5 novembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le rôle de la Cour des Comptes, à Paris le 5 novembre 2007.

Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Mesdames et Messieurs les auditeurs,
Mesdames et Messieurs,
Merci de votre accueil.
Merci cher Philippe Séguin de ces mots si chaleureux.
Je suis heureux d'être parmi vous pour commémorer la création de la Cour des Comptes et célébrer son deux centième anniversaire.
Je voulais par ma présence en un instant aussi solennel rendre hommage à votre institution qui depuis deux cents ans sert l'Etat sans discontinuer malgré les vicissitudes de l'Histoire.
Je voulais rendre hommage au travail et au sens de l'Etat de ses magistrats et de tous ceux qui les
aident à accomplir leur mission.
Cette mission, c'est de faire en sorte que la confiance des citoyens dans l'Etat puisse être préservée.
Cette mission, c'est de faire respecter une éthique, une éthique républicaine, une éthique du service
public.
Car le contrôle des comptes publics ce n'est pas qu'une exigence technique, c'est d'abord une
exigence morale.
L'argent public, c'est l'argent de tous, c'est l'argent durement gagné par le travail, l'effort, la peine de chacun.
Cet argent est doublement sacré.
Il l'est parce qu'il est pris au travailleur et à l'épargnant, parce qu'il est le sacrifice qui est demandé à chacun pour que la République puisse vivre, parce que le paiement de l'impôt c'est l'acte civique par lequel la solidarité cesse d'être un voeu pieux pour devenir une réalité.
Sacré, l'argent public l'est aussi parce que les besoins sont toujours plus grands que les ressources,
parce qu'il y a trop de détresse, de misère, de souffrances à soulager, parce qu'il y a trop d'injustices à réparer, parce qu'il y a trop d'inégalités à corriger et trop peu de moyens pour qu'un seul centime soit gaspillé, pour qu'un seul centime soit détourné.
Qu'on gaspille de l'argent public, qu'on le détourne, et c'est autant qui manquera pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin, à ceux qui sont les plus vulnérables, à ceux que les accidents de la vie ont brisés.
Trop longtemps on a considéré le gaspillage et le détournement de l'argent public avec une certaine
légèreté.
Trop longtemps les enquêtes, les rapports et les observations de la Cour des Comptes sont restés sans conséquence.
Trop longtemps on a considéré que le manque de rigueur dans la gestion des deniers publics au fond
n'était pas si grave - parce que l'argent public ce n'était pas l'argent de tous, mais l'argent de
personne.
Trop longtemps on a considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour dire que cette époque est révolue.
Notre Etat a besoin d'une révolution intellectuelle et morale.
La révolution intellectuelle pour moi c'est celle de la certification qui oblige à la transparence et à la
sincérité des comptes, et c'est celle de l'évaluation qui oblige chacun à se soucier des conséquences de ce qu'il décide et des résultats de ce qu'il entreprend.
La révolution morale pour moi c'est celle de la responsabilité. La révolution morale pour moi c'est la plus grande sévérité pour ceux qui commettent des fautes, c'est la fin du sentiment d'impunité pour les fraudeurs, c'est, en même temps, la récompense du mérite et du travail bien fait.
Rien n'est plus immoral et plus démoralisant que cette confusion des esprits et des valeurs qui met sur le même plan le bien et le mal, l'honnêteté et la malhonnêteté, la compétence et l'incompétence.
Rien n'est plus immoral, plus démoralisant que cette négligence ordinaire dans la gestion des deniers publics qui décourage les bonnes volontés et détruit le consentement à l'impôt.
Il nous faut une révolution dans les esprits et dans les comportements.
Cette révolution, elle est devenue urgente après tant de laisser-aller.
Cette révolution les Français la souhaitent.
Elle a commencé avec la nouvelle procédure budgétaire.
Elle a commencé avec la certification des comptes publics.
Mais cette révolution, elle est trop lente.
Cette révolution, elle ne va pas assez loin.
Cette révolution, je veillerai à ce qu'elle aille jusqu'au bout, à ce qu'elle aille vite, à ce qu'elle aille le plus loin possible.
C'est dans cet esprit que j'ai voulu que la Présidence de la République donne l'exemple.
Le budget de l'Elysée n'était pas soumis au contrôle de la Cour des Comptes. Désormais, il le sera.
Le salaire du Président de la République était fixé discrétionnairement. Désormais il le sera par la loi, en toute transparence.
La commission de réforme des institutions présidée par Edouard Balladur propose que tous les pouvoirs constitutionnels soient soumis au contrôle de la Cour. Je ferai mienne cette proposition parce que nous avons besoin que la démocratie soit irréprochable et parce que l'opacité engendre toujours le soupçon et le discrédit.
Qu'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de jeter la suspicion sur la grande majorité des
fonctionnaires, sur leur honnêteté, sur leur compétence, sur leur dévouement. Au contraire, il s'agit de leur rendre leur dignité, de les rendre insoupçonnables, de préserver leur honneur.
J'ai souvent eu l'occasion de dire que je n'aime pas la manière dont on parle des fonctionnaires dans mon pays et qu'il est profondément injuste de les rendre responsables des dysfonctionnements de l'Etat, de son immobilisme, de ses gaspillages qui ne sont imputables qu'à des fautes, à des comportements, à des choix politiques.
Comme il est profondément injuste de faire supporter à tous les fonctionnaires le poids des fautes et des erreurs de quelques-uns d'entre eux.
C'est cette injustice que je veux combattre.
Un contrôle plus rigoureux, une évaluation plus systématique, une responsabilité mieux affirmée et à laquelle nul ne doit être soustrait, permettront non seulement de faire des économies pour réduire nos déficits et notre endettement, mais aussi de rétablir le prestige de notre fonction publique et de restaurer l'autorité de l'Etat qui pâtit de toutes les fautes et les erreurs qui ont été commises en son
nom.
Le gaspillage et la fraude détruisent le civisme et la confiance du citoyen dans l'Etat et dans ceux qui le servent.
Moins de gaspillage, moins de fraude ce sera plus d'esprit civique, davantage de confiance dans la
République et dans la démocratie, davantage de respect pour les fonctionnaires.
La lutte contre la fraude, je veux que ce soit une priorité. Je l'ai promis aux Français. Cette promesse sera tenue.
Chaque responsable d'un service public, d'une administration, devra présenter un plan de lutte contre la fraude.
Je demanderai des comptes sur les résultats obtenus à chaque Ministre, à chaque Directeur
d'administration centrale, à chaque dirigeant d'établissement public. Je veux que chacun se sente concerné, impliqué, responsable. Je veux que chacun sache qu'il sera jugé aussi sur ce critère.
Je le répète : ce ne sont pas seulement l'organisation et les procédures qui doivent être réformées pour que soit résolue la crise de notre démocratie et pour que notre Etat et notre fonction publique retrouvent la confiance des citoyens. Ce sont les principes mêmes de notre gestion publique qui
doivent être refondés.
Cette révolution intellectuelle et morale, vous avez vocation à en être le bras armé.
Je suis convaincu que nous ne résoudrons rien, que nous n'assainirons pas la situation de nos finances publiques, que nous ne réduirons pas durablement nos déficits et notre endettement par des politiques d'austérité.
A ceux qui ne croient qu'à la vertu des politiques sacrificielles, je veux dire que les Français n'ont cessé depuis 25 ans de faire en vain des sacrifices considérables.
A ceux qui veulent donner la priorité à la réduction des déficits au lieu de donner la priorité aux réformes, je veux dire qu'ils confondent les conséquences et les causes et que ce sont les réformes qui réduisent les déficits.
A ceux qui réclament des politiques comptables, je dis que la France a besoin de politiques économiques, non de politiques comptables. Je leur dis que le rationnement comptable de la dépense et du désordre dans l'Etat, accroît les gaspillages et alourdit les déficits au lieu de les réduire.
Je leur dis que le rationnement est une mauvaise politique et que la bonne politique c'est de chercher à accroître l'efficacité de la dépense. C'est que l'Etat consomme moins mais qu'il investisse davantage.
C'est que la dépense publique soit davantage tournée vers l'avenir et moins vers le passé.
Ce doit être le rôle de la Cour des Comptes d'aider l'Etat à dépenser mieux.
Ce doit être le rôle de la Cour des Comptes d'éclairer les choix publics pour que la dépense publique soit toujours plus efficace.
En quelques décennies, la Cour des Comptes a beaucoup changé. Sous l'impulsion de vos
prédécesseurs et plus encore sous la vôtre, Monsieur le Premier Président, cher Philippe Séguin, elle est devenue plus réactive, plus opérationnelle. J'en veux pour preuve la rapidité et l'efficacité avec
lesquelles elle a relevé le défi de la certification.
Nous n'en sommes plus à l'époque où chaque magistrat de la Cour travaillait comme s'il appartenait à une profession libérale.
Le temps n'est plus où les magistrats achetaient leur charge et la transmettaient à leurs enfants.
Le temps n'est plus où les conseillers maîtres venaient en équipage une fois par mois chercher leurs liasses qu'ils dépouillaient chez eux en prenant tout leur temps.
La Cour désormais est une institution moderne qui concentre les compétences les plus grandes et les
talents les plus divers et les plus remarquables. Son statut juridictionnel et sa collégialité lui donnent
une indépendance précieuse pour l'accomplissement de toutes ses missions.
Je connais les débats récurrents autour de son rôle. Je connais la remise en cause toujours renouvelée de son statut, de son indépendance et de son positionnement. Un jour on veut la couper en deux, séparer la dimension juridictionnelle et les fonctions d'expertise, d'évaluation, de certification. Un autre jour on veut lui créer des concurrents, multiplier les organismes d'évaluation. Une autre fois on se dit que l'on pourrait la supprimer ou lui retirer une partie de ses missions.
Pour ce qui me concerne, je considère que ces débats sont clos, que les membres de la Cour
continueront à être des magistrats, que ni son indépendance ni son positionnement ni ses missions ne doivent être remis en cause.
La Cour gardera son statut et son unité. Elle continuera d'apporter son concours au Parlement dans sa mission de contrôle de l'exécutif.
Vous m'avez fait parvenir, Monsieur le Premier Président, un avant-projet de texte visant à réformer la Cour de Discipline Budgétaire et Financière, et je vous en remercie tant les propositions qu'il contient sont stimulantes et novatrices.
Sachez qu'elles vont à mes yeux dans la bonne direction. J'en approuve les principes et les grandes lignes. Elles viendront nourrir une réforme plus large à laquelle j'ai demandé au gouvernement de travailler. Elle touchera tout à la fois aux principes de notre comptabilité publique, au contrôle et à la mise en jeu de la responsabilité des ordonnateurs, au contrôle de légalité et aux pouvoirs et à l'organisation des juridictions financières.
Vous serez naturellement associé à ces réflexions le moment venu.
Vous sentez bien après tant de changements, tant d'évolutions dont la nouvelle procédure budgétaire
n'est pas la moindre, la nécessité de tout remettre à plat, de retrouver une cohérence qui ne peut
s'opérer ni par le retour à la tradition, ni par la table rase. Il nous faut refonder la Cour des Comptes à partir de ce que l'histoire et l'expérience ont légué de plus solide.
Le message que je veux délivrer aujourd'hui est simple.
Je ne veux pas atténuer l'indépendance de la Cour des Comptes, je veux la préserver.
Je ne veux pas réduire les prérogatives de la Cour des Comptes, je veux les accroître.
Je ne veux pas diminuer les compétences de la Cour des Comptes, je veux les augmenter.
Je ne veux pas qu'elle ait moins de pouvoir, je veux qu'elle en ait davantage.
Je ne veux pas affaiblir ses moyens, je veux les renforcer.
Je veux que la Cour demeure une juridiction parce que c'est sa force et son originalité, et qu'en même temps elle devienne le grand organisme d'audit et d'évaluation des politiques publiques dont notre Etat a besoin.
L'urgence, me semble-t-il, est d'abord matérielle.
Une telle fonction exige des moyens. Imagine-t-on des grands cabinets d'audit du secteur privé où les auditeurs n'auraient pas d'assistant, où chacun aurait à régler lui-même tous ses problèmes matériels, à effectuer les tâches de secrétariat ?
Le moins que l'on puisse dire c'est que les conditions dans lesquelles travaillent les magistrats de la Cour ne favorisent pas leur efficacité et que de ce point de vue on est encore entre la modernité et les temps anciens. La Cour a innové dans son recrutement pour relever le défi de la certification. Il lui faudra sans doute innover encore.
Je vous invite, Monsieur le Premier Président, à engager une réflexion collective sur ce que pourraient être les pouvoirs, les moyens et l'organisation nécessaires pour que ce grand organisme d'audit public dont la France a besoin puisse voir le jour et fonctionner sans que ce qui fait la force de l'institution que vous présidez s'en trouve amoindrie mais au contraire décuplée. Je souhaite que vous me fassiez part de vos conclusions dans un délai de trois mois.
L'avenir de la Cour des Comptes n'est pas derrière elle. Il est devant elle. La Cour a une histoire. Elle est l'héritière d'institutions bien plus anciennes - parce que nos rois éprouvaient déjà le besoin de faire contrôler l'argent public. On n'appartient pas à une institution pareille sans ressentir sans doute une fierté secrète d'être héritier d'une aussi longue tradition et sans que chacun ne se trouve porté par cette tradition à la plus grande exigence envers lui-même tant il éprouve tout naturellement le devoir de s'en montrer digne.
Mais répéter indéfiniment le passé ne saurait tenir lieu de projet.
Je ne suis pas venu vous inviter à répéter le passé mais à inventer l'avenir.
Je suis venu vous inviter à faire de ce bicentenaire non une simple commémoration mais le point de départ d'une renaissance.
Je suis venu vous inviter à la rupture avec les habitudes, les comportements, les routines du passé.
Je suis venu vous inviter à l'audace.
Car c'est d'audace dont nous avons besoin pour faire les réformes dont vos rapports montrent depuis si longtemps la nécessité.
C'est d'audace dont nous avons besoin pour moderniser notre administration, pour innover, pour refaire de l'Etat le levier du changement, l'agent principal du progrès qu'il fut si souvent dans notre histoire et non un facteur d'immobilisme et de conservatisme qu'il a fini par devenir.
Ayez de l'audace et vous aurez les moyens que cette audace appelle. Je m'y engage.
Ayez de l'audace et vous deviendrez l'aiguillon d'une révolution administrative sans précédent.
La Cour des Comptes a deux cents ans. C'est un bel âge pour une institution dans un pays qui dans le même temps a connu huit Constitutions dont deux Empires, deux monarchies, quatre Républiques, sans compter le régime de Vichy.
Cette longévité elle la doit à la qualité des hommes et des femmes qui l'ont servie, à leur haute valeur intellectuelle et morale, à leur passion pour le bien public. Ils ont su la rendre indispensable à l'Etat. Dans les circonstances où nous nous trouvons, elle l'est à mes yeux plus que jamais.
Je suis venu vous dire ma confiance.
La Cour des Comptes a deux cents ans et encore une tâche immense à accomplir.
Elle a deux cents ans et elle commence une nouvelle jeunesse.
Elle a deux cents ans et tout l'avenir devant elle.
Nous allons le bâtir ensemble.Je vous remercie.