17 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la lutte contre la pauvreté, à Paris le 17 octobre 2007.


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
En cette journée mondiale du refus de la misère, où la première place est offerte à ceux qui d'ordinaire sont les derniers, j'ai voulu adresser à chacun un message de solidarité.
A ceux qui sont confrontés chaque jour à des conditions de vie difficiles, à ceux qui connaissent le froid, la solitude, la faim, je voudrais, du fond du coeur, dire, en tant que Chef de l'Etat, mon amitié.
Je voudrais dire en tant que Président de la République qu'il n'y a pas de honte à être démuni. La seule honte, c'est d'oublier la fraternité.
La fraternité pour moi ce n'est pas un dogme, mais une espérance.
La fraternité pour moi ne commence pas avec la charité, avec l'assistance. La fraternité, c'est d'abord la solidarité, la compréhension et le respect. C'est d'être avec les personnes. C'est d'être avec ceux qui se lèvent tôt le matin, mais qui ne gagnent pas assez pour loger leur famille. C'est d'être avec les veuves qui ont travaillé toute leur vie, mais qui n'ont pas assez pour vivre décemment. C'est d'être avec les victimes. C'est d'être aussi avec les prisonniers quand les conditions de détention sont indignes. C'est d'être aux côtés de tous ceux qui ont besoin d'être accompagnés pour trouver, un emploi, une activité, pour s'en sortir, pour ne pas être condamné à l'échec, tout simplement pour avoir une chance d'être un jour intégré.
A chacun, je veux dire que dans toute larme s'attarde un espoir, que chaque homme ne porte en lui que son avenir. Et « Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Il n'y a rien à ajouter à ce que disait Antoine de Saint-Exupéry. Telle est ma conception de la politique.
Telle est l'ambition fraternelle du projet, sur lequel les Français m'ont élu. Désormais. J'ai été élu sur un projet, je le mettrai en oeuvre scrupuleusement. Je veux que cette ambition que j'ai portée, soit partagée pour qu'elle devienne le projet de tous, comme j'ai voulu un gouvernement rassemblé dans sa diversité avec Christine Boutin et Martin Hirsch à mes côtés, car pour mettre en oeuvre de grands projets, il faut une grande majorité et cette majorité doit faire la place à ceux qui sont différents.
Je suis donc particulièrement heureux de m'exprimer, en cette journée, devant vous qui représentez les forces de la nation, oeuvrant jour après jour pour qu'un tel projet puisse exister. Et nous aurons l'occasion de parler de l'avenir du Conseil économique et social sur lequel je peux, moi aussi, avoir des propositions à faire et des idées à présenter.
L'immobilisme, le conservatisme, ce n'est pas mon projet. Ce n'est pas mon tempérament, ce n'est pas mon habitude, ce n'est pas le mandat que j'ai reçu des Français.
Dans un message adressé de Londres, le 1er mai 1943, à l'occasion de la Fête du Travail, le général de Gaulle déclarait : "Quand viendra la victoire, la patrie reconnaissante devra et saura faire à ses enfants, ouvriers, artisans, paysans, d'abord un sort digne et sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des grands intérêts communs."
C'était là, le véritable acte de naissance de votre institution. C'est toujours là, votre mission : assurer la participation des différentes catégories professionnelles à la politique de la nation. Et la force de votre assemblée, c'est encore aujourd'hui d'être composée d'hommes et de femmes qui au travers de leur activité professionnelle ou associative pressentent les questions qui sont à l'oeuvre dans la société, avant même que le débat ne se cristallise au plan national.
Dans ce rôle d'éclaireur, votre conseil s'est tout particulièrement illustré en faisant émerger la question majeure de l'exclusion. Ces lieux, je ne les ai choisis par hasard, mais parce qu'ils sont chargés d'une histoire, une histoire, Monsieur le Président, que nous avons tous à l'esprit.
C'est ici qu'en 1985, une mission sur la précarité économique, qui inspira de profondes réformes, fut confiée au père Wresinski. Celui qui fut le fondateur d'ATD Quart monde, qui voua sa vie aux héritiers de ce que certains, déjà en 1789, appelaient le quatrième ordre et que, lui, présentait comme une population « aussi difficilement identifiable qu'elle est éternelle dans le temps ».
