10 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, sur les relations franco-russes notamment en matière économique et de politique étrangère, à Moscou le 10 octobre 2007.

LE PRESIDENT POUTINE - Bonjour, Mesdames et Messieurs. Nous sommes arrivés au terme de nos entretiens avec M. le Président de la République française, M. Nicolas SARKOZY. Ceci est sa première visite en Russie en tant que Chef d'Etat et nous espérons qu'elle marquera une étape importante dans notre coopération bilatérale. C'est déjà notre deuxième réunion tenue dans une période de temps relativement courte. La première a eu lieu en marge du Sommet du G8 en Allemagne. Son résultat principal a été la confirmation de l'invariabilité et de la continuité du partenariat franco-russe.
Notre sommet d'aujourd'hui a été consacré à une discussion méticuleuse, détaillée et approfondie sur tous les aspects de la coopération bilatérale ainsi qu'à un échange d'opinion sur la situation actuelle dans différents secteurs de notre coopération. Nous sommes allés jusqu'à la définition des perspectives concrètes du développement de nos relations. Je vais vous dire le bilan de nos entretiens d'aujourd'hui, que j'ai hautement apprécié.
Nous avons passé en revue les problèmes régionaux et internationaux essentiels ainsi que les questions bilatérales. Nous avons noté l'avancement considérable de la coopération politique, humanitaire et économique entre la Russie et la France. Je voudrais vous rappeler qu'en 2006, notre chiffre d'affaires a connu une progression substantielle pour atteindre 13,4 milliards de dollars, soit une augmentation de 37,5% par rapport à l'année 2005. Au cours du premier semestre de l'année 2007, le chiffre d'affaires a atteint 6,8 milliards de dollars. Cet indicateur est nettement supérieur au même indicateur au cours de la période précédente. Cela étant, le potentiel de notre coopération est loin d'être épuisé et nos deux pays ont intérêt à donner une nouvelle impulsion à l'ensemble de la coopération économique. Il est possible de le faire par la réalisation de grands projets conjoints. Tout d'abord, dans les secteurs de haute technologie comme la construction aéronautique et automobile, l'exploration de l'espace, le développement des télécommunications et des infrastructures de transport. L'unification de nos efforts sur les marchés mondiaux deviendra un avantage concurrentiel important pour les producteurs russes et français.
A cet égard, je voudrais mentionner les projets les plus significatifs. Tout d'abord, la création du site de lancement pour le lanceur SOYOUZ au centre spatial de Guyane et les lancements commerciaux des satellites à partir du site de KOUROU à l'aide des lanceurs russes. Cela pourrait débuter dès l'an prochain. Aujourd'hui, nous en avons parlé avec M. le Président de la République.
La coopération entre EADS et les transporteurs aériens russes se développe très bien, ainsi que le programme conjoint concernant l'avion régional russe Superjet 100.
Nous avons de grandes perspectives dans le secteur énergétique y compris l'énergie nucléaire. Je voudrais noter particulièrement la participation de TOTAL à l'exploitation du gisement de gaz condensé de CHTOKMAN. Nous en avons parlé avec M. Le Président de la République, plusieurs fois, y compris par téléphone.
La coopération entre la Russie et la France dans le domaine humanitaire devient de plus en plus substantielle. Comme vous le savez, nous devons prochainement organiser des manifestations d'ampleur dans le cadre de l'année nationale de la Russie en France et de l'année de la France en Russie.
Dans l'histoire de l'amitié séculaire et de l'attirance mutuelle entre nos peuples, il y a beaucoup de pages glorieuses dont, par exemple, la lutte commune contre le nazisme. Gardons soigneusement la mémoire des héros de la Seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, avec M SARKOZY, nous allons inaugurer le monument dédié aux soldats de l'escadrille légendaire franco-russe NORMANDIE-NIEMEN.
Une grande partie de nos entretiens a été consacrée à la coopération franco-russe sur la scène internationale. A propos de la relation Russie - Union européenne, nous avons accordé une attention particulière à la prochaine Présidence française de l'Union européenne au cours du deuxième semestre 2008. Dans le cadre de notre coopération avec les Européens, nous espérons que la France va jouer son rôle. Nous avons également beaucoup parlé des problèmes internationaux dont la situation au KOSOVO, le dossier nucléaire iranien et la situation au Proche-Orient. Je ne doute pas que le partenariat franco-russe continuera à se développer tout en se concrétisant par des projets intéressants bilatéraux et multilatéraux.
Je vous remercie de votre attention.
LE PRESIDENT - Merci Monsieur le Président, cher Vladimir. Nous avons eu des entretiens approfondis, francs et chaleureux. La France veut être un partenaire privilégié de la Russie. J'ai senti la même volonté de la part de nos amis russes. J'ai ailleurs adressé deux invitations : une invitation au futur Président russe pour le lancement de SOYOUZ à KOUROU à la fin de l'année prochaine et puis j'ai dit à Vladimir que je serais très heureux qu'il soit mon invité en France pour son premier voyage après sa présidence. Je crois pouvoir dire qu'il a accepté.
La Russie est un acteur majeur. La Russie est un pays fort. La Russie est un pays fort qui a des responsabilités internationales, elle veut les assumer. Cet engagement est positif pour la stabilité du monde. C'est la raison pour laquelle nous avons parlé de tous les grands dossiers. Sur l'Iran, nous avons parlé de façon approfondie et j'étais heureux d'entendre l'analyse de Vladimir POUTINE quelques jours avant son voyage à TEHERAN. J'ai le sentiment que nos positions marquent une certaine convergence. Le KOSOVO, où il est très important que l'Europe reste unie et que la discussion reste ouverte avec nos amis russes. Sur cette question qui est d'abord une affaire européenne et sur laquelle nous cherchons absolument à trouver une solution qui n'humilie personne, sur la Syrie et sur le Liban, encore ce matin. Sur le bouclier antimissiles, nous avons encouragé nos amis russes à continuer leurs discussions avec les Américains.
Et puis, nous avons pris une initiative sur les grands dossiers économiques, celle de demander à deux de nos très proches conseillers de se rencontrer dans les toutes prochaines semaines pour évoquer tous les grands dossiers économiques et essayer de les régler ou de les faire avancer dans un cadre global. Cela veut dire toutes les questions aéronautiques, spatiales où la collaboration entre la France et la Russie doit se développer. Cela veut dire la coopération sur l'énergie, notamment sur le nucléaire et sur l'ensemble du dossier énergétique. J'ai dit à Vladimir POUTINE que nous voulions la coopération et non pas la confrontation, que nous comprenions les intérêts russes qu'il est normal qu'ils défendent. Je lui ai dit que nous souhaitions que les règles du marché puissent s'appliquer en toute transparence.
Les contacts entre les sociétés civiles seront également développés, avec l'année croisée 2010, où Vladimir a désigné le représentant russe. Nous donnerons le maximum d'éclat à cette année croisée.
Pendant le déjeuner, nous allons parler de la Présidence française de l'Union européenne. Il faut bien comprendre que l'Europe et la Russie sont des partenaires naturels. Nous avons intérêt à la coopération entre nous. La France veut mettre son amitié avec la Russie au service de l'Europe toute entière et, effectivement, comme l'a dit Vladimir, après le déjeuner, nous irons rendre hommage à la fraternité d'armes devant le monument NORMANDIE-NIEMEN. Je voudrais rajouter à titre personnel, devant Vladimir POUTINE, que j'ai été très heureux de la franchise de nos échanges, de l'approfondissement de notre dialogue. On a pu parler de tous les sujets, librement, amicalement franchement. C'était pour ma part une rencontre très passionnante et très positive.
Je vous remercie.
QUESTION - Ma question s'adresse au Président POUTINE mais M. SARKOZY est le bienvenu s'il veut commenter. M. POUTINE, en quoi consiste exactement la convergence de vos positions au sujet de l'Iran et de son programme nucléaire ? Est-ce que cela signifie que vous considérez que l'Iran fabrique l'arme atomique ainsi que le pense M. SARKOZY ?
LE PRESIDENT POUTINE - Nous n'avons pas d'informations sur la volonté de l'Iran de développer l'arme nucléaire. Il n'y a pas d'information objective à ce propos. C'est pourquoi nous partons du fait que l'Iran n'envisage pas de le faire. Mais nous partageons la préoccupation de nos partenaires au sujet des programmes de l'Iran. Tous les programmes de l'Iran doivent être rendus transparents. Nous coopérons avec nos partenaires au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et nous voulons poursuivre cette coopération à l'avenir.
LE PRESIDENT - C'est important ce que vient de dire Monsieur POUTINE à quelques jours de son déplacement à Téhéran. Dire qu'il coopère, qu'il veut continuer à coopérer, c'est quelque chose d'important. Après, il peut y avoir une divergence d'analyse. Sur le fond, je crois que tout le monde est d'accord. Est-ce qu'ils veulent l'utiliser ? Après, c'est une question d'analyse. Ce qui est très important, c'est la volonté de coopérer. Je pense que c'est le point essentiel. C'est une affaire qui concerne la planète.
QUESTION - Est-ce que vous avez parlé de l'achat par les sociétés russes d'avoirs en France et de l'achat d'avoirs russes par les Français en Russie ? Monsieur SARKOZY, êtes-vous pour ou contre les mesures de protection en Europe qui pourraient limiter les avantages des monopoles russes comme GAZPROM. Monsieur POUTINE, pensez-vous que nos sociétés, les sociétés russes sont prêtes à élargir leurs activités en Europe et vice et versa ?
LE PRESIDENT POUTINE - Nous avons parlé de la coopération entre les grandes sociétés qui doit être poursuivie ici. J'ai bien compris que Monsieur le Président est un partisan actif de ce processus. Les sociétés françaises auront la possibilité de travailler en Russie et sur le marché russe. Il ne faut pas aller loin pour chercher des exemples. Nous avons des exemples de grands investissements. Plusieurs sociétés françaises sont présentes en Russie dans tous les secteurs de l'économie que ce soit l'énergie, les constructions immobilières. Ensemble, avec leurs partenaires russes, elles travaillent dans le domaine de l'aéronautique, des infrastructures. Tout cela offre de belles perspectives pour la coopération à l'avenir. J'ai exposé mes approches sur le développement de cette coopération. Il me semble qu'il s'agit d'une approche transparente et mutuellement acceptable lorsque nos sociétés participent au capital de ces partenaires européens et que les partenaires européens achètent les actions des sociétés russes. Nous avons ainsi une situation d'interdépendance et de contrôle mutuel, ce qui est très important. A mon avis et par conséquent, cela donne de la prévisibilité à notre action. Sans aucun doute, je le souligne, cela améliorera la compétitivité des économies russe et européenne. Nous pensons que nous devons poursuivre dans cette direction.
LE PRESIDENT - Avec Vladimir POUTINE et des conseillers de haut niveau, on se rencontre pour poser franchement toutes les questions économiques et c'est justement pour lever ces malentendus. La politique de la France, c'est la transparence et la réciprocité. Transparence, parce que c'est le marché, réciprocité, parce qu'il est tout à fait normal que nos amis russes souhaitent rentrer au capital d'un certain nombre d'entreprises françaises et que la réciproque est vraie aussi. Ainsi ALSTHOM souhaite avoir un accord avec TMH. Nos amis russes sont dans le capital de EADS et j'ai dit au Président POUTINE la disponibilité des investisseurs français pour rentrer au capital des grandes entreprises russe. GAZPROM, par exemple.
Donc, il n'y aura pas de protectionnisme du côté de la France. Nous souhaitons simplement la réciprocité. Un bon accord, c'est un accord intéressant pour les deux. C'est ce dont nous avons parlé et c'est ce que nous sommes en train d'établir. Pas de tabou, pas de limite, transparence et réciprocité.
QUESTION - Je voudrais poser une question au Président SARKOZY et demander ensuite son avis au Président POUTINE. Nous apprenons, Monsieur SARKOZY, que vous allez voir l'organisation des droits de l'Homme Mémorial. C'est donc l'ONG que vous avez choisie de visiter. Une ONG qui a dénoncé les crimes de guerre en Tchétchénie. Est-ce que mettre l'accent sur les droits de l'Homme en Russie deviendra une pratique plus fréquente en France pour la diplomatie française. Monsieur POUTINE, que pensez-vous donc de ce tournant ?
LE PRESIDENT - Je suis très à l'aise pour vous répondre. Je confirme ce rendez-vous. Monsieur POUTINE en était informé, c'est moi-même qui le lui ai dit. Il m'a indiqué que lorsqu'on était son invité, il n'avait pas l'habitude d'indiquer à son invité quels étaient les rendez-vous qu'il devait avoir ou pas. Monsieur POUTINE vous le confirmera. Donc, quand j'ai parlé d'une discussion très libre entre lui et moi, voilà très exactement la réponse qu'il m'a faite. Par ailleurs, je voudrais préciser que la France ne souhaite donner de leçon à personne. Je reconnais et je comprends la spécificité russe et j'ai fait valoir, sur un certain nombre de questions, mes convictions avec franchise. Monsieur POUTINE m'a répondu avec la même franchise, parce que nous considérons tous les deux que l'amitié cela consiste à se dire les choses, à regarder les éventuels désaccords en face et à essayer de trouver des solutions. Et partant, voilà très exactement comment cela s'est passé. Il n'y a pas de surprises, il y a simplement la transparence dont je parlais tout à l'heure sur le plan économique. Nous l'avons aussi sur la question politique. Je comprends les problèmes de la Russie. J'ai d'ailleurs écouté avec beaucoup d'intérêt, les explications de Monsieur POUTINE, les évolutions de la société russe, le temps que cela a demandé. Il a, je crois aussi, entendu mes arguments. C'est comme cela qu'on a des rencontres intéressantes et positives pour les deux. En tous cas, c'est l'analyse que j'en ai.
