19 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la lutte contre le terrorisme, notamment une meilleure prise en charge des victimes, à Paris le 19 septembre 2007.

Mesdames et Messieurs,
Rien ne peut davantage renforcer ma détermination à lutter implacablement contre le terrorisme que les témoignages que nous venons d'entendre. Comme chacun d'entre nous ici, nous sommes bouleversés à l'évocation de ces moments terribles. Et je n'ai pas attendu d'être Président de la République pour dire que la priorité c'était pour moi les victimes et pas les coupables. Chère Françoise, vous le savez parfaitement, et depuis longtemps, il ne s'agit pas d'un propos de circonstance mais d'une conviction maintes fois martelée et dont j'ai eu parfois à conduire des débats vifs dans notre pays.
L'hommage rendu aujourd'hui aux victimes du terrorisme n'est pas une commémoration de plus. C'est pour cela que j'ai tenu à y être présent en compagnie de la Ministre de l'Intérieur, et de Madame la Garde des Sceaux ainsi que du Secrétaire d'État aux anciens combattants. Il s'agit de rendre justice à la somme indicible de souffrances physiques et morales que cause le terrorisme.
Oui, la mémoire de ces attentats et de leurs victimes est vivante.
Oui, croire la France à l'abri de cette menace serait une illusion dramatique.
Je sais bien que notre pays n'a pas été confronté à des actes terroristes sur son sol depuis plusieurs années. Mais comment croire que ce qui s'est passé à New York, à Madrid ou à Londres ne pourrait pas se passer en France ? Et comment oublier qu'à l'étranger aussi nos compatriotes sont victimes de la terreur ?
A chaque fois qu'un Français, un Américain, un Espagnol, un Marocain ou tout autre personne est tuée ou blessée par un attentat, c'est une part de notre humanité qui se trouve atteinte. Et peu importe la nationalité de la victime, elle est d'abord une victime.
Si le terrorisme ne connaît pas les frontières, j'ai toujours été frappé de constater que la solidarité entre les pays et entre les hommes ne les connaît pas non plus lorsqu'un État subit, sur son territoire, dans sa chair, une attaque terroriste.
Les victimes du terrorisme sont les victimes des actes les plus lâches. Mais à la différence de vos agresseurs, vous n'avez aucune haine. Parce que la haine est stérile, parce que la haine n'apporte rien. Parce que la victime veut la vérité et la justice, pas la vengeance.
Il faut opposer la dignité de vos propos à la violence aveugle dont vous-même avez été victime. Cela s'appelle la réponse de la civilisation à la barbarie. On ne combat pas les terroristes avec les méthodes des terroristes. Et on ne doit pas avoir le même discours que les terroristes. Ce serait leur rendre un trop grand service et un trop grand hommage. La violence et la barbarie, c'est eux, les lâches, c'est eux. Nous, nous devons porter les valeurs de la civilisation, la vérité et la justice.
Vos témoignages, les regards des victimes et de leurs proches que j'ai observés depuis bien des années, tout démontre que le terrorisme nie la qualité d'êtres humains à ses victimes. Et je suis persuadé qu'au-delà des blessures, au delà de la mort, c'est la douleur de ne pas être considéré comme un humain qui est la plus forte.
Les victimes ont longtemps eu l'impression de ne pas avoir de voix, et de ne pas être entendues, dans notre système de justice pénale. Elles ont longtemps eu le sentiment de ne pas avoir le soutien et l'aide nécessaires dans leur quête de justice. C'est une vérité, comme si la victime gênait. Et vous savez parfaitement que ça n'a jamais été ma conception des choses
J'ai toujours placé les victimes au coeur de mes préoccupations. Je n'ai jamais accepté que l'on résume une victime à la pile de papiers d'un dossier administratif. Vous n'êtes ni des numéros, ni des problèmes, vous êtes des êtres humains, à qui bien sûr nous devons solidarité et explications. Je n'ai jamais toléré que l'on puisse considérer les victimes comme des cibles malheureuses d'une fatalité contre laquelle on ne pourrait rien faire. Je ne crois pas à la fatalité. Et je sais parfaitement que les victimes que vous êtes, chacun d'entre nous ici, aurait pu être à vos places.
Les victimes et vous familles sont souvent désespérées à la suite des actes terroristes commis à leur endroit. Il est indécent de tolérer qu'elles puissent se sentir encore plus victimes à cause d'un système qui semble être presque complètement axé sur les criminels ou à cause d'une prise en charge très insuffisante de leur traumatisme et de leur réinsertion. D'ailleurs, dans un État de droit, il est normal que le délinquant ou le criminel ait un avocat à la première minute où s'ouvrent les explications qu'il doit donner sur sa culpabilité, il n'est pas normal que la victime n'ait pas les mêmes droits. Ça fait bien longtemps que je pense que les explications qu'on donne aux délinquants on doit aussi les donner aux victimes.
Madame, je prends l'engagement de traiter une par une les situations que vous allez me soumettre, pour que la solidarité nationale se traduise en actes. Et vous savez parfaitement que je n'ai pas peur de tenir ce discours.
Ce que nous demandent les victimes du terrorisme, c'est de tout faire pour éviter que d'autres soient, à leur tour, victimes.
Je veux être clair : ma détermination contre le terrorisme international comme le terrorisme national est implacable. Je ne ferai aucune concession. Je n'en ai pas fait à l'endroit des cagoulés lâches de la Corse, je n'en ai pas fait, Madame, sur l'ETA. Je n'en ai fait à l'égard de personne.
Vous avez soulevé la question des condamnations prononcées contre les auteurs de l'attentat contre le DC10 d'UTA. Vous savez que la justice n'est bien sûr pas dessaisie par une décision prise par contumace. Personne ne saurait se satisfaire de cette seule issue. Je sais bien que la question des indemnisations ne règle pas tout. Mais enfin, si elle n'avait pas été posée, vous en seriez à juste titre choqués. Et après tout, c'est normal qu'on en parle de cette question de l'indemnisation, qui si elle ne règle pas tout, a son importance. Je ne peux pas mettre sur le même plan des États qui essaient de solder et ceux qui se moquent des conséquences financières. Bien sûr que le règlement financier, ça ne fait pas revenir l'être aimé, absent, mais c'est encore pire lorsque on nie la dimension matérielle du traumatisme que vous recevez.
Et puis je vais vous dire autre chose. J'avais dit dans la campagne électorale que j'irai chercher les infirmières bulgares, et je ne le regrette pas. Parce qu'elles ne sont pour rien dans les souffrances que vous avez connues les unes et les autres. 8 ans et demi en prison, il fallait bien que quelqu'un aille les chercher. Il se trouve que c'était la France. Et c'est l'honneur de la France de l'avoir fait. Et je n'ai pas à m'en excuser. J'ai considéré que ces infirmières bulgares et ce médecin palestinien, ils étaient Français. Parce qu'ils étaient martyrisés et qu'il fallait aller les chercher. Et si d'ailleurs, ça avait été si facile, il ne fallait surtout pas attendre 8 ans et demi pour que ces malheureux subissent ce qu'ils ont subi.
C'est le rôle de la France aussi de tenir ce langage et d'essayer de trouver une solution pour sortir de ce cauchemar. L'affaire du DC10, qui a blessé notre pays au plus profond, n'avait rien à faire dans un enjeu de cette nature.
Je veux dire aussi autre chose. Il nous faut accompagner des États qui furent terroristes dans la direction de la repentance pour ce qu'ils ont fait et de la communauté des nations. Sinon, comment ferons-nous demain pour arrêter l'Iran et tant d'autres ? Comment ferons-nous demain pour éviter d'autres drames de cette nature ? Comment ferons-nous demain pour convaincre à l'instar de ce qui se passe en Corée du Nord, qu'il faut renoncer à des programmes nucléaires militaires si on encourage pas des pays à sortir de la tradition terroriste pour les amener vers la civilisation ? C'est le rôle d'un homme d'État de faire cela aussi.
Quant à la question du nucléaire civil, je suis à votre disposition, chère Françoise, pour en parler. C'est une question extrêmement importante. Mais moi je n'oublie pas une chose, c'est que la Méditerranée c'est quelques centaines de kilomètres. Que si un certain nombre de pays du Sud de la Méditerranée n'ont pas accès au développement avec l'énergie du futur, alors nous créerons pour les générations qui viennent les conditions d'un affrontement terrible de civilisations parce que nous ne leur aurons pas donné les moyens de l'énergie du futur. Sur la misère, sur le désespoir, on construit le terrorisme de demain. En tout cas, je ne serai pas le chef d'État qui expliquera au monde qu'il peut y avoir un conflit entre l'Orient et l'Occident parce que l'un aurait le droit à l'énergie du futur et l'autre non. Ma position ne peut être crédible et cohérente sur le refus de la nucléarisation militaire de l'Iran que parce qu'elle est ouverte sur le nucléaire civil pour des pays qui auront besoin de cette énergie du futur. Et dans mon esprit, croyez moi, il n'y a pas de raison d'état. Et je crois avoir été suffisamment clair sur ce plan et avoir déjà employé un certain nombre de mots, de paroles et de signes qu'on avait oublié depuis bien longtemps..
Je ne suis pas prêt à renoncer à mes principes, à mes valeurs pour un contrat. Mais je veux aussi qu'on comprenne que le rôle d'un homme d'état, c'est de convaincre pour sortir des pays d'attitudes qui ont fait tant de mal à des victimes innocentes.
Ce sont des affaires lourdes que je mènerai dans la transparence totale. Mais c'est ma façon d'être. Je n'ai pas deux discours, l'un à Tripoli, l'autre ici. Je n'en ai qu'un seul, parce que je n'ai qu'une seule conviction c'est qu'il faut aller vers la paix en défendant fortement ses convictions et en hésitant pas à rappeler aux démocraties qu'elles doivent se défendre. De ce point de vue, croyez bien qu'après 4 années comme Ministre de l'Intérieur, j'ai une petite idée de ce qu'il nous faut.
D'abord il faut mettre la naïveté de côté. Et vous savez je ne suis pas de ceux qui pratiquent la langue de bois ni la pensée unique. A tous ceux qui donnent des leçons de droits de l'homme et qui oublient que le premier des droits de l'homme c'est de respecter la victime. Si j'ai demandé à Michèle Alliot-Marie d'engager un plan sans précédent de vidéo surveillance dans nos gares, dans nos aéroports, ce n'est pas pour aller surveiller la vie privée de qui que ce soit, c'est pour éviter d'autres victimes et que si nous avons un problème pour que nous puissions faire à l'instar de ce qu'ont fait remarquablement les anglais arrêter les coupables. J'aimerais que quand on parle de ces questions si sérieuses on évite cette pensée unique qui est blessante pour les victimes.
Il en va de même pour les fichiers qui sont absolument indispensables pour l'action de police et pour l'action judiciaire. Il en est de même pour le renseignement, qui est l'arme la plus efficace contre le développement sur notre territoire de réseaux. Il en est de même pour la conservation des données informatiques. Il en est de même pour la lutte contre le financement du terrorisme. Il en est de même pour la centralisation et la spécialisation des poursuites, de l'instruction et du jugement des infractions terroristes. Quant à la coopération internationale, Françoise, vous avez raison d'en souligner l'importance. Mais je veux dire une chose. A quelques très rares exceptions, cela fonctionne de façon remarquable.
Je donnerai la priorité à la prévention des actions terroristes.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai demandé à Michèle Alliot-Marie de réunir au sein d'une même direction centrale du renseignement intérieur la DST et les renseignements généraux. Croyez moi, ça heurte bien des habitudes, une nouvelle fois ! Mais je ne peux pas accepter qu'il y ait plusieurs services de renseignements avec la déperdition des énergies que cela représente
Face à un adversaire qui n'est pas identifié, dont les réseaux sont atomisés, la cohésion de nos services de renseignements doit être parfaite. C'est ce que met en oeuvre Michèle Alliot-Marie avec mon soutien total.
Je veux aller plus loin, et donc doter la France d'un système plus efficace de vidéosurveillance. La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme permet aux lieux de cultes, aux grands magasins d'implanter des caméras sur la voie publique bordant leurs bâtiments. Quel fameux combat cela fût pour obtenir cela.
Mais lorsque je compare notre réseau à celui de la Grande-Bretagne où, depuis 1990, plus de 4 millions de caméras ont été installées, je me dis que nous devons faire beaucoup mieux pour accroître notre vigilance. Et que chacun prenne ses responsabilités. Que ceux qui sont contre osent le dire et viennent expliquer pourquoi ils sont contre.
Au pays de l'habeas corpus, nul ne met en cause ce dispositif. Qui n'aura noté avec quelle rapidité les auteurs des attentats terroristes qui ont secoué ce grand pays qu'est l'Angleterre, ont été identifiés et arrêtés dans des délais record ? On ne va pas venir m'expliquer qu'une caméra de vidéosurveillance pose des problèmes de vie privée. A qui ? Quand on mesure les droits de l'Homme, il faut porter bien cette question : les droits de la victime innocente ne peuvent pas être mis sur le même plan.
On me reproche de trop changer les lois. J'entends et je lis de bonnes âmes selon lesquelles «trop de lois nuit à la loi».
Qu'est-ce que ça signifie ? Que cherche-t-on à préserver ? Le code pénal ou les vies humaines ? Le Journal Officiel ou l'intégrité physique des victimes ? Qui est au service de l'autre ?
Je proposerai au gouvernement de François Fillon, de changer les lois à chaque fois que je pense que cela est nécessaire et efficace pour la sécurité de nos compatriotes. Ce n'est pas quelque chose sur lequel je transigerai, ni aujourd'hui, ni demain.
Face à une menace mouvante mais bien réelle, nous devons sans cesse adapter, oui adapter, notre système policier et notre système judiciaire. Parce qu'un système figé, qui n'évolue pas, c'est sans doute très confortable pour la pensée unique, mais c'est la garantie de l'inefficacité. Qu'il me soit permis après vous, Françoise, de rendre hommage aux forces de police gendarmerie qui ont fait un travail absolument remarquable. J'aimerais qu'on les tienne éloignés d'un certain nombre de polémiques.
Et vous le savez, je ne suis pas naïf. Les lois, encore faut il les appliquer et y consacrer les moyens nécessaires. C'est pourquoi je veux insuffler cette culture du résultat qui manque trop à la France. Je demande d'ailleurs d'être jugé sur les mêmes critères, y compris, par vous et par votre association. A chaque fois que vous êtes venu me voir, quelque furent mes responsabilités, j'ai toujours répondu présent, et fait avancer les dossiers, y compris, lorsque cela était difficile.
Je veux agir maintenant, parce que j'estime que nous n'avons pas le temps et que je ne veux pas avoir à prononcer les mots : «trop tard», comme si souvent je l'ai entendu faire dans un certain nombre de démocraties.
Bien sûr, le combat ne saurait se limiter au territoire national. La construction de l'Europe anti-terroriste est pour la France une priorité.
Si j'ai décidé de refaire de la France un élément moteur de la construction européenne, c'est parce que je suis bien convaincu de la nécessité de la coopération pénale, Madame le Garde des Sceaux.
Nous nous sommes dotés d'institutions européennes : Europol, Eurojust. Moi je vais vous dire ce que j'en pense : ce sont de belles structures, mais elles ne donnent pas les résultats que nous sommes en droit d'attendre d'elles. Le partage d'informations avec nos partenaires européens n'est pas suffisamment entré dans notre culture.
Je veux que la France soit au coeur de cette coopération internationale. Je sais combien nos enquêtes peuvent être ralenties par une entraide pénale internationale insuffisante ? C'est un scandale à mes yeux qu'il ait fallu 10 ans pour obtenir l'extradition de Rachid Ramda £ et nous demandons au Canada l'extradition d'Abdellah Ouzghar depuis plus de 7 ans. Je sais bien qu'il faut progresser là-dessus. Croyez bien que je comprends ce que peut apporter à une victime un procès et le visage du criminel en face.
Comment lutter contre des terroristes qui utilisent toutes les innovations technologiques quand certains de nos partenaires exigent encore que les demandes d'extradition soient scellées par de la cire rouge ?
Rapidité, réactivité, et en même temps je sais bien que cette lutte, je le dis aux magistrats qui sont ici, doit se faire dans le respect de nos valeurs.
L'oublier serait donner la victoire suprême aux ennemis de la civilisation.
Il nous faut agir, prévenir, mais ne jamais donner prise aux discours que développent les terroristes pour justifier l'injustifiable.
Il n'y aura jamais de justification aux actions terroristes. Jean-Paul II a dit avec raison « La prétention qu'a le terrorisme d'agir au nom des pauvres est une flagrante imposture ». Certains se laissent prendre aux mauvaises explications des idéologies tiers-mondistes, anticolonialistes ou du combat Nord-Sud.
Cet angélisme là, je ne crains pas de le dire, il peut être criminel. Expliquer le terrorisme, justifier le terrorisme, comprendre le terrorisme, c'est tout simplement quand on essaye d'expliquer l'inexplicable, que l'on se préparer à excuser l'inexcusable.
Mesdames et Messieurs, vous l'avez compris, je suis ému de me trouver avec vous aujourd'hui, cela était ma place. Au milieu de ceux qui ont souffert et qui souffrent. Au milieu de ceux qui ont perdu un proche et dont la souffrance est toujours aussi grande.
Bien sûr, c'est ma responsabilité de Président de la République de rendre hommage avec vous, ici, aux victimes. Mais permettez moi de dire que c'est d'abord et avant tout mon devoir d'homme.
Car ce qui nous réunit tous aujourd'hui, c'est l'affirmation que nos valeurs d'humanisme ne sont pas les faiblesses que croient ces assassins, mais bien la force qui nous conduira à les vaincre et à construire ce monde plus juste et plus sûr que nous voulons pour nos enfants.
Chère Françoise, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.