C'est ici qu'en 1995, une grande résistante, une grande femme tout simplement, Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, a fait entrer son combat contre la misère dans les politiques publiques. Elle demanda que les plus démunis soient assurés que « notre pays se remettra sans cesse en question tant que les droits fondamentaux ne seront pas effectifs pour tous. » Elle rappela alors que l'engagement ne se divise pas et que nous avons un devoir de solidarité dans toutes les choses que nous entreprenons. L'immobilisme, c'est d'abord les plus pauvres qui le payent ! Et je me dis en cette veille de grève que le conservatisme et l'immobilisme, c'est ceux qui n'ont aucun statut qui le payent d'abord. Réfléchissons bien à ce message qui était porté à sa manière par cette grande femme qu'était Madame Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Ces paroles résonnent encore dans ces murs.
Aujourd'hui je veux y joindre les miennes.
A tous ceux qui vivent dans l'angoisse de la pauvreté, de l'exclusion, du déclassement, à tous ceux qui vivent avec au ventre la peur de ne plus pouvoir nourrir, de ne plus pouvoir habiller ses enfants, je veux leur dire que la France ne les abandonnera pas.
Je veux dire qu'il est inacceptable que 7 millions de personnes vivent en France sous le seuil de pauvreté, qu'il est inadmissible qu'un ménage français sur 8 vive avec un revenu insuffisant. Mais la pauvreté, vous le savez, n'est pas que monétaire, c'est aussi un sentiment diffus de privation. C'est aussi parfois le risque que la persistance et le cumul des privations mène à l'exclusion.
Celle que pointait du doigt le père Joseph Wrezinski quand il décrivait, ici même, le terrible engrenage de la grande pauvreté qui, en cumulant les précarités, broie les personnes. Cette pauvreté que François Mauriac a dépeinte sous les traits d'une «humanité désespérée qui campe aux portes des villes modernes ».
Depuis François Mauriac, la pauvreté ne campe plus aux portes des villes modernes. Elle est au coeur de nos villes ! Et en même temps, la pauvreté est devenue de plus en plus difficile à cerner.
Autrefois, on était au pauvre quand on n'avait pas de quoi se nourrir, se vêtir, se soigner et se loger. Aujourd'hui, comment qualifier quelqu'un qui ne peut pas payer de vacances à ses enfants ? Comment qualifier celui qui travaille et qui ne gagne pas assez pour terminer le mois ou pour acheter un cadeau à ses enfants ?
Aujourd'hui, on compte autant de personnes pauvres sans emploi que de femmes et d'hommes qui vivent dans la pauvreté malgré un travail. Quand on a travaillé tout le mois et qu'à la moitié du mois, il ne reste rien, on a un sentiment de désespérance et de grande pauvreté.
Et comme si cela ne suffisait pas, il y a de surcroît de plus en plus de jeunes touchés par la précarité.
C'est parce que cette situation est intolérable et indigne d'un pays comme le nôtre, que pour la première fois en France, un objectif de réduction de la pauvreté a été officiellement et publiquement annoncé.
J'ai en effet fixé au gouvernement l'objectif de réduire d'au moins un tiers en cinq ans la pauvreté dans notre pays. J'ai voulu que cet enjeu social, trop longtemps négligé, devienne un enjeu politique. J'ai voulu fixer un objectif, car cela va nous forcer à le suivre. J'ai voulu mettre le dos au mur pour rendre des comptes aux Français. Cela va nous obliger à voir au grand jour où la pauvreté sévit le plus, dans quelles tranches d'âges, dans quelles catégories. Cela va nous forcer à révéler les mécanismes qui créent la pauvreté, pour mettre en place ceux qui la combattent.
Cela va nous forcer à creuser durablement le sillon qui conduira à l'éradication de la pauvreté. Ce n'est pas parce que j'ai fixé l'objectif d'un tiers de moins, que je moque des deux autres tiers ! Mais il faut d'abord s'occuper du premier tiers avant de s'occuper des deux autres.
J'ai demandé à Martin HIRSCH d'être le gardien de cet objectif. Il en sera le gardien vigilant parce qu'il est actif, et que ce n'est pas une personnalité à la colonne vertébrale fragile, c'est peut-être pour cela que l'on s'entend si bien.
Mais c'est un objectif que j'ai fixé à l'ensemble du gouvernement. Il engage donc tous les ministres, quel que soit leur champ d'action. Christine, tous seront aussi derrière toi...
Que cet engagement soit long, qu'il soit difficile et complexe est incontestable. Mais, précisément, tel est le sens de l'engagement que je souhaite prendre devant les Français. Je m'engage à fonder une démarche permanente et poursuivie dans le temps, au service d'une ambition qui bouscule d'abord chacun d'entre nous. Et je m'engage à bousculer le cours naturel des choses, parce que la stabilité n'est pas un objectif ! Parce qu'au nom de la stabilité on justifie tous les conservatismes !
L'Etat ne pourra pas y arriver seul. Son action restera insuffisante si elle n'est pas relayée, amplifiée, encouragée par tous les acteurs de la société.
Parmi ces acteurs, il y a les associations. Beaucoup d'entre elles sont présentes aujourd'hui parmi nous. A travers elles, je m'adresse à toutes celles qui oeuvrent dans la France métropolitaine et dans la France d'Outre-mer.
Constituées d'hommes et de femmes engagés, elles donnent un visage humain à la lutte contre la pauvreté.
Or, ce que la pauvreté met en lumière, avant tout, c'est la perte du lien social et du lien familial, qui ne sont plus en mesure de « retenir » les gens. C'est une pauvreté essentielle car en plus d'être pauvre, on est seul dans sa pauvreté ! C'est une double condamnation : la pauvreté et la solitude.
Il y a sans doute une bonne solitude, celle de la réflexion, celle qui offre le silence, la sérénité et la liberté. Mais il y a la solitude poisseuse, celle qui oppresse, celle qui naît de la privation de l'écoute, du soutien, du regard de l'autre. Celle qui fait oublier le sentiment d'aimer et d'être aimé, cette impression d'être utile qui donne sens à l'existence.
C'est pourquoi je veux que la société reconnaisse ceux qui agissent chaque jour pour rompre la solitude des autres, pour leur rendre estime et dignité, pour les rendre utiles en leur rappelant qu'on a besoin d'eux. Pour leur faire partager l'espérance.
Je veux saluer l'engagement de ceux qui approchent les situations de grande détresse et qui vont chercher la pauvreté là où elle se trouve réellement. Car la vraie pauvreté ne se donne pas à voir. Elle est souvent discrète et muette. Et les plus pauvres sont rarement ceux qui demandent de l'aide à nos guichets, qui sont encombrés bien souvent de ceux qui se croient pauvres et qui ne le sont pas.
Tout le monde réclame la solidarité en France. Ceux qui la réclament le plus fort ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin. Ceux qui en auraient le plus besoin ne la réclament pas pour la raison simple qu'ils n'ont pas la force de crier leur droit.
L'engagement des bénévoles est indispensable. C'est pourquoi, je veux leur témoigner la reconnaissance et la confiance de l'Etat. Je veux encourager, plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, l'engagement civique et l'engagement humanitaire à tous les âges, notamment chez les jeunes. Je veux également favoriser la générosité privée. Et je m'engage à faire en sorte que la fiscalité, le droit du travail, l'organisation des études prennent mieux en compte cette solidarité spontanée.
Je veux que les années de bénévolat dans des associations valident des années de cotisations de retraite. Je veux que les étudiants qui consacrent du temps à une association, soient valorisés dans les examens qu'ils passent, avec des bonifications de points. Je veux que notre société récompense ceux qui se dévouent pour les autres. Le bénévolat doit être encouragé, récompensé, valorisé, pas forcément rémunéré mais qu'au moins on se dise « toutes ces années passées au service des autres, la société les reconnaît comme telles ».
Car une République vivante, c'est une société civile dynamique. Car la fraternité, c'est l'affaire de tous.
Et la solidarité, c'est avant tout la proximité. C'est pourquoi, aux côtés de l'Etat, les communes, les départements et les régions ont une forte responsabilité. C'est pourquoi, les partenaires sociaux ont également un rôle à jouer. C'est pourquoi, les entreprises doivent s'engager.
Sur la question des salaires, par exemple, de nombreux Français en ont assez, et je les comprends. Quand on explique à tous les salariés d'une entreprise qu'il n'y a pas de quoi augmenter les salaires en bas, ils sont prêts à le comprendre à condition que l'on n'ait pas dans la même entreprise, au même moment, de quoi augmenter les salaires en haut ! Aucun d'entre nous ne l'accepterait pour lui. Pourquoi voulez-vous qu'on l'accepte pour les autres ? S'il n'y a pas d'argent pour le bas, il n'y a pas d'argent pour le haut. S'il y a de l'argent pour le haut, c'est qu'il doit y avoir de l'argent pour le bas. Sinon on n'est pas dans la société qui croit aux valeurs du mérite et de l'équité.
