22 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-japonaises, notamment en matière de protection de l'environnement, de propriété intellectuelle et de technologie, à Paris le 22 novembre 2007.

Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous recevoir aujourd'hui au Palais de l'Elysée. J'ai tenu à avoir cette rencontre car le Japon est l'une des plus grandes économies du monde et sans doute l'une de celles avec laquelle nous avons le plus d'intérêts communs et le moins de désaccords.
Le Japon et la France sont proches cousins en matière de culture économique : nous avons la même conception du rôle de l'Etat, nous avons ou nous essayons d'avoir une politique industrielle, nous avons fait des choix en matière d'équipements structurants qui sont les mêmes, et même l'histoire de notre redressement économique et industriel durant les Trente Glorieuses n'est pas sans rappeler un certain nombre de similitudes. Nous pouvons nous comprendre et nous instruire de l'exemple de l'autre. Nous avons beaucoup à apprendre de la réussite économique, technologique japonaise.
Comme les sujets sont multiples, vous me permettrez d'en évoquer trois.
Le premier c'est la lutte contre le changement climatique. Mon message est simple : nous devons agir et nous devons agir ensemble. Aucun d'entre nous ne peut réussir à maîtriser la catastrophe si nous n'additionnons pas nos efforts.
La question de l'attitude de la Chine, de l'Inde et des grands pays émergents, comme l'attitude des Etats-Unis, est essentielle. Je suis pour que l'Europe donne un prix au CO2 sur un marché de quotas, que l'industrie européenne et les producteurs énergétiques européens ne reçoivent pas gratuitement ces quotas mais les achètent, et que nous fassions les efforts nécessaires dans les secteurs de l'habitat et de l'automobile.
Mais rien ne marchera sans un effort contraignant de maîtrise des émissions de la part de pays industriels majeurs qui s'y sont jusqu'à présent refusés. Parce que si des aciéries qui émettent deux tonnes de CO2 pour faire une tonne d'acier quittent l'Europe ou le Japon pour s'installer dans des pays où elles n'ont aucune obligation et où elles émettront quatre tonnes, tout le monde sera perdant : la planète, les travailleurs qui perdent leur emploi dans nos pays. L'Europe doit avoir un message très clair sur ce sujet : si des pays ne font pas d'efforts, leurs produits devront acheter des quotas de CO2 ou payer une taxe en entrant en Europe. Je suis pour la concurrence mais la concurrence loyale. La concurrence déloyale ce n'est pas pour nous. Je veux la réciprocité et les mêmes règles. Le Japon et la France peuvent travailler main dans la main.
J'aurai d'ailleurs l'occasion de venir au Japon, puisque c'est le Japon qui préside le G8 en 2008. Nous avons d'ailleurs un débat pour savoir si cela doit être G8 ou G13. Je sais que nos amis japonais ont des réserves là-dessus. Je suis désolé, je pense qu'il est imprudent d'inviter un pays comme la Chine, un pays comme l'Inde, un pays comme le Brésil, un pays comme l'Afrique du Sud, un pays comme le Mexique, juste pour le déjeuner du troisième jour. Nous avons tout intérêt à les mettre à la table des négociations, à les traiter en partenaires et à les mettre face à leurs obligations.
Le G8 était formidable pour le XXe siècle. Nous sommes au XXIe siècle et il vaut mieux le G13. Que nos amis japonais me comprennent : ce n'est pas que je choisis la Chine contre le Japon. C'est absurde. Mais je ne vois pas comment on peut décider des différents équilibres du monde sans la Chine et sans l'Inde. Je ne vois pas d'ailleurs comment on peut dire aux Chinois : on n'accepte plus votre attitude et, en même temps, ne pas les inviter à la table.
Comment règle-t-on les problèmes environnementaux à huit ? Il vaut mieux les régler à treize. J'attire votre attention sur le fait que rien que l'Inde et la Chine représentent 2,5 milliards d'habitants. Imaginez si on vous invitait pour un déjeuner alors que les autres se réunissent depuis deux jours et demi. Cela n'a pas de sens. C'est un mauvais calcul. Ce n'est pas un désaccord. Je veux travailler avec le Japon main dans la main, mais je veux poser ces questions.
Je voudrais également dire un mot sur la propriété intellectuelle. Le Japon est l'un des pays du monde qui investit le plus dans la recherche-développement, avec des résultats, il faut bien le dire, extraordinaires. Vous êtes, Chers Amis Japonais, stupéfiants. Croyez bien que je le dis avec infiniment d'admiration et de respect, parce que moi j'essaye pour la France que l'on s'inspire de ceux qui sont les meilleurs et pas de ceux qui sont les moins bons. J'ai souhaité que la France fasse le choix de l'innovation : à partir du 1er janvier prochain, l'Etat remboursera aux entreprises un crédit d'impôt recherche de 30 % de leurs dépenses de recherche. C'est l'un des régimes fiscaux les plus attractifs au monde. C'est énorme ce que l'on vient de décider.
J'ai également fait adopter une loi qui réforme profondément nos universités en leur permettant de nouer des partenariats avec les entreprises, c'est la loi d'autonomie et je ne reculerai pas. Je vous le dis, moi, j'ai été élu pour être le président d'un pays qui se modernise. Je suis là pour faire un travail de réforme. Je le fais. Non seulement il n'est pas question de reculer, mais je veux que l'on avance plus vite encore.
Mon message est clair : Chers Amis japonais, installez vos centres de recherche et de développement européens en France, c'est le meilleur endroit. D'abord, parce que l'on vous aime, ensuite, parce que l'on a un bon système fiscal et enfin, parce que l'on a une bonne qualité de vie. Venez en France, vous êtes les bienvenus. Nous, on n'a pas peur des Japonais, on les veut.
Simplement, il faut que nous préservions le produit de notre recherche développement d'une copie facile qui dévalorise nos efforts. Un grand pays comme la Chine doit avoir un cadre légal qui protège l'innovation et la propriété intellectuelle. Je vais bientôt le leur dire puisque je pars samedi en Chine. Les entreprises doivent être libres de valoriser leurs brevets comme elles le souhaitent et au prix qu'elles veulent, je pense que nous serons d'accord sur ce point.
Je crois enfin qu'il faut intensifier la coopération technologique entre nos deux pays. Nous avons fait des choix communs très tôt : le train à grande vitesse et le nucléaire en sont les exemples les plus frappants. Aujourd'hui la France s'engage dans les énergies renouvelables, les motorisations propres, et les économies d'énergie et investira un milliard d'euros dans la recherche dans ces domaines. Je sais que le Japon est leader dans certains domaines. Nous devons jouer de nos complémentarités et nouer des partenariats pour unir nos forces.
Je livre ces quelques perspectives à votre réflexion. Je vous remercie surtout d'être ici aujourd'hui et de vous investir dans les relations économiques entre nos deux pays. Je continuerai à m'intéresser de près à vos travaux et souhaite qu'ils puissent aboutir à des projets concrets que nous pourrions faire avancer à l'occasion de ma visite au Japon l'année prochaine.
Je crois enfin qu'il faut intensifier la coopération technologique entre nos deux pays. Nous avons fait des choix communs très tôt : le TGV et le nucléaire sont les exemples les plus frappants. Je souhaite que l'on puisse développer des partenariats entre nous, c'est notre intérêt. Nous allons nous engager dans les énergies renouvelables, les motorisations propres, et les économies d'énergie. On va mettre un milliard d'euros dans la recherche dans ces domaines. Je sais que le Japon est leader. Nous devons nouer des partenariats et jouer la complémentarité. Au fond, je voudrais que la France fasse en 2008 pour les énergies renouvelables, ce que le général de Gaulle avait lancé dans les années soixante pour le nucléaire.
Le choix de la France est le suivant : ce n'est pas le nucléaire ou le renouvelable, c'est le nucléaire et le renouvelable, les deux. Donc, on ne demande pas mieux que de travailler avec vous. Enfin, quand j'irai au Japon, indépendamment de la question du G8, je serai très heureux de pouvoir faire une visite bilatérale, de rencontrer les hommes d'affaires, de dire l'admiration de la France pour votre modèle économique et la façon dont vous êtes sortis de la crise économique.
Mon admiration pour la conception que vous avez du travail et de la solidarité, notamment à l'endroit des plus âgés, et puis mon admiration pour la façon dont vous avez su développer un territoire, dont le moins que l'on puisse dire qu'il ne disposait pas d'énormément d'atouts, mis à part le courage des Japonais, leur appétit pour le travail et leur intelligence de l'avenir. Ce n'était pas si facile. Moyennant quoi, on a beaucoup à faire ensemble, vous êtes les bienvenus ici, et je serai très heureux de me rendre au Japon pour dire un certain nombre de choses. Enfin, n'ayez pas peur de ce que je vais dire sur la Chine.
Je sais parfaitement l'histoire complexe entre la Chine et le Japon. J'imagine très bien ce que la géographie signifie pour un pays comme vous, situé juste à côté d'un géant comme eux. Ils sont membres permanents du Conseil de sécurité. Cela n'a pas de sens de les reconnaître comme des interlocuteurs politiques et de ne pas les reconnaître comme des interlocuteurs économiques. Cela n'a pas de sens que de leur dire de respecter des règles et ne pas les mettre dans les instances où l'on réfléchit au devenir de ces règles. Or, je sais bien, tous les diplomates m'ont dit avant de venir, il faut faire attention, il ne faut pas trop parler de la Chine avec les Japonais. Je dis au contraire : il faut en parler. Je ne vois pas comment on peut trouver des solutions si on ne parle pas des sujets. J'ajoute que c'est curieux de respecter des invités et ne pas leur dire ce que l'on pense. Si on les respecte, on commence par dire ce que l'on pense. C'est un grand mépris que de ne pas dire ce que l'on pense.
Je vous en remercie.