12 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Lettre de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, adressée à M. François Fillon, Premier ministre, sur les principales composantes d'une réforme des institutions de la Ve République, le 12 novembre 2007.

Monsieur le Premier ministre,
Parce qu'elles sont au coeur de la vie politique et qu'elles constituent le socle de l'action de l'Etat, nos institutions ne sauraient rester à l'écart de l'effort de modernisation de notre pays souhaité par les Français et entrepris par le gouvernement.
Depuis cinquante ans, la Constitution de la Ve République a fait la preuve de sa solidité et de son efficacité. En aucun cas, ce qu'elle a apporté au fonctionnement de l'Etat et au gouvernement de la France ne doit être abandonné ou fragilisé. Pour autant, nos institutions ont leur part de responsabilité dans les difficultés de notre pays et dans l'écart qui s'est progressivement creusé entre le peuple et ses élus. Nos concitoyens aspirent profondément à un Etat efficace, à une République exemplaire, à une démocratie irréprochable.
Je considère par ailleurs que le quinquennat a modifié, au-delà sans doute de ce qui était prévu, l'équilibre institutionnel de la Ve République et que nous devons répondre à cette situation.
Après trois mois et demi de consultation et de réflexion, le comité de modernisation et de rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard Balladur, et composé de personnalités issues de tous les grands courants démocratiques de pensée de notre pays, a confirmé la pertinence de cette analyse et formulé un nombre important de recommandations allant dans le sens d'un meilleur contrôle de l'exécutif, d'un renforcement du Parlement, et de la création de droits nouveaux pour les citoyens. Il m'apparaît que la plupart de ces propositions doivent être reprises.
C'est pourquoi je vous demande d'engager à présent une consultation de toutes les formations politiques de notre pays sur une réforme de nos institutions dont les principales composantes seraient les suivantes :
1. Un pouvoir exécutif mieux contrôlé
La légitimité conférée au Président de la République par son élection au suffrage universel direct et les outils du parlementarisme rationalisé font de l'exécutif en général, et du Président de la République en particulier, les pôles forts de nos institutions. Cette réalité doit être à la fois mieux assumée et plus encadrée.
Il me paraît d'abord naturel qu'en raison du rôle éminent que la Constitution lui confie et de la légitimité que lui donne son mode d'élection, le chef de l'Etat puisse venir s'exprimer en personne devant la Représentation nationale. Ce serait au demeurant une manière de reconnaître et de revaloriser le rôle du Parlement. Les modalités selon lesquelles le Président de la République peut d'ores et déjà s'adresser à lui, héritées de l'histoire, sont aujourd'hui désuètes. Cette possibilité nouvelle, qui naturellement correspondrait à des moments importants de la vie publique nationale, devrait être ouverte devant l'Assemblée nationale, devant le Sénat, ou devant les deux chambres réunies en Congrès. Elle devrait pouvoir donner lieu à débat.
Soucieux de rechercher les voies d'une démocratie irréprochable et d'une République exemplaire, j'estime nécessaire qu'un certain nombre de pouvoirs de l'exécutif, notamment du Président de la République, soient davantage encadrés. Je suis favorable à un renforcement du contrôle qui s'exerce sur les pouvoirs exceptionnels conférés aux pouvoirs publics en cas de crise grave (article 16 de la Constitution, état de siège, état d'urgence). Je pense que les propositions du comité s'agissant du droit de regard du Parlement sur les nominations les plus importantes doivent être reprises. Je souhaite que le droit de grâce du Président de la République soit réservé à des cas individuels et que son exercice soit précédé de l'avis d'une commission de sages dont le nombre serait limité. Je préfère cette formule à celle d'une consultation préalable du Conseil supérieur de la magistrature : par construction, la justice s'est déjà prononcée sur ces affaires.
J'estime souhaitable de mettre en oeuvre les propositions du comité relatives au remboursement aux administrations des frais de personnels mis à disposition des cabinets ministériels, ainsi qu'au contrôle par la Cour des comptes des budgets des « pouvoirs publics », comme la Présidence de la République a d'ores et déjà prévu de le faire pour sa part. Pour des raisons d'efficacité de l'action de l'Etat et de plein engagement dans leur mission des titulaires de responsabilités ministérielles, je suis favorable à la proposition du comité consistant à interdire le cumul d'une fonction ministérielle avec tout mandat électif, à tout le moins avec tout mandat exécutif. En contrepartie, les anciens ministres pourraient retrouver leur siège au Parlement.
Conformément aux engagements de la campagne présidentielle, et alors même que le comité ne l'a pas retenu, je propose que le nombre de mandats successifs d'un même Président de la République soit limité à deux. Je considère que le rôle de la Constitution est aussi d'aider les responsables politiques à agir plutôt qu'à chercher à se maintenir.
En revanche, après réflexion, je ne pense pas qu'il soit souhaitable que les articles 5, 20 et 21, qui précisent la répartition des rôles entre le Président de la République, le Premier ministre et le gouvernement, soient modifiés. Dès lors qu'un changement de la nature du régime est écarté, toute modification de la rédaction actuelle me paraît en effet présenter plus d'inconvénients que d'avantages. En matière de défense toutefois, et pour des raisons de sécurité, de clarté et de rapidité dans la prise de décision, la répartition des compétences au sein de l'exécutif mériterait à mes yeux d'être précisée, comme l'a proposé le comité.
2. Un Parlement renforcé
Le comité présidé par M. Édouard Balladur a formulé des propositions très conséquentes s'agissant du Parlement. Il s'agit d'une démarche fondée et cohérente, la principale insuffisance de nos institutions étant la faiblesse de notre Parlement.
Je propose globalement que ces recommandations soient appliquées, qu'il s'agisse du nombre et du rôle des commissions parlementaires, de l'organisation des débats, de l'encadrement du recours à la procédure d'urgence, du partage de l'ordre du jour, de l'exercice de la fonction de contrôle, de la possibilité pour le Parlement d'adopter des résolutions, et de son association plus étroite à la politique européenne, internationale et de défense.
S'agissant de l'article 49 alinéa 3, dont la portée symbolique ne doit pas être sous-estimée, je suis d'avis que son utilisation doit être encadrée. Plusieurs solutions sont envisageables, celle du comité bien sûr, mais aussi, par exemple, une limitation du nombre de recours possibles à cet article en une session ou en une législature, ou encore une utilisation de l'article 49 alinéa 3 qui serait limitée aux périodes durant lesquelles le gouvernement ne dispose pas d'une majorité absolue au Parlement. Je vous demande de soumettre cette question et ces différentes possibilités au débat.
Comme le lui demandait sa lettre de mission, le comité de modernisation et de rééquilibrage des institutions de la Ve République a consacré d'importants développements à la qualité des normes et à la sécurité juridique. Je considère qu'ils doivent pour l'essentiel être mis en oeuvre, en retenant un délai minimum d'un mois - plutôt que deux - entre le dépôt d'un texte au Parlement et son examen. Pour compléter ces propositions, et compte tenu des difficultés très importantes causées par le fait que trop de lois demeurent trop longtemps inapplicables en l'absence de leurs textes d'application, je souhaite que soit trouvé le moyen, pour le Parlement, d'exiger et d'obtenir du gouvernement que soient pris, dans des délais raisonnables, les décrets d'application des lois. Je souhaite également que soit expertisée la possibilité pour le gouvernement de saisir pour avis le Conseil constitutionnel des projets de dispositions législatives qui lui paraissent soulever une question constitutionnelle délicate. L'intervention en amont du Conseil constitutionnel est nettement préférable à son intervention en aval. Je ne suis pas favorable en revanche à ce que le Conseil constitutionnel puisse être saisi de la recevabilité des projets de loi au regard de leur étude d'impact. C'est au gouvernement qu'il incombe en la matière d'agir avec la discipline nécessaire.
Renforcer le Parlement passe enfin par l'amélioration de sa représentativité. Aussi bien l'Assemblée nationale que le Sénat doivent mieux refléter les différentes composantes de la population et la diversité des courants d'opinion.