Je souhaite que la question du pouvoir d'achat devienne une véritable priorité nationale et qu'elle trouve à ce titre toute sa place dans les négociations entre les partenaires sociaux.
Or, disons les choses comme elles sont, des négociations sur les salaires depuis la loi sur les « 35 heures », il n'y en a plus dans notre pays. Beau résultat en vérité !
Car pour que le souci de justice soit partagé, vous le savez, il faut mettre tous les partenaires autour de la même table. C'est là, une des grandes nouveautés du gouvernement que j'ai voulu constituer. Différentes sensibilités y sont représentées. Toutes ont la parole.
C'est également ce qu'il y a de nouveau dans la méthode avec laquelle j'entends réformer. Toutes les réformes, tous les chantiers sont préparés en associant les acteurs concernés. On discute mais on sait ou l'on va.
Je ne céderai pas sur l'essentiel mais je suis prêt à discuter sur le reste.
Ce que je veux c'est tout simplement changer de méthode. Pourquoi ? Pour rompre avec le fatalisme, l'immobilisme et l'appauvrissement généralisé.
Vous le savez, depuis 20 ans, la proportion de personnes pauvres dans la population n'a quasiment pas diminué. Vous le savez, depuis 20 ans, la pauvreté touche des couches de la population qui semblaient jusqu'alors en être protégées.
C'est par exemple l'histoire banale et brutale d'un cadre qui se retrouve à la rue du jour au lendemain parce qu'il a perdu son travail. Un film en raconte l'histoire sous le titre « Une époque formidable ». Telle est l'image d'une époque, où le sentiment de précarité est devenu prégnant pour tout le monde.
Pendant les Trente Glorieuses, les fils lisaient dans les regards de leurs pères la promesse d'un avenir meilleur. Aujourd'hui, ils y lisent la peur du déclassement. Et notre jeunesse pense qu'elle vivra moins bien que ses parents !
Après 25 années d'échecs économiques et sociaux, notre société est devenue fragile. Et le sentiment de cette fragilité l'a sclérosée. Il lui a même ôté sa capacité à s'ouvrir et à intégrer des populations nouvelles.
Derrière cette crise, il y a le sentiment désespérant que le travail ne paye plus, que la volonté de s'en sortir est entravée et que la promotion sociale est devenue difficile.
Ce sentiment, je le comprends. Comment espérer quand le travail ne permet plus de se mettre à l'abri de la précarité, de s'en sortir et de progresser ?
Mais, je ne comprends pas et je ne partage pas l'opinion de ceux qui demandent que pour s'en sortir on augmente massivement les dépenses publiques et les impôts, en particulier sur ceux qui réussissent. Nos dépenses sociales n'ont jamais été aussi élevées qu'aujourd'hui et nos prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés au monde. Si c'était une stratégie qui marche, cela se saurait : nous serions le pays au monde comptant le moins de pauvres et ayant la plus forte croissance !
A ceux qui me reprochent d'avoir baissé les impôts, je voudrais donc dire que le véritable enjeu, c'est de mettre fin aux erreurs sur lesquelles se fondent nos politiques depuis plus de 25 ans.
Cela fait 20 ans que, gauche et droite confondues, l'on cherche à agir sur les conséquences alors qu'il faut avoir le courage de s'attaquer aux causes.
S'attaquer aux causes, ce n'est pas affaiblir la situation de tout le monde en espérant restaurer ainsi l'égalité. Je ne fais pas mien ce principe que tous nous soyons en retard plutôt que quelques uns soient à l'heure.
S'attaquer aux causes, cela ne consiste pas à acheter avec des allocations le silence de ceux qu'on laisse en marge de la société. Parce qu'avec des allocations sociales on ne vit pas, on survit.
S'attaquer aux causes, ce n'est pas tolérer la pauvreté comme une fatalité, ni supporter le chômage comme un mal nécessaire.
Ce n'est tout simplement pas tenter de faire croire aux Français que c'est en ne changeant rien que tout ira mieux.
Pour ma part, je ne veux pas gérer la pauvreté. Je veux la combattre.
Pour ma part, je suis convaincu que si la France ne va pas bien, c'est parce qu'elle gaspille ses ressources, c'est parce qu'elle ne valorise pas ses talents, c'est parce qu'elle décourage l'ardeur et le travail des Français. La France ne vit pas au-dessus de ses moyens, elle vit au-dessous de ses capacités. Voilà la différence entre les causes et les conséquences !
Je suis convaincu que l'action de l'Etat n'a de sens que si elle permet de restaurer l'ascenseur social. Si elle permet à ses bénéficiaires de prendre un nouvel essor ou de couvrir un vrai risque, pas si elle encourage le nivellement, l'assistanat, le laissez aller.
Je veux que l'on aide ceux qui n'en peuvent plus, ceux que la vie a tellement éprouvés qu'ils n'ont plus la force de s'en sortir. Mais je veux aussi que les revenus du travail ne soient jamais inférieurs aux revenus de l'aide.
Vingt ans après la création du revenu minimum d'insertion, qui avait été inspirée par le rapport présenté dans cette enceinte par le père Wresinski, je m'engage donc à rénover notre modèle social en redonnant aux minima sociaux leur rôle filet de sécurité et non plus celui d'un « solde de tout compte ».
Ce n'est pas admissible que pour une part de plus en plus importante de la population, les minima sociaux soient devenus des maxima indépassables. Que les planchers soient devenus des plafonds. Et que le travail ne permette pas de franchir le seuil de pauvreté. Beau résultat de cette fausse générosité !
Je veux mettre les minima sociaux au service de l'emploi et de la réduction de la pauvreté plutôt qu'à celui de la relégation durable. Voilà le travail que nous faisons avec Martin Hirsch, très difficile parce qu'on s'attaque à des tabous notamment de tous ceux qui ne sont pas au RMI. C'est pourquoi nous allons créer un revenu de solidarité active. Et j'ai dit à Martin Hirsch : « Je te demande de venir au gouvernement pour le mettre en oeuvre ».
Et dans l'attente de cette rénovation profonde, j'annonce dès aujourd'hui que la prime de Noël sera à nouveau versée cette année. Je ne veux pas prendre le risque que ce que je dis, qui est véritablement important, soit caricaturé.
La rénovation de notre modèle social, c'est aussi mettre les personnes au centre de notre système d'aide sociale. Les parcours des personnes en situation de pauvreté sont aujourd'hui chaotiques, marqués par les injonctions contradictoires et souvent l'absence de solution. Les travailleurs sociaux, de leur côté, considèrent qu'ils sont devenus des spécialistes de la « gestion de l'impasse », dont trop souvent l'unique pouvoir est de renvoyer la personne accueillie vers un autre interlocuteur.
Or, ce n'est pas aux familles de connaître ou de subir la complexité de notre organisation administrative. C'est à nous d'adapter les structures et les outils aux besoins des personnes. Telle est l'ambition de la fusion que j'ai voulu engager entre l'ANPE et l'UNEDIC dont on parlait depuis vingt ans sans jamais la mettre en oeuvre. Elle sera mise en oeuvre, j'en prends l'engagement.
Tel est surtout le mandat que je souhaite confier au Grenelle de l'insertion, qui sera lancé dès la fin du mois de novembre. Ce chantier sera l'occasion d'établir un diagnostic partagé sur les situations de pauvreté avant de remettre à plat les politiques destinées à y remédier. Il réfléchira aux conditions de l'accompagnement social tant professionnel que bénévole. Il examinera comment mieux concilier le travail et la solidarité, comment créer un contrat unique d'insertion qui soit à la fois simple et souple, comment donner une dynamique nouvelle au secteur de l'insertion pour mieux « abaisser les marches » qui rendent l'accès au travail difficile pour certains.
Pendant trop longtemps on a considéré la pauvreté comme un statut dans lequel il fallait faire en sorte que les gens vivent le moins mal possible. Donner un statut aux pauvres est inacceptable. Je pense que même le plus déshérité d'entre nous reste un citoyen, qu'il a des droits et des responsabilités. De cela également, l'ensemble des partenaires sociaux, les grandes associations, les collectivités locales et les administrations devront discuter dans le Grenelle de l'insertion. Chacun dans leur rôle, mais dans le respect de leurs différences. L'ambition est de sortir des conformismes. Et de ce point de vue, nous avons bien des efforts à faire.
J'ai dit et répété pendant la campagne que personne ne doit être laissé au bord du chemin. Cela signifie que personne ne soit avoir le sentiment qu'on ne lui reconnaît aucune valeur et qu'il ne sert à rien dans la société.
Donner l'énergie de s'en sortir à ceux qui n'en ont plus la force. Donner à chaque homme le sentiment de sa propre dignité, tel est le sens de mon action.
En vous parlant ainsi, je pense à ces enfants qui n'ont jamais vu leurs parents travailler.
Je pense également à ces enfants qui n'ont jamais vécu dans un logement décent et dont les parents, eux-mêmes, n'ont pas le souvenir d'avoir vécu dans un logement décent.
C'est pour eux, c'est aussi pour ceux qui dorment sur le trottoir et qui y meurent de froid que j'avais proposé de créer le droit au logement opposable, longtemps porté par certains d'entre vous. Je l'ai proposé pour que l'on soit enfin obligé d'avancer.
Nous sommes en train le faire, chère Christine, parce que je veux que nous nous mettions dos aux murs pour nous contraindre à avancer !
C'est le moment d'agir. Je ne capitulerai pas. À quoi cela servirait-il sinon de proclamer le droit au logement, le droit à l'hébergement, le droit de scolariser les enfants handicapés... si chacun se renvoie la balle, si personne ne se sent responsable ?
Avec moi, les engagements ne se perdront pas dans les méandres des procédures et des bureaucraties. On va lutter contre l'insalubrité des logements, on va libérer des terrains, on va construire suffisamment pour résoudre la crise du logement, pour répondre aux attentes des 3 millions de Français, dont le rapport de la Fondation Abbé Pierre nous dit qu'ils sont mal logés.
Pour y arriver, je souhaite d'abord en finir avec l'hypocrisie.
Savez vous que l'Etat dépense 1 million d'euros par jour pour loger les gens dans l'urgence, et notamment maintenir des familles à l'hôtel, dans des conditions de vie souvent indignes ? Les réponses d'urgence sont souvent plus coûteuses que les solutions durables.
Savez-vous que plus de 30% des personnes logées en centres d'hébergement et de réinsertion sociale sont obligées d'y rester, non pas parce qu'elles ont des difficultés d'insertion, mais parce qu'elles ne trouvent pas à se loger ?
Savez-vous que plus de 1 million de ménages sont inscrits sur les listes d'attente pour accéder aux HLM ?
Tout cela n'est guère étonnant quand on sait que trois Français sur quatre peuvent prétendre à un logement social, mais que le parc de logements sociaux représente, quant à lui, moins d'un logement sur cinq.
Pour garantir à tous les Français un droit opposable à un logement, on n'a plus le choix entre agir ou attendre. On n'a plus le temps de se battre pour des statuts.
Chaque année près de 2 millions de logements sont proposés à la location dans le parc privé, soit 4 fois plus que dans le parc social. Je veux donc que désormais on additionne les contributions des uns et des autres, au lieu de les soustraire.
Je veux aussi restituer un fonctionnement plus juste et plus souple au logement social. Je veux qu'il accueille en priorité ceux dont les revenus ne leur permettent pas d'être logés dans des conditions décentes par le libre jeu du marché. Je veux réintroduire de la transparence dans les procédures d'attribution et mettre fin aux abus. Je ne veux plus d'une situation où les plus pauvres n'accèdent pas aux logements sociaux, parce que ceux qui les occupent peuvent y demeurer à vie, quelle que soit l'évolution de leurs revenus !
Un fonctionnement plus juste, c'est aussi aider les locataires du parc social, ceux qui y sont depuis longtemps, ceux qui ont vu leurs revenus augmenter, mais même les plus fragiles qui le souhaitent, à réaliser leur rêve de propriété. A chaque fois qu'un locataire réalise son projet, c'est une place qui se libère pour celui qui est sans logement.
Nous allons faire une politique du logement plus juste, en aidant davantage celui qui a plus de difficultés. Plus juste, en permettant de satisfaire l'aspiration légitime de chacun à posséder un toit pour protéger les siens. Enfin, elle sera plus juste en n'acceptant plus que des hommes et des femmes meurent de froid sur le trottoir.
Et j'attache une importance toute particulière à l'accueil des personnes à la rue. C'est accueil doit être inconditionnel. Quand quelqu'un est à la rue, qu'il est dans une situation d'urgence et de détresse, on ne va tout de même pas lui demande ses papiers ! Je demande à ce que le droit de chaque homme à un minimum de considération soit reconnu.
J'ai suffisamment dit ce que je pensais de la politique d'immigration de la France, de la lutte contre les filières d'immigration clandestine et de la nécessité de raccompagner chez eux ceux qui n'ont pas de papier pour dire que ce n'est pas aux associations de contrôler les papiers ! Dans les centres d'urgence, on doit accueillir tout le monde ! Justement parce que ce sont des centres d'urgence.
Je veux aussi que l'accueil soit l'occasion d'aider les gens à s'en sortir. Par conséquent, il doit réponde à leurs besoins. Et ces besoins sont très différents selon qu'il s'agit d'un jeune, qui vient de tomber dans la rue par accident, d'un travailleur pauvre, d'une personne ayant derrière elle un long parcours d'errance, ou d'un étranger qui a besoin d'une aide d'urgence humanitaire.
Au-delà du travail, au-delà du logement, il existe bien d'autres facteurs de vulnérabilité ou parfois d'exclusion qui peuvent être liés à la santé, aux difficultés de se déplacer, de faire garder ses enfants, d'avoir accès aux services bancaires ou de sortir du surendettement. Dans tous ces domaines, je veux que nos politiques aient le souci constant de la lutte contre les causes de la pauvreté.
La fraternité pour moi c'est l'égalité des chances. Ce n'est pas donner la même chose à tout le monde. C'est donner plus à ceux qui ont le moins. La République le fait pour les élèves méritants dont les parents n'ont pas les moyens de payer les études. Elle le fait pour les handicapés.
Pour que l'égalité des chances devienne enfin une réalité et qu'elle ne soit plus une affirmation sans cesse démentie, les moyens vont être concentrés sur ceux qui en ont le plus besoin.
S'il y a des inégalités devant la santé, ce n'est pas parce que je vais demander aux Français de payer quelques euros de plus par an, c'est parce que la politique de santé, comme beaucoup d'autres politiques publiques, reste sourde et aveugle aux différences de besoins entre les individus. L'égalité dans l'accès aux remboursements de l'assurance maladie n'empêche pas qu'un cadre a aujourd'hui une espérance de vie de 7 ans supérieure à celle d'un ouvrier ou que les enfants scolarisés en ZEP ont deux fois plus de problèmes de santé, qui restent souvent sans soins, que les autres enfants.
Et, c'est parce que précisément je refuse d'aller vers un système de soins à deux vitesses, que je veux rompre avec l'égalitarisme en offrant aux plus fragiles une aide à l'acquisition de la couverture complémentaire beaucoup plus généreuse et étendue qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Aujourd'hui il y a deux France : celle qui a tout, qui a accès aux services publics, à la culture, à la santé, à la sécurité, et celle qui n'a rien, celle des territoires que la République a abandonnés.
Il faut faire plus pour l'insertion des jeunes qui vivent dans des bassins industriels sinistrés. Il faut faire plus pour ceux qui vivent dans des zones rurales en voie de désertification. Plus pour ceux qui faute d'accès à un moyen de transport sont assignés à rester dans leur village où ils ne trouvent pas d'emploi.
Nous devons aussi désormais nous tourner davantage vers la ville et vers les banlieues. Aujourd'hui dans certains quartiers, il y a des jeunes qui sont minés par le sentiment d'être les oubliés de notre contrat social, qui sont humiliés par l'absence d'avenir professionnel, au point parfois de refuser l'échange avec ceux qui viennent pour les aider.
Rester sans réaction devant cet échec, ce serait accepter le prix de l'inégalité, de l'injustice et du ressentiment qui sera toujours plus grand.
Pour les habitants des quartiers en difficulté, je veux donc mettre en place un véritable plan d'action car il ne saurait y avoir de respect de la part de nos concitoyens sans combat pour l'égalité des chances, car nous ne pouvons proposer décemment nos valeurs en partage que si elles s'inscrivent dans la réalité et non dans la fiction. Et l'insertion professionnelle des jeunes qui vivent dans les quartiers sera pour moi une priorité.
C'est bien beau de refaire les immeubles mais si à ceux qui y habitent, on ne propose pas une formation et un emploi, dans quelques années il faudra à nouveau refaire les immeubles.
Ce que je veux c'est que l'Etat reprenne toute sa place pour que la réussite sur tout le territoire dépende de l'école républicaine, de la sécurité dans le quartier, de l'effort personnel, pas de la communauté.
Cela suppose un devoir de vérité. Qui ne voit qu'aujourd'hui la réussite en France repose de moins en moins sur l'école républicaine et de plus en plus sur l'appartenance aux bons réseaux ? Qui ne voit que ce sont les enfants d'enseignants ou de cadres supérieurs qui vont dans les meilleurs collèges, en classe préparatoire puis dans nos grandes écoles, pas les autres ? Pendant ce temps, 150 000 jeunes sortent, eux, chaque année du système scolaire sans qualification.
C'est à mes yeux une injustice profonde quand un enfant est dirigé vers une formation inférieure à ses potentialités. C'est à mes yeux une injustice profonde quand dès le cours préparatoire, les enfants de familles pauvres redoublent deux fois plus que les autres. La panne de l'ascenseur social, c'est là qu'elle se trouve. C'est donc là qu'il faut supprimer les clivages invisibles de la société française.
C'est la raison pour laquelle nous avons assoupli la carte scolaire, pour que chaque parent puisse choisir l'école de son enfant en fonction, non pas de la réputation de l'établissement, mais des qualités ou des difficultés de son enfant. Le meilleur établissement, c'est l'établissement où son enfant est heureux et réussit. C'est également pour restaurer l'égalité des chances que nous venons d'instaurer, dans les collèges les plus en difficulté, un accompagnement éducatif pour les orphelins de 16h. Car prendre en charge les enfants dont les parents travaillent, c'est éviter qu'ils soient livrés à eux-mêmes, c'est leur offrir la chance d'être encadrés pour faire leurs devoirs. C'est toujours pour la même raison que nous allons changer la pratique de ces lycées qui n'envoient jamais un dossier d'élève en classe préparatoire.
Qui considère qu'aucun de ses enfants n'est digne d'intégrer l'élite universitaire française ?
Ces mesures ne sont qu'une première étape pour que les enfants pauvres, qui partent dans la vie avec plus de handicaps que les autres, soient davantage aidés et que, grâce à l'éducation, ils puissent avoir l'espoir réel de changer leur condition.
Nous le savons tous, la majorité des enfants sont pauvres, parce que leurs parents le sont. Et le plus souvent, les enfants pauvres deviennent, à leur tour, des adultes en situation de pauvreté. Pour éviter aux enfants les souffrances liées à la pauvreté, pour mettre fin à l'hérédité de la misère, je veux, par conséquent, et je le répète, mobiliser tous les acteurs de la société sur l'objectif de lutte contre la pauvreté.
Cette journée fait apparaître le lien universel et fraternel qui relie le refus que la misère suscite sur tous les continents. Notre pays par son histoire a fait de ce refus une révolte. Notre République s'est pour partie construite grâce à lui. Elle en garde la mémoire vive, qui forge sa détermination. Je veux que la France ne cesse jamais d'être fidèle à cette promesse de civilisation, à ce besoin de fraternité qui sont dans sa pensée depuis le premier jour.
Je veux que la France continue de porter non seulement en elle-même, mais aussi au dehors, cet élan du coeur, cet idéal de civilisation, ce rêve d'universalité qui nous rassemble. Je ferai donc de la lutte contre la pauvreté l'un des thèmes portés par la France lorsqu'elle assurera la présidence de l'Union européenne à partir du mois de juillet 2008. Je poserai la question des surplus alimentaires qui est une question essentielle pour un certain nombre d'associations. Je dirai d'ailleurs combien il est paradoxal de vouloir démanteler une politique agricole commune dans un monde où 900 millions de personnes meurent de faim !
Vous savez, j'aime passionnément la France. Et je suis très conscient des devoirs que j'ai envers elle. Le premier d'entre eux est de ne pas décevoir. C'est une responsabilité qui pèse sur mes épaules. Je vais faire le mieux possible pour tous nos compatriotes et notamment les plus pauvres. Rien ni personne ne m'arrêtera, parce que ce combat, c'est un juste combat.Je vous remercie.