6 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-américaines et sur sa politique de réformes en France, à Washington le 6 novembre 2007.


Mesdames et Messieurs,
D'abord, on est en pleine forme, très heureux d'être ici, vous l'avez compris, et je voudrais vous dire combien je suis fier de conduire une délégation où se trouve Bernard KOUCHNER, à qui je veux dire mon amitié, ma confiance, Christine LAGARDE, notre ministre de l'Economie et des Finances, Rama YADE et le Président de l'Assemblée nationale, Bernard ACCOYER, que je remercie de m'avoir accompagné.
Je voudrais vous dire que je suis vraiment très ému de l'accueil que vous nous réservez, et très honoré de l'accueil que nous réservent les Américains. J'imagine que chacun d'entre vous, vous étiez là au moment où cela n'allait pas très bien et que votre accueil d'aujourd'hui est inversement proportionnel à tout ce que vous avez vécu. Parce que j'imagine que, pour vous, c'était un déchirement que de voir la France et les Etats-Unis se trouver dans une situation d'incompréhension. Cette période, elle est révolue. Nous sommes les amis, les alliés, les partenaires des Etats-Unis. Mais nous sommes des alliés, des amis, des partenaires, cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout. Il faut que l'on puisse discuter de tout. Nous sommes libres. Nous sommes souverains. Nous sommes indépendants. J'ai eu l'occasion de le dire à ces jeunes vétérans : on ne peut pas oublier, nous les Français, ce que les Américains, les jeunes Américains, ont fait à deux reprises au XXe siècle pour que notre pays soit libre. Et cela crée des liens. J'aurai l'occasion de le dire demain au Congrès, des liens indestructibles.
Je veux également vous dire que j'ai parfaitement conscience que vivre aux Etats-Unis, c'est beaucoup de joie et, en même temps, des problèmes, des difficultés, des déchirements, un éloignement. Je veux rendre hommage plus particulièrement à l'un d'entre vous, qui est un ami, Guy WILDENSTEIN, qui a beaucoup fait pendant la campagne et qui m'a dit : il ne faut pas que tu oublies tes promesses. Dans mes promesses, il y avait la question du financement et du coût de la scolarité pour vos enfants.
Je vais vous parler très librement et notre Ambassadeur, M. VIMONT, à qui je voudrais dire mon amitié et ma confiance, ne m'en voudra pas. Bernard, non plus, Christine, non plus, je l'espère en tout cas. Il y avait tellement de choses à faire que j'étais presque au point de me laisser faire par la machine administrative qui m'avait dit : "naturellement votre engagement de campagne, c'est un engagement de campagne. Il faut l'oublier". "Eh bien, non. Vous allez voir, on va faire la même chose". Oui, c'était peut-être la même chose, mais cela coûtait beaucoup moins cher. Je me suis quand même dit, à un moment, que c'était pas tout à fait la même chose, "on va multiplier les bourses, vous allez voir, cela va arriver". Guy m'a téléphoné en me disant que je n'avais pas le droit de faire cela. Je suis quand même heureux parce que la scolarité en terminale, c'est gratuit et c'est quand même quelque chose qu'il fallait et que j'avais promis. Chaque année, on va rajouter une classe de plus, parce que ma conception de l'égalité, c'est qu'il n'y a aucune raison que l'école soit gratuite quand on reste en métropole et qu'elle soit payante quand on tente l'aventure de l'expatriation alors que c'est pour servir la France. Je l'ai dit devant les parlementaires qui m'accompagnent. Tu as noté, Bernard, Christine aussi, l'année prochaine, une année de plus. On peut dire alors pourquoi vous n'avez pas fait tout ? Alors quand même, ce n'est pas tout à fait les bourses. Cela coûte un peu plus cher.
Je voudrais également vous dire que l'on va avoir ce soir, à La Maison Blanche, un dîner où nous reçoit le Président BUSH. Demain, j'aurai l'occasion de parler devant le Congrès. Je veux que vous compreniez ce que nous voulons faire avec Bernard KOUCHNER. Nous sommes des alliés, nous sommes des amis, c'est une chose sur laquelle nous ne reviendrons pas. Les Américains doivent savoir qu'ils peuvent compter sur la France. C'est la solidité de notre alliance qui doit nous permettre d'être libres, libres d'exprimer tranquillement une façon différente de penser parce que dans une même famille, on peut s'aimer très fortement et avoir des désaccords qui ne remettent pas en cause l'affection que l'on se porte et les liens que l'on a.
Vous savez, j'aime l'Amérique. J'aime cette chance donnée à chacun. J'aime la fluidité de cette société et c'est même très grave, puisque je l'ai dit avant les élections. Vous vous rendez compte, être un ami des Américains et être élu en France. C'est quelque chose d'énorme ! A mon avis, c'est que la France, ce n'est pas ce que l'on me dit. La France, elle sait parfaitement où sont ses amis. En même temps, on veut convaincre nos amis Américains, que lorsqu'on est la première puissance du monde et que l'on a tant réussi, on doit montrer l'exemple s'agissant de la préservation des équilibres de la planète, et être moteur dans la lutte pour la préservation de l'environnement. On a besoin des Etats-Unis dans ce combat là, à la première place, pour faire bouger les choses.
On a rencontré avec Christine des hommes d'affaires et on leur a dit que l'on voulait la concurrence, on croyait à la libre circulation, on croyait à la mondialisation, on croyait à cette possibilité que l'on avait d'être en compétition, mais que l'on voulait la compétition loyale. La compétition loyale, c'est que nous, en Europe et en France, on veut faire la même chose qu'eux. Quand ils font le Small Business Act pour aider leur PME, on veut faire la même chose. Quand ils créent une fiscalité différente pour favoriser le maintien d'usines sur leur territoire, on veut faire la même chose. J'ai dit au Président BUSH simplement, vous défendez les fermiers américains, vous avez raison. A votre place, je ferai la même chose. Comprenez que nous, on défend les agriculteurs français, parce que le pouvoir vert, ce que représente de force pour notre économie l'agriculture, nous devons la défendre. J'ai dit aux industriels américains, vous êtes tellement bons, tellement forts, vous n'avez pas besoin d'un dollar si faible pour gagner.
On essaye de se comprendre sur les grands dossiers du monde. On va parler. Je suis très heureux d'aller dans la maison de George WASHINGTON, je suis très heureux de cette occasion d'échanger. Vous savez, quand il y a eu le 11 septembre, on était tous solidaires. Les terroristes ont cru affaiblir l'Amérique. Elle n'a jamais été si grande, si digne, si noble, si courageuse que le 11 septembre quand elle a serré les coudes et quand elle a surmonté cette épreuve. On se sentait tous Américains, New-yorkais. On pensait tous que cela aurait pu nous arriver.
Et dans le même temps, la France, allié solide, définitif des Etats-Unis, doit être ce pays qui parle au monde entier. Parce que le monde, pour éviter la crise, a besoin qu'on se parle, a besoin qu'il y ait des pays qui puissent tendre la main sur des dossiers aussi difficiles que l'Iran. Nous voulons être porteurs d'une politique de fermeté parce que l'arme nucléaire dans les mains du Président iranien, c'est inacceptable pour nous. Et en même temps, nous voulons jusqu'à la dernière minute maintenir le fil du dialogue, les sanctions pour pousser au dialogue, mais le dialogue toujours présent sur la table.
Je veux vous dire une chose. On a besoin de vous. Votre pays a besoin de vous. Parce qu'ici vous êtes au contact du monde, vous voyez que ça bouge et que la France ne peut pas rester immobile. La France a trop attendue. La France n'a pas assez avancé alors que les autres avançaient et c'est toute la politique que l'on met en oeuvre. Il faut que ça change. Sur la route de l'ouest pour aller à Washington, je me suis posé en Bretagne, au Guilvinec... C'est sur la route, c'est exactement à côté ! Et pour expliquer aux pêcheurs qu'on allait les sauver, qu'on allait les aider, mais que cela ne servait à rien de casser, de bloquer, qu'il fallait qu'on apprenne à dialoguer, à avancer ensemble. On nous promet un mois de novembre difficile, mais ce n'est pas le mois de novembre qui est difficile, c'est tout le quinquennat qui sera difficile parce que j'ai été élu pour faire des choses et je les ferai.
Parce qu'il n'y a pas d'autre choix, on a besoin de vous, quels que soient vos engagements aux uns et aux autres. Si vous aimez la France, il faut que vous aidiez ce mouvement historique de réformes qu'on est en train de mettre en oeuvre. Je pense que depuis 1958, il n'y a jamais un gouvernement qui a engagé autant de réformes en même temps. Alors on me dit : « pourquoi vous les faites toutes en même temps ? » Mais parce que je sais que quand on ne les fait pas en même temps, on ne les fait jamais. Que celui qui fait une réforme la première année, termine épuisé par cet effort. Et il dit "oh la la, il faut qu'on se repose après". Vous vous rendez compte, on a fait une réforme. Et que deuxièmement ça n'a pas de sens. Reformer le marché du travail si on ne réforme pas l'éducation, réformer l'éducation si on ne réforme pas la formation professionnelle, réformer la formation professionnelle si on ne réforme pas la fiscalité... Il y a ici, je la remercie, la Présidente du MEDEF, Laurence PARISOT, une femme courageuse, qui rénove elle aussi l'organisation qu'elle préside. Il faut qu'on engage ce mouvement. Alors on me dit : « mais c'est une question de tempérament » cela n'a rien à voir avec le tempérament. Cela a tout à voir avec les convictions. En ce moment même, en six mois, on fait la fusion entre l'UNEDIC et l'ANPE qu'on attendait depuis 20 ans, tout le monde savait qu'il fallait la faire, cela ne se faisait pas. On fait la fusion entre la Comptabilité publique et la Direction générale des impôts, ce seul projet a fait démissionner deux ministres socialistes, on le fait. On fait la fusion entre la DST et le Services des renseignements généraux, on fait la réforme de la carte judiciaire qui attend depuis 1958, et je dis à mes propres amis : "le premier tribunal que vous voulez supprimer, supprimez donc celui de ma ville cela montrera bien que suis engagé dans la réforme. "On fait la réforme des régimes spéciaux, on me dit c'est difficile. Evidemment, si c'était facile, les autres l'auraient fait et on ne nous l'aurait pas laissé. A moins que je n'ai pas tout compris, cela doit être par affection et on m'aimait tellement, on lui fait tellement confiance qu'on lui a laissé tout ce qui était difficile et impossible à faire. Nous voulons le meilleur pour notre pays. Mais le gouvernement de François FILLON et moi on veut le faire sans opposer les Français les uns aux autres. Pourquoi j'ai voulu un gouvernement d'ouverture ? Pourquoi j'ai voulu que des hommes comme Bernard KOUCHNER intègrent l'équipe de France ? Parce que les réformes qu'on met en oeuvre, ce ne sont pas les réformes de droite contre la gauche, c'est simplement le bon sens, que dans le monde d'aujourd'hui, un pays ne peut pas rester immobile. J'ai voulu aller chercher le plus loin possible de la même façon que je me suis battu pour que Dominique STRAUSS-KAHN, un Français soit élu à la tête du FMI. Peu m'importe qu'il soit socialiste, il était le bon candidat et c'est bien pour la France. A partir du moment où vous vous avez tranché sur une stratégie, sur une politique, mon devoir c'était d'aller chercher le plus loin possible, pour avoir la meilleure équipe possible. Vous savez, pour moi ce soir, arriver au dîner à la Maison Blanche, et donner l'image de la France, avec la première femme ministre des Finances dans l'histoire de la République Française... C'est un honneur. Il a fallu attendre 2007 pour qu'une femme exerce ces responsabilités. Comme si une femme ne pouvait être responsable que de la famille, des crèches, des affaires sociales, quelle vision archaïque de ce que sont les femmes !
Dans le gouvernement que j'ai choisi, il y a une femme ministre des finances, il y a une femme ministre de l'Intérieur, il y a une femme Garde des Sceaux. Et puis vous savez pour moi, c'est émouvant aussi d'avoir à mes cotés ce soir, Rachida DATI, comme Garde des Sceaux. Moi, l'Amérique que j'aime, c'est celle qui depuis 21 ans se dote d'un ministre des Affaires étrangères qui n'est pas américain "canal historique", comme le dirait Rama YADE : Madeleine ALBRIGHT, Colin POWELL, Madame RICE et bien je suis heureux que Rachida DATI soit Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Et aux côtés de Bernard KOUCHNER, j'ai voulu qu'il y ait Rama YADE, parce que Rama tu donnes une belle image de la France, la France d'aujourd'hui, pas la France d'hier. Une France diverse où chacun doit avoir sa chance. Quand on rentrera tous à la Maison Blanche ce soir, on va penser à vous. Parce que ce qu'on a voulu c'est donner l'image d'une France nouvelle, d'une France jeune, d'une France ambitieuse, d'une France ouverte, d'une France multiple, d'une France qui rayonne, d'une France qui tend la main, d'une France qui n'a pas peur, d'une France amie des Etats-Unis d'Amérique.
Et maintenant si vous le voulez bien, si il y avait quelques appareils de photo, ce serait avec plaisir que je ferais des photos et que je discuterais avec ceux qui voudront bien discuter avec nous.Merci à tous.