Une première série de mesures me paraît particulièrement utile à cette fin : améliorer la représentativité du Sénat, notamment en prenant davantage en compte dans le scrutin sénatorial la répartition de la population sur le territoire £ permettre aux Français de l'étranger, huitième département de France, d'élire des députés £ faire du redécoupage régulier des circonscriptions une exigence constitutionnelle et prévoir l'avis d'une commission indépendante £ créer un statut de l'opposition destiné à mieux protéger les droits des minorités et à inscrire dans la Constitution le principe d'une démocratie apaisée et irréprochable (les modalités proposées par le comité Balladur me paraissent pertinentes).
Une seconde série de mesures concerne des questions plus délicates et plus controversées : le cumul des mandats, d'une part, le scrutin proportionnel, d'autre part. Ces questions ne sont pas de nature constitutionnelle, mais elles contribuent à l'équilibre de nos institutions et à l'exemplarité de notre République. Il est légitime qu'elles soient étudiées ensemble.
Le cumul des mandats a été, à bon droit, significativement encadré dans notre pays au cours des années récentes. J'observe qu'il n'existe pas de preuve de ce que les parlementaires ayant un mandat unique seraient meilleurs ou plus investis que ceux qui cumulent celui-ci avec un mandat local. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Je suis néanmoins sensible aux interrogations de nos concitoyens quant à la capacité réelle d'un même élu à exercer plusieurs mandats importants à la fois, voire à cumuler ceux-ci avec l'exercice de fonctions professionnelles. Il n'est pas incohérent par ailleurs de considérer que le renforcement du Parlement doit s'accompagner d'un plus grand investissement des parlementaires. Pour toutes ces raisons, je vous demande de soumettre à la concertation l'ensemble des solutions possibles, depuis l'extension des limitations de cumul à la présidence des établissements publics de coopération intercommunale jusqu'à l'interdiction du cumul, en passant par le renforcement des sanctions contre l'absentéisme parlementaire, l'octroi de moyens de fonctionnement supplémentaires aux parlementaires qui font le choix du mandat unique, ou encore un encadrement plus strict de la possibilité ouverte aux parlementaires d'exercer certaines fonctions professionnelles.
En ce qui concerne le scrutin proportionnel, je demeure convaincu, comme je l'ai annoncé pendant la campagne présidentielle, que les difficultés actuelles de représentation de la diversité des courants d'opinion justifient que nos processus électoraux intègrent une part plus importante de scrutin proportionnel. Si j'incline plutôt à ce que ce soit le Sénat qui représente à la fois la diversité territoriale et la diversité des opinions de notre pays, ce qui lui permettrait de poursuivre la modernisation qu'il a entreprise depuis quelques années, et si je suis attaché par ailleurs à la nécessité de pouvoir dégager des majorités à l'Assemblée nationale, je vous demande néanmoins de soumettre au débat les deux options - renforcer la proportionnelle au Sénat ou créer une part de proportionnelle à l'Assemblée nationale - ainsi que leurs différentes modalités.
Je souhaite par ailleurs que le Conseil économique et social, qui ne fait pas partie du Parlement, mais qui n'en a pas moins un rôle essentiel dans la représentation des différentes composantes de la Nation et de la société, soit profondément modernisé. Cela concerne sa composition - bien au-delà des seules personnalités qualifiées - son rôle et même son nom. Cette troisième assemblée représente les forces vives de la Nation. De manière générale, elle doit être plus féminisée, faire sa place aux jeunes, notamment les étudiants, aux ONG environnementales, aux représentants des grands courants spirituels.
Il convient également de faire en sorte que le processus de désignation des candidats à l'élection présidentielle garantisse que tous les courants significatifs d'opinion peuvent avoir un candidat. Sur ce dernier point, plusieurs solutions sont possibles, dont celles proposées par le comité Balladur, que je vous demande d'expertiser.
3. Des droits nouveaux pour les citoyens
Le comité de modernisation et de rééquilibrage des institutions de la Ve République a formulé enfin un certain nombre de propositions conférant des droits nouveaux aux citoyens. Je propose qu'elles soient pour l'essentiel reprises. Notre loi fondamentale n'a pas seulement pour vocation d'organiser le fonctionnement des institutions. Elle reconnaît également des droits aux citoyens, qui doivent évoluer au même rythme que la société.
Une première série de propositions est relative à la composition et au rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Il s'agit de propositions fondamentales dans le contexte de modernisation et d'ouverture de la justice que notre pays attend et que nos magistrats espèrent. Comme l'a proposé le comité, je souhaite que la composition du CSM soit plus ouverte sur la société française et qu'elle soit compatible avec le positionnement particulier de l'autorité judiciaire au sein de nos institutions £ à cet effet, le CSM ne doit plus être composé à majorité de magistrats et le Président de la République doit cesser de le présider. Je pense en revanche que le ministre de la justice, garde des sceaux, doit conserver la possibilité de participer aux séances non disciplinaires du CSM. Il serait curieux que le ministre de la justice ne puisse s'entretenir avec la plus haute instance de l'organisation de la magistrature. De même, je souhaite que le CSM soit consulté sur la nomination des procureurs généraux et que sa saisine soit ouverte aux justiciables en matière disciplinaire. Il conviendra de mettre en place - au sein du CSM - les filtres nécessaires pour éviter que celui-ci ne devienne une instance systématique de contestation des décisions de justice rendues au fond.
Comme c'est le cas dans toutes les grandes démocraties, je pense que doit être ouverte aux citoyens, à l'occasion de litiges portés devant les juridictions, la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité des lois déjà promulguées au regard des droits fondamentaux. La question de constitutionnalité pourrait être posée à tout moment de la procédure, mais les juridictions ordinaires seraient tenues soit de l'écarter, soit d'en saisir, par voie de question préalable, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation, selon l'ordre de juridiction saisi, charge à ces deux cours suprêmes d'écarter les questions sans fondement et de saisir le Conseil constitutionnel des autres. Ce progrès majeur de l'Etat de droit doit être concilié avec le souci légitime de la sécurité juridique et le respect du rôle du Parlement. Ces précautions me paraissent le permettre.
Le comité a proposé la création d'un défenseur des droits fondamentaux sur le modèle espagnol du « défenseur du peuple ». Ce défenseur des droits fondamentaux serait chargé notamment d'aider nos concitoyens victimes des erreurs, des lenteurs et des dysfonctionnements inhérents à toute administration, à faire valoir leurs droits. Outre que son rôle serait consacré par la Constitution, il pourrait en particulier être directement saisi par les citoyens. Cette proposition constitue à mes yeux une avancée très significative pour les droits des citoyens, et je vous demande de soumettre au débat son principe et ses modalités.
S'agissant de la proposition tendant à instaurer un conseil du pluralisme, je note que les organismes qui auraient vocation à rejoindre ce conseil, en particulier le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ont des missions aujourd'hui plus larges que la seule question du pluralisme. C'est donc une réflexion d'ensemble qui doit être menée, dont les contours ne sont pas tous constitutionnels. Je n'en partage pas moins le souci du comité de renforcer les garanties constitutionnelles qui s'attachent à la protection du pluralisme.
A l'issue de ces consultations, vous voudrez bien m'informer de leurs résultats et me proposer un projet de texte modifiant la Constitution. S'agissant d'une réforme constitutionnelle tendant à une démocratie irréprochable, à une République exemplaire et à un Etat efficace, il me paraît souhaitable et possible de recueillir un accord large. Notre objectif doit être de rester cohérents sur les buts de la réforme.
Je souhaite que ce travail soit achevé pour le 15 décembre prochain, afin que le Parlement puisse en faire un premier examen d'ici le mois de février.
Parallèlement, je souhaite approfondir la question de la modernisation du Préambule de la Constitution de 1958. Ce Préambule, et les textes qui lui sont associés (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen £ Préambule de 1946 £ Charte de l'environnement), comportent les principes, les libertés et les droits fondamentaux sur lesquels notre démocratie est construite. Il me paraît utile et pertinent de s'assurer régulièrement que ces principes correspondent à l'état de notre société et, si tel n'est pas le cas, de les compléter. Je pense notamment, mais la liste n'est pas exhaustive, à la question essentielle de la dignité, ou encore à celles de la parité, de la diversité, du pluralisme.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs.