24 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, avec l'Agence Chine nouvelle, notamment sur les relations franco-chinoises, le Proche-Orient, le nucléaire iranien et sur le partenariat sino-européen , à Paris le 24 novembre 2007.

1 - Monsieur le Président, ce voyage à Pékin sera votre première visite en Chine depuis votre élection, ce sera donc un grand événement dans l'histoire des relations entre nos deux pays. Pourriez-vous nous dire ce que vous attendez de cette visite ? Quels messages voulez-vous passer au peuple chinois ?
R - Cette visite en Chine est mon premier déplacement en Asie depuis mon élection à la Présidence de la République. Ce que je veux dire au peuple chinois, c'est que la France est plus que jamais engagée aux côtés de la Chine. Elle suit une ligne claire sur l'unité de la Chine. La France a confiance dans le développement de la Chine. Je veux que ce développement soit une chance pour elle-même et pour le monde. Face aux défis d'aujourd'hui, la France et la Chine partagent une même volonté de paix, de prospérité et d'harmonie. C'est dans cet esprit que j'entends travailler avec mon homologue chinois, et nous avons beaucoup à faire ensemble, qu'il s'agisse de l'environnement, des relations économiques ou de notre contribution à la sécurité dans le monde. En accédant à la puissance, la Chine a naturellement vocation à assumer des responsabilités croissantes. C'est dans cet esprit que j'ai proposé d'élargir le G8 pour y inclure en particulier la Chine.
2 - Vous avez défini le cadre de la politique étrangère de la France lors de la conférence des ambassadeurs à Paris au mois d'août de cette année. Comment voyez-vous les relations politiques et économiques entre nos deux pays ?
R - La relation franco-chinoise est caractérisée par une amitié et une confiance exceptionnelles. J'y suis profondément attaché. Le partenariat stratégique global franco-chinois est une donnée majeure de la politique étrangère de la France. Il est fondé sur la coopération et le respect mutuel. II a vocation à couvrir tous les champs de coopération économique, scientifique, culturel. C'est une volonté politique. Mais ce qui est encore plus important, c'est que les Français et les Chinois se rencontrent, travaillent ensemble. 600.000 Chinois ont visité la France l'année dernière, et ce courant va croître encore. La création contemporaine chinoise suscite l'enthousiasme en Europe. Ce sont des signes forts de la modernité de nos relations.
Ce que je souhaite pour les années à venir, c'est que nos relations prennent un tour concret, avec des résultats tangibles pour nos deux peuples. Au-delà des secteurs traditionnels, je propose par exemple un nouveau champ de coopération sur l'environnement.
La croissance chinoise, son émergence comme puissance, suscitent l'admiration, mais aussi des interrogations. Mon souhait est de transformer ces questions en autant de thèmes de coopération entre nous.
Ces relations doivent naturellement se développer dans le cadre européen. La France présidera l'Union européenne en 2008 lors du sommet Union européenne/Chine.
3 - Selon vous, quels sont les efforts que nos deux pays doivent déployer pour parvenir à une coopération «gagnant-gagnant » ? Comment voyez-vous l'avenir du partenariat global stratégique ?
R - La réciprocité et la coopération doivent être au coeur de notre action. Je souhaite que notre partenariat progresse encore dans ce sens. Nous devons renforcer nos projets en cours (nucléaire, aéronautique, ferroviaire, par exemple).
Dans le domaine économique, le développement de coopérations « gagnant-gagnant » suppose que les conditions d'une confiance durable sont réunies. Je souhaite créer les conditions de relations économiques harmonieuses. En particulier, les entreprises des deux pays doivent pouvoir compter sur le respect des engagements contractuels, sur des cadres législatifs, efficaces et impartiaux, ainsi que sur un système performant de protection de la propriété intellectuelle. C'est à mon sens une priorité commune pour nos deux pays.
Il est essentiel d'encourager les entreprises des deux pays à travailler ensemble. Cela s'adresse bien sûr aux grands groupes, mais aussi aux PME, qui offrent des technologies et des savoir-faire de premier plan. Je suis heureux aujourd'hui d'accompagner quelque 200 PME françaises dans leurs premiers contacts et, je l'espère, le développement de leurs premiers partenariats avec la Chine.
Enfin, je souhaite que nos échanges scientifiques soient eux aussi tournés vers l'avenir. Je viens en Chine avec dix jeunes chercheurs français de grand talent qui travaillent déjà avec la Chine.
4 - Monsieur le Président, vous êtes très attentif à la question de l'environnement. Selon vous, comment un grand pays en développement comme la Chine, avec une population nombreuse, peut-il résoudre les contradictions entre le développement de son économie et la protection de l'environnement ? Comment la France et la Chine peuvent-elles renforcer leur coopération dans ce domaine ?
R - C'est un défi qui concerne tous les pays, qu'ils soient développés ou en développement. La clé réside dans le développement durable, c'est-à-dire dans un modèle de croissance plus respectueux de l'environnement et de l'homme, une croissance rapide, mais décarbonée. Notre responsabilité pour nos populations et pour les générations futures est d'adapter nos appareils industriels et de promouvoir un changement des comportements de chacun. C'est bien sûr très long. La France vient juste de faire sa révolution verte : après un dialogue avec l'ensemble des acteurs concernés et de la société civile, nous sommes parvenus à un consensus : le développement durable sera au coeur de nos stratégies économiques et sociales. Ce qui peut sembler au départ une contrainte devient une chance de progrès collectif.
