16 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse conjointe de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et de Mme Angela Merkel, Chancelière de la République fédérale d'Allemagne, sur les relations franco-allemandes dans le cadre européen, notamment la question de l'euro et de la gouvernance d'EADS, à Toulouse le 16 juillet 2007.
Mme ANGELA MERKEL - Merci de l'hospitalité que tu m'as témoignée, cher Nicolas. Dans cette partie Blaesheim de ce sommet, plus classique, avec les Ministres des Affaires étrangères, nous avons abordé un certain nombre de questions importantes pour notre coopération future. Tout d'abord, les conseils des Ministres franco-allemands vont être organisés de façon un peu plus vivante. A l'automne, nous aurons le Conseil des Ministres à Berlin. Lors de ce Conseil des Ministres, nous pourrons traiter plus particulièrement du thème de l'intégration dans nos pays, autour d'un certain nombre de manifestations. Les Ministres seront sur place et nous aurons des échanges sur ce sujet aussi importants pour nos deux pays.
Ensuite, nous nous sommes demandés comment la France et l'Allemagne pouvaient donner leur impulsion au débat en Europe et nous avons échangé sur deux thèmes.
Premièrement, nous avons évoqué la question de la Banque Centrale Européenne. Il est clair pour nous que l'indépendance de la Banque Centrale Européenne est un point essentiel pour la zone euro. L'Allemagne a encore la présidence du G8 jusqu'à la fin de l'année et, à ce titre, j'ai ajouté quelque chose d'important dans notre discussion. J'ai ajouté que la question des équilibres financiers et monétaires internationaux est un point très important qui a, naturellement, une incidence sur les taux de change. Il faut que les Etats membres du G8 oeuvrent pour compenser les déséquilibres et faire converger les situations, afin que les taux de change ne se retrouvent pas sous pression dans certains pays, comme on le voit, par exemple, entre le dollar et l'euro. Mais il en va de même avec la monnaie chinoise. Il faut avoir cela à l'esprit. Et il faudra avoir des discussions, notamment transatlantiques, sur la question des déficits et des équilibres monétaires. Mais l'indépendance de la Banque Centrale Européenne a été reconnue et mise en exergue par l'un et l'autre, par nous deux.
Troisièmement, le point dont nous avons parlé aujourd'hui et qui me réjouit beaucoup : nous allons proposer à la Présidence portugaise et à la Commission européenne d'organiser, à l'automne et au prochain conseil de Lisbonne de mars 2008, une discussion pour voir comment l'Europe devait s'armer et se préparer à l'émergence de nouveaux paramètres de la compétition économique avec, par exemple, l'émergence de fonds d'investissement publics venant de Chine ou d'autres pays. Nous devons éviter de choisir des règlementations purement nationales. Il en est question en Allemagne, en France, il y a des dispositions sur ces secteurs industriels stratégiques. Il faut voir comment, en Europe, on peut créer une concurrence ouverte tout en assurant le principe de réciprocité face à des pays extérieurs à l'Union, moins ouverts que nous aux investissements internationaux.
Par ailleurs, nous avons abordé les différentes questions de politique internationale. Nous songeons plus particulièrement à la solution du problème du Kosovo qui nous tient à coeur, sans oublier, bien sûr, le Proche-Orient.
En résumé, je dirais que c'était une rencontre amicale, ouverte et extrêmement constructive. Notre prochaine rencontre Blaesheim, au Conseil des Ministres franco-allemand cet automne, est pour moi une perspective très réjouissante. Par notre visite à Airbus, d'une part, et par cette rencontre de Blaesheim d'autre part, nous montrons que la coopération franco allemande est sur une excellente voie. Nous abordons les questions en toute franchise.
Merci beaucoup, je suis heureuse que nous ayons pu nous rencontrer ici.
LE PRESIDENT - Merci Angela. Pour commencer je me réjouis de la façon dont s'est déroulée cette journée de travail. J'ai été heureux qu'Angela MERKEL vienne dans les usines AIRBUS, et que moi-même je puisse à l'avenir me rendre dans les usines AIRBUS en Allemagne, lorsque nous travaillons pour les gens. C'était très important pour moi, qu'on puisse s'exprimer devant les ouvriers. Comme vous le voyez, sur un sujet dont on parlait depuis des années sans trouver de solution, nous avons trouvé une solution.
C'est vrai, nous avons parlé de l'euro. Cela a permis d'avoir une grande convergence de vues. Que veut l'Allemagne ? L'indépendance de la BCE. La France est pour l'indépendance de la BCE. Que veut l'Allemagne ? Un euro qui soit dans la tradition de la conception allemande de la monnaie, c'est-à-dire dans la tradition d'une monnaie forte. Que veut la France ? Qu'on mette un terme au dumping monétaire qui conduit un certain nombre de monnaies du monde à être gérées selon des critères qui n'ont rien à voir avec le marché. Et c'est très important que l'Allemagne, qui préside le G8, mette cette question à l'ordre du jour.
J'ajoute que je suis très sensible à ce que vient de dire Madame MERKEL. L'Europe à 27 réfléchira à ce que doit être notre politique économique, notre politique industrielle, pour lutter contre les délocalisations et pour s'assurer que la concurrence soit loyale.
Sur l'ensemble des autres dossiers, l'union de la Méditerranée notamment, il y a eu une très grande convergence de vues entre nous deux.
Au fond, il y a une volonté de la France et de l'Allemagne de travailler vraiment ensemble, mais de travailler concrètement, de s'attaquer aux problèmes et de leur trouver des solutions, comme on l'a fait pour EADS. Je dois dire que le travail avec Angela est de plus en plus facile, parce qu'on se dit les choses franchement, simplement, sans détours. J'essaie de comprendre sa position. Je crois pouvoir dire qu'elle essaie de comprendre quelle est notre position, et on trouve des compromis qui permettent de faire un système gagnant-gagnant pour l'Allemagne comme pour la France.
Le dossier EADS est très important, parce qu'il est illustratif d'une volonté de Mme MERKEL comme de moi, non pas de contourner les problèmes, mais de confronter les problèmes pour apporter des solutions qui soient conformes aux intérêts de nos deux pays. A deux, on est plus fort que tout seul. Je crois que tout ce que l'on a fait aujourd'hui le montre.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, vous venez d'évoquer vos convergences de vues sur l'euro. Mais est-ce que vous êtes satisfait l'un comme l'autre du taux actuel de l'euro ?
Mme ANGELA MERKEL - La question est de savoir quels sont les moyens ou les voies qui nous paraissent les plus appropriés en matière de taux de change. Il y a des approches interventionnistes qui disent qu'il faut que la Banque Centrale Européenne change sa politique de taux d'intérêt. Pour moi, ce n'est pas la bonne voie. L'autre voie, c'est d'en discuter ouvertement et de dire oui, nous connaissons les causes d'un euro fort et d'un dollar faible, et ces causes tiennent aussi au déséquilibre monétaire. Voilà pourquoi j'ai parlé de notre rôle au G8 et je crois qu'il faut s'abstenir d'interventions inappropriées qui ne changent rien aux causes profondes des taux de change. En effet, un taux de change traduit une situation économique, et si tel ou tel secteur économique a des difficultés, on peut réfléchir aux mesures que l'on peut prendre pour aider ce secteur, mais cela ne doit pas justifier un interventionnisme économique. Voilà pourquoi il était juste et pas du tout problématique de dire que la Banque Centrale Européenne conduit une politique indépendante. Il faut d'abord mettre en exergue l'objectif de stabilité de cette politique. En effet, pour les petites gens qui n'ont pas de patrimoine, l'inflation est l'une des formes les plus terribles d'appauvrissement et il faut éviter cela en Europe. Je vois que nous sommes d'accord là-dessus. Cela ne veut pas dire que l'on ne puisse pas discuter de telle ou telle question du point de vue politique.
LE PRESIDENT - Je crois profondément que le problème n'est pas la valeur de l'Euro mais la valeur des autres monnaies. C'est un point d'accord entre nous qui est très important. Deuxièmement, juste une remarque à tous ceux qui pourraient s'étonner que l'on en parle, je voudrais rappeler que l'article 111 du traité prévoit que le conseil peut formuler, je cite, " les orientations générales de la politique de change ". Il n'est donc pas illégitime que nous ayons une discussion sur un sujet qui ne remet pas en cause l'indépendance de la Banque Centrale Européenne. Je dirais même qu'il ne remet pas en cause le niveau de l'Euro mais plutôt le dumping monétaire pratiqué par d'autres régions du monde. Voilà, je crois que c'était très important de s'expliquer là-dessus et de trouver une voie commune. Ce que vient de dire la Présidente du G8 sur sa volonté de poser ces questions-là montre bien qu'il y a un problème, mais avec d'autres monnaies que chacun connaît.
QUESTION - Madame la Chancelière, avez-vous également parlé d'une augmentation de capital chez EADS, puisque l'on entend dire que l'Etat français serait prêt à augmenter sa part, ce qui pourrait engendrer un nouveau déséquilibre ? Y a-t-il eu des avancées sur cette question ou ce dossier est-il ajourné pour l'instant. Pour quand peut-on compter sur une décision ?
Mme Angela MERKEL - Aujourd'hui, il n'en a pas été question. La question a été examinée par les actionnaires et il y a, je crois, un accord pour que cela ne soit pas traité aujourd'hui. Il pourrait en être question un jour, et DAIMLER a dit qu'en tant qu'actionnaire, l'entreprise pourrait aller dans cette même direction, donc la question d'un déséquilibre n'est pas d'actualité. Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui parce que ce n'était pas la question d'actualité. Nous avons réglé la question de la gouvernance et c'est un pas capital pour l'efficacité de l'entreprise.
LE PRESIDENT - On peut dire qu'il y a une réflexion des actionnaires dans le cadre d'un groupe de travail pour qu'on puisse, dans quelques mois, parler de cette question parmi d'autres. La discussion n'est pas terminée sur ce sujet. Je voudrais souligner qu'un pas très important a été franchi aujourd'hui. D'autres questions sont encore à éclaircir et nous les traiterons dans le cadre d'un groupe de travail.
Le droit de préemption, les évolutions éventuelles, ce ne sont pas des questions taboues. Nous n'en n'avons pas parlé aujourd'hui parce qu'aujourd'hui, nous avons fait une gouvernance et choisi des responsables. Cette question-là fait l'objet d'un accord entre les actionnaires pour en parler tranquillement. Nous nous sommes donnés deux ou trois mois pour se revoir et avancer sur ces questions.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, vous dites que vous êtes rentrés dans un mode gagnant-gagnant. Sur EADS précisément, qu'est ce que la France estime avoir gagné qui était important pour elle, et qu'est-ce que l'Allemagne pense avoir gagné ?
LE PRESIDENT - La France estime avoir gagné, pour l'entreprise, un mode de gouvernance normal et efficace. La France veut, de toutes ses forces, qu'EADS réussisse, et c'est exactement la position de l'Allemagne. Comment voulez-vous qu'une entreprise qui soit en double commande à tous les niveaux et en double nationalité à tous les niveaux puisse réussir ? Nous nous sommes dits que, dans le fond, on ne peut pas rester comme cela. Il faut un mode de gouvernance. Pour tous les salariés qui sont là-bas, le fait d'avoir une gouvernance, comme tout le monde, et le fait que nous ayons pu nous mettre d'accord sur un schéma avec alternance - ce qui montre bien que cela n'était pas une question de France ou d'Allemagne - sont de très bonnes nouvelles pour l'entreprise. La France n'a pas gagné sur l'Allemagne, et l'Allemagne n'a pas gagné sur la France, c'est EADS qui a gagné un système de gouvernance et des dirigeants de grande qualité.
Mme Angela MERKEL - Finalement, nous sommes convaincus que nous avons contribué à l'amélioration de la compétitivité et, par conséquent, nous avons contribué aux emplois et à la sécurité dans cette entreprise. Lorsque l'on voit tous ces salariés, jeunes et moins jeunes, et ce travail collectif entre les Français et les Allemands à Toulouse - je ne savais pas qu'il y avait plus de 1 000 Allemands à Toulouse qui travaillent sans aucun complexe avec les Français, qui échangent aussi au niveau de la formation - on se dit que c'est notre responsabilité politique d'oeuvrer pour ces emplois. Je crois que nous y sommes parvenus et que nos deux pays seront gagnants. Nous avons, dans nos deux pays, beaucoup de jeunes qui dépendent du travail chez EADS et AIRBUS.
QUESTION - La question était sur l'augmentation du capital, donc je ne pense pas qu'il y ait quelque chose à rajouter.
Mme Angela MERKEL - Tout d'abord, je voulais dire que je me suis exprimée sur l'augmentation du capital en disant que cela n'était pas un problème d'actualité mais un problème qui pouvait survenir dans les prochaines années, que l'Etat français a indiqué qu'il était prêt le cas échéant à participer à l'augmentation du capital, et que DAIMLER a dit la même chose. Sur un tel point qui n'a pas fait l'objet de discussion, je ne peux pas déduire qu'il serait le résultat d'un déséquilibre. De toute façon, nous avons bien dit qu'un groupe de travail allait traiter ces questions d'actionnariat.
QUESTION - Est-ce qu'un compromis est envisageable, où l'on pourrait imaginer que l'Etat français achète la part d'EADS dans DASSAULT, ce qui permettrait de donner de l'argent à l'entreprise sans augmenter le capital ? Est-ce que de telles solutions sont concevables ?
Mme Angela MERKEL - En ce qui me concerne, je vous le répète, nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, cela ne figure pas à l'ordre du jour du moment, mais l'esprit dans lequel nous avons résolu les questions de gouvernance est annonciateur de solutions positives à d'autres questions qui vont se poser avec quantité de possibilités intéressantes. Mais je ne pourrais pas m'exprimer là-dessus aujourd'hui.
QUESTION - Certaines analyses disent que l'accord que vous avez annoncé aujourd'hui n'a pas réussi à dépasser les rivalités nationales avec l'ordonnance des nationalités, avec l'équilibre franco-allemand et le fait que l'annonce avait été faite par vous deux aujourd'hui. Que répondez-vous à cela ? De même, certains syndicalistes disent que cela ne va pas changer grand-chose, que ce sont les mêmes têtes qui dirigent la société. Qu'en pensez-vous? Merci.
LE PRESIDENT - Si les mêmes têtes étaient parties, on nous aurait fait le reproche de déstabiliser l'entreprise. J'ajoute que l'Etat français étant partie prenante dans le capital, il n'est pas absurde que le représentant de l'actionnaire s'occupe de l'accord et de la bonne gestion d'une entreprise où il est actionnaire. Est-ce que le fait d'être actionnaire nous rend incapable de dire notre avis ? Quand vous avez vu l'accueil que nous ont réservé, à Madame MERKEL comme à moi-même, les salariés de l'entreprise, quand ils nous ont dit : " on compte sur vous, ne nous laissez pas tomber ", est-ce que vous croyez que cela aurait été mieux vu des fameux analystes si Mme MERKEL et moi-même avions dit que cela ne nous regardait pas, qu'on ne s'en occupe pas ? Vous voulez toujours que l'on s'occupe des choses quand c'est trop tard ? Au contraire, c'est une très bonne nouvelle. On s'en est occupé avec les autres actionnaires Daimler et Lagardère. On s'en est occupé avec le consensus de tout le monde. Je crois que c'est une bonne nouvelle, y compris pour les analystes.
MME ANGELA MERKEL - Je crois que si l'on voit les personnalités de ces dirigeants, il est clair que la responsabilité pour cette entreprise a ouvert la voie à certaines décisions. Je trouve remarquable que Monsieur LAGARDERE ait dit : " je suis disposé à faire un pas en arrière pour permette ces décisions ". Nous avions dit que nous étions prêts à une formule d'alternance pour qu'il puisse retrouver cette responsabilité. Tout ceci s'est fait dans un véritable esprit de camaraderie. Monsieur GRUBE a dit à quel point sa coopération avec Monsieur LAGARDERE était bonne. Mais tout le monde salue le fait qu'il s'agisse d'une structure monocéphale. Les Français et les Allemands se partagent les responsabilités. Mais on pouvait très bien inverser les termes après l'alternance. Je crois que c'est la meilleure formule. Donc, donnons une chance à ceux qui sont là. Nous sommes convaincus d'avoir ouvert la porte vers une meilleure structure aujourd'hui.
QUESTION - Louis GALLOIS dit que le plan " Power 8 " de redressement sera maintenu. Quelle est votre opinion, Monsieur le Président, sur cette question ?
Une autre question concerne le pacte d'actionnaire. Vous auriez souhaité une remise à plat plus rapide, vous parlez d'une réflexion de deux ou trois mois, Mme MERKEL parle de plusieurs années, qu'en est-il ?
LE PRESIDENT - D'abord le plan " Power 8 ", je le soutiens, comme je soutiens Monsieur GALLOIS qui est le nouveau CEO d' EADS. S'agissant du pacte d'actionnaires et de l'actionnariat, comme l'a très bien dit Madame MERKEL, la question de l'augmentation de capital ne se pose pas avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Et le fait même que nos amis allemands acceptent d'en parler, d'en discuter et de réfléchir aux évolutions, est déjà une très bonne nouvelle. Je ne vois vraiment pas ce qui nous aurait amener à en décider dès aujourd'hui. Aujourd'hui, on fait la gouvernance et les hommes. Dans trois mois, on aura une réflexion sur l'actionnariat, les augmentations de capital et le pacte. Ecoutez, c'est exactement ce que l'on souhaitait.
MME ANGELA MERKEL - Je crois qu'il faut distinguer entre le pacte d'actionnaires d'une part, et, d'autre part, quelles pourraient être d'autres configurations futures. Il faut en parler. Vous savez que les 7,5% ont été repris par un consortium d'investisseurs en Allemagne. Il faut en discuter. Pour cela, nous aurons les recommandations du groupe de travail qui se rassemblera dans les prochains mois. Et pour parler concrètement d'une augmentation de capital, ce sera d'actualité quand ce sera d'actualité pour l'entreprise. Mais le pacte d'actionnaires et l'augmentation de capital sont deux choses séparées. Il y a une question juridique et une question économique. Il faut juger ces questions lorsqu'elles se posent réellement. Mais ce qui est important, c'est qu'il ne faut pas que ceci nous préoccupe. Daimler Chrysler a dit qu'il pourrait très bien imaginer une telle voie, donc cette question ne sera pas source de friction entre l'Allemagne et la France.
Merci.
Ensuite, nous nous sommes demandés comment la France et l'Allemagne pouvaient donner leur impulsion au débat en Europe et nous avons échangé sur deux thèmes.
Premièrement, nous avons évoqué la question de la Banque Centrale Européenne. Il est clair pour nous que l'indépendance de la Banque Centrale Européenne est un point essentiel pour la zone euro. L'Allemagne a encore la présidence du G8 jusqu'à la fin de l'année et, à ce titre, j'ai ajouté quelque chose d'important dans notre discussion. J'ai ajouté que la question des équilibres financiers et monétaires internationaux est un point très important qui a, naturellement, une incidence sur les taux de change. Il faut que les Etats membres du G8 oeuvrent pour compenser les déséquilibres et faire converger les situations, afin que les taux de change ne se retrouvent pas sous pression dans certains pays, comme on le voit, par exemple, entre le dollar et l'euro. Mais il en va de même avec la monnaie chinoise. Il faut avoir cela à l'esprit. Et il faudra avoir des discussions, notamment transatlantiques, sur la question des déficits et des équilibres monétaires. Mais l'indépendance de la Banque Centrale Européenne a été reconnue et mise en exergue par l'un et l'autre, par nous deux.
Troisièmement, le point dont nous avons parlé aujourd'hui et qui me réjouit beaucoup : nous allons proposer à la Présidence portugaise et à la Commission européenne d'organiser, à l'automne et au prochain conseil de Lisbonne de mars 2008, une discussion pour voir comment l'Europe devait s'armer et se préparer à l'émergence de nouveaux paramètres de la compétition économique avec, par exemple, l'émergence de fonds d'investissement publics venant de Chine ou d'autres pays. Nous devons éviter de choisir des règlementations purement nationales. Il en est question en Allemagne, en France, il y a des dispositions sur ces secteurs industriels stratégiques. Il faut voir comment, en Europe, on peut créer une concurrence ouverte tout en assurant le principe de réciprocité face à des pays extérieurs à l'Union, moins ouverts que nous aux investissements internationaux.
Par ailleurs, nous avons abordé les différentes questions de politique internationale. Nous songeons plus particulièrement à la solution du problème du Kosovo qui nous tient à coeur, sans oublier, bien sûr, le Proche-Orient.
En résumé, je dirais que c'était une rencontre amicale, ouverte et extrêmement constructive. Notre prochaine rencontre Blaesheim, au Conseil des Ministres franco-allemand cet automne, est pour moi une perspective très réjouissante. Par notre visite à Airbus, d'une part, et par cette rencontre de Blaesheim d'autre part, nous montrons que la coopération franco allemande est sur une excellente voie. Nous abordons les questions en toute franchise.
Merci beaucoup, je suis heureuse que nous ayons pu nous rencontrer ici.
LE PRESIDENT - Merci Angela. Pour commencer je me réjouis de la façon dont s'est déroulée cette journée de travail. J'ai été heureux qu'Angela MERKEL vienne dans les usines AIRBUS, et que moi-même je puisse à l'avenir me rendre dans les usines AIRBUS en Allemagne, lorsque nous travaillons pour les gens. C'était très important pour moi, qu'on puisse s'exprimer devant les ouvriers. Comme vous le voyez, sur un sujet dont on parlait depuis des années sans trouver de solution, nous avons trouvé une solution.
C'est vrai, nous avons parlé de l'euro. Cela a permis d'avoir une grande convergence de vues. Que veut l'Allemagne ? L'indépendance de la BCE. La France est pour l'indépendance de la BCE. Que veut l'Allemagne ? Un euro qui soit dans la tradition de la conception allemande de la monnaie, c'est-à-dire dans la tradition d'une monnaie forte. Que veut la France ? Qu'on mette un terme au dumping monétaire qui conduit un certain nombre de monnaies du monde à être gérées selon des critères qui n'ont rien à voir avec le marché. Et c'est très important que l'Allemagne, qui préside le G8, mette cette question à l'ordre du jour.
J'ajoute que je suis très sensible à ce que vient de dire Madame MERKEL. L'Europe à 27 réfléchira à ce que doit être notre politique économique, notre politique industrielle, pour lutter contre les délocalisations et pour s'assurer que la concurrence soit loyale.
Sur l'ensemble des autres dossiers, l'union de la Méditerranée notamment, il y a eu une très grande convergence de vues entre nous deux.
Au fond, il y a une volonté de la France et de l'Allemagne de travailler vraiment ensemble, mais de travailler concrètement, de s'attaquer aux problèmes et de leur trouver des solutions, comme on l'a fait pour EADS. Je dois dire que le travail avec Angela est de plus en plus facile, parce qu'on se dit les choses franchement, simplement, sans détours. J'essaie de comprendre sa position. Je crois pouvoir dire qu'elle essaie de comprendre quelle est notre position, et on trouve des compromis qui permettent de faire un système gagnant-gagnant pour l'Allemagne comme pour la France.
Le dossier EADS est très important, parce qu'il est illustratif d'une volonté de Mme MERKEL comme de moi, non pas de contourner les problèmes, mais de confronter les problèmes pour apporter des solutions qui soient conformes aux intérêts de nos deux pays. A deux, on est plus fort que tout seul. Je crois que tout ce que l'on a fait aujourd'hui le montre.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, vous venez d'évoquer vos convergences de vues sur l'euro. Mais est-ce que vous êtes satisfait l'un comme l'autre du taux actuel de l'euro ?
Mme ANGELA MERKEL - La question est de savoir quels sont les moyens ou les voies qui nous paraissent les plus appropriés en matière de taux de change. Il y a des approches interventionnistes qui disent qu'il faut que la Banque Centrale Européenne change sa politique de taux d'intérêt. Pour moi, ce n'est pas la bonne voie. L'autre voie, c'est d'en discuter ouvertement et de dire oui, nous connaissons les causes d'un euro fort et d'un dollar faible, et ces causes tiennent aussi au déséquilibre monétaire. Voilà pourquoi j'ai parlé de notre rôle au G8 et je crois qu'il faut s'abstenir d'interventions inappropriées qui ne changent rien aux causes profondes des taux de change. En effet, un taux de change traduit une situation économique, et si tel ou tel secteur économique a des difficultés, on peut réfléchir aux mesures que l'on peut prendre pour aider ce secteur, mais cela ne doit pas justifier un interventionnisme économique. Voilà pourquoi il était juste et pas du tout problématique de dire que la Banque Centrale Européenne conduit une politique indépendante. Il faut d'abord mettre en exergue l'objectif de stabilité de cette politique. En effet, pour les petites gens qui n'ont pas de patrimoine, l'inflation est l'une des formes les plus terribles d'appauvrissement et il faut éviter cela en Europe. Je vois que nous sommes d'accord là-dessus. Cela ne veut pas dire que l'on ne puisse pas discuter de telle ou telle question du point de vue politique.
LE PRESIDENT - Je crois profondément que le problème n'est pas la valeur de l'Euro mais la valeur des autres monnaies. C'est un point d'accord entre nous qui est très important. Deuxièmement, juste une remarque à tous ceux qui pourraient s'étonner que l'on en parle, je voudrais rappeler que l'article 111 du traité prévoit que le conseil peut formuler, je cite, " les orientations générales de la politique de change ". Il n'est donc pas illégitime que nous ayons une discussion sur un sujet qui ne remet pas en cause l'indépendance de la Banque Centrale Européenne. Je dirais même qu'il ne remet pas en cause le niveau de l'Euro mais plutôt le dumping monétaire pratiqué par d'autres régions du monde. Voilà, je crois que c'était très important de s'expliquer là-dessus et de trouver une voie commune. Ce que vient de dire la Présidente du G8 sur sa volonté de poser ces questions-là montre bien qu'il y a un problème, mais avec d'autres monnaies que chacun connaît.
QUESTION - Madame la Chancelière, avez-vous également parlé d'une augmentation de capital chez EADS, puisque l'on entend dire que l'Etat français serait prêt à augmenter sa part, ce qui pourrait engendrer un nouveau déséquilibre ? Y a-t-il eu des avancées sur cette question ou ce dossier est-il ajourné pour l'instant. Pour quand peut-on compter sur une décision ?
Mme Angela MERKEL - Aujourd'hui, il n'en a pas été question. La question a été examinée par les actionnaires et il y a, je crois, un accord pour que cela ne soit pas traité aujourd'hui. Il pourrait en être question un jour, et DAIMLER a dit qu'en tant qu'actionnaire, l'entreprise pourrait aller dans cette même direction, donc la question d'un déséquilibre n'est pas d'actualité. Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui parce que ce n'était pas la question d'actualité. Nous avons réglé la question de la gouvernance et c'est un pas capital pour l'efficacité de l'entreprise.
LE PRESIDENT - On peut dire qu'il y a une réflexion des actionnaires dans le cadre d'un groupe de travail pour qu'on puisse, dans quelques mois, parler de cette question parmi d'autres. La discussion n'est pas terminée sur ce sujet. Je voudrais souligner qu'un pas très important a été franchi aujourd'hui. D'autres questions sont encore à éclaircir et nous les traiterons dans le cadre d'un groupe de travail.
Le droit de préemption, les évolutions éventuelles, ce ne sont pas des questions taboues. Nous n'en n'avons pas parlé aujourd'hui parce qu'aujourd'hui, nous avons fait une gouvernance et choisi des responsables. Cette question-là fait l'objet d'un accord entre les actionnaires pour en parler tranquillement. Nous nous sommes donnés deux ou trois mois pour se revoir et avancer sur ces questions.
QUESTION - Madame la Chancelière, Monsieur le Président, vous dites que vous êtes rentrés dans un mode gagnant-gagnant. Sur EADS précisément, qu'est ce que la France estime avoir gagné qui était important pour elle, et qu'est-ce que l'Allemagne pense avoir gagné ?
LE PRESIDENT - La France estime avoir gagné, pour l'entreprise, un mode de gouvernance normal et efficace. La France veut, de toutes ses forces, qu'EADS réussisse, et c'est exactement la position de l'Allemagne. Comment voulez-vous qu'une entreprise qui soit en double commande à tous les niveaux et en double nationalité à tous les niveaux puisse réussir ? Nous nous sommes dits que, dans le fond, on ne peut pas rester comme cela. Il faut un mode de gouvernance. Pour tous les salariés qui sont là-bas, le fait d'avoir une gouvernance, comme tout le monde, et le fait que nous ayons pu nous mettre d'accord sur un schéma avec alternance - ce qui montre bien que cela n'était pas une question de France ou d'Allemagne - sont de très bonnes nouvelles pour l'entreprise. La France n'a pas gagné sur l'Allemagne, et l'Allemagne n'a pas gagné sur la France, c'est EADS qui a gagné un système de gouvernance et des dirigeants de grande qualité.
Mme Angela MERKEL - Finalement, nous sommes convaincus que nous avons contribué à l'amélioration de la compétitivité et, par conséquent, nous avons contribué aux emplois et à la sécurité dans cette entreprise. Lorsque l'on voit tous ces salariés, jeunes et moins jeunes, et ce travail collectif entre les Français et les Allemands à Toulouse - je ne savais pas qu'il y avait plus de 1 000 Allemands à Toulouse qui travaillent sans aucun complexe avec les Français, qui échangent aussi au niveau de la formation - on se dit que c'est notre responsabilité politique d'oeuvrer pour ces emplois. Je crois que nous y sommes parvenus et que nos deux pays seront gagnants. Nous avons, dans nos deux pays, beaucoup de jeunes qui dépendent du travail chez EADS et AIRBUS.
QUESTION - La question était sur l'augmentation du capital, donc je ne pense pas qu'il y ait quelque chose à rajouter.
Mme Angela MERKEL - Tout d'abord, je voulais dire que je me suis exprimée sur l'augmentation du capital en disant que cela n'était pas un problème d'actualité mais un problème qui pouvait survenir dans les prochaines années, que l'Etat français a indiqué qu'il était prêt le cas échéant à participer à l'augmentation du capital, et que DAIMLER a dit la même chose. Sur un tel point qui n'a pas fait l'objet de discussion, je ne peux pas déduire qu'il serait le résultat d'un déséquilibre. De toute façon, nous avons bien dit qu'un groupe de travail allait traiter ces questions d'actionnariat.
QUESTION - Est-ce qu'un compromis est envisageable, où l'on pourrait imaginer que l'Etat français achète la part d'EADS dans DASSAULT, ce qui permettrait de donner de l'argent à l'entreprise sans augmenter le capital ? Est-ce que de telles solutions sont concevables ?
Mme Angela MERKEL - En ce qui me concerne, je vous le répète, nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, cela ne figure pas à l'ordre du jour du moment, mais l'esprit dans lequel nous avons résolu les questions de gouvernance est annonciateur de solutions positives à d'autres questions qui vont se poser avec quantité de possibilités intéressantes. Mais je ne pourrais pas m'exprimer là-dessus aujourd'hui.
QUESTION - Certaines analyses disent que l'accord que vous avez annoncé aujourd'hui n'a pas réussi à dépasser les rivalités nationales avec l'ordonnance des nationalités, avec l'équilibre franco-allemand et le fait que l'annonce avait été faite par vous deux aujourd'hui. Que répondez-vous à cela ? De même, certains syndicalistes disent que cela ne va pas changer grand-chose, que ce sont les mêmes têtes qui dirigent la société. Qu'en pensez-vous? Merci.
LE PRESIDENT - Si les mêmes têtes étaient parties, on nous aurait fait le reproche de déstabiliser l'entreprise. J'ajoute que l'Etat français étant partie prenante dans le capital, il n'est pas absurde que le représentant de l'actionnaire s'occupe de l'accord et de la bonne gestion d'une entreprise où il est actionnaire. Est-ce que le fait d'être actionnaire nous rend incapable de dire notre avis ? Quand vous avez vu l'accueil que nous ont réservé, à Madame MERKEL comme à moi-même, les salariés de l'entreprise, quand ils nous ont dit : " on compte sur vous, ne nous laissez pas tomber ", est-ce que vous croyez que cela aurait été mieux vu des fameux analystes si Mme MERKEL et moi-même avions dit que cela ne nous regardait pas, qu'on ne s'en occupe pas ? Vous voulez toujours que l'on s'occupe des choses quand c'est trop tard ? Au contraire, c'est une très bonne nouvelle. On s'en est occupé avec les autres actionnaires Daimler et Lagardère. On s'en est occupé avec le consensus de tout le monde. Je crois que c'est une bonne nouvelle, y compris pour les analystes.
MME ANGELA MERKEL - Je crois que si l'on voit les personnalités de ces dirigeants, il est clair que la responsabilité pour cette entreprise a ouvert la voie à certaines décisions. Je trouve remarquable que Monsieur LAGARDERE ait dit : " je suis disposé à faire un pas en arrière pour permette ces décisions ". Nous avions dit que nous étions prêts à une formule d'alternance pour qu'il puisse retrouver cette responsabilité. Tout ceci s'est fait dans un véritable esprit de camaraderie. Monsieur GRUBE a dit à quel point sa coopération avec Monsieur LAGARDERE était bonne. Mais tout le monde salue le fait qu'il s'agisse d'une structure monocéphale. Les Français et les Allemands se partagent les responsabilités. Mais on pouvait très bien inverser les termes après l'alternance. Je crois que c'est la meilleure formule. Donc, donnons une chance à ceux qui sont là. Nous sommes convaincus d'avoir ouvert la porte vers une meilleure structure aujourd'hui.
QUESTION - Louis GALLOIS dit que le plan " Power 8 " de redressement sera maintenu. Quelle est votre opinion, Monsieur le Président, sur cette question ?
Une autre question concerne le pacte d'actionnaire. Vous auriez souhaité une remise à plat plus rapide, vous parlez d'une réflexion de deux ou trois mois, Mme MERKEL parle de plusieurs années, qu'en est-il ?
LE PRESIDENT - D'abord le plan " Power 8 ", je le soutiens, comme je soutiens Monsieur GALLOIS qui est le nouveau CEO d' EADS. S'agissant du pacte d'actionnaires et de l'actionnariat, comme l'a très bien dit Madame MERKEL, la question de l'augmentation de capital ne se pose pas avant plusieurs mois, voire plusieurs années. Et le fait même que nos amis allemands acceptent d'en parler, d'en discuter et de réfléchir aux évolutions, est déjà une très bonne nouvelle. Je ne vois vraiment pas ce qui nous aurait amener à en décider dès aujourd'hui. Aujourd'hui, on fait la gouvernance et les hommes. Dans trois mois, on aura une réflexion sur l'actionnariat, les augmentations de capital et le pacte. Ecoutez, c'est exactement ce que l'on souhaitait.
MME ANGELA MERKEL - Je crois qu'il faut distinguer entre le pacte d'actionnaires d'une part, et, d'autre part, quelles pourraient être d'autres configurations futures. Il faut en parler. Vous savez que les 7,5% ont été repris par un consortium d'investisseurs en Allemagne. Il faut en discuter. Pour cela, nous aurons les recommandations du groupe de travail qui se rassemblera dans les prochains mois. Et pour parler concrètement d'une augmentation de capital, ce sera d'actualité quand ce sera d'actualité pour l'entreprise. Mais le pacte d'actionnaires et l'augmentation de capital sont deux choses séparées. Il y a une question juridique et une question économique. Il faut juger ces questions lorsqu'elles se posent réellement. Mais ce qui est important, c'est qu'il ne faut pas que ceci nous préoccupe. Daimler Chrysler a dit qu'il pourrait très bien imaginer une telle voie, donc cette question ne sera pas source de friction entre l'Allemagne et la France.
Merci.