4 octobre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "24 Tchassa", "Troud", "Sega" et "Standart" du 4 octobre 2007, sur la libération des infirmières bulgares, la coopération judiciaire et policière entre la France et la Bulgarie et sur la construction européenne.


Q - Monsieur le Président de la République, les Bulgares vous perçoivent comme la personne qui a sauvé les infirmières. Sans sous-estimer les efforts de toute l'Union européenne, comment la France a-t-elle pu réussir à les faire revenir en Bulgarie ? Pourriez-vous nous dévoiler comment est née l'idée d'envoyer la Première dame en tant que votre ambassadrice auprès des autorités libyennes ?
R - Je tiens à rappeler que ce succès n'a pu être obtenu que parce qu'il était le fruit d'un effort collectif : la Commission européenne, à commencer par son président Jose Manuel Barroso et la commissaire Benita Ferrero-Waldner, mais aussi les Etats membres de l'Union européenne, notamment les présidences allemande et portugaise, et bien sûr les Bulgares eux-mêmes, qui se sont mobilisés de façon remarquable, tant les autorités politiques que la société civile.
Mais personne ne peut nier que les efforts de la diplomatie traditionnelle étaient restés trop longtemps vains. Alors j'ai pensé que le moment était venu de changer de méthode et de manifester mon implication personnelle dans cette affaire d'une façon différente. Nous avons discuté avec Cécilia du rôle qu'elle pouvait être conduite à assumer. L'aspect humanitaire, si évident, primait. J'ai estimé que cette affaire valait bien que j'en assume directement la responsabilité politique, même si cela n'était pas sans risques. Je considère qu'il est nécessaire de prendre des risques quand des principes aussi importants que la justice et la dignité des personnes sont bafoués et que chaque jour écoulé génère tant de souffrances physiques et morales.
Cécilia a fait un travail absolument remarquable. Elle l'a fait avec beaucoup de courage et beaucoup de sincérité, beaucoup d'humanité et beaucoup de brio, en comprenant tout de suite qu'une des clefs était de prendre toutes les douleurs en considération, celle des infirmières et du médecin, bien sûr, mais aussi celle des enfants contaminés et de leurs familles. Avec la sensibilité qui est la sienne, elle l'avait parfaitement perçu. Sa présence a aussi été un atout décisif dans la conduite des négociations car elle a facilité l'établissement d'un contact direct et personnel avec le colonel Kadhafi, ce qui était essentiel pour débloquer la situation. Pour le reste, les négociations avec les Libyens se sont déroulées sur des bases très claires : soit leur pays restait à l'écart en ne libérant pas les personnels médicaux, soit il retrouvait la place qui doit être la sienne dans le concert des Nations. De plus, il y avait un accord total avec les autorités libyennes sur le fait que la situation dramatique des enfants contaminés et de leurs familles devait être prise en considération. Cela facilitait grandement la recherche d'une solution. La France, qui avec quelques autres partenaires, avait déjà accueilli environ 150 enfants libyens, s'est engagée avec d'autres partenaires à participer à la mise en conformité de l'hôpital de Benghazi aux standards européens.
Q - Quelle est votre appréciation de la Bulgarie en tant que partenaire européen ? Etes vous préoccupé par ses problèmes de corruption et de crime organisé ?
R - La Bulgarie est un partenaire important pour la France sur la scène européenne, notamment parce que nous avons beaucoup de positions très proches, qu'il s'agisse de la Politique agricole commune, de la défense européenne, ou de l'avenir des institutions européennes. Je pense également au domaine stratégique qu'est celui de l'énergie : la Bulgarie et la France sont à la fois producteurs et exportateurs d'énergie, d'origine nucléaire notamment. Dans tous ces domaines, je crois qu'il faut que nous renforcions notre coopération. C'est pour cela que je suis aujourd'hui venu proposer au président Parvanov et au Premier ministre Stanichev d'établir un nouveau partenariat entre nos deux pays.
Concernant les problèmes de corruption et de criminalité organisée auxquels doit faire face la Bulgarie, je peux dire que cela demeure naturellement une préoccupation pour la France comme pour les autres partenaires européens. Je veux souligner que la France a confiance dans la détermination des autorités bulgares à mettre en oeuvre les réformes encore attendues. Des progrès dans ce domaine ont déjà été réalisés, comme l'a mis en lumière le rapport de la Commission du 27 juin dernier, et je m'en réjouis. Il faut continuer et aller plus loin encore.
La France est prête à apporter à la Bulgarie toute l'assistance dont elle a besoin dans ces domaines. Elle le fait déjà, notamment à travers la présence d'experts et par notre appui à l'Institut national de la justice bulgare.
Je dois par ailleurs souligner la qualité de notre coopération policière et judiciaire bilatérale, particulièrement dans le cadre de la mise en place du mandat d'arrêt européen depuis le 1er janvier. L'incarcération effective de criminels présumés, qui jusque là se croyaient à l'abri, constitue à mes yeux un résultat concret fondamental car il profite directement aux citoyens de tous les pays européens.
Q - Pour une immense partie de l'opinion, vous êtes un homme politique français et européen d'un type nouveau. Que voulez vous changer dans l'Union européenne ?
R - Mon ambition est de faire que l'Europe agisse et apporte des réponses efficaces aux défis de notre temps. Lorsque j'ai été élu président au mois de mai dernier, l'une de mes priorités a été de remettre l'Europe en marche. Cela nécessitait d'abord de résoudre l'impasse constitutionnelle dans laquelle nous nous trouvions. Tout le monde nous annonçait que c'était une mission impossible. Pourtant, au Conseil européen de juin, avec l'aide notamment du Premier ministre Stanichev, nous avons réussi.
Il est maintenant venu le moment de réconcilier les citoyens avec la construction européenne. Cela doit notamment nous amener à poser clairement la question de l'avenir du projet européen car il est important que chacun comprenne ce que l'on souhaite faire de l'Union, au-delà de son existence institutionnelle. C'est pourquoi j'ai souhaité que, d'ici la fin de cette année, soit créé un comité de dix à douze sages de très haut niveau, représentatifs de la diversité de l'Union, pour réfléchir à une question essentielle : quelle Europe en 2020-2030 et pour quelles missions ?
Parallèlement, je compte profiter de la présidence française de l'Union, qui débute le 1er juillet 2008, pour apporter un certain nombre de réponses concrètes. Si l'on veut que les peuples d'Europe retrouvent le goût de l'Europe, il faut que l'Europe soit capable de peser sur le quotidien. Il me parait par exemple indispensable pour l'Europe de se doter d'une politique de l'immigration, d'une politique de l'énergie et d'une politique de l'environnement efficaces à l'échelle de l'Union.
Il faut enfin que l'Europe soit utile. Je pense tout particulièrement au domaine de la défense. Je crois que l'émergence d'une véritable Europe de la Défense, complémentaire à l'Alliance atlantique, doit pouvoir permettre d'apporter des réponses précises à un certain nombre de situations de crises à travers le monde.
Q - Certains médias affirment qu'au cours de votre visite sera signé un contrat de livraison de 3-4 corvettes Gowind pour les forces maritimes bulgares. Pourriez-vous dire un peu plus sur ce contrat ?
R - Je n'ai pas l'habitude de m'exprimer sur les négociations commerciales en cours. Tout ce que je peux dire à ce sujet c'est que tout ce qui contribue à rapprocher la France et la Bulgarie me semble une bonne chose.
Cela me semble d'autant meilleur que dans le cas d'espèce, il s'agit d'un choix qui peut avoir des répercussions très positives pour nos deux pays. En effet, en plus de la modernisation de la marine bulgare, la finalisation de cette offre pourrait relancer les chantiers navals de Varna et sans doute entraîner d'autres contrats où le savoir-faire bulgare serait mis à profit.
Il est important de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un simple contrat commercial mais bien de l'ouverture d'un véritable partenariat avec la Bulgarie. J'espère en tout cas que l'issue de cette négociation sera positive pour tous, ce serait un signe fort.
Q - Les lecteurs du quotidien "24 tchassa" ont attribué spontanément à Mme Sarkozy le titre de "Bulgare digne de mérite". Il semble que vous avez déjà avec la Bulgarie un lien de parenté...
R - Mon épouse et moi-même avons été très sensibles à cette distinction.Au fond de mon coeur, j'ai toujours considéré que les infirmières étaient françaises autant qu'elles sont bulgares. Face à leur situation, qu'aurais-je dû faire ? Attendre que le temps passe sous prétexte que ces femmes n'étaient pas de la même nationalité que moi ? Cela n'est pas ma conception des choses. A mon sens, la France doit toujours se tenir aux côtés de ceux qui sont privés de liberté, où qu'ils se trouvent dans le monde. Les infirmières bulgares étaient devenues des symboles universels de l'oppression. Il était important pour moi que nous leur venions en aide. Si le fait de partager avec le peuple bulgare les valeurs de respect de la liberté et de lutte contre l'injustice me donne avec vous un lien de parenté, alors j'en suis très honoré.