20 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Interview télévisée de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, pour France 2 et TF1 le 20 septembre 2007, notamment sur la question des retraites, la fonction publique, la politique en faveur de la croissance et de l'emploi, la construction européenne et sur sa conception de la vie politique.

PATRICK POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, bonjour, au nom d'Arlette CHABOT et de moi-même···
LE PRESIDENT - Bonsoir.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Merci de nous accueillir au nom de FRANCE 2, de FRANCE 24, de TV5 Europe et de TF1. Il y a eu beaucoup d'annonces ces derniers jours, de nombreux chantiers ouverts, parfois de quoi donner un peu le tournis aux syndicats et aux formations politiques. Mais j'imagine que les Français ont surtout envie d'entendre des choses extrêmement concrètes de leur part et nous allons essayer avec Arlette de relayer leurs questions. Alors tout d'abord sur les régimes spéciaux que vous avez abordés hier, ces régimes spéciaux de retraites, d'abord quel calendrier vous vous donnez et puis est-ce que vous allez tenir compte de la spécificité et de la pénibilité de certains de ces régimes ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, moi j'ai été élu par les Français pour trouver des solutions aux problèmes de la France. On ne m'a pas élu pour commenter les problèmes de la France, on m'a élu pour trouver des solutions à des problèmes qui sont pendants depuis des années. Et parmi ces problèmes il y a la question du financement de nos régimes de retraites. Les Français veulent être assurés que leurs retraites seront financées, qu'ils pourront partir à la retraite. Alors il y a des décisions qui n'ont pas été prises toutes ces années passées mais il faut les prendre tranquillement, simplement, c'est le cas de ce qu'on appelle les régimes spéciaux, les cheminots, les agents de la RATP, les gaziers, les électriciens. Je vais dire deux choses aux Français : d'abord il ne faut pas stigmatiser ces catégories de Français, ils ne sont pas coupables···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a bien une raison quand même pour laquelle il y a des régimes spéciaux···
LE PRESIDENT - D'abord il y a la pénibilité de leur travail, ensuite il y a l'histoire des luttes sociales dans notre pays, ça compte, et lorsqu'ils ont été embauchés à la RATP, EDF, à GAZ DE FRANCE, à la SNCF, ils ont trouvé un régime, un statut, il ne s'agit donc pas de les accuser de quoi que ce soit, encore moins···
ARLETTE CHABOT - Ce n'est pas des privilégiés comme disent certains···
LE PRESIDENT - Ah pour moi, non, on n'est pas privilégié parce que c'est des petits salaires et ce sont des boulots qui sont difficiles. Et je veux d'ailleurs dire une chose c'est que je n'ai pas oublié l'attitude de ces fonctionnaires lors de la tempête de 1999, on était bien contents de les trouver, les électriciens, lorsque tout s'était effondré, et je n'ai pas oublié le courage des agents de la RATP lorsqu'il y a eu les émeutes de 2005 et qu'il fallait pour aller chercher les gens au domicile pour aller à leur travail conduire les bus dans des quartiers où il y avait des émeutiers. Donc ce sont des femmes et des hommes que je respecte, qui ne doivent pas être accusés parce qu'ils ont hérités d'un système ou d'un statut mais il se trouve qu'il y a un problème majeur dans notre pays, c'est que tous les salariés du privé doivent cotiser 40 années pour avoir leur retraite depuis 1994, monsieur BALLADUR, tous les salariés du public doivent cotiser 40 ans pour avoir leur retraite, c'est la réforme qu'a engagé Jean-Pierre RAFFARIN avec François FILLON, et les seuls sur lesquels il n'y avait pas eu cet effort de fait ce sont les régimes spéciaux.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Qui sont à 37,5 à peu près···
LE PRESIDENT - Qui sont à 37,5, et je propose de les aligner sur le régime général de la Fonction publique. Et chacun doit comprendre qu'il n'y a aucune raison qu'un métallo, qu'un ouvrier du textile ou qu'un salarié du privé cotisent 40 années quand les autres cotisent 37 années et demie.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et en combien de temps l'étalement ?
LE PRESIDENT - Alors on va négocier de ça, donc ça c'est le principe, et je le dis, je ne céderai pas sur ce principe parce que c'est un principe d'équité. On ne peut pas dire à des millions de Français " vous devez cotiser 40 ans " et à quelques millions d'autres " vous devez cotiser 37 années et demie " même si on doit tenir compte de la pénibilité. Alors···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Même s'il y a du monde dans la rue, même s'il y a des grèves ?
LE PRESIDENT - Qu'il y ait des grèves, c'est un droit constitutionnel, on ne peut pas empêcher les gens de faire grève, mais moi je voudrais essayer de faire des choses de la façon la plus juste. Je leur dis donc à ces catégories de Français, premièrement votre statut particulier vous le conserverez. Deuxièmement, le gouvernement est prêt à discuter assez largement du temps qu'il faut pour arriver aux 40 années. Par exemple, pour le régime général de la Fonction publique, il avait été indiqué qu'il fallait cinq ans, on peut en discuter de tout cela. Ce sur quoi on ne peut pas transiger c'est le principe d'égalité, d'équité, tout le monde doit cotiser 40 ans, voilà. Alors je le dis très simplement, très calmement, je le dis en ayant parfaitement conscience de l'effort qu'on leur demande, de la difficulté que cela représente. Monsieur POIVRE d'ARVOR, si c'était facile, les autres gouvernements l'auraient fait £ s'ils ne l'ont pas fait c'était compliqué. Mais moi je···
ARLETTE CHABOT - Ca s'est quand même passé une fois en 95, il y a eu une tentative, ça s'est mal passé. Est-ce que vous pensez que cette fois les esprits sont davantage ouverts, prêts à accepter, que ce soit d'ailleurs l'opinion publique qui semble assez prête selon les enquêtes d'opinion, voire ceux qui bénéficient de ce régime, ils ont évolué ?
LE PRESIDENT - Oui mais moi je ne veux pas monter une partie de l'opinion contre eux parce que ça serait injuste. Je dis aux cheminots, aux agents de la RATP, aux gaziers, aux électriciens et à tous les autres que je fais confiance à leur honnêteté, on leur garantit le respect de leur statut particulier mais ils doivent comprendre qu'il ne peut pas y avoir pour les Français deux catégories de Français, ceux qui cotisent 40 années et ceux qui cotisent 37 années et demie. La négociation s'ouvre, elle va s'ouvrir au niveau confédéral, Xavier BERTRAND avec la coordination naturellement du Premier ministre, François FILLON, engage les discussions, a déjà commencé, et je souhaite que très rapidement ça parte entreprise par entreprise pour tenir compte de la spécificité des statuts et de la pénibilité des métiers.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et pour la grève···
ARLETTE CHABOT - Fin de la négociation à la fin de l'année···
LE PRESIDENT - Bien sûr à la fin de l'année, mais écoutez, Arlette CHABOT, ça fait 20 ans qu'on parle de tout ça, ça fait 20 ans que tous les gouvernements regardent ce problème et le laissent de côté tranquillement. Les Français m'ont élu pour trouver des solutions, je trouverai des solutions. J'ajoute que parce qu'on aura fait cela, on pourra dès 2008 poser la question difficile de l'amélioration des petites retraites, il y a quand même trois millions de retraités qui sont en dessous du minimum vieillesse, ce n'est pas admissible, et la question encore plus difficile des pensions de réversion, c'est-à-dire des veufs qui se retrouvent avec 52 % d'une petite retraite, ça ne fait pas grand-chose. Donc j'essaye de conduire une politique juste et je pense que ce que j'ai proposé aux organisations syndicales c'est juste.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ils trouvent que le calendrier sera difficile à tenir, pour eux ça leur paraissait même impossible···
LE PRESIDENT - Impossible, s'il s'agit de mettre quelques semaines de plus, bien sûr qu'on les mettra, mais il y a quelque chose qu'il faut bien qu'on comprenne, je ne transigerai pas sur l'affaire des 37 années et demie de cotisations qui doit passer à 40. Nous négocierons tant qu'il le faut, sur le temps pour y arriver, sur les statuts particuliers, sur la pénibilité, je n'accepterai pas qu'on désigne une catégorie de fonctionnaires comme étant coupable, ils sont coupables de rien ! Le cheminot de la SNCF, quand il a été embauché, il n'avait pas un gros salaire et puis il a trouvé ce statut, il ne s'agit pas d'accuser personne, il s'agit de trouver les moyens de financer un régime qui a besoin qu'on travaille plus longtemps pour pouvoir être financé. Comme on vit plus longtemps, si on ne cotise pas plus longtemps ce n'est pas possible de le financer.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Pour la grève qui est d'ores et déjà annoncée dans un mois tout juste, est-ce que vous allez mettre en place ce fameux service minimum que vous aviez annoncé pendant la campagne ?
LE PRESIDENT - Mais bien sûr, il y a une loi, elle doit s'appliquer. La grève, écoutez, s'il y a des problèmes on les affrontera mais moi j'ai été élu, et vous savez, j'ai dit une chose, c'est que pendant toute la campagne je n'ai pas menti, j'ai dit que la question des régimes spéciaux de retraites se posait, personne ne peut dire qu'il est pris en traître, personne ne peut dire que c'est un engagement que je n'ai pas tenu, je suis en train de tenir un engagement que j'ai pris. Ce n'était pas facile, j'ai dit avant l'élection à tous les titulaires de régimes spéciaux, " écoutez, si je suis élu président de la République, vous cotiserez 40 années comme tous les autres Français, pas plus mais pas moins ". Je l'ai dit avant l'élection, qui pourrait comprendre qu'après l'élection je ne le fasse plus.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais plus généralement, pour les autres fonctionnaires, vous leur avez dit hier " vous êtes formidables mais votre statut est obsolète ", est-ce que vous pensez que ce pays est rouillé et qu'il est victime de trop d'immobilisme ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, là aussi, oui je pense profondément que les fonctionnaires sont formidables et qu'on n'en parle pas bien des fonctionnaires, je n'aime pas la façon dont on parle des fonctionnaires dans notre pays, on oppose les uns aux autres, ce n'est pas ma conception de la Nation. Et là encore je voudrais qu'on arrête de parler des statuts, des catégories et qu'on parle des femmes et des hommes. Je voudrais prendre des exemples : il n'y a pas de mobilité dans la Fonction publique. Quand votre mari ou votre épouse a un nouveau poste, vous ne pouvez pas passer de la Fonction territoriale à la Fonction d'Etat, vous ne pouvez pas changer de métier, il n'y a pas de formation continue, il y a la maladie des concours et des examens pour progresser. Alors prenez la mère de famille de 42 ans qui a deux enfants et qui travaille toute la journée, pour progresser elle doit passer des concours et des examens extrêmement difficiles, moi je dis le mérite, la valorisation de l'expérience, ça compte, on va leur donner un coup de main, on va améliorer la qualité du travail···
ARLETTE CHABOT - Le salaire au mérite par exemple, un prof m'a dit comment on évalue le mérite d'un prof ?
LE PRESIDENT - Ecoutez···
ARLETTE CHABOT - Non, je pose une question···
LE PRESIDENT - Tous les Français savent bien que dans les écoles il y a la maîtresse ou le professeur que tout le monde réclame parce qu'il est celui dont on sait parfaitement qu'il donne encore plus aux enfants. Moi je ne dis pas qu'il faut enlever à qui que ce soit qui fait juste son travail mais il n'est pas anormal que l'on reconnaisse la performance dans le secteur public comme dans les autres. Je voudrais qu'on arrête, un enseignant qui veut emmener sa classe au théâtre, faire une sortie, montrer la nature à ses élèves, c'est une débauche d'énergie considérable pour prendre une initiative, donc moi je veux qu'il soit valorisé. Je souhaite que dans chaque établissement on donne un minimum d'autonomie, que les enseignants ne soient plus notés sur leurs capacités à appliquer la dernière circulaire du dernier ministre mais sur leurs capacités···
ARLETTE CHABOT - Moins de circulaires peut-être···
LE PRESIDENT - Ah oui, ça certainement moins de circulaires, sur leurs capacités à apprendre à lire, écrire, compter à nos enfants. Je veux poser la question de la qualité du travail des fonctionnaires···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a aussi le travail dans les quartiers difficiles par exemple aussi···
LE PRESIDENT - ···y compris de leur rémunération. Regardez les heures supplémentaires, il y a quelque chose que j'ai apprise, extraordinaire : savez-vous que dans la Fonction publique les heures supplémentaires sont moins bien payées que les heures normales et qu'il y ait des secteurs où on n'a même pas le droit de faire des heures supplémentaires.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ca décourage···
LE PRESIDENT - Prenez l'exemple d'une mairie mérite, après tout ce n'est pas absurde que les services publics soient ouverts le samedi quand les gens sont disponibles pour aller dans les services publics. Je souhaite qu'un fonctionnaire qui fasse des heures supplémentaires soit payé sur ces heures supplémentaires. Regardez à l'hôpital, c'est inadmissible ce qui s'est passé. Des dizaines de milliers d'heures supplémentaires qui ne sont pas payées aux infirmières, aux agents hospitaliers, il faut régler ce problème. Alors comment on va le régler ? Soit en permettant de transformer du temps libre que les gens ne peuvent pas pendre en pouvoir d'achat, soit en permettant de transformer ce temps libre en années de cotisation retraite, mais je veux que tous ceux qui ont travaillé plus aient une rémunération de ce travail supplémentaire.
ARLETTE CHABOT - Une petite question sur le pécule, parce que vous avez proposé un petit pécule pour des fonctionnaires qui auraient envie de partir, changer, peut-être d'aller dans le privé, certains ont vécu ça assez mal···
LE PRESIDENT - Ah bon, pourquoi, je ne sais pas, quelqu'un qui est fonctionnaire depuis 20 ans puis qui souhaite avoir une autre activité, pourquoi on ne lui permettrait pas de l'avoir une seconde vie, un second choix. Au nom de quoi on doit tout figer, tout bloquer, tout statufier ? Mais notre société en meure de tout cela, il faut augmenter la possibilité de choisir. J'ai dit également aux fonctionnaires de France, je m'étais engagé, c'est un engagement que j'ai pris, on ne peut pas continuer à embaucher parce que la France vit au-dessus de ses moyens. On a 1.200 milliards de dettes, les salaires et les retraites c'est 45 % du budget de la France, si on remplace tout le monde qui part à la retraite on ne pourra pas réduire les déficits. Et nous avons proposé avec le Premier ministre que la moitié des économies réalisées en gains de productivité on leur redonnerait en pouvoir d'achat aux fonctionnaires. Moins de fonctionnaires, mieux payés, c'est ça une Fonction publique moderne. Si nous ne remplaçons pas pendant cinq ans un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, on reviendra au niveau de la Fonction publique de 1992. Monsieur MITTERRAND était président de la République, je ne sache pas à ma connaissance qu'en 1992 la France était sous-administrée.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors puisqu'on parle des 35 heures que vous ne prisez guère, pourquoi vous ne les supprimez pas carrément puisque il y a toujours des toilettages, des énièmes versions ?
LE PRESIDENT - Sur les 35 heures, écoutez, d'abord nous sommes le seul pays au monde à nous être doté de cette législation, il n'y en a pas un autre, et on l'a payé de deux problèmes, plus de chômeurs que les autres, parce qu'un pays qui travaille moins que les autres c'est un pays qui crée moins de richesse et qui a moins de croissance. Et toute ma stratégie économique c'est de libérer les forces de travail dans notre pays pour gagner ce point de croissance qui nous manque. Et puis on l'a payé d'un deuxième problème qui est immense en France c'est qu'on ne parle plus des salaires, on ne parle plus du pouvoir d'achat···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais on parle du temps libre en revanche···
LE PRESIDENT - Et moi je m'inscris en faux contre ceux qui disent, soi-disant experts, qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat en France, il y a un gigantesque problème de pouvoir d'achat. Comment le résoudre ? En permettant aux gens de travailler plus pour gagner plus. Alors qu'est-ce qu'on va faire ? D'abord à partir du 1er octobre, toutes les heures supplémentaires que feront les salariés français ils ne paieront pas d'impôt et ne paieront pas de charge dessus. Donc on encourage les entreprises à donner des heures supplémentaires et on encourage les salariés à faire des heures supplémentaires. Imaginez ce qu'on dirait de moi si je proposais aux Français de gagner plus sans travailler plus, ils diraient " il le fabrique cet argent, comment il fait ? " Deuxième élément, je veux faciliter la possibilité pour les salariés de choisir entre du temps libre ou du pouvoir d'achat. Il y a des tas de salariés qui ont des problèmes de pouvoir d'achat et qui veulent pouvoir transformer les jours de congé accumulés parce qu'ils ont fait des heures supplémentaires en pouvoir d'achat, en salaire, en rémunération, on va les autoriser. Et enfin je voudrais que les heures choisies ce soit la liberté du salarié : savez-vous qu'un salarié français n'a pas le droit de faire des heures supplémentaires dans son entreprise s'il n'y a pas eu un accord pour la branche. C'est hallucinant, il faut laisser un accord d'entreprise, il faut laisser les gens discuter, les syndicats discuter, entreprise par entreprise, mais pourquoi empêcher, c'est quand même une idée très curieuse que celle qui consiste à vouloir empêcher absolument les gens de travailler plus pour gagner davantage.
ARLETTE CHABOT - Comment vous allez aussi pousser les entreprises quand même à augmenter les salaires ? Vous aviez lancé un petit appel aux chefs d'entreprise lorsque vous étiez allé au MEDEF en disant : Il faut négocier et augmenter les salaires. Comment on fait ?
LE PRESIDENT - Madame CHABOT, moi, je suis chef de l'Etat, je dois être juste. Je veux dire aux chefs d'entreprise que je n'accepte pas la situation selon laquelle, une fois par an, les conseils d'administration se réunissent pour débattre de la rémunération, comprenez l'augmentation de la rémunération du chef d'entreprise £ et que dans la même entreprise, après voir augmenté le dirigeant, on explique pour les salariés qu'il n'y a plus de pouvoir d'achat et qu'on ne peut pas les augmenter. La loi prévoit des négociations salariales. Donc, je dis les choses extrêmement clairement. Dans les entreprises où il n'y aura pas de négociations salariales et où on laissera le salaire minimum en dessous du SMIC, les minima de branche en dessous du SMIC, on posera la question des allègements de charges. Les allègements de charges, on ne les donnera pas lorsqu'il n'y aura pas de discussions salariales dans l'entreprise.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous nous dites plus de pouvoir d'achat, au fond, qui n'est pas pour ? Mais en même temps, d'une autre main, vous préparez···
LE PRESIDENT - Qui n'est pas pour ? Je vois le débat, beaucoup de gens qui disent : Mais c'est la compétitivité des entreprises qui compte. Comme si le fait qu'un salarié qui va au travail en disant qu'il est exploité, ce n'est pas un problème pour la compétitivité de l'entreprise. Une entreprise, c'est le dirigeant et c'est le dernier des salariés. C'est une communauté de femmes et d'hommes. La question du pouvoir d'achat, elle se pose. Je vais d'ailleurs aller beaucoup plus loin en réformant complètement cette loi si compliquée qu'on appelle la loi GALLAND, qui interdit - tenez-vous bien ! - aux distributeurs, aux grandes surfaces de redonner aux consommateurs les ristournes···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Les fameuses marges arrières.
LE PRESIDENT - ··· Qu'ils obtiennent des fournisseurs. Personne n'y comprend rien, c'est extrêmement compliqué. Les grandes surfaces discutent···
ARLETTE CHABOT - Les prix vont baisser, en clair !
LE PRESIDENT - Voilà. Les grandes surfaces discutent avec les fournisseurs, obtiennent des ristournes. Ces ristournes, on ne les retrouve pas chez le consommateur, qui voit bien que, depuis l'euro, les prix ont augmenté. Je souhaite que les prix baissent. Donc, on va libérer les possibilités de négociation entre fournisseurs et distributeurs de grandes surfaces. Je dis tout de suite d'ailleurs que pour les prix agricoles, je ferai une exception. Parce que je considère que les prix en matière agricole et alimentaire ne se fabriquent pas de la même façon que pour les grandes marques, que je ne citerai pas parce que je n'ai pas le droit de faire de la publicité.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Dans le même temps, vous avez quand même prévu la franchise médicale, ce qui est un problème aussi pour le pouvoir d'achat des gens. Cela veut dire aussi que ça va les pousser à avoir des assurances privées et peut-être à aller vers une médecine à deux vitesses.
LE PRESIDENT - C'est une affaire compliquée, il faut essayer d'en parler simplement. Nous avons un gigantesque défi devant nous, celui de la maladie d'Alzheimer. Près de 900 000 Français qui ont cette maladie, qui est un drame, un drame absolu. Nous avons le cancer qui est la première cause de mortalité, qui brise et qui cause des tragédies dans toutes les familles. Nous avons moitié moins de lits de soins palliatifs pour les malheureux malades condamnés pour les accompagner dignement vers la mort. Il faut de l'argent supplémentaire. Où est-ce que je vais le trouver ? De tous les côtés, on me dit : Plus pour la recherche Alzheimer, plus pour la recherche sur le cancer, plus pour les soins palliatifs. Où est-ce qu'on les trouve ?
ARLETTE CHABOT - Et la dépendance.
LE PRESIDENT - La dépendance, pareil, on vit plus longtemps, où est-ce qu'on les trouve ? A ceux qui me disent que la franchise, ce n'est pas gentil, peut-être. Mais où est-ce qu'on trouve l'argent ? Je ne le fabrique pas. Je veux dire la vérité aux Français. Si on veut dépenser···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Elle est fixée déjà ?
LE PRESIDENT - ··· Davantage pour notre santé, il faut être capable d'avoir la contrepartie et les recettes pour ça. Dans le même temps, j'ai demandé au Premier ministre d'engager une politique déterminée, qu'on n'a jamais vue en France, de lutte systématique contre la fraude. C'est un enjeu, la fraude sociale et la fraude fiscale, d'environ 30 milliards par an. C'est un enjeu stratégique. Je proposerai notamment deux choses. C'est que les fraudeurs aux allocations sociales voient leur possibilité d'avoir ces allocations supprimée pendant une année. Les entreprises fraudeuses auraient des amendes planchers. Il faut qu'on sorte de cette situation invraisemblable où nous sommes un pays qui a la solidarité généreuse, mais qui n'est pas assez ferme contre la fraude. C'est l'argent du contribuable.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous nous parlez de la croissance, mais la croissance, ça ne se décrète pas, surtout quand on a un baril à 80 dollars, quand on a un euro à 1,40 dollar. Même les incantations, même les meilleures intentions ne peuvent pas faire que le point de croissance, on le trouve. Comment vous allez trouver ce fameux point de croissance dont on a besoin ?
ARLETTE CHABOT - Quand vous dites 3 %, tout le monde dit : C'est vrai qu'il est volontariste, mais là, il exagère un peu quand même !
LE PRESIDENT - Alors, qu'est-ce qu'on propose ? De rester les bras croisés ? La croissance, il faut aller la chercher. Vous êtes en train de m'expliquer, tous les deux, que la croissance mondiale, elle est moins grande, qu'il y a eu le problème avec l'immobilier américain, le subprime, etc. Donc, il faut trouver···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais il y a d'autres pays qui marchent mieux que nous, qui font plus que 1,8.
LE PRESIDENT - Pourquoi ils marchent mieux que nous, ces pays-là, monsieur POIVRE d'ARVOR ?
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Moins de contraintes ?
LE PRESIDENT - Parce qu'ils travaillent davantage que nous. Parce qu'ils ont libéré les possibilités de créer, d'innover, de produire de la richesse. Parce que cela fait des années en France qu'on discute savamment de la redistribution et du partage des richesses. Moi, je veux qu'on parle des conditions de la production des richesses. Sur la croissance, 2007, je n'y suis quand même pour rien ! 2008, on va essayer de la doper et, 2009, ce sera la mienne···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et elle sera à combien en 2009 ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, il faut que nous ayons une croissance entre 2,5 et 3 % pour arriver au plein emploi. Je me suis engagé sur ces objectifs, je veux aller chercher cette croissance. La seule façon d'aller chercher cette croissance, c'est ce qu'est en train de faire le gouvernement de monsieur FILLON, c'est-à-dire de faire les réformes que les autres ont faites avant nous pour libérer les énergies du pays et avoir le plein emploi.
ARLETTE CHABOT - Donc, ça veut dire qu'il faut quand même attendre deux ans pour avoir les résultats de la politique que vous commencez, que vous initiez aujourd'hui, ce qui n'est pas anormal. Cela va commencer à nous coûter cher et ça veut dire que pour le déficit, on ne sera pas dans les clous espérés, 2010, plutôt 2012, ce qui ne va pas faire plaisir à nos amis européens.
LE PRESIDENT - Permettez-moi de vous dire, madame CHABOT, que ce n'est pas exact. Vous venez de m'interroger sur la franchise, ce sont des recettes. Vous m'avez interrogé sur les diminutions d'effectifs dans la fonction publique, ce sont des recettes. Les réformes que nous mettons en cause, ce sont des recettes. Je ne crois pas à la politique d'austérité. Pendant des années, on l'a expérimentée en France. Avec l'austérité, vous avez moins de dépenses et moins de recettes. Je crois à une politique fondée sur l'effort, sur la libéralisation des possibilités de travail pour nos compatriotes. Pourquoi je demande qu'on puisse, si on le veut, travailler le dimanche ? Parce que c'est des journées de travail, c'est des possibilités de vendre plus, c'est des possibilités de créer des richesses. Pourquoi je me bats pour libérer les heures supplémentaires ? Parce que tous les pays qui ont le plein emploi et une croissance à 3 %, ce sont des pays qui travaillent plus que nous. Moi, je ne veux pas que les Français travaillent plus sans être payés davantage. Mais c'est quand même une drôle d'idée, encore une fois, d'avoir condamné la France à tourner le dos au travail. Mais les Français sont lucides, ils savent parfaitement bien que quand on travaille moins que les autres, on gagne moins que les autres. Je veux libérer les possibilités de travail dans notre pays.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - On a vu les effets immédiats, du moins en Bourse, de la baisse du taux directeur de la FED, c'est-à-dire de la Réserve fédérale américaine. Est-ce que vous n'avez pas envie de dire la même chose à monsieur TRICHET : Baissez votre taux au nom de la BCE, sans toucher à votre indépendance ?
LE PRESIDENT - D'abord, je crois à l'indépendance de la Banque centrale européenne et je l'ai même votée.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Tout le monde dit ça, mais en même temps, on···
LE PRESIDENT - Non, mais je le dis, mais enfin··· C'est extraordinaire, monsieur TRICHET ne peut pas dire qu'il est indépendant et qu'il n'accepte pas qu'on discute de sa politique monétaire.
ARLETTE CHABOT - Vous le critiquez quand même, donc···
LE PRESIDENT - Je ne critique pas monsieur TRICHET, qui est certainement quelqu'un de très respectable. Je dis simplement : Regardez ce qui se passe. La Banque fédérale américaine, devant la situation que nous avons de l'économie, baisse ses taux. La Banque centrale européenne ne les baisse pas. Quand la Banque centrale américaine baisse ses taux, tout repart. Quand nous, nous ne baissons pas les nôtres, on s'enfonce. Il y a quand même un petit problème. J'ajoute que quand l'euro s'apprécie de 10 centimes, AIRBUS perd 1 milliard. Nous avons un euro qui vaut pratiquement 1,40 pour un dollar, il faut faire attention aux conditions de la compétitivité. Moi, je me bats pour que les entreprises françaises puissent fonctionner dans la compétition mondiale. Alors, nous avons à faire face à un dumping environnemental, à un dumping fiscal, à un dumping social et maintenant à un dumping monétaire. Je ne dis pas que j'ai raison, je souhaite simplement qu'on puisse discuter de tout ça. Enfin, je veux qu'on mette des règles dans le capitalisme financier mondial, qu'on arrête de promouvoir les spéculateurs et qu'on promeuve les entrepreneurs. Ce qui s'est passé dans la crise est tout à fait scandaleux, les agences de notation n'ont pas fait leur travail, il n'y a pas assez de transparence et l'économie du monde n'a pas à être pénalisée par le comportement insensé de quelques centaines de spéculateurs.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Donc, vous nous dites quand même entre les lignes, vous dites en tout cas à monsieur TRICHET : Baissez les taux, ça nous arrangerait.
LE PRESIDENT - Je dis à monsieur TRICHET, pas du tout entre les lignes : Regardez ce que font les autres. L'enfer, ce n'est pas toujours les autres.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Angela MERKEL est d'accord avec vous sur ce sujet et sur d'autres ? Parce qu'elle n'a pas l'air d'être···
LE PRESIDENT - Angela MERKEL, c'est une personne tout à fait remarquable, un partenaire et une amie. Mais il y a une histoire allemande. Les Allemands se souviennent de l'époque où le mark ne valait rien et où chacun allait, avec sa brouette, remplie de billets qui ne valaient rien, échanger à la banque. C'est une histoire qui···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - C'était dans les années 30, début des années 30.
LE PRESIDENT - Exactement, dans le début des années 30. Mais c'est à moi aussi de convaincre, de porter ce débat. Je ne suis pas pour un euro faible. Je dis simplement que nous ne pouvons pas être la seule région du monde qui n'utilise pas sa monnaie au service de la croissance et de l'emploi et qui n'a comme seule préoccupation qu'il n'y ait pas d'inflation, ce qui est très louable. Mais je pense que dans la compétition mondiale, le risque d'inflation est beaucoup plus faible que celui d'une croissance atone et celui d'un chômage trop élevé.
ARLETTE CHABOT - Mais, en Europe, on a l'impression, quand même, que de temps en temps - allez, on le dit - vous agacez un peu vos partenaires, quoi, voilà···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - On parle d'arrogance, même, parfois.
ARLETTE CHABOT - ···voilà, on va dire : " Tiens, on retrouve l'arrogance française. " C'est une autre version, elle est plus moderne, peut-être, exprimée par Nicolas SARKOZY : on a l'impression que vous bousculez un peu Madame MERKEL. Quand vous dites qu'elle vient de l'Europe de l'Est, enfin, de l'Allemagne de l'Est, on dit : ce n'est pas super sympa, peut-être, de le dire comme ça. Quand vous avez l'air de vous indigner, ou de vous inquiéter de ce que disent les ministres des Finances de l'euro, parce qu'ils trouvent que ça n'allait pas assez vite sur les réformes···
LE PRESIDENT - Madame CHABOT···
ARLETTE CHABOT - Donc, il y a de l'arrogance française, ou il y a de l'impatience de Nicolas SARKOZY ?
LE PRESIDENT - ···ni l'un ni l'autre ! Madame CHABOT, la France est le pays fondateur de l'Europe, et on s'est retrouvé avec un référendum où les Français ont voté à 55% non à l'Europe. Vous croyez que j'ai reçu le mandat de continuer à construire une Europe qui éloigne chaque année un peu plus des millions de Français de l'Europe ? Vous pensez que c'est ça, que je devais faire comme avant ? Comme avant ? C'est-à-dire que, on a voté non à la constitution de Valéry GISCARD d'ESTAING à 55 %, et je dois continuer comme avant ? La langue de bois absolue ? Ne rien dire, attendre ? La France est de retour, pourquoi ? J'ai pris mes responsabilités, notamment sur la constitution, et sur le traité simplifié. Le traité simplifié, nous l'avons adopté à 27 partenaires. C'est la France qui a poussé cela - avec, d'ailleurs, le travail remarquable d'Angela MERKEL. Mais, je veux me réserver le droit, au nom des Français, de poser des vrais problèmes en Europe ! Enfin, quand même, l'Europe n'a pas à être une passoire ! Moi, c'est très bien qu'on commerce avec la Chine, mais je veux la fin de la naïveté. Pourquoi ferions-nous venir des produits chinois qui ne respectent aucune des règles de contraintes environnementales, que par ailleurs nous imposons à nos entrepreneurs ? L'Europe ne doit pas être protectionniste, mais l'Europe est faite pour se protéger. Je me suis battu sur la préférence communautaire, parce que je crois que c'est nécessaire, pour défendre notamment nos agriculteurs. Pourquoi importer en Europe des produits qui ne respectent aucune des règles de traçabilité, que par ailleurs nous imposons à nos éleveurs et à nos agriculteurs ? Mais ça, mais c'est mon devoir, de le faire. Et j'ai le sentiment, au contraire, que ce discours, loin d'agacer, comme vous le dites, est très entendu, en Europe. Je souhaite une politique de l'énergie. Je souhaite une politique de l'immigration. Je souhaite une politique de défense commune. Là aussi, on regarde les déficits de la France £ mais enfin, la France, c'est le pays qui, avec l'Angleterre, paye le plus pour la défense de l'Europe ! C'est plus facile de ne pas avoir de déficits, quand son budget de la défense est égal à zéro ! Alors que le nôtre, c'est 2 % du PIB.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Puisque vous citez l'immigration, là, qui est en débat actuellement, avec le projet de loi de Brice HORTEFEUX, est-ce qu'il faudra en venir un jour à des quotas, par pays, ou par profession ?
LE PRESIDENT - Oui. Je le dis, de façon très claire : je souhaite que nous arrivions à établir, chaque année, après un débat au parlement, un quota, avec un chiffre plafond d'étrangers que nous accueillerons sur notre territoire. Je souhaite également que, à l'intérieur de ce chiffre plafond, on réfléchisse à un quota par profession, par catégorie. Ecoutez, c'est extraordinaire ! Savez-vous que seuls 7 % de l'immigration d'aujourd'hui est une immigration du travail ? Comment s'intégrer en France, si on n'a pas de travail ? Je souhaite porter le chiffre de l'immigration du travail au moins à un sur deux. Et puis, naturellement, un quota par régions du monde. Tous les pays développés le font. Tous les pays démocratiques le font. Alors, en France, dès qu'on prononce le mot " immigration ", immédiatement, on vous accuse ! Mais, c'est invraisemblable ! La politique d'immigration d'un pays, c'est ce que va devenir ce pays à 30 ans, ou à 40 ans. On peut vouloir dire : eh bien, voilà, nous voulons accueillir sur notre territoire des femmes et des hommes qui s'intégreront. Je considère comme tout à fait normal le fait qu'on connaisse le français avant de venir en France. Ce n'est quand même pas absurde, si on veut avoir une chance de pouvoir être intégré.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et les tests ADN, ça vous choque, comme Fadela AMARA, par exemple, le test ADN pour les regroupements familiaux ?
LE PRESIDENT - Mais, le test ADN, d'abord, il est sur la base du volontariat. Il est destiné, pour une famille qui vient d'un pays où l'état civil n'existe pas, à pouvoir prouver que les enfants sont bien les siens, et donc, à pouvoir les regrouper en France. Vous savez que ce test ADN existe dans 11 pays en Europe - dont certains sont socialistes, comme la Grande-Bretagne ? Comment se fait-il que ça ne pose aucun problème dans ces pays, et que ça fasse débat chez nous ?
ARLETTE CHABOT - Parce que, chez nous, on dit que c'est réservé pour des raisons médicales, aux Français, par exemple, ou quand il y a des problèmes avec la justice. Et là, du coup, certains sont choqués. On citait des membres de votre gouvernement, qui viennent de gauche, et qui disent - y compris dans la majorité, d'ailleurs : " On trouve ça choquant. "
LE PRESIDENT - Oui, mais, je respecte parfaitement cette opinion. Si vous me posez la question de savoir si ça me choque, la réponse est non.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Monsieur le président, quel est votre principal collaborateur ? Est-ce que c'est François FILLON, ou Claude GUEANT ?
LE PRESIDENT - François FILLON est mon Premier ministre. Je voudrais dire d'ailleurs un mot, à propos de François FILLON. Parce que, vous savez, souvent nous parlons··· tous les jours, on parle, tous les deux £ et on est toujours très interloqués par les commentaires des uns et des autres. François et moi, nous avons fait campagne ensemble £ s'il y a une personne qui connaît le projet qui est le mien, c'est François FILLON, puisque nous l'avons écrit ensemble. Nous avons fait campagne ensemble. Et j'avais très précisément, et depuis longtemps, l'idée dans la tête de nommer François FILLON comme Premier ministre. Il fait d'ailleurs son travail de façon parfaitement remarquable. Et je suis toujours fasciné de la capacité d'imagination sur les commentaires sur notre relation !
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Lui-même s'est montré un peu agacé du mot " collaborateur " qu'il a pris pour lui.
LE PRESIDENT - Comme je le vois tous les jours, si agacement il y avait eu, je l'aurais constaté certainement, peut-être même avant vous Monsieur POIVRE d'ARVOR.
ARLETTE CHABOT - Quel est le rôle de ceux qui travaillent avec vous à l'Elysée ? C'est vrai qu'il y a un hebdomadaire, cette semaine, qui présente à sa une Claude GUEANT disant " L'Homme le plus puissant de France ", alors on se dit " vice-président ", " vice-Premier ministre "···
LE PRESIDENT - Je devrais, sans doute, en être fâché moi-même alors ?
ARLETTE CHABOT - Je vous rassure, après vous, quand même !
LE PRESIDENT - Mais, non, je vais vous expliquer Madame CHABOT. Moi, j'ai toujours travaillé en équipe. J'ai une équipe de collaborateurs assez exceptionnels. C'est moi qui les pousse à prendre la parole parce que je pense qu'un collaborateur, la qualité de ceux que j'ai ici, doit prendre la parole non pas à la place des ministres, a fortiori du Premier ministre, mais doit expliquer pourquoi j'ai pris tel ou tel choix ou assumé telle ou telle décision. Moi, je ne veux pas des gens silencieux, ça ne me gêne pas que dans mon équipe, un certain nombre de gens prennent la parole. J'ai voulu très peu de ministres, il y en a 15 autour du Premier ministre. Je trouve qu'ils font un boulot assez remarquable.
ARLETTE CHABOT - Ils ont de l'espace···
LE PRESIDENT - Mais, bien sûr, ils ont de l'espace, sauf sur une chose : j'attends d'eux des résultats. Ils ont toute liberté, toute latitude pour voir comment ils doivent les obtenir, mais il faut des résultats. Parce que le Premier ministre François FILLON et moi nous savons une chose : c'est que les Français, ils attendent de nous quoi ? des résultats. Je me suis engagé sur des résultats. Les gens n'attendent pas de moi que je sois ici pendant 5 ans, que rien ne bouge, que je dorme tranquillement et que je joue le président de la République. Ils attendent des solutions concrètes et des résultats.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a une répartition des rôles entre vous deux ? Est-ce qu'il y en a un qui joue le bon et l'autre le méchant ou la brute ?
LE PRESIDENT - Je crains que vous ayez déjà réparti les rôles.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Non, mais c'est vrai que, parfois, il y a des déclarations, vous essayez d'adoucir derrière.
LE PRESIDENT - Non, François et moi, chacun a son tempérament, on travaille main dans la main, nous sommes parfaitement interchangeables, c'est une équipe. Vous savez, quand je regarde la rentrée scolaire qu'organise DARCOS, c'est assez remarquable ce qu'il a fait. La façon dont madame PECRESSE a organisé l'autonomie de l'université, c'est remarquable, ça fonctionne très bien. Nous avons travaillé encore ce matin avec Jean-Louis BORLOO et Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET sur les états généraux de l'environnement, c'est un choc pour l'Europe entière ce qu'on essaie de faire avec des décisions très fortes que nous allons annoncer, notamment sur une politique d'achats publics. Car je souhaite que l'Etat soit exemplaire en la matière. Non, il y a une équipe gouvernementale assez remarquable.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ça, ce sont les bons points de la rentrée, est-ce qu'il y a des mauvaises surprises ou en tout cas des surprises décevantes ?
LE PRESIDENT - Je pense que Bernard KOUCHNER est un ministre des Affaires étrangères qui fait honneur à la France.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et sa déclaration sur l'Iran vous a gêné ?
LE PRESIDENT - Non··· D'abord, ce qu'a fait Bernard KOUCHNER au Darfour et au Liban, c'est remarquable. Moi, je n'aurais pas employé le mot " guerre ", il s'en est lui-même expliqué. Sur l'Iran, c'est une affaire extrêmement difficile. L'Iran essaie de se doter de la bombe nucléaire, je l'ai dit : c'est inacceptable. Je dis aux Français : c'est inacceptable. Comment peut-on les convaincre de renoncer à ce projet comme la communauté internationale a convaincu la Corée du Nord et la Libye à renoncer à leurs projets ? Par la discussion, par le dialogue, par les sanctions. Si les sanctions actuelles ne sont pas suffisantes, je souhaite des sanctions plus fortes.
ARLETTE CHABOT - C'est ce que vous proposerez aux Européens où à la communauté internationale puisque vous serez à New York dans quelques jours ?
LE PRESIDENT - Bien sûr, mais c'est pas exclusif d'un dialogue avec les Iraniens. C'est une grande civilisation la société iranienne, elle mérite mieux que ce qu'elle connaît aujourd'hui. Quand je me bats pour qu'il y ait du nucléaire civil dans un certain nombre de Nations arabes, c'est pour bien montrer aux Iraniens que, dans mon esprit, ce qui est interdit, c'est le nucléaire militaire, pas le nucléaire civil qui est l'énergie de demain. C'est une affaire extrêmement difficile, mais la France ne veut pas de la guerre.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Les déclarations de Jean-Pierre JOUYET qui dit que, finalement, on n'aura peut-être pas besoin d'un référendum pour décider de l'entrée éventuelle ou non de la Turquie dans l'Union européenne, vous les reprenez à votre compte ?
LE PRESIDENT - Non, c'est l'avis de Jean-Pierre JOUYET, j'aurais à faire des propositions le moment venu, dans le cadre des travaux de la commission Balladur. Pour ma part, c'est assez clair : je ne crois pas que la Turquie ait sa place en Europe, pour une raison simple, c'est qu'elle est en Asie mineure. Simplement, la Turquie, c'est un très grand pays, et ce que je souhaite proposer à la Turquie, c'est un véritable partenariat avec l'Europe qui n'est pas une intégration en Europe. C'est d'ailleurs la proposition que j'ai faite avec le groupe des sages pour réfléchir à l'avenir de l'Europe et à la question des frontières de l'Europe.
ARLETTE CHABOT - On a essayé de parler des ministres, un peu de vous faire parler des ministres, on n'a pas eu tout à fait satisfaction, vous n'avez pas donné de mauvais points, mais, bon, on va passer. Simplement, certains annoncent déjà un remaniement ministériel au mois de janvier, alors est-ce que c'est possible ? Est-ce que vous souhaitez, à cette occasion, prolonger encore un peu plus l'ouverture et notamment à gauche ? Il y a encore des personnalités de gauche que vous pouvez, j'allais dire, amener vers vous.
LE PRESIDENT - D'abord, le remaniement ministériel, c'est pas quelque chose qu'on annonce plusieurs mois à l'avance. Ceux qui en ont parlé, en ont parlé imprudemment.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Notamment un ministre, le ministre de la Défense, il l'a évoqué.
LE PRESIDENT - En tout cas, il n'est pas en charge pour l'instant···
ARLETTE CHABOT - ··· un mauvais point alors ?
LE PRESIDENT - Non, on n'est pas comme ça. Enfin, je vous dis une chose, ça ne s'annonce pas comme ça. Alors, question beaucoup plus sérieuse, c'est l'affaire de l'ouverture. Moi, je n'ai pas essayé de débaucher telle ou telle personnalité, qu'est-ce que j'essaie de faire Madame CHABOT ? Pour faire des grandes réformes, il faut une grande majorité. Pour avoir une grande majorité, il faut rassembler des gens différents, constituer la meilleure équipe de France possible. Moi, j'ai dit à Fadela AMARA, qui fait un travail remarquable, à Bernard KOUCHNER, à Jean-Pierre JOUYET, à Jean-Marie BOCQUEL, à ces ministres qui ont fait le choix de s'engager··· à Martin HIRSCH, qui fait un travail extraordinaire, ancien président d'Emmaüs : " Restez socialiste, vous appliquez le projet que j'ai défendu au moment de la présidentielle ", il y a 53 % des Français qui ont voté pour moi, c'est pas que des Français de droite.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Donc, il y a d'autres socialistes, comme Jack LANG par exemple, qui voudraient un jour rejoindre votre équipe gouvernementale ?
LE PRESIDENT - Des hommes comme Claude ALLEGRE, des hommes comme Jack LANG et d'autres sont des hommes de qualité. Je ne vois pas pourquoi je devrais entretenir un climat de guerre civile, alors que je suis élu pour 5 ans et que je dois rassembler les Français. Il y a 22 millions de Français qui ont voté pour moi, mais ceux qui n'ont pas voté pour moi, je suis quand même président de la République, je dois penser à eux. La démocratie, c'est que celui qui est élu prend en charge la Nation dans son ensemble. Ce gouvernement, avec des Rachida DATI, des Rama YADE, ce gouvernement qui ressemble à la diversité de la France, ce gouvernement-là doit rassembler. Donc, j'irai plus loin dans l'ouverture chaque fois que ce sera possible. La semaine prochaine, je l'espère, Dominique STRAUSS-KAHN peut devenir le directeur général du FMI, alors j'aurais dû renoncer à proposer Dominique STRAUSS-KAHN parce qu'il est socialiste ? Mais quelle vision sectaire, ce n'est pas la mienne. Pour moi, l'ouverture, ce n'est pas du débauchage, c'est la constitution de grandes majorités pour faire de grandes réformes durant le quinquennat.
ARLETTE CHABOT - Ils ont le droit de vous dire qu'ils ne sont pas d'accord par exemple avec vous ? Ils vous disent, certains, quand il y a une décision qui est prise, ils vous disent " Nous, avec notre sensibilité - puisqu'ils peuvent rester socialistes - on ne sent pas bien ça " ?
LE PRESIDENT - Mais, la règle qu'on s'est fixée - parce qu'on en discute tous les jours··· Vous savez, c'est un travail d'animer un gouvernement. Avec François FILLON, on se donne du mal, on essaie d'écouter, comprendre. D'abord, on débat, notamment au conseil des ministres. J'ai voulu des réunions beaucoup plus libres, beaucoup plus ouvertes.
ARLETTE CHABOT - On a le droit de vous dire " Je ne suis pas d'accord avec vous Monsieur le Président " ?
LE PRESIDENT - Je réfléchis d'ailleurs à une idée, un jour, d'ouvrir le conseil des ministres pour que les Français puissent voir···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Télévisé ?
LE PRESIDENT - Pourquoi pas ? Pour que les Français puissent voir comment ça se passe.
ARLETTE CHABOT - On est prêts, nous.
LE PRESIDENT - Madame CHABOT, on a le droit, c'est pas une question de droit, c'est un devoir. C'est un devoir. On débat des choses. Je leur dis, moi, la seule chose que je ne peux pas transiger, c'est les engagements que j'ai pris devant les Français. Vous les connaissiez, c'est pas une nouveauté. L'affaire des régimes spéciaux, on ne va pas en discuter, je ne vais pas demander l'autorisation à tel ou tel des ministres··· ils le savaient, ils ont tranché. Mais pour le reste, qu'il y ait une sensibilité différente sur la question de l'immigration, sur la question des tests ADN ou sur telle ou telle autre question, mais c'est normal. C'est la vie. Je ne demande pas aux ministres de se transformer. François FILLON et moi, nous les respectons dans leur diversité. Fadela AMARA a fait une intervention dans le conseil des ministres à Strasbourg···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Le plan anti-glandouille ?
LE PRESIDENT - Elle était remarquable. C'est ce que j'ai dit à Fadela " Reste ce que tu es, ne joue pas à la ministre, sois ministre ! Reste comme tu es. " Le parcours que fait Rachida DATI est exceptionnel parce qu'elle reste ce qu'elle est. Moi, je ne veux pas des clones, je veux des femmes et des hommes qui s'engagent, qui prennent leurs responsabilités à bras le corps, qui prennent des risques, qui apportent des solutions aux Français et que nous soyons, avec FILLON, jugés sur les résultats. Vous savez, quand on se voit François et moi, la question pour nous, c'est pas tel ou tel jugement de tel ou tel journaliste, aussi prestigieux soit-il, c'est : qu'est-ce qu'ils vont penser les Français ? A l'arrivée, est-ce qu'on leur a menti ou est-ce qu'on aura tenu parole ? Croyez-moi, pour moi le souci, c'est bien celui-là.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Puisqu'on parle de bras le corps, Bernard LAPORTE, quoi qu'il arrive, sera bien secrétaire d'Etat ?
LE PRESIDENT - J'ai réfléchi à cette question. J'ai proposé à Bernard LAPORTE··· Enfin, quelle idée se ferait les Français··· Alors, voilà, si on gagne un match, on est plus intelligent, si on perd, on n'est plus rien ?
ARLETTE CHABOT - Mais vous aimez ceux qui gagnent !
LE PRESIDENT - J'ai connu, Monsieur POIVRE d'ARVOR l'échec, moi. J'ai connu souvent l'échec. Chaque fois, j'ai dû me relever et remonter les barreaux de l'échelle. Moi, je ne condamne pas les gens parce qu'ils ont un échec parce que je sais parfaitement que l'échec ça fait partie de la vie. Donc, si j'ai proposé cette responsabilité à Bernard LAPORTE, parce que j'avais confiance dans sa capacité. Alors, bon, la Namibie, ça s'est bien passé···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Demain soir, vous serez à France-Irlande ?
LE PRESIDENT - Ah ben bien sûr ! Naturellement que j'y serai. Comme tout le pays, on sera derrière l'équipe de France, qu'ils se battent, qu'ils se battent de toutes leurs forces, qu'ils fassent éclater leurs talents, qu'ils soient heureux sur le terrain. Puis, après, c'est le sport. C'est la vie, on ne gagne pas tous les jours. D'ailleurs, moi, c'est des valeurs que je veux porter, je veux dire aux Français··· J'ai voulu proposer une nouvelle renaissance, c'est ce que c'est que la renaissance ? C'est une société où tout devient possible, alors qu'on en a assez de cette société où tout est contraint, tout est figé, tout est rigidifié. Eh bien, ce qui est possible, c'est de réussir, puis d'échouer. Quand vous avez échoué, on vous donne une 2e chance. Je ne veux laisser personne sur le bord de la route. Quand je demande qu'on sanctionne, un chômeur qui refuserait 2 offres raisonnables d'emploi, c'est pas pour faire le moraliste, c'est parce que je pense qu'on ne peut pas vivre dans l'assistanat. Je pense que la générosité des Français qui payent des impôts, elle doit être respectée. Quand je propose la fusion du service public de l'emploi, ANPE-UNEDIC, c'est parce que je veux qu'il y ait un seul interlocuteur pour le chômeur, c'est pas le statut qui m'intéresse, c'est la personne parce que chacun mérite d'avoir un emploi.
ARLETTE CHABOT - Il y a une affaire qui continue, c'est l'affaire CLEARSTREAM. Dominique de VILLEPIN, mis en examen, se présente aujourd'hui un peu comme une victime à son tour. Il dit qu'il y a une chose qu'il ne trouve absolument pas normal, c'est qu'une partie civile soit aujourd'hui aussi président de la République avec une possibilité d'intervention sur la justice. Qu'est-ce que vous lui répondez ?
LE PRESIDENT - C'est extraordinaire, j'ai été partie civile deux ans avant de devenir président de la République. Mon nom a été sali, on m'a fait un faux compte, avec des faux virements, dans une banque dont j'ignorais tout, j'ai eu une commission rogatoire internationale pendant quinze mois sur le dos, il a fallu que je démontre à la justice de mon pays que je n'avais pas de compte, c'est commode ! Je demande à chaque Français de penser à ça. Un beau jour, un juge vient vous dire : Monsieur, vous avez un compte dans une banque. Et vous devez prouver que vous n'en avez pas ! Vous trouvez que c'est commode ? Deux ans après, je deviens président de la République et, parce que je deviens président de la République, je dois dire : Ecoutez, excusez-moi, je me suis trompé, ce compte était peut-être à moi. Non.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Vous n'avez pas envie de retirer votre plainte.
LE PRESIDENT - Mais ce n'est pas une plainte en tant que président de la République ! C'est une plainte bien avant que je ne sois président de la République. Je veux savoir comment mon nom s'est trouvé sur le fichier d'une banque dont j'ignorais tout. C'est quand même quelque chose ! Moi, je ne sais pas ce que dit monsieur de VILLEPIN, qu'il s'explique devant la justice. Moi, je veux simplement savoir : Pourquoi, comme 893 autres personnes, je me suis retrouvé titulaire d'un compte dans une banque où je n'ai jamais mis les pieds ? Cela s'appelle la justice. Le président de la République, il n'est pas au-dessus des lois, il n'est pas en dessous non plus.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a tout juste quatre mois, avec Arlette CHABOT, nous nous retrouvions, en votre compagnie, mais aussi en celle de Ségolène ROYAL, c'était le fameux débat que nous avions eu à arbitrer···
LE PRESIDENT - Sacré souvenir !
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Qu'est-ce que vous avez pensé de son parcours depuis et, plus généralement, de la situation du Parti socialiste ?
LE PRESIDENT - Moi, je trouve que c'est une femme courageuse et très estimable. Peut-être avez-vous noté que pendant les mois de campagne, je ne l'ai jamais attaquée. Parce que ce n'est pas ma conception des rapports humains. Je trouve que, parfois, les attaques contre elle sont un peu déplacées.
ARLETTE CHABOT - Machos, machistes !
LE PRESIDENT - Je ne les qualifierai pas. Mais je ne comprends pas quelque chose. Dans la vie politique, la concurrence, c'est normal. Et que celui qui veut être président de la République ou celle qui veut être présidente de la République démontre qu'il est ou qu'elle est la meilleur(e). Mais pour démontrer qu'on est le meilleur, il faut parler de ses projets et pas vouloir démolir les autres. Pareil dans les familles politiques, je trouve ça un peu triste.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Cela dit, vous n'êtes pas mécontent d'avoir fait un peu imploser le Parti socialiste qui a des difficultés pour l'instant.
ARLETTE CHABOT - Ou alors, vous leur avez rendu service en les débarrassant d'un certain nombre d'éléphants.
LE PRESIDENT - Vous savez, mon but n'était pas de les faire imploser. Je l'ai d'ailleurs dit à François BAYROU et à tous les Républicains, j'étais prêt à travailler avec tout le monde, c'était mon devoir. Une fois élu président de la République, vous n'êtes plus l'homme d'un clan. Les principaux problèmes que j'ai eus, c'était avec mes propres amis, qui pensaient que parce que j'avais été élu et parce que j'étais leur ami, il fallait que je ne constitue un gouvernement qu'avec mes amis. Ce n'était pas ma conception du chef de l'Etat. Un président de la République, il n'a pas d'amis. Il peut garder ses sentiments pour lui, mais il ne constitue pas un gouvernement sur le seul critère de l'amitié. Parce que ça, c'est une secte, c'est un clan. Je ne veux pas d'Etat UMP. Je ne veux pas de nomination de complaisance. Je ne veux pas être prisonnier d'un clan. Voilà pourquoi d'ailleurs, avec François FILLON, on s'entend si bien, c'est qu'on est exactement sur la même ligne. Je prends mes responsabilités. Vous savez, parfois, je lis que j'en fais trop. Mais qu'est-ce qu'ils veulent ?
PATRICK POIVRE D'ARVOR - L'hyper président, dit-on.
LE PRESIDENT - Oui, je ne sais pas ce que ça veut dire ! J'ai été élu···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - C'est-à-dire qu'on vous entend partout, on vous voit partout···
LE PRESIDENT - J'ai été élu pour quoi ? Pour faire la sieste ?
ARLETTE CHABOT - On dit que vous cannibalisez tout le monde même d'ailleurs.
LE PRESIDENT - Ah bon ! Pour faire la sieste ? Je devrais dire : J'ai le temps. Moi, je ne pense pas ça. Je pense que les Français attendent depuis beaucoup trop longtemps et que, justement, s'ils m'ont fait confiance··· Les Français m'ont fait le plus beau cadeau qui soit : faire confiance. Vous vous rendez compte de ce que ça représente ? Ils ont voté à 85 %, faire confiance, donner sa confiance. Ils m'ont fait confiance pour quoi ? Pour être un président différent, pour assumer une rupture. J'essaye de m'engager. On me dit aussi : Vous prenez des risques, Monsieur, s'il y a des ennuis... Mais bien sûr qu'il y a des ennuis ! Prendre des risques, si on ne veut pas prendre des risques, on n'est pas président de la République. Vous croyez que je vais aller à la télévision en disant : Ecoutez, excusez-moi, la réforme des régimes spéciaux, ce n'est pas moi, c'était mon Premier ministre. Ah oui, mais c'est vous qui le nommez, le Premier ministre ! Alors, je vais me cacher derrière lui ? On fait une équipe, on y va ensemble, et ma conception d'un chef d'équipe, c'est d'être devant, pas d'être derrière. C'est, oui, de prendre plus de risques que les autres parce qu'il est au sommet de l'échelle, pas d'en prendre moins. C'est ma façon de faire, je comprends que ça étonne, mais enfin, écoutez, dans le système des valeurs démocratiques, c'est quand même celui qui est élu qui doit assumer ses responsabilités.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et quand votre épouse, Cécilia, souhaite ne pas témoigner devant la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale, sur l'affaire des infirmières bulgares, et du médecin palestinien - devenu bulgare, depuis -, elle vous a demandé conseil, auparavant ?
ARLETTE CHABOT - Mais, ce n'est pas elle. Elle, elle l'aurait plutôt souhaité. C'est moi. J'ai considéré que si quelqu'un··· Ecoutez, elle a fait un travail absolument remarquable. Ces malheureuses infirmières, il a fallu aller les chercher. Ça faisait huit ans et demi - huit ans et demi ! - qu'elles souffraient, prisonnières qu'elles étaient ! Et Cécilia a fait un travail absolument remarquable, en la matière. Mais j'ai estimé que, avec le travail qu'elle avait fait, si quelqu'un avait à rendre compte, c'était plutôt moi, qui l'avais envoyée, plutôt qu'elle···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ou Claude GUEANT, qui était aussi sur place ?
LE PRESIDENT - ···ou Claude GUEANT. Vous croyez que je vais me cacher ? Vous croyez que je vais la laisser s'exposer ? Ce n'est pas ma conception des choses. Je suis responsable, c'est moi qui assume. Et pour tout dire, j'ai trouvé que certaines attaques n'étaient pas à l'honneur de ceux qui attaquaient.
ARLETTE CHABOT - Vous trouvez que, d'une manière générale, la presse, par exemple, ou certains, s'intéressent trop à elle, ou en font trop sur elle ?
LE PRESIDENT - Je n'ai rien à dire de plus. Je connais la cruauté du monde et de la vie publique. C'est tout. Mais, sur la question que m'a posée Monsieur POIVRE d'ARVOR, s'il y a un responsable, ce n'est pas l'émissaire, c'est celui qui envoie l'émissaire. Donc, c'est à moi d'en rendre compte, et c'est à moi de m'expliquer. Quant au secrétaire général de l'Elysée, qui a fait un travail tout à fait remarquable, lui aussi, il sera parfaitement à même de donner toutes les explications. D'ailleurs, si c'était si facile de sortir ces malheureuses infirmières, je me demande bien pourquoi ceux qui étaient aux affaires à ce moment-là, ne l'ont pas fait.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - J'ai une dernière question, en ce qui me concerne, à vous poser. Aujourd'hui, commence la " Breizh Touch " (phon), c'est-à-dire, " La Bretagne à Paris " £ est-ce que vous avez vraiment dit ce qu'on a lu dans le livre de Yasmina REZA, sur les Bretons ?
LE PRESIDENT - Non !... Non mais, Yasmina REZA est une romancière de très grand talent, mais c'est une romancière. Et elle a fait un roman···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Donc elle a inventé ?
LE PRESIDENT - ···dont je ne suis pas sûr d'être le premier héros - puisque je pense qu'elle y a une place raisonnable, dans ce roman. Et voilà. Donc, naturellement, je n'ai pas dit ce qui m'est prêté.
ARLETTE CHABOT - Vous dites toujours que vous ne l'avez pas lu, ce livre ?
LE PRESIDENT - Oui, je···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Un peu, quand même ?
LE PRESIDENT - ···je ne veux surtout pas faire de peine à Yasmina REZA, qui est quelqu'un pour qui j'ai vraiment beaucoup de considération, pour son talent littéraire, mais je ne lis jamais les livres qui sont faits sur moi, parce que je n'arrive pas à prendre la distance.
ARLETTE CHABOT - Alors, on va terminer, une dernière question. On parlait, tout à l'heure, de " l'hyper président ". Beaucoup se disent deux choses, hein, les Français disent : " Il va vraiment tenir le coup, comme ça, pendant cinq ans, comment il va faire ? " Et puis, deuxièmement, à votre avis, on a évoqué beaucoup de mesures, avec un calendrier précis £ à votre avis, en combien de temps, vraiment, les gens pourront se dire, les Français pourront se dire : " Tiens, on commence à sentir les effets de la présidence de Nicolas SARKOZY ? " Et, pour vous aussi, vous fixez quels délais ? Donc, vous tenez le coup ? Et dans quels délais on verra que ça a vraiment bougé ?
LE PRESIDENT - Eh bien, je tiens le coup, c'est··· ce n'est pas à moi, il faut demander au bon Dieu, et il faut··· ! Je tiens le coup, moi j'essaie d'avoir la vie la plus réglée, la plus tranquille - au fond, la plus banale. Je travaille beaucoup, mais je m'impose un certain nombre de règles. La passion me porte, aussi. C'est un honneur immense. J'ai été élu à ma première candidature, à 52 ans. Je n'ai pas le droit de dire que je suis fatigué. C'est quelque chose qui n'existe pas, pour un chef de l'Etat digne de ce nom. Je dois porter, incarner ce pays. Alors, à partir de quand ils verront, les Français, que ça a changé ? Mais, moi, j'ai l'impression qu'ils pensent que ça a changé. Regardez les peines planchers : on disait que c'était impossible. Il y a 62 juridictions qui ont prononcé des peines. L'autre jour, au tribunal de Nice, un multirécidiviste : 18 fois qu'il attaquait des automobilistes, pour voler, là, à l'arrachée - 18 fois relâché. Eh bien, depuis les peines planchers, ils ont pris trois ans de prison ferme. Voilà un résultat. Ça a changé. Alors, le traité simplifié, l'autonomie des universités, GAZ DE FRANCE / SUEZ ENERGIE, la suppression de l'impôt sur les successions, les heures supplémentaires qui sont détaxées, la possibilité de déduire 3.000 euros - la première année - d'intérêts d'emprunt : ça a déjà changé. Mais je souhaite que ça change encore beaucoup plus !
ARLETTE CHABOT - Et c'est 2008, quoi ? Enfin, à votre avis, fin 2008, on saura ?
LE PRESIDENT - Non, Madame CHABOT··· J'ai commencé à travailler à la première minute, je travaillerai jusqu'à la dernière minute. Et puis après, chacun dira ce qu'il en pense. Moi, mon···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - La dernière minute, ça sera après le deuxième mandat ?
LE PRESIDENT - Non, non, non, ce n'est pas du tout ça, je ne prends aucun engagement. J'ai un mandat à faire, je le ferai le mieux possible. Et je vous garantis que, dans mon esprit, c'est vraiment ce qui me motive. Je ne me mets absolument pas dans l'idée ou dans la perspective d'une quelconque réélection. Je veux faire. Je veux agir. Et je sais parfaitement que l'énergie que l'on met à durer, on ne la met plus à faire. Et croyez bien que ces cinq années que j'ai devant moi, elles sont bien lourdes, et bien difficiles £ et je donnerai tout, pour être à la hauteur de la confiance que les gens m'ont faite. Et vous savez, moi, je suis comme ça, je m'engage totalement. Je ne suis pas un tricheur. Je m'engage totalement. Et les Français le sentent parfaitement. Alors, il y aura des moments difficiles, il y aura des moments de doute, il y aura des moments complexes. On est dans un moment important dans l'histoire de notre pays : on engage un mouvement de réformes, sans doute, comme jamais, depuis la Libération. Mais j'ai été élu pour ça, je suis serein, je veux le faire. Et puis après, chacun jugera, est-ce que ça a été utile, bien, ou pas £ et les Français décideront, au moment où ils choisiront le prochain président de la République.
ARLETTE CHABOT - Merci, Monsieur le président···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Merci.
LE PRESIDENT - Merci.
ARLETTE CHABOT - ···de nous avoir reçus, et puis, bien sûr, bonne soirée à tous ceux qui ont suivi cet entretien. A bientôt, bonsoir, merci.