26 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien sénégalais "Walfadjri" du 26 juillet 2007, sur les relations franco-africaines, notamment économiques et militaires.
QUESTION - Ministre de l'Industrie et des Finances, vous aviez été l'artisan de la lutte contre la délocalisation des services, notamment des Centres d'appels vers les pays africains. Aujourd'hui, quelle est la position du Président de la République française sur cette question ?
LE PRESIDENT - Je n'ai pas changé d'avis. Vous n'imaginez pas que le président de la République française encourage la délocalisation d'activités existant en France. Ma réaction en tant que ministre de l'économie et des finances portait sur l'absence de règles et le désordre dans lequel s'opéraient ces délocalisations. Je pense qu'aujourd'hui on y voit plus clair et je constate que les télé-services, spécialement les centres d'appels, se développent partout, en France, au Maghreb, en Afrique occidentale, spécialement au Sénégal.
Dés lors qu'il s'agit de créer de nouvelles activités, le problème se pose différemment.
Le Sénégal a de vrais atouts dans ce domaine, à commencer par la francophonie, et doit les valoriser.
A la demande du gouvernement sénégalais, la coopération française s'apprête d'ailleurs en envoyer une mission d'experts au Sénégal pour aider à la mise en place du cadre légal nécessaire à leur développement. Je pense plus particulièrement à la législation sur la protection des données personnelles dont l'absence empêche pour l'instant les centres d'appel sénégalais de travailler durablement avec des entreprises européennes.
QUESTION - Partagez-vous le constat d'Anthony Bouthelier, président délégué du Conseil des investisseurs (français) en Afrique noire (Cian), selon lequel, en Afrique francophone, "notre problème n'est pas d'identifier de nouveaux investisseurs privés, mais d'empêcher ceux qui sont là de partir" ?
LE PRESIDENT - Ce constat qu'il faudrait restituer dans son contexte et ne pas généraliser traduit d'abord, me semble-t-il, la demande des entreprises, que celles-ci soient françaises ou sénégalaises, de bénéficier d'un environnement des affaires le plus favorable possible.
Sinon elles vont naturellement investir dans les pays où les marchés sont les plus porteurs et les conditions les plus attractives. C'est la loi de la mondialisation. Il faut attirer les entreprises et les investissements étrangers. Cela vaut pour le Sénégal comme pour la France et tous les pays.
Je sais que le Sénégal a une politique ambitieuse à cet égard. Je ne peux qu'encourager cette volonté de tendre vers un environnement des affaires de classe internationale. J'observe d'ailleurs que de nombreuses entreprises françaises investissent actuellement au Sénégal, dans le ciment, dans les télécommunications, dans l'agro-industrie, dans les services, voire dans les mines avec le groupe européen et mondial Arcelor Mittal qui vient de signer des conventions pour l'exploitation du fer.
QUESTION - Comment concevez-vous la coopération entre la France et l'Afrique ? Et quel sort sera réservé aux sommets France-Afrique ? Seront-ils maintenus dans leur configuration actuelle ou subiront-ils des changements ?
LE PRESIDENT - La France a noué au fil du temps une relation particulière avec l'Afrique et je souhaite que nos relations avec l'Afrique soient une des orientations prioritaires de la politique étrangère de la France car je suis intiment persuadé que la France et l'Afrique, l'Europe et l'Afrique ont un destin commun.
Aujourd'hui, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je veux entretenir avec l'Afrique des relations amicales, équilibrées et décomplexées, reposant sur deux conditions essentielles : une volonté commune et un respect mutuel.
La relation de la France avec l'Afrique est forte, spéciale, car la France est la meilleure des passerelles entre les continents africain et européen, mais cette relation ne peut pas être exclusive.
J'ai le souci de moderniser les relations qu'entretient la France avec ses partenaires africains, d'arriver à la responsabilisation de chacun dans un partenariat étroit mais exigeant et d'en chasser les vieux démons du clientélisme, du paternalisme et de l'assistanat.
Sur les sommets Afrique-France, il faut en discuter avec nos partenaires africains car la France n'entend pas décider seule.
Dans l'immédiat, je constate que cette formule que la France a initiée avec le groupe des pays francophones, avant de l'élargir progressivement à l'ensemble du continent, est maintenant reprise par d'autres partenaires de l'Afrique, notamment par l'Union Europénne.
QUESTION - La présence permanente des bases militaires françaises en Afrique est contestée non pas par les autorités africaines, mais par une bonne partie de leurs populations. La France va-t-elle, malgré tout, maintenir ses bases militaires en Afrique ? Et dans quelle proportion ?
LE PRESIDENT - Il me semble que la contestation que vous évoquez est très localisée et n'est pas sans rapport avec une instrumentalisation politique.
Votre question m'offre l'occasion de réaffirmer une évidence : la France ne maintiendra jamais ses bases contre l'avis des pays qui accueillent ses bases.
Je pense néanmoins qu'il faut clarifier les objectifs d'une telle présence et si besoin son cadre juridique. Le Sénégal a renégocié en 1974 l'accord de 1960. D'autres pays ne l'ont pas fait alors que ces accords comportent des clauses aujourd'hui caduques et anachroniques comme l'accès aux matières premières ou des commandements communs.
Je pense également qu'il est nécessaire de donner la plus grande transparence aux droits et obligations réciproques de ces accords.
La guerre froide est finie et la mission des forces pré-positionnées a beaucoup évolué. Je vous rappelle que le dispositif militaire français en Afrique a désormais pour principale mission d'appuyer les efforts de l'Union africaine pour construire une architecture de paix et de sécurité et de soutenir la montée en puissance des forces africaines en attente pour permettre au continent africain de garantir lui-même sa sécurité.
On ne saurait exclure que la réalisation de cette mission entraine des ajustements à l'avenir.
QUESTION - Le Secrétaire d'Etat français chargé de la Coopération et de la Francophonie a donné l'assurance, mercredi dernier, que l'aide de la France au développement ne connaîtra pas de diminution. Va-t-elle, pour autant, augmenter ? Si oui, dans quelle proportion ?
LE PRESIDENT - La France a pris des engagements précis en matière d'Aide publique au Développement, notamment dans le cadre de l'Union Européenne. Elle entend naturellement les respecter.
Je ne suis pas en mesure à ce stade des discussions budgétaires de vous indiquer précisément quel sera le volume d'APD pour 2008.
Ce qui est clair dés à présent, c'est que le maintien du niveau actuel signifiera dés 2008 une augmentation des crédits budgétaires et donc de l'effort des contribuables français car le plus gros de l'initiative d'annulation de la dette des pays les moins avancés a déjà été effectué.
L'accroissement de cet effort ne pourra être justifié pour le contribuable que si nous sommes capables, vous et nous, de démontrer que cet effort est efficace.
Davantage d'aide doit impliquer davantage d'efficacité, de part et d'autre. Nous ne devons plus accepter que l'aide au développement puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance.