23 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la protection du droit d'auteur sur internet et sur les efforts en faveur des industries culturelles, à Paris le 23 novembre 2007.
Mesdames, Messieurs,
La protection du droit d'auteur, j'avais pris des engagements à ce sujet à un moment où ce n'était pas si facile que cela, un moment où dominait la démagogie et le jeunisme - ce n'est pas dans le discours, mais c'est tellement important pour moi de le dire. C'est une affaire beaucoup plus importante qu'on ne le dit. J'avais des engagements avant les élections, j'ai voulu qu'ils soient tenus après. La préservation de la création, la reconnaissance du droit de chaque artiste, de chaque interprète, de chaque producteur de voir son travail normalement rémunéré, c'est un engagement important de ma campagne présidentielle, je ne transigerai pas sur ce principe.
Depuis trois ans, j'ai répondu présent chaque fois qu'il a fallu faire prévaloir le droit légitime des auteurs et de ceux qui contribuent à leur expression, sur l'illusion et même sur le mensonge de la gratuité. Les mots sont forts parce que ces principes sont essentiels.
Musique, cinéma, édition, presse, arts graphiques et visuels... tout est aujourd'hui disponible et accessible partout, sur la toile de l'internet, chez soi, au bureau, en voyage. C'est une richesse, c'est une chance pour la diffusion de la culture. J'imagine que personne ici ne le conteste. Pour autant, jamais nous n'avons été aussi proches d'un véritable « trou noir », capable d'engloutir et d'assécher cette richesse et ce foisonnement créatif.
Le clonage et la dissémination de fichiers à l'infini ont entraîné depuis cinq ans, j'emploie un mot fort, la ruine progressive de l'économie musicale, en déconnectant les oeuvres de leur coût de fabrication, et en donnant cette impression fausse que, tout se valant, tout est gratuit.
Avec le développement du très haut débit, le cinéma risque évidemment de subir le même sort que la musique : les mêmes causes produiront exactement les mêmes effets. D'ores et déjà, près de la moitié des films sortis en salles en France sont disponibles en version pirate sur les réseaux « peer to peer », et le marché de la vidéo a commencé à décroître avant même d'atteindre sa maturité. Le livre pourrait à son tour être brutalement menacé avec l'arrivée du livre électronique.
C'est à une véritable destruction de la culture que nous risquons d'assister. En plus de cela, c'est également une négation du travail, cette valeur capitale qui est au coeur des problèmes de la France d'aujourd'hui, et au coeur de ses solutions.
Aujourd'hui, un accord est signé, et je veux saluer ce moment décisif pour l'avènement d'un internet civilisé. Internet, c'est une « nouvelle frontière », c'est un territoire à conquérir. Mais Internet, cela ne doit pas être « Far Ouest » high-tech, une zone de non droit où des « hors-la-loi » peuvent piller sans réserve les créations, voire pire, en faire le commerce en toute impunité, sur le dos de qui ? Des artistes. D'un côté, des réseaux flambant neuf, des équipements ultra-perfectionnés, et de l'autre des comportements parfaitement moyenâgeux, où, sous prétexte que c'est du numérique, chacun pourrait, parce que c'est du numérique, pratiquer librement le vol à l'étalage.
On dit parfois que quand personne ne respecte la loi, c'est qu'il faut changer la loi. Sauf que si tout le monde tue son prochain, on ne va pas pour autant légaliser l'assassinat.
Si tout le monde vole la musique et le cinéma, on ne va pas légaliser le vol. Et en même temps, nous savons tous qu'on ne va pas non plus mettre tous les jeunes en prison. Poser en ces termes le débat est parfaitement absurde.
Il nous fallait chercher des moyens intelligents pour en appeler à la conscience du citoyen, et lui donner la possibilité de revenir dans le droit chemin. Après tout, c'est peut-être même la fonction d'un gouvernement. Il fallait aussi essayer de comprendre pourquoi le citoyen ordinaire, habituellement respectueux de la loi, préférait s'approvisionner dans des entrepôts clandestins plutôt que de faire ses achats dans un supermarché en ligne : n'était-ce pas aussi un problème d'attractivité de l'offre légale ?
Il y a deux mois et demi, Madame la Ministre, chère Christine, vous avez sollicité Denis Olivennes. Je l'en remercie, ce n'était pas évident pour lui de travailler avec moi. Cela prouve que, sur un vrai sujet, des hommes et des femmes venus d'univers différent sont capables de travailler ensemble. C'est quand même cela dont il s'agit. Je n'ai pas demandé à Denis, pas plus davantage que Christine, de renoncer à ce qu'il est - j'aurais bien voulu, c'était peine perdue - Je lui ai dit : il faut que l'on trouve une solution, que l'on fasse quelque chose. Il faut sortir notre pays de ce « quant à soi » où les uns pour des raisons culturelles, historiques ou d'habitudes sont de gauche, et où d'autres considèrent que le bonheur, c'est d'être de droite. Il y avait un problème, il fallait que l'on le résolve. De toute manière, si on ne l'avait pas fait, personne ne l'aurait fait à notre place. Moi, je veux vous remercier, parce qu'une mission a été conduite, en accord avec Georges-Marc, permettant de déboucher sur des solutions opérationnelles pour lutter fermement contre le piratage tout en tenant compte des potentialités d'internet et de la demande des consommateurs.
Je veux vous en féliciter, vous tous qui êtes là aujourd'hui, parce que je pense que cet accord est solide et équilibré. Il comporte des stipulations nouvelles et fortes. Mais je dis tout de suite, que si cela ne marchait pas ou pas assez bien, eh bien, on pourra le faire évoluer. Il faut là aussi sortir de cette idée folle, que lorsqu'un accord ou une loi est adopté, on ne peut plus y toucher. La pratique nous dira si nous sommes arrivés au bon équilibre. Si on n'y est pas, eh bien, on continuera.
Cet accord comporte des stipulations fortes. L'envoi de mails d'avertissements aux internautes qui font un mauvais usage de leur abonnement, des avertissements gradués en cas de récidive, et la possibilité de suspendre l'accès à internet. Pour arriver à mettre en place cette solution, il vous a fallu, je le sais, soulever des montagnes, tellement les inerties sont grandes et tellement la lâcheté est quelque chose de répandu, comme si les gens ne pouvaient pas comprendre que si on tue les droits d'auteurs, on tue la création.
Cette démarche pédagogique d'avertissements gradués et de la suspension sera bien sûr réservée aux pirates de « bonne foi », je reprends une expression propre à la politique fiscale. Les « pirates professionnels », ceux qui font sciemment du trafic et du commerce illicite de DVD et de fichiers contrefaits, resteront quant à eux soumis au droit commun de la contrefaçon, et traités au sein de juridictions spécialisées. Ce qui explique la présence à mes côtés de la Garde des Sceaux.
De plus, les fournisseurs d'accès s'engagent, et c'est important, à mettre en oeuvre des dispositifs de filtrage. Le filtrage, c'est retirer automatiquement les fichiers « pirates » des réseaux ou des plateformes d'hébergement au fur et à mesure de leur apparition.
D'un autre côté, cet effort des fournisseurs d'accès s'accompagnera d'un effort tout aussi important des ayants droit. Les professionnels, que vous êtes, s'engagent à mettre plus complètement et plus rapidement leurs oeuvres en ligne, et à supprimer tous les verrous techniques qui empêchent de copier et de transporter la musique.
Ce sont deux améliorations majeures qui profiteront pleinement aux consommateurs.
Fini, les musiques achetées sur une plateforme A et qu'on n'arrive pas à lire sur un lecteur B ou sur son téléphone portable, alors qu'on pouvait le faire sans problème pour un fichier piraté (ce qui est quand même le comble).
Fini, les sept mois et demi d'attente entre le film qui sort en salle et son apparition en vidéo à la demande. Avec cet accord, six mois sépareront le film sur grand écran et son passage en vidéo sur petit écran. C'est encore beaucoup, quand on sait qu'un film reste en moyenne trois semaines sur un écran de cinéma, avant de laisser la place au suivant ! Mais c'est déjà mieux. Et des discussions professionnelles s'engageront sous l'égide du Centre national de la cinématographie dans les meilleurs délais, pour adapter l'ensemble de la chronologie des médias aux enjeux du numérique, comme le recommande le rapport de Denis Olivennes.
Je sais que les exploitants de cinéma sont attentifs à ces discussions. Je souhaite être clair. Le cinéma, je ne dirai jamais autre chose, c'est une rencontre dans une salle, sur un grand écran, entre un public et une oeuvre. C'est dans la salle que nous avons éprouvé nos plus grandes émotions de cinéma. Et les exploitants ne ménagent pas leurs efforts pour atteindre la perfection : le son multicanal, la projection numérique qui va envahir les salles dès l'année prochaine, sans même parler du cinéma en relief, qui sera sans doute la prochaine révolution. Le cinéma en salle, c'est le passé, le présent et l'avenir.
Dans le même temps, la carrière des films en salle s'est fortement raccourcie, le « home cinéma » est devenu une réalité, or moi je dois tenir compte des nouvelles habitudes de consommation. Ce serait absurde. Je me souviens de mon premier film : Ben-Hur, début des années soixante, place Clichy. J'en étais à me demander : qu'est-ce que cela veut dire exactement, le balcon et l'orchestre, parce qu'à mon époque, on demandait un billet balcon ou orchestre. Je me souviens très bien, qu'à cette époque là, Ben-Hur restait quatre ans à l'affiche. Honnêtement, on n'était pas plus malheureux non plus, mais je vois bien que c'est un autre temps.
Franchement, nous voulons que cette alliance réussisse, je m'y suis engagé. Je sais parfaitement que c'est la France qui a inventé les droits d'auteurs. Ce patrimoine là, je le défendrai. Nous voici les premiers en France à réussir cette grande alliance. Ce que je vous demande, c'est de créer avec le ministère de la Culture un groupe de suivi de cet accord, pour voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas. S'il faut aller plus loin, on ira plus loin, mais je ne légaliserai pas le vol. Pour moi, la propriété intellectuelle, c'est aussi important que la propriété tout court.
Enfin, je voudrais terminer par là, le sujet qui nous occupe aujourd'hui n'épuise pas la question de la création et de l'avenir de nos industries culturelles. Il nous faut réformer le système de régulation et de financement de l'audiovisuel, dont les fondements reposent sur l'univers de la télévision hertzienne, et mieux prendre en compte les nouveaux réseaux. Une nouvelle directive sur les médias vient d'être adoptée à Bruxelles, elle nous en donne le cadre et la possibilité. L'application du taux de TVA réduit à l'ensemble des biens culturels reste à réaliser. Je me battrai sur ces questions là.
Il y a également des mesures d'urgence à prendre, pour permettre à l'industrie musicale de survivre et lui donner le temps de s'adapter au nouveau modèle qui se dessine. Il y a un crédit d'impôt qui a été voté l'an dernier aux productions phonographiques. Mais sa mise en oeuvre est limitée par des critères beaucoup trop contraignants. Je souhaite donc, Christine, les deux Christine, que ce crédit d'impôt soit amélioré et notifié à la Commission européenne dans les plus brefs délais pour pouvoir être applicable aux investissements consentis en 2007. De même, je souhaite que s'accélèrent les discussions engagées entre l'institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), et la Caisse des Dépôts et Consignations, pour permettre, dès le début de l'année prochaine, de tripler le volume du fonds d'avances remboursables consenties aux entreprises musicales. Je sais l'importance de la musique en France, et je ne laisserai pas mourir cette industrie.
Je souhaite que le crédit d'impôt en faveur du jeu vidéo en cours d'examen à Bruxelles depuis près d'un an, puisse entrer rapidement en vigueur, pour freiner la fuite de nos talents et de nos entreprises à l'étranger et faire en sorte que la France - et donc l'Europe - retrouve sa compétitivité face aux studios nord-américains et asiatiques. J'ai parfaitement conscience que le jeu vidéo peut devenir un art important du XXIe siècle, s'il parvient à échapper aux dérives qui menacent un certain cinéma international, prompt à séduire et à divertir, mais impuissant à épanouir et à fournir du sens.
Enfin, je serai attentif au souhait exprimé en faveur d'une révision du crédit d'impôt aux productions cinématographiques, pour l'étendre aux sociétés étrangères désireuses de réaliser d'importantes productions en France. Cette mesure doit être expertisée, sachant que la priorité est la préservation et la consolidation du régime des SOFICA, dont je n'accepterai pas qu'on le remette en cause.
Je vous ai dit beaucoup de choses, mais le pire, c'est que je pense que c'est important, c'est que j'y crois ! Enfin j'ajouterai un dernier mot. C'est bien beau de se battre pour la diversité. Tout le monde est d'accord, mais il faut aussi accepter une chose, c'est l'identité. Claude Lévi-Strauss, plus grand anthropologue français l'a dit : l'identité n'est pas une pathologie. S'il n'y a pas d'identité, il n'y a pas de diversité. Se battre pour l'identité culturelle française, c'est un devoir. Mais il faut se battre en reconnaissant que vous n'êtes pas simplement des artistes, vous êtes également dans un cadre industriel. Peut-être que le grand changement de tous vos métiers, c'est qu'il est fait par des artisans, au bon sens du terme, mais qui doit mobiliser des moyens et des fonds d'industriels, au bon sens du terme. Toute la complexité c'est d'assurer la rencontre entre ce savoir-faire d'artisan, quel que soit votre métier, et les besoins industriels. C'est la raison pour laquelle je le dis, j'ai toujours été très réservé sur les mesures qui compliquent encore la marche des industries dans le secteur d'activité qu'est le vôtre. Parce que c'est bien beau de vouloir protéger la diversité à l'intérieur de notre pays : si cela se fait au prix de la disparition, on n'a rien protégé du tout.
J'attire également votre attention sur le fait que cela devient un problème que nous n'ayons pas de groupes mondiaux. C'est quand même aussi cela, la France. Que la culture qui est la nôtre, nous ne la gardions pas simplement pour nous. Moi, ce que je souhaite, ce sont des groupes puissants et une diversité culturelle.
Enfin, je suis persuadé que les jeunes sont beaucoup plus intelligents qu'on ne l'imagine et qu'ils comprendront parfaitement que, si on laissait faire, il y aurait que quelques artistes qui s'en sortiraient - les plus connus - et que les jeunes artistes ne pourraient plus avoir accès à rien du tout. Il ne faut pas croire qu'en faisant cela on protège ceux qui ont déjà rencontré leur public, c'est faux. On défend d'abord ceux qui ne l'ont pas encore rencontré, et qui n'auraient aucune chance de le rencontrer si l'on ne leur reconnaissait pas des droits d'auteur.
Cela m'a fait bien plaisir d'être ici. Je vous propose que l'on se retrouve dans six mois, au même endroit, pour tirer le bilan de six mois d'application de ces nouvelles normes. En prenant un engagement devant vous : si cela marche, on continue comme cela, si cela ne marche pas suffisamment bien, on prendra les mesures pour obtenir des résultats.
Moi, je ne veux pas être jugé sur les déclarations d'intention, je veux être jugé sur une seule chose, sur les résultats. J'ai été élu pour obtenir des résultats et c'est cela qui compte.Je vous remercie.
La protection du droit d'auteur, j'avais pris des engagements à ce sujet à un moment où ce n'était pas si facile que cela, un moment où dominait la démagogie et le jeunisme - ce n'est pas dans le discours, mais c'est tellement important pour moi de le dire. C'est une affaire beaucoup plus importante qu'on ne le dit. J'avais des engagements avant les élections, j'ai voulu qu'ils soient tenus après. La préservation de la création, la reconnaissance du droit de chaque artiste, de chaque interprète, de chaque producteur de voir son travail normalement rémunéré, c'est un engagement important de ma campagne présidentielle, je ne transigerai pas sur ce principe.
Depuis trois ans, j'ai répondu présent chaque fois qu'il a fallu faire prévaloir le droit légitime des auteurs et de ceux qui contribuent à leur expression, sur l'illusion et même sur le mensonge de la gratuité. Les mots sont forts parce que ces principes sont essentiels.
Musique, cinéma, édition, presse, arts graphiques et visuels... tout est aujourd'hui disponible et accessible partout, sur la toile de l'internet, chez soi, au bureau, en voyage. C'est une richesse, c'est une chance pour la diffusion de la culture. J'imagine que personne ici ne le conteste. Pour autant, jamais nous n'avons été aussi proches d'un véritable « trou noir », capable d'engloutir et d'assécher cette richesse et ce foisonnement créatif.
Le clonage et la dissémination de fichiers à l'infini ont entraîné depuis cinq ans, j'emploie un mot fort, la ruine progressive de l'économie musicale, en déconnectant les oeuvres de leur coût de fabrication, et en donnant cette impression fausse que, tout se valant, tout est gratuit.
Avec le développement du très haut débit, le cinéma risque évidemment de subir le même sort que la musique : les mêmes causes produiront exactement les mêmes effets. D'ores et déjà, près de la moitié des films sortis en salles en France sont disponibles en version pirate sur les réseaux « peer to peer », et le marché de la vidéo a commencé à décroître avant même d'atteindre sa maturité. Le livre pourrait à son tour être brutalement menacé avec l'arrivée du livre électronique.
C'est à une véritable destruction de la culture que nous risquons d'assister. En plus de cela, c'est également une négation du travail, cette valeur capitale qui est au coeur des problèmes de la France d'aujourd'hui, et au coeur de ses solutions.
Aujourd'hui, un accord est signé, et je veux saluer ce moment décisif pour l'avènement d'un internet civilisé. Internet, c'est une « nouvelle frontière », c'est un territoire à conquérir. Mais Internet, cela ne doit pas être « Far Ouest » high-tech, une zone de non droit où des « hors-la-loi » peuvent piller sans réserve les créations, voire pire, en faire le commerce en toute impunité, sur le dos de qui ? Des artistes. D'un côté, des réseaux flambant neuf, des équipements ultra-perfectionnés, et de l'autre des comportements parfaitement moyenâgeux, où, sous prétexte que c'est du numérique, chacun pourrait, parce que c'est du numérique, pratiquer librement le vol à l'étalage.
On dit parfois que quand personne ne respecte la loi, c'est qu'il faut changer la loi. Sauf que si tout le monde tue son prochain, on ne va pas pour autant légaliser l'assassinat.
Si tout le monde vole la musique et le cinéma, on ne va pas légaliser le vol. Et en même temps, nous savons tous qu'on ne va pas non plus mettre tous les jeunes en prison. Poser en ces termes le débat est parfaitement absurde.
Il nous fallait chercher des moyens intelligents pour en appeler à la conscience du citoyen, et lui donner la possibilité de revenir dans le droit chemin. Après tout, c'est peut-être même la fonction d'un gouvernement. Il fallait aussi essayer de comprendre pourquoi le citoyen ordinaire, habituellement respectueux de la loi, préférait s'approvisionner dans des entrepôts clandestins plutôt que de faire ses achats dans un supermarché en ligne : n'était-ce pas aussi un problème d'attractivité de l'offre légale ?
Il y a deux mois et demi, Madame la Ministre, chère Christine, vous avez sollicité Denis Olivennes. Je l'en remercie, ce n'était pas évident pour lui de travailler avec moi. Cela prouve que, sur un vrai sujet, des hommes et des femmes venus d'univers différent sont capables de travailler ensemble. C'est quand même cela dont il s'agit. Je n'ai pas demandé à Denis, pas plus davantage que Christine, de renoncer à ce qu'il est - j'aurais bien voulu, c'était peine perdue - Je lui ai dit : il faut que l'on trouve une solution, que l'on fasse quelque chose. Il faut sortir notre pays de ce « quant à soi » où les uns pour des raisons culturelles, historiques ou d'habitudes sont de gauche, et où d'autres considèrent que le bonheur, c'est d'être de droite. Il y avait un problème, il fallait que l'on le résolve. De toute manière, si on ne l'avait pas fait, personne ne l'aurait fait à notre place. Moi, je veux vous remercier, parce qu'une mission a été conduite, en accord avec Georges-Marc, permettant de déboucher sur des solutions opérationnelles pour lutter fermement contre le piratage tout en tenant compte des potentialités d'internet et de la demande des consommateurs.
Je veux vous en féliciter, vous tous qui êtes là aujourd'hui, parce que je pense que cet accord est solide et équilibré. Il comporte des stipulations nouvelles et fortes. Mais je dis tout de suite, que si cela ne marchait pas ou pas assez bien, eh bien, on pourra le faire évoluer. Il faut là aussi sortir de cette idée folle, que lorsqu'un accord ou une loi est adopté, on ne peut plus y toucher. La pratique nous dira si nous sommes arrivés au bon équilibre. Si on n'y est pas, eh bien, on continuera.
Cet accord comporte des stipulations fortes. L'envoi de mails d'avertissements aux internautes qui font un mauvais usage de leur abonnement, des avertissements gradués en cas de récidive, et la possibilité de suspendre l'accès à internet. Pour arriver à mettre en place cette solution, il vous a fallu, je le sais, soulever des montagnes, tellement les inerties sont grandes et tellement la lâcheté est quelque chose de répandu, comme si les gens ne pouvaient pas comprendre que si on tue les droits d'auteurs, on tue la création.
Cette démarche pédagogique d'avertissements gradués et de la suspension sera bien sûr réservée aux pirates de « bonne foi », je reprends une expression propre à la politique fiscale. Les « pirates professionnels », ceux qui font sciemment du trafic et du commerce illicite de DVD et de fichiers contrefaits, resteront quant à eux soumis au droit commun de la contrefaçon, et traités au sein de juridictions spécialisées. Ce qui explique la présence à mes côtés de la Garde des Sceaux.
De plus, les fournisseurs d'accès s'engagent, et c'est important, à mettre en oeuvre des dispositifs de filtrage. Le filtrage, c'est retirer automatiquement les fichiers « pirates » des réseaux ou des plateformes d'hébergement au fur et à mesure de leur apparition.
D'un autre côté, cet effort des fournisseurs d'accès s'accompagnera d'un effort tout aussi important des ayants droit. Les professionnels, que vous êtes, s'engagent à mettre plus complètement et plus rapidement leurs oeuvres en ligne, et à supprimer tous les verrous techniques qui empêchent de copier et de transporter la musique.
Ce sont deux améliorations majeures qui profiteront pleinement aux consommateurs.
Fini, les musiques achetées sur une plateforme A et qu'on n'arrive pas à lire sur un lecteur B ou sur son téléphone portable, alors qu'on pouvait le faire sans problème pour un fichier piraté (ce qui est quand même le comble).
Fini, les sept mois et demi d'attente entre le film qui sort en salle et son apparition en vidéo à la demande. Avec cet accord, six mois sépareront le film sur grand écran et son passage en vidéo sur petit écran. C'est encore beaucoup, quand on sait qu'un film reste en moyenne trois semaines sur un écran de cinéma, avant de laisser la place au suivant ! Mais c'est déjà mieux. Et des discussions professionnelles s'engageront sous l'égide du Centre national de la cinématographie dans les meilleurs délais, pour adapter l'ensemble de la chronologie des médias aux enjeux du numérique, comme le recommande le rapport de Denis Olivennes.
Je sais que les exploitants de cinéma sont attentifs à ces discussions. Je souhaite être clair. Le cinéma, je ne dirai jamais autre chose, c'est une rencontre dans une salle, sur un grand écran, entre un public et une oeuvre. C'est dans la salle que nous avons éprouvé nos plus grandes émotions de cinéma. Et les exploitants ne ménagent pas leurs efforts pour atteindre la perfection : le son multicanal, la projection numérique qui va envahir les salles dès l'année prochaine, sans même parler du cinéma en relief, qui sera sans doute la prochaine révolution. Le cinéma en salle, c'est le passé, le présent et l'avenir.
Dans le même temps, la carrière des films en salle s'est fortement raccourcie, le « home cinéma » est devenu une réalité, or moi je dois tenir compte des nouvelles habitudes de consommation. Ce serait absurde. Je me souviens de mon premier film : Ben-Hur, début des années soixante, place Clichy. J'en étais à me demander : qu'est-ce que cela veut dire exactement, le balcon et l'orchestre, parce qu'à mon époque, on demandait un billet balcon ou orchestre. Je me souviens très bien, qu'à cette époque là, Ben-Hur restait quatre ans à l'affiche. Honnêtement, on n'était pas plus malheureux non plus, mais je vois bien que c'est un autre temps.
Franchement, nous voulons que cette alliance réussisse, je m'y suis engagé. Je sais parfaitement que c'est la France qui a inventé les droits d'auteurs. Ce patrimoine là, je le défendrai. Nous voici les premiers en France à réussir cette grande alliance. Ce que je vous demande, c'est de créer avec le ministère de la Culture un groupe de suivi de cet accord, pour voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas. S'il faut aller plus loin, on ira plus loin, mais je ne légaliserai pas le vol. Pour moi, la propriété intellectuelle, c'est aussi important que la propriété tout court.
Enfin, je voudrais terminer par là, le sujet qui nous occupe aujourd'hui n'épuise pas la question de la création et de l'avenir de nos industries culturelles. Il nous faut réformer le système de régulation et de financement de l'audiovisuel, dont les fondements reposent sur l'univers de la télévision hertzienne, et mieux prendre en compte les nouveaux réseaux. Une nouvelle directive sur les médias vient d'être adoptée à Bruxelles, elle nous en donne le cadre et la possibilité. L'application du taux de TVA réduit à l'ensemble des biens culturels reste à réaliser. Je me battrai sur ces questions là.
Il y a également des mesures d'urgence à prendre, pour permettre à l'industrie musicale de survivre et lui donner le temps de s'adapter au nouveau modèle qui se dessine. Il y a un crédit d'impôt qui a été voté l'an dernier aux productions phonographiques. Mais sa mise en oeuvre est limitée par des critères beaucoup trop contraignants. Je souhaite donc, Christine, les deux Christine, que ce crédit d'impôt soit amélioré et notifié à la Commission européenne dans les plus brefs délais pour pouvoir être applicable aux investissements consentis en 2007. De même, je souhaite que s'accélèrent les discussions engagées entre l'institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), et la Caisse des Dépôts et Consignations, pour permettre, dès le début de l'année prochaine, de tripler le volume du fonds d'avances remboursables consenties aux entreprises musicales. Je sais l'importance de la musique en France, et je ne laisserai pas mourir cette industrie.
Je souhaite que le crédit d'impôt en faveur du jeu vidéo en cours d'examen à Bruxelles depuis près d'un an, puisse entrer rapidement en vigueur, pour freiner la fuite de nos talents et de nos entreprises à l'étranger et faire en sorte que la France - et donc l'Europe - retrouve sa compétitivité face aux studios nord-américains et asiatiques. J'ai parfaitement conscience que le jeu vidéo peut devenir un art important du XXIe siècle, s'il parvient à échapper aux dérives qui menacent un certain cinéma international, prompt à séduire et à divertir, mais impuissant à épanouir et à fournir du sens.
Enfin, je serai attentif au souhait exprimé en faveur d'une révision du crédit d'impôt aux productions cinématographiques, pour l'étendre aux sociétés étrangères désireuses de réaliser d'importantes productions en France. Cette mesure doit être expertisée, sachant que la priorité est la préservation et la consolidation du régime des SOFICA, dont je n'accepterai pas qu'on le remette en cause.
Je vous ai dit beaucoup de choses, mais le pire, c'est que je pense que c'est important, c'est que j'y crois ! Enfin j'ajouterai un dernier mot. C'est bien beau de se battre pour la diversité. Tout le monde est d'accord, mais il faut aussi accepter une chose, c'est l'identité. Claude Lévi-Strauss, plus grand anthropologue français l'a dit : l'identité n'est pas une pathologie. S'il n'y a pas d'identité, il n'y a pas de diversité. Se battre pour l'identité culturelle française, c'est un devoir. Mais il faut se battre en reconnaissant que vous n'êtes pas simplement des artistes, vous êtes également dans un cadre industriel. Peut-être que le grand changement de tous vos métiers, c'est qu'il est fait par des artisans, au bon sens du terme, mais qui doit mobiliser des moyens et des fonds d'industriels, au bon sens du terme. Toute la complexité c'est d'assurer la rencontre entre ce savoir-faire d'artisan, quel que soit votre métier, et les besoins industriels. C'est la raison pour laquelle je le dis, j'ai toujours été très réservé sur les mesures qui compliquent encore la marche des industries dans le secteur d'activité qu'est le vôtre. Parce que c'est bien beau de vouloir protéger la diversité à l'intérieur de notre pays : si cela se fait au prix de la disparition, on n'a rien protégé du tout.
J'attire également votre attention sur le fait que cela devient un problème que nous n'ayons pas de groupes mondiaux. C'est quand même aussi cela, la France. Que la culture qui est la nôtre, nous ne la gardions pas simplement pour nous. Moi, ce que je souhaite, ce sont des groupes puissants et une diversité culturelle.
Enfin, je suis persuadé que les jeunes sont beaucoup plus intelligents qu'on ne l'imagine et qu'ils comprendront parfaitement que, si on laissait faire, il y aurait que quelques artistes qui s'en sortiraient - les plus connus - et que les jeunes artistes ne pourraient plus avoir accès à rien du tout. Il ne faut pas croire qu'en faisant cela on protège ceux qui ont déjà rencontré leur public, c'est faux. On défend d'abord ceux qui ne l'ont pas encore rencontré, et qui n'auraient aucune chance de le rencontrer si l'on ne leur reconnaissait pas des droits d'auteur.
Cela m'a fait bien plaisir d'être ici. Je vous propose que l'on se retrouve dans six mois, au même endroit, pour tirer le bilan de six mois d'application de ces nouvelles normes. En prenant un engagement devant vous : si cela marche, on continue comme cela, si cela ne marche pas suffisamment bien, on prendra les mesures pour obtenir des résultats.
Moi, je ne veux pas être jugé sur les déclarations d'intention, je veux être jugé sur une seule chose, sur les résultats. J'ai été élu pour obtenir des résultats et c'est cela qui compte.Je vous remercie.