La Chine se développe à un rythme spectaculaire. Je sais que les dirigeants chinois veulent trouver les voies d'une croissance plus respectueuse de l'environnement. L'environnement, c'est à la fois un sujet pour les Chinois eux-mêmes et une affaire planétaire. La France consacrera au travers de l'AFD plus de 150 millions d'euros par an à la réalisation de projets d'infrastructures propres en Chine. Nos entreprises vont contribuer elles aussi par leurs investissements, par le transfert de leur savoir-faire, par leur implication dans des projets de développement propre à l'amélioration de la situation en Chine. Les entreprises françaises, dont de nombreuses PME, s'engagent dans l'ensemble des provinces de Chine, où elles ont tissé des liens solides. Je souhaite, au cours de ma visite, établir un grand partenariat avec la Chine dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. C'est l'objet de la déclaration que nous allons adopter sur ce thème.
5 - Depuis votre entrée à l'Élysée, la diplomatie française est très dynamique, et la France fait entendre sa voix sur tous les points chauds de l'actualité internationale. Selon vous, quelles sont les questions les plus brûlantes auxquelles le monde doit faire face, et comment peut-on les résoudre ?
En ce début de XXIe siècle, la communauté internationale est confrontée à de nouvelles menaces : prolifération des armes de destruction massive, terrorisme de masse, criminalité organisée. Il y a aussi un bouleversement des équilibres économiques qui accroît la méfiance à l'égard de la globalisation, l'apparition de crises financières, qui pourraient se reproduire si les États ne choisissaient pas de mener une action résolue et concertée en faveur de la transparence et de la régulation des marchés internationaux, ou encore la question de l'immigration non maîtrisée. Nous avons aussi face à nous des risques majeurs auxquels nous sommes les premiers à être confrontés dans l'histoire de l'humanité, par exemple le réchauffement climatique, ou la pérennité des approvisionnements énergétiques.
La Chine et la France sont membres permanents du Conseil de sécurité. Ceci nous confère des responsabilités et des devoirs : agir pour la paix et la sécurité et dépasser nos intérêts immédiats. Face aux crises, nous devons travailler ensemble. La Chine s'engage sur la Corée du nord, la Birmanie, l'Iran. C'est un développement positif. Au Moyen Orient, quatre crises simultanées se développent. S'agissant du conflit israélo-palestinien, la seule solution satisfaisante est d'établir deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Il est indispensable de relancer sans délai une authentique dynamique de paix. C'est ce que nous essayons de faire à Annapolis, où se rend Bernard Kouchner. La France est passionnément attachée à la liberté et la souveraineté du Liban. Nous souhaitons que les Libanais élisent démocratiquement un Président en qui ils se reconnaîtront. Quant à la tragédie de l'Irak, elle ne peut pas nous laisser indifférents. C'est une nation qui se défait dans une guerre civile sans merci. Il n'y aura de solution que politique et cette solution passe par un processus de réconciliation nationale et un horizon clair de retrait des troupes étrangères.
Le dossier capital pour la communauté internationale est celui de l'Iran. Pour la France, un Iran doté de l'arme nucléaire est inacceptable. Ce qui se passe est un facteur grave de déstabilisation. La France est déterminée à poursuivre la politique décidée à Six, avec la Chine, alliant sanctions croissantes, mais aussi ouverture si l'Iran choisit de respecter ses obligations. Nous lui proposons la coopération et la paix. Les solutions qui émergent sur la Corée du Nord conduisent à la renonciation au nucléaire militaire et la fermeture des installations de Yongbyon. Ceci montre, après le renoncement de la Libye aux armes de destruction massive, qu'il existe un chemin s'il y a une volonté. La France compte beaucoup sur l'engagement et la fermeté de la Chine sur le dossier iranien.
Enfin, la Birmanie doit trouver un nouvel avenir après la crise récente. La situation actuelle, faite de répression et de sous développement est indigne, alors que ce pays devrait suivre ses voisins dans la voie du progrès. Il faut soutenir la mission de l'ONU, une démocratisation rapide et la libération des prisonniers politiques.
6 - Pour vous, la construction européenne constitue a la priorité des priorités » de la diplomatie française, et vous avez personnellement beaucoup contribué à résoudre la crise institutionnelle de VUE. Avec l'approfondissement de la globalisation, les relations de coopération entre ME et la Chine sont de plus en plus étroites. Quelles sont vos vues sur le développement de ce partenariat ?
R - Les relations entre VUE et la Chine se développent rapidement. Elles doivent évoluer vers un partenariat stratégique global. L'Union européenne est déjà le premier partenaire commercial de la Chine. Il faut aller plus loin. C'est pour cette raison que l'Union européenne et la Chine ont lancé la négociation d'un nouvel Accord de partenariat et de coopération qui prévoit une coopération renforcée dans tous les domaines. Le sommet Union européenne/Chine se tiendra dans les prochains jours à Pékin. J'ai confiance dans la présidence portugaise de l'Union européenne, dans la Commission et dans Javier Solana pour faire progresser ce grand projet. Nous devons aussi faire progresser notre dialogue sur les questions de change. Je souhaite des relations harmonieuses et justes entre les grandes devises, l'Euro et le dollar, le Yuan et le Yen. C'est une condition de l'équilibre des relations internationales. Le premier dialogue entre la Chine et les Européens sur cette question, mardi prochain, est fondamental pour progresser.En 2008, la France présidera l'Union européenne. Mon ambition est de faire de 2008 une grande année euro-chinoise, et, au-delà, entre l'Europe et l'Asie, grâce au sommet de l'ASEM, qui se tiendra à Pékin.