11 juillet 2007 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Lettre de mission de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, adressée à M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les priorités de la politique agricole, le 11 juillet 2007.


Monsieur le Ministre,
Les résultats de l'élection présidentielle et des élections législatives qui viennent d'avoir lieu dans notre pays montrent l'ampleur de l'attente de changement manifestée par les Français. En élisant au Parlement une large majorité présidentielle, ils ont voulu donner au gouvernement, sans aucune ambiguïté possible, tous les outils nécessaires à la réussite de sa mission. Ce gouvernement, auquel vous appartenez, n'a désormais qu'un seul devoir : celui de mettre en oeuvre le programme présidentiel et, au-delà, de réconcilier nos compatriotes avec l'action politique en lui prouvant qu'elle peut encore changer les choses et rendre à notre pays la maîtrise de son destin.
Tout au long de la campagne présidentielle, des engagements ont été pris dans le champ de vos compétences ministérielles. Il va de soi que nous attendons de vous que vous les teniez. L'objet de cette lettre de mission est de vous préciser les points qui, parmi ces engagements, nous paraissent prioritaires et sur lesquels nous vous demandons d'obtenir rapidement des résultats.
Avec 39,3 milliards d'euros d'exportations et 1,6 millions d'emplois, l'agriculture, la sylviculture, la pêche et l'industrie agro-alimentaire de notre pays sont un pilier essentiel de notre économie et de l'équilibre de nos territoires. Les besoins alimentaires et énergétiques au niveau mondial, l'impératif d'indépendance et de sécurité alimentaires de la France et de l'Union européenne, le rôle des agriculteurs dans l'aménagement du territoire, les perspectives ouvertes par les biocarburants, la biomasse, la chimie verte, font de ce secteur un enjeu stratégique.
En tant que ministre de l'Agriculture et de la pêche, votre première mission sera de conforter le rôle de notre agriculture, de notre pêche, de notre sylviculture et de notre industrie agro-alimentaire comme élément clé de notre économie, et d'affirmer, aussi bien en Europe qu'au niveau mondial, notre ferme intention d'assumer la vocation agricole de la France et de préserver notre agriculture de production.
A cet effet, d'une part, vous veillerez à soutenir la recherche, l'enseignement agricole et l'installation des jeunes agriculteurs. Vous prendrez les dispositions nécessaires pour préserver et conforter le tissu d'entreprises agro-alimentaires qui couvre le territoire en permettant, par exemple, aux agriculteurs d'y prendre des participations par l'intermédiaire de fonds mutualisés. Vous veillerez à la préservation de l'agriculture de montagne qui est indispensable à l'équilibre de nos territoires. Vous engagerez un véritable plan de développement des nouvelles filières agricoles créatrices de richesse comme les biocarburants, la biomasse, la chimie verte, tout en recherchant de meilleures performances pour celles qui sont déjà installées, en particulier la filière bois. Pour cette dernière, vous vous efforcerez, avec les sylviculteurs et les industriels, d'améliorer la mobilisation de la ