27 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi

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Point de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-gabonaises et franco-africaines, à Libreville le 27 juillet 2007.

QUESTION - Doit-on voir dans cette première visite en terre gabonaise un signe supplémentaire des liens privilégiés qui unissent le Gabon et la France ?
LE PRESIDENT - Il y a deux raisons à ma présence au Gabon. La première, c'est que, depuis 1967, le Gabon est un partenaire privilégié de la France, au-delà de toutes les alternances en France, quels qu'aient été les présidents, le Général de GAULLE, Georges POMPIDOU, Valéry GISCARD d'ESTAING, François MITTERRAND, Jacques CHIRAC. Quelle que fut la couleur de la majorité politique en place, le Gabon a toujours été un ami fidèle pour la France. Il y a 850 militaires français, ici, au Gabon. C'est un ami traditionnel de la France et c'est la première raison de ce déplacement.
La seconde, c'est le rôle du Président Omar BONGO, doyen des Chefs d'Etat et, en Afrique, cela a une vraie signification. Chaque fois que dans la sous-région ou dans la région, il y a une crise, le Gabon a joué son rôle au service de la paix et de l'unité. J'ai pu le vérifier lors de multiples contacts. Ces deux raisons m'ont fait venir ici au Gabon.
QUESTION - Monsieur le Président, nous sommes ici au Gabon, mais l'actualité française ne s'arrête pas pour autant. Je voulais savoir si vous aviez une réaction à la mise en examen de Dominique de VILLEPIN ?
LE PRESIDENT - Aucune.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez manifesté la volonté d'instaurer un nouveau type de partenariat avec l'Afrique en général. Quels sont les contours ou encore quelles formes pourrait prendre cette coopération. ?
LE PRESIDENT - Deux exemples avec le Gabon. Le premier, c'est l'affaire des visas. Le Président BONGO m'en avait parlé à d'innombrables reprises. Il voulait plus de facilités pour l'obtention des visas pour les diplomates et les hommes d'affaires gabonais. C'est chose faite. Par ailleurs, c'est la première fois que la France a signé un accord de réadmission qui fait que le Gabon, non seulement s'engage à reprendre ses propres ressortissants en situation illégale mais tout autre ressortissant, même s'il n'est pas gabonais, à partir du moment où il est en provenance du Gabon.
Deuxième élément, c'est l'affaire de la dette. Je veux dire les choses telles qu'elles se présentent Le Gabon n'a pas de riches réserves pétrolières. La production de pétrole y diminue, passant sur les cinq dernières années de 17 millions de tonnes à 12. Et dans dix ans, si on ne trouve pas de nouveaux gisements, il n'y aura plus de pétrole. Présenter le Gabon comme un pays qui ne peut pas bénéficier de remise de dettes, c'est, me semble-t-il, une injustice.
J'ajoute que le Gabon a une réserve extraordinairement importante pour la planète, c'est la forêt, puisque le Gabon fait partie du bassin du Congo. Et sur le bassin du Congo existe la deuxième forêt du monde après la forêt amazonienne. Cela représente un potentiel de consommation de gaz à effet de serre extraordinaire. La seule forêt gabonaise consomme chaque année quatre fois plus de gaz à effet de serre que n'en produit toute la France. Nous devons donc aider nos amis gabonais à entretenir, à exploiter écologiquement, j'allais dire durablement, cette forêt qui est une richesse pour le monde.
Je me suis investi avec Jean-Marie BOCKEL pour la renégociation de la dette auprès du club de Paris. Le Gabon a obtenu une décote de 15% qu'il demandait depuis bien longtemps. Sa dette doit être de l'ordre de 2 milliards 200 millions d'euros. La France représente un peu plus d'un milliard de cette dette et la France appliquera une décote de 20%. Mais comme je ne peux
pas, en tant que Chef de l'Etat, supprimer une dette, j'ai proposé de transformer les 5% qui existent entre les quinze % de décote et les 20 %. Cela représente 50 millions d'euros. Et j'ai proposé de transformer cette dette en investissement dans la forêt gabonaise. C'est-à-dire qu'au lieu de nous rembourser 50 millions d'euros, les Gabonais vont investir cette somme dans leur forêt. Je soutiens d'ailleurs le plan gabonais qui a fait que vous avez créé pas moins de dix parcs nationaux sur l'ensemble de votre territoire. C'est un enjeu considérable et c'est un enjeu de développement.
Je dis les choses comme je les pense. Nous voulons aider les pays d'Afrique sur la voie du développement et sur la voie de la diversification.
QUESTION - Je voudrais savoir pourquoi Brice HORTEFEUX, ministre de l'Immigration, de l'Identité Nationale et du Co-développement ne vous accompagne pas. Ma deuxième question concerne l'accueil de votre discours d'hier à Dakar. Son accueil semble avoir été assez frais ce matin dans la presse sénégalaise notamment. Je voudrais savoir si cela vous surprend.
LE PRESIDENT - Brice ne m'a pas accompagné, comme Bernard KOUCHNER ne m'a pas accompagné, comme Christine LAGARDE ne m'a pas accompagné alors qu'elle a participé à la renégociation de la dette. Je dois d'ailleurs vous dire que je souhaite être un Président de la République qui n'empoisonne pas la vie des ministres du gouvernement qui ont des occupations importantes. On doit pouvoir se déplacer les uns et les autres, chaque fois que c'est utile. Il m'a semblé qu'à partir du moment où j'avais à mes côtés, le ministre de la Coopération et Rama YADE, de surcroît, parce qu'il s'agissait du Sénégal, c'était bien suffisant.
Brice est venu ici il y a très peu de temps. Je ne vois pas pourquoi j'allais lui imposer de revenir. Donc, n'y voyez pas d'autre signification que celle-ci. Mais je lui transmettrais votre regret et je suis sûr qu'il y sera sensible, Monsieur JEUDY.
Sur le Sénégal, j'étais très heureux de mon déplacement. Pourquoi ? Parce que j'ai trouvé que, pour la première fois, un Chef d'Etat, Abdoulaye WADE, s'est engagé sur une vision de l'immigration partagée par la France. Et je n'ai pas le souvenir qu'un seul Chef d'Etat, dans une conférence de presse, ait dit avec autant de franchise que le Président du Sénégal : " nos élites doivent revenir au pays pour aider au développement de ce pays ". C'est un moment fort et particulièrement important. J'ajoute que j'ai été très sensible à l'accueil populaire.
C'est plus difficile de faire des déplacements en Afrique en disant que tout le monde n'a pas vocation à venir en France. C'est plus difficile de tenir le même discours en Afrique et à Paris que de tenir des discours différents. Convenez-en. Il fut un temps où vous-même avez décrit des voyages au cours desquels les gens dans la rue criaient : " des visas, des visas ". Mon discours est le même. L'Afrique a besoin de ses cadres et de ses élites. J'aime l'Afrique, j'aime les Africains, je les respecte. Donc je dis quelle est la politique que nous allons suivre. Je trouve que, dans ce contexte, l'accueil a été remarquable. J'ajoute que nous allons prendre des initiatives communes, le Président du Sénégal et moi, peut-être même signer un papier. Car, dans la nuit, le Président du Sénégal a rédigé une note manuscrite pour me dire combien il avait été intéressé par cette idée de Conseil Eurafrique et, qu'avant le sommet de Lisbonne, nous devrions prendre une initiative ensemble. Et franchement, je trouve que tout ceci s'est passé au mieux entre l'étape libyenne et l'étape sénégalaise.
L'Afrique, c'est l'Afrique et on ne peut pas se plaindre qu'il n'y ait pas assez de démocratie. Cela devient difficile ! Quand il n'y a pas de critiques, c'est qu'il n'y a pas de démocratie, quand il y a des critiques, il n'y a pas d'accord. Il faut accepter et les gens qui ne sont pas d'accord au Sénégal, c'est très bien. J'ajoute que j'y ai reçu les représentants de l'opposition et que j'en avais parlé au Président Wade. C'est peut-être une nouvelle façon de concevoir les rapports entre l'Afrique et la France. Je ne saurais trop vous recommander de souligner ce qui, à mes yeux, n'est pas un détail.
QUESTION - Revenons sur les relations franco-gabonaises. Vous allez vous rendre tout à l'heure dans la forêt gabonaise de la Mondah. Vous allez visiter un site forestier alors que vous auriez pu visiter tout autre chose. Quel sens particulier donnez-vous à cette visite, Monsieur le Président ?
LE PRÉSIDENT - Parce que c'est un enjeu environnemental et parce que je reste convaincu, que pour le Gabon, et pas que pour le Gabon, la forêt est une matière première extraordinaire. Je souhaite, d'ailleurs, que les pays européens soit beaucoup plus sévères avec les fournisseurs illégaux de bois car je ne veux pas que l'on pille la forêt africaine. Elle doit être respectée parce que c'est un élément essentiel de l'équilibre du monde. Dans mes invités, vous verrez une femme, Jane Goodall, que je vais vous présenter et qui a consacré sa vie à la forêt. C'était une façon pour moi pour de dire que le monde d'aujourd'hui a besoin de l'Afrique. A mes yeux, la matière première la plus importante pour l'Afrique est la forêt. C'est un enjeu majeur. Je voulais aller dans le bassin du Congo. J'ai hésité même sur un autre déplacement parce que je voulais insister sur cette question de la forêt et notamment de la forêt africaine. C'est une richesse considérable. Le monde a besoin de l'Afrique pour des raisons écologiques. Il ne faut pas laisser piller la forêt africaine, il faut l'entretenir. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas laisser nos amis africains l'exploiter. Au contraire, il faut les laisser l'exploiter mais l'exploiter de façon durable. Et c'est cet engagement, 50 millions d'euros, que la France met au service de cette forêt. Voila pourquoi j'ai choisi de privilégier ce déplacement parce qu'il m'a semblé que c'était particulièrement illustratif du rôle que je voudrais voir jouer à Afrique. J'ajoute que, pour l'Afrique et l'Europe, il y a une nécessité de rapprochement qui est évidente pour des raisons économiques, politiques. De ce point de vue, le Président WADE a des idées très claires, très justes. Il y a un marché considérable en Afrique. Il y a des possibilités de développement considérable. L'Afrique et l'Europe doivent se tenir la main
QUESTION - La justice française a ouvert le mois dernier une enquête préliminaire sur les biens immobiliers des Président BONGO et N'GUESSO. Est-ce que cette enquête ne pose pas le problème de la mauvaise gouvernance ? Est-ce qu'elle n'écorne pas l'image du Gabon, du Congo Brazzaville et des relations de ces deux pays avec la France ? Par ailleurs, au Niger, les autorités accusent la Libye et la société française AREVA de soutenir la rébellion touarègue. Le représentant français d'AREVA à Niamey a été expulsé, quelle est votre réaction ?
LE PRESIDENT - Sur la deuxième question, c'est une réaction très mesurée. Nous essayons de démêler les fils, de voir ce qui s'est exactement passé. Ce n'est pas la première crise que connaît le Niger. Je fais toute confiance aux autorités démocratiques du Niger pour surmonter cette crise. Et il se peut que dans les jours qui viennent, nous prenions une initiative pour essayer de renouer les fils du dialogue. Je ne voudrais rien dire qui complique une situation qui l'est déjà suffisamment. Le Niger est un pays important pour nous, puisque il est l'un des principaux producteurs d'uranium, d'où la présence d'AREVA sur place.
Sur les éléments dont vous venez de parler, il y a une enquête préliminaire qui a été engagée d'ailleurs avant que je ne devienne Président de la République. Que la justice fasse son travail. Mais je ne vois pas au nom de quoi cela devrait avoir un impact sur les relations entre notre pays et le Gabon. Si à chaque fois qu'il y avait des enquêtes judiciaires, il fallait qu'on arrête nos relations, on ne les aurait pas arrêtées simplement du côté africain, si vous voyez ce que je veux dire. Attendez que la justice fasse son travail et on verra bien.
J'ajoute que j'aimerais que l'on soit juste avec nos amis africains. S'agissant du Gabon, je ne pense pas que cela soit le pays qui ait le plus à rougir du fonctionnement de la démocratie interne par la pluralité de la presse, par la pluralité des forces politiques.
QUESTION - Allez-vous recevoir des opposants politiques gabonais ?
LE PRESIDENT - Franchement, ils ne m'en ont pas fait la demande, à la différence du Sénégal où je les ai reçus bien volontiers. Ici, ils ne m'ont pas fait cette demande et je n'ai pas été jusqu'à les solliciter. Mais j'ai observé que le Président du Sénégal avait reçu également Ségolène ROYAL. Je ne m'en étais pas formalisé. Ce sont des pratiques tout à fait régulières et qui ne posent pas l'ombre d'un problème.
QUESTION - Monsieur le Président, votre gouvernement comporte un ministère de l'Intégration, de l'Immigration, de l'Identité Nationale et du Co-développement avec, entre autres, comme priorité la maîtrise des flux migratoires. Est-ce que cette volonté affirmée ne relègue pas au second plan les préoccupations en matière de co-développement pour reprendre un terme qui vous est cher ? Et comment comptez-vous, Monsieur le Président, concrètement rassurer vos partenaires africains, même si de la candidature à la Présidence de la République, de l'eau a déjà coulé sous les ponts ?
LE PRESIDENT - Il est sûr que de l'eau a coulé sous les ponts, parce c'est plus facile d'être Président que d'être candidat. Mais je n'ai pas le sentiment d'avoir changé. Je veux aider l'Afrique à se développer. Et je veux lui parler franchement comme je l'ai fait à Dakar hier. On ne peut pas tout mettre sur le compte de la colonisation. Ce n'est pas vrai. La corruption, les dictateurs, les génocides, ce n'est pas la colonisation. Je suis un ami de l'Afrique et je ne crois pas qu'elle soit condamnée au malheur et à l'absence de croissance. Il y a un potentiel considérable en Afrique. Mais je pense qu'à un certain moment, il faut bien que quelqu'un dise qu'il y a 450 millions de jeunes Africains qui ont moins de 17 ans et que tous ne pourront pas venir en Europe. Si on prend tous vos médecins, tous vos cadres, tous vos ingénieurs, tous vos techniciens, comment allez-vous développer vos économies ? Je sais bien, cela ne se fait pas de dire cela. Pourtant, c'est la vérité. Et la France restera un pays ouvert. Mais la France restera un pays qui dira sa part de vérité.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie.