirmières sont libres, le président Kadhafi a tourné le dos à l'armement nucléaire et au terrorisme et c'est en cela qu'il doit être encouragé pour que la Libye redevienne membre de la communauté internationale.
Q - Quels sont les contrats négociés ?
R - Les contrats, nous les signerons dans quelques heures puisque je recevrai à nouveau la partie libyenne à 19 heures. Ce sont des contrats extrêmement importants et d'ailleurs, de ce point de vue, je voudrais préciser les choses. Lorsque je suis devenu président de la République, chacun pointait le déficit de la balance du commerce extérieur français en disant que l'un des problèmes de notre économie, c'est que nous étions en déficit là où les Allemands étaient en crédit. Ils devaient donc bien vendre des contrats à des pays à qui on ne vendait plus. Je demande aux Français de faire le compte, s'agissant notamment de l'industrie française. Je suis parti au Maroc, nous avons ramené 3 milliards de contrats pour les entreprises françaises. Je suis parti en Chine, nous avons ramené 20 milliards d'euros de contrats pour les usines françaises. Je suis parti en Algérie, nous avons ramené 5 milliards de contrats pour les usines françaises, pour l'emploi et pour la croissance française. Et je vais signer des contrats pour une dizaine de milliards avec la partie libyenne. C'est pour l'emploi et la croissance des Français.
Que les choses soient claires, je suis là aussi pour me battre aux côtés des entreprises et des usines françaises, pour que nous ayons les contrats et les commandes que les autres étaient tellement contents d'avoir à notre place, sans rien renoncer de mes convictions en matière de droits de l'Homme. Sur ce sujet, j'aimerais dire une chose : le soir de mon élection j'ai pris devant les Français un engagement : celui de considérer les infirmières bulgares et le médecin palestinien comme des Français de coeur et de les sortir de là où ils étaient. J'ai tenu ma promesse. J'ai pris un autre engagement : celui de sortir Ingrid Betancourt de son enfer. Et depuis sept mois, qui se bat chaque jour pour qu'Ingrid Betancourt soit libérée si ce n'est la France ? Et je ne regrette pas d'avoir reçu le président Chavez, de discuter avec le président Uribe et d'avoir lancé un appel aux FARC, car c'est bien beau les leçons de droit de l'Homme et les postures entre le Café de Flore et le Zénith, mais ces postures, elles ont laissé pendant huit ans ces malheureuses infirmières et depuis cinq ans et demi Mme Betancourt.
C'est bien beau le principe qui consiste à ne pas se mouiller, à ne prendre aucun risque, à rester sur son quant à soi, à ne discuter avec personne, à être tellement certain de tout ce à quoi on pense en prenant son café-crème boulevard Saint-Germain. Ce n'est pas ce que je souhaite et ce n'est pas comme ça que je veux défendre les droits de l'Homme. J'ajoute un mot : je n'ai pas le souvenir d'un président de la République française qui, dans une conférence de presse avec le président chinois, ait demandé aux Chinois de renoncer à la peine de mort et ait demandé aux Chinois de donner aux journalistes des droits de circuler librement au-delà des Jeux Olympiques et ait demandé à la Chine de ratifier les pactes civils et politiques de l'ONU. En général, ces discussions étaient discrètes. On vous disait qu'on en parlait sans que jamais personne ne puisse savoir si on en parlait vraiment. Je l'ai fait publiquement.
Q - Pour encourager les libyens qu'est-ce que la France propose exactement ?
R - La France signera des contrats de collaboration pour une usine de dessalement de l'eau de mer avec un réacteur nucléaire, pour une coopération en matière d'armement et différents contrats économiques. Et puis surtout, il faut que tous les pays dans le monde qui seraient tentés d'avoir recours à l'arme nucléaire comprennent que la communauté internationale ne traite pas de la même façon celui qui va dans le bon chemin, celui vers la respectabilité, et celui qui reste dans le mauvais chemin, c'est-à-dire celui qui se met en dehors de la communauté internationale. Si vous traitez de la même façon un Etat qui va du soutien au terrorisme vers le renoncement au terrorisme, alors pourquoi voudriez-vous que d'autres Etats comprennent qu'ils ont intérêt à aller vers la respectabilité ? Et je pense même aux victimes du DC 10 d'UTA : comment pourrais-je solder la totalité du contentieux si je ne discute pas avec M. Kadhafi ? Et comment libérer les infirmières si on ne discute pas avec M. Kadhafi ? C'est le problème éternel : est-ce que l'on reste chez soi tranquillement assis les bras croisés en attendant que ça s'arrange ? Mais ça ne s'arrange pas si on ne prend pas le taureau par les cornes, les problèmes tels qu'ils se posent, ça s'arrange quand on va au contact, quand on fait oeuvre de conviction. Et j'ai dit au président Kadhafi dans ma visite du mois de juillet à Tripoli qu'à partir du moment où la Libye faisait le choix d'aller vers la réintégration dans la communauté internationale, la France l'aiderait. Enfin, je vais vous dire une dernière chose, la semaine dernière j'ai dû me justifier de ne pas être l'élu du lobby juif comme on me l'a élégamment reproché. Et voici qu'aujourd'hui, un journal titre : "Mon ami Kadhafi". Dites donc, je suis le champion du monde du grand écart, alors ?
Voici qu'il y a quelques semaines, on m'accusait d'être aligné sur la politique des Etats-Unis et voici que, ce soir, on m'accuserait d'en être éloigné. La vérité, c'est que la France parle à tout le monde, à partir du moment où ses interlocuteurs sont prêts à faire le chemin vers la respectabilité et vers la réintégration de la communauté internationale. Et c'est le devoir de la France d'agir comme cela. D'être un pays libre et par ailleurs si, de surcroît, je peux libérer des gens et soulager leur peine et gagner des milliards d'euros de contrats pour les ouvriers et la croissance française, j'aimerai que l'on m'indique pourquoi je ne devrais pas le faire, alors que les autres le font. Enfin, un dernier point, à tous ceux qui sont allés à Tripoli, à l'époque où les infirmières étaient emprisonnées, pas un seul Etat démocratique n'y a envoyé qui de son ministre des Affaires Etrangères, qui son chef de gouvernement, qui son président, qui à la fin de la visite, disait discrètement : "n'oubliez pas les infirmières" mais ne repartait pas avec. J'ai dit au président Kadhafi clairement, je ne viendrai en tant que président qu'à la minute où les infirmières seront libérées et peut être que cela a changé le cours du destin de ses malheureuses. J'aimerai d'ailleurs que l'on m'indique quelle est la différence entre me rendre à Tripoli pour libérer les infirmières et recevoir à Paris, celui qui n'a plus d'infirmières dans ses prisons ? Comment ne peut-on pas être gêné d'aller Premier ministre ou président, dans un pays où les infirmières sont prisonnières et me reprocher de recevoir quelqu'un qui les a libérées, justement au nom et à la demande de la République Française ? Je vous remercie.