14 septembre 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-hongroises et sur l'avenir de la construction européenne, à Budapest le 14 septembre 2007.

Monsieur le Premier Ministre,
Madame la Présidente du Parlement,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis fier d'être le premier président de la République française à me rendre en Hongrie depuis qu'elle est devenue membre à part entière de l'Union européenne.
Vous comprendrez que ce voyage n'est pas pour moi tout à fait comme les autres et que ce n'est pas sans une certaine émotion que je m'adresse à vous aujourd'hui. Tant de liens personnels me rattachent à la Hongrie. Tant de liens unissent la France et la Hongrie.
La relation entre la France et la Hongrie a traversé des moments douloureux. Je pense en particulier, car il faut en parler, au traité de Trianon de 1920, qui fut, pour la Hongrie, une blessure durable. Mais depuis la dynastie d'Anjou au XIVe siècle, qui donna à la France sa première Régente, la reine Clémence de Hongrie, depuis le soutien de Louis XIV à la Hongrie révoltée, jusqu'à l'accueil des réfugiés hongrois en France après la seconde guerre mondiale, depuis Liszt jusqu'à Vasarely, ce qui a rapproché le peuple hongrois et le peuple français, tout au long des siècles, a toujours été plus fort que ce qui nous a opposés. Et c'est en ami que je viens aujourd'hui en Hongrie.
Entre la Hongrie et la France, notre lien est un lien de fraternité. Cette fraternité vient d'abord de notre attachement commun à la liberté. Peuple de Hongrie, vous vous êtes libéré de vos chaînes seul et vous avez fait l'admiration du monde. Je pense à 1848 et au printemps des peuples, je pense à la grande figure de Kossuth. Je pense à 1956 et aux cris des manifestants, mains nues contre les chars de l'oppression dans les rues de Budapest. Je pense au rôle essentiel qu'a joué la Hongrie pacifique déterminée, courageuse, dans la chute du rideau de fer en 1989. Oui, en cette année-là, nous nous sommes tous sentis hongrois par le coeur et par les convictions.
Le peuple de Hongrie a su relever l'immense défi de mener, en l'espace de moins de vingt ans, des réformes politiques et économiques qui ont fait de la Hongrie l'un des pays les plus modernes et les plus dynamiques d'Europe.
Les relations qui nous unissent sont fortes mais je ne suis pas venu parler du passé, je suis venu parler de l'avenir. La France et la Hongrie ont besoin l'une de l'autre, au coeur de l'Europe centrale. La Hongrie est, pour la France, un partenaire stratégique et un partenaire essentiel. C'est la raison qui m'a fait me rendre ici dès les premiers mois de mon élection. Avec votre Président, avec votre Premier ministre, nous avons voulu nouer, Monsieur le Premier ministre, des liens de partenariat stratégique.
Le dynamisme de l'économie, l'ouverture de la société, la beauté de votre pays, l'art de vivre de la Hongrie, et il y a un véritable art de vivre hongrois, attirent de plus en plus de jeunes Français. De grandes entreprises françaises sont présentes ici depuis 1989. De grands projets sont en cours : la ligne du métro qui va passer sous le Danube, la station de retraitement des eaux usées, l'une des plus importantes d'Europe centrale. C'est ce que nous sommes en train de faire ensemble. Je souhaite que nous allions beaucoup plus loin dans les relations entre nos deux pays, que nous prenions des initiatives concrètes dans la logique de cette volonté politique. L'année économique hongroise en France et celle de la France en Hongrie soulignent la complémentarité de nos économies et la richesse de nos échanges. Mais je veux plus de coopération dans les biotechnologies. Mettons en oeuvre des pôles de compétitivité communs et proposons, comme un exemple à toute l'Europe, la collaboration scientifique entre la Hongrie et la France. Je souhaite la meilleure coopération universitaire. Nous voulons doter la France des meilleures universités du monde, par l'autonomie. Travaillons ensemble par le biais d'Erasmus.
Je souhaite, sur le plan commercial, que le nombre d'exportateurs français en Hongrie augmente, que nos échanges commerciaux se diversifient et que, par-dessus tout, nous nous fassions confiance.
Je suis persuadé que notre avenir reste à écrire.
Mais aussi riche que soit cette relation, elle ne trouve aujourd'hui son véritable accomplissement que grâce à la communauté de destin qui unit désormais nos deux pays et nos deux peuples par leur commune appartenance à l'Europe.
Peuple de Hongrie, vous êtes un peuple européen. Peuple de France, nous sommes un peuple d'Europe. Nous appartenons à la même Union, à la même communauté de destin, à la même identité européenne. C'est à l'Union européenne que nous devons la réunification de l'Europe autour de la paix, de la liberté et de la démocratie. L'Union européenne, c'est notre oeuvre commune : c'est à nous qu'il revient de la faire fonctionner de façon plus concrète pour que l'Europe cesse d'inquiéter la Hongrie et la France. Parce que l'Europe n'est pas faite pour inquiéter, elle est faite pour protéger et donc, pour rassurer.
La France aura la lourde responsabilité d'assumer, à partir du 1er juillet 2008, la Présidence de l'Union. Pour préparer ce rendez-vous, je me rendrai avec le Premier ministre français dans toutes les capitales des pays de l'Union.
Si j'ai souhaité commencer ces visites par la Hongrie, au coeur de l'Europe centrale, c'est pour lever un malentendu. Il n'y a pas, pour la France, une vieille Europe et une nouvelle Europe. Il n'y a pas, pour la France, des pays majeurs et des pays mineurs. Il n'y a pas et il n'y aura jamais, pour la France, des pays qui ont droit à la parole et d'autres qui n'ont que le droit de se taire. Il y a des pays égaux en droits et en devoirs, qui feront la force de l'Union européenne. Voilà ce que je suis venir dire à la Hongrie. C'est donc avec cet état d'esprit que j'ai l'intention d'assumer la Présidence de l'Union : écouter tous les partenaires de l'Union, renforcer l'union de ses partenaires et agir, à tout prix. L'Europe ne peut plus se condamner à l'immobilisme. L'Europe doit avancer. Je veux une Présidence française utile pour l'Europe. Je veux comprendre les aspirations de l'ensemble des Etats membres. Je veux les réunir pour agir ensemble. C'est cela le rôle d'une Présidence.
J'ai une grande ambition pour l'Europe.
Au mois de juin dernier, nous avons, tous ensemble, relancé l'Europe et je tiens à saluer le rôle très constructif joué par le Premier ministre. Elle était arrêtée et nous l'avons relancée en mettant fin au blocage institutionnel. Nous avons trouvé une solution qui nous a permis d'avancer tous ensemble. Cette solution est un compromis, mais qui peut croire qu'on peut continuer à construire l'Europe en pensant que l'on a raison sur tout et que l'on ne doit céder sur rien ? Avec cela, on détruit l'Europe. Nous, nous avons voulu la construire.
Et lorsque j'avais suggéré l'idée du Traité simplifié, je m'étais heurté au scepticisme de tous les experts. Comme d'habitude, ils pensaient que c'était impossible. D'ailleurs, les experts les plus nombreux au monde sont ceux qui pensent que c'est impossible ! On m'a dit que la France était isolée sur cette position. Et, petit à petit, la volonté d'agir a soulevé tous les conservatismes.
Chacun a fait un pas vers les autres. A force de discuter, à force de négocier, un accord s'est réalisé. C'est un accord qui n'est pas un accord technique, mais un accord politique, qui exprime une volonté commune, celle qui consiste à avancer ensemble. A cette occasion, nous avons eu confirmation qu'il existait une communauté de vue entre la France et la Hongrie.
Maintenant que l'Europe est sortie du blocage institutionnel, il nous revient de redonner aux citoyens le goût de l'Europe. Je n'ignore rien des débats qui enflamment la Hongrie comme tous les autres pays de l'Union ni des questions que se posent nos concitoyens. Cela fait trop longtemps que l'Union européenne est apparue aux Européens comme éloignée de leurs préoccupations. Les Européens ont de plus en plus de mal à comprendre le sens de l'Europe. A quoi sert notre Europe aujourd'hui ?
Je suis convaincu que ces questions sont légitimes et que c'est à nous qu'il revient d'y répondre. Je suis convaincu qu'il est nécessaire de prendre le temps de la réflexion, après 10 années de débats incessants sur les institutions et après une série de bouleversements qui ont profondément modifié le cadre dans lequel se trouve l'Union européenne elle-même. Mesdames et Messieurs, que voulons-nous faire ensemble, de l'Europe, à horizon 2030. ? Quelle est notre vision ? Nos pères, dans les années cinquante, ont eu un rêve européen. Avons-nous le même ou ce rêve doit-il évoluer ? Cela dépasse la gauche et la droite, cela concerne la civilisation européenne. Ce que nos pères ont su faire, il y a cinquante ans, allons-nous être capables de le faire nous aussi ou est-ce que nous allons continuer à nous engluer dans des débats techniques qui n'intéressent personne ? Que doit devenir notre Europe à 27 et bientôt, avec d'autres, dans les trente années qui viennent ?
C'est une réflexion capitale et je souhaite qu'elle réflexion soit préparée. C'est pourquoi je propose que le Conseil européen de décembre puisse confier à un groupe d'une dizaine de très hautes personnalités la responsabilité de réfléchir vers où doit aller l'Europe. Il n'est quand même pas interdit d'aimer l'Europe et de réfléchir sur l'Europe.
Il me semble, en effet, indispensable de remettre en perspective notre action pour lui redonner un sens. Il ne doit pas s'agir, pour moi, de préparer un nouveau traité mais de réfléchir à son contenu.
Cette réflexion ne doit évidemment pas être un prétexte pour ne pas agir dans les domaines qui appellent une action urgente de l'Union. Il me parait indispensable que l'Union agisse concrètement en plus de cette réflexion et je propose des thèmes d'action immédiats. L'immigration : comment peut-on vouloir faire Schengen, et la Hongrie a toute sa place dans l'espace Schengen, si nous ne sommes pas capables de définir une politique de l'immigration européenne ? Il s'agit d'une question qui nous concerne tous. La logique de la libre circulation des personnes appelle une politique commune.
Je souhaite que nous réfléchissions et que nous agissions ensemble sur la question de la lutte contre le changement climatique et l'énergie. Qu'est-ce qui va remplacer le pétrole ? Qu'est-ce qui va remplacer le gaz ? Quels sont les choix énergétiques que nous devons porter ? La France, grâce au Général De Gaulle, s'est dotée de l'énergie nucléaire. On peut être pour, on peut être contre. Mais c'était une génération d'hommes d'Etat qui pensaient à cinquante ou à soixante ans, qui ne pensaient pas à cinq ou à six jours. Serons-nous capables d'assurer l'indépendance énergétique de l'Europe ? Voilà une grande question que nous devons affronter ensemble car, quand le prix du pétrole augmente, il augmente autant pour la Hongrie que pour la France.
Dans ces domaines, une action strictement nationale est condamnée. Je souhaite travailler étroitement avec la Hongrie. La France a besoin que la Hongrie prenne pleinement sa part de responsabilité au sein de l'espace Schengen dans un futur proche. Je sais l'importance que la Hongrie attache aux questions énergétiques, notamment sur le projet NABUCCO. Je sais qu'en matière de politique énergétique l'approche entre nos deux pays est très convergente. Travaillons ensemble. La France est là pour vous dire qu'elle a besoin de vous et qu'elle est prête à vous aider.
Je crois également que la France et la Hongrie, deux grands pays de tradition agricole, devrons réfléchir ensemble aux principes qui doivent refonder la Politique Agricole Commune. Que les choses soient claires : je ne suis pas décidé à ce que l'on abandonne l'agriculture européenne. C'est une affaire d'indépendance et d'identité. Le monde a besoin de deux agricultures, celle de l'Europe et celle des Etats-Unis, pas d'une seule agriculture. Et nous n'avons pas, nous, les Européens, à nous excuser de défendre nos paysans comme les Américains défendent les leurs. Je suis un ami de l'Amérique. Etre un ami de l'Amérique, c'est lui dire qu'il convient de ne pas nous reprocher de faire ce qu'elle fait elle-même. Si nous ne défendons pas l'agriculture européenne et au sein de l'agriculture européenne, l'agriculture hongroise et l'agriculture française, qui le fera à notre place ?
La France n'a pas peur d'une réflexion sur l'avenir de la PAC. Au contraire, elle y est favorable. Et puis, je voudrais dire que dans ce monde instable et dangereux, je suis convaincu que l'Europe de la sécurité et de la défense doit devenir une réalité. La défense de l'Europe ne peut pas être la seule préoccupation de trois ou quatre pays en Europe. La Hongrie a une histoire douloureuse. Elle sait ce qu'il lui en a coûté dans le passé d'être seule et de ne pas être défendue. Qui peut penser que l'Europe doit devenir une puissance économique sans réfléchir aux conditions de son indépendance et sa sécurité ?
La Hongrie a un rôle à jouer. La Hongrie doit prendre toute sa place dans la politique européenne de sécurité.
Que l'on me comprenne bien. L'Europe doit être indépendante, et l'Europe ne sera pas indépendante si elle n'est pas capable de se défendre par elle-même. Croyez-vous qu'un ensemble de pays, incapable d'assurer sa propre sécurité, soit un ensemble indépendant, capable de dire oui ou de dire non ? Je n'opposerai jamais l'Europe de la défense et l'OTAN. Je sais combien la Hongrie est attachée à l'OTAN dont je n'ai pas peur de rappeler que la France est membre fondateur. Il ne s'agit pas, dans mon esprit, de substituer la politique européenne de défense à l'Alliance atlantique mais bien de créer deux systèmes complémentaires. Dans le même temps, il est important que tous les Européens parlent d'une seule voix concernant les questions ayant trait à la stabilité régionale de l'Union. Je pense notamment au Kosovo, où près de 500 soldats hongrois sont présents. L'Europe doit conserver son unité à tout prix sur des questions de cette nature.
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
La relation qui existe aujourd'hui entre nos deux pays est forte. Elle est ancienne. Et vous me faites un très grand honneur en me permettant de m'exprimer devant vous.
A nous, maintenant, de faire de cette relation, une relation plus riche et plus porteuse d'avenir.
A nous de transformer l'Union européenne, notre bien commun, pour qu'en ce début de XXIe siècle où tout change, l'Europe n'ait pas peur de changer et de s'adapter.
Ensemble, Mesdames et Messieurs, nous pouvons accomplir de grandes choses, si nous en avons la volonté, si nous en avons l'énergie. La Hongrie a une longue histoire, la France aussi, mais je ne veux pas que nous soyons des vieux pays. Ce n'est pas parce que nous avons une longue histoire derrière nous, que nous ne devons pas ouvrir les bras à l'avenir. La Hongrie a des convictions, la France aussi. Portons les convictions ensemble pour construire l'Union européenne des trente années qui viennent.
Ensemble, nous pouvons accomplir de grandes choses. Ensemble, nous pouvons contribuer à construire une Europe qui n'aura pas peur d'affirmer ses valeurs dans la mondialisation d'aujourd'hui et qui sera efficace pour défendre ses intérêts.
On ne parle pas de son identité mais cette identité fait la force des démocraties. Si nous ne les défendons pas, ces valeurs et cette identité, qui les défendra ? Dans ce monde si violent, si instable, l'Europe est raisonnable, démocratique, mais l'Europe doit être passionnément raisonnable et passionnément démocratique. L'Europe n'a pas comme seule ambition d'être riche, d'être en croissance, d'avoir le plein emploi. L'Europe doit aussi porter un message politique, un message d'humanisme dans le monde dématérialisé d'aujourd'hui. L'Europe doit être politique ou elle ne sera plus.
Mesdames et Messieurs, c'est du fond du coeur que je peux vous dire : vive la Hongrie, vive la France.