LE PRESIDENT POUTINE - Je pense que, Dieu merci, il y a des organisations de ce genre sur cette planète qui assument la responsabilité d'indiquer au pouvoir ses erreurs. Ce serait mal si ces organisations étaient utilisées par des Etats à l'égard d'autres Etats, comme un outil de leur politique extérieure. Mais, dans ce cas-là, ces organisations se compromettent elles-mêmes. En ce qui concerne mon attitude par rapport à cette question en général, je peux vous dire qu'il y a un conseil auprès du Président de Russie pour la promotion de la société civile qui regroupe certaines organisations de ce genre. Je suis satisfait du fait que je peux les écouter en direct, écouter leurs critiques à l'adresse des autorités. Nous pouvons les accepter et ne pas les accepter, mais il faut au moins écouter ce que ces gens ont à dire aux autorités.
En ce qui concerne l'organisation Mémorial, elle fait partie de ce conseil. Peut-être, nos réunions ne sont pas aussi fréquentes que je le voudrais mais je rencontre les représentants de ces organisations comme bien d'autres organisations. Il n'y a rien de mal à ce que le Président de la République française rencontre les représentants de la société Mémorial ou bien d'autres organisations.
QUESTION - Je voudrais connaître votre opinion sur le rapprochement entre la Russie et France, entre la Russie et l'Union européenne concernant l'abolition des visas. Monsieur SARKOZY, est-ce qu'avant de venir, vous avez parlé de ce sujet ? Est-ce que votre opinion reste inchangée ? Et Monsieur POUTINE, vous avez dit plusieurs fois que la Russie devait faire beaucoup de choses pour arriver à l'abolition des visas. Quelle partie de ce chemin est désormais parcourue ?
LE PRESIDENT POUTINE - Nous sommes tous conscients qu'après l'effondrement de soi-disant camp socialiste, nous avons, en Europe, des conditions uniques en leur genre pour rétablir les relations normales entre les pays et les gens, entre les peuples, pour ne pas ériger de mur de Berlin virtuel. Je pars du fait que ceci est notre volonté à tous, bien évidemment. Ceci est une condition sine qua non pour le développement de l'économie, des contacts humanitaires en Europe. C'est pourquoi notre objectif commun est d'avancer vers le régime sans visas. Ceci est tout à fait évident lorsque je disais que nous devions faire beaucoup de choses pour créer les bonnes conditions. Pour cela, j'avais à l'esprit plutôt la sécurité de nos frontières extérieures pour prévenir des éléments criminels. Des terroristes, la drogue transitent par notre territoire vers l'Europe. Ceci est notre objectif commun avec les Européens. Mais nous avons notre grande part à faire. Est-ce que nous avons fait quelque chose dans ce sens ? Oui, c'est vrai. Nous avons considérablement renforcé nos frontières extérieures. Nous investissons des sommes énormes dans l'infrastructure : nos frontières au Caucase du Nord tout d'abord et aussi en Asie. J'en ai parlé récemment avec nos collègues d'Asie centrale. Nous travaillons ensemble là-dessus et nous souhaitons continuer à le faire. Mais il ne s'agit pas que de cela. Nous avons signé un accord avec nos partenaires européens concernant la réadmission et nous allons remplir tous nos engagements scrupuleusement. Nous avons convenu avec les Européens du régime des visas allégés pour toute une catégorie de Russes et d'Européens. Mais ceci n'est que le premier pas vers l'abolition des visas en général.
LE PRESIDENT - Nous sommes prêts à faire tout ce qu'il faut pour faciliter la venue en France d'étudiants, de touristes, d'hommes d'affaires russes. Déjà, notre Ambassade fait un travail assez remarquable pour que les délais administratifs soient le plus réduits possible. La France est tout à fait disponible pour encore améliorer les choses.Je vous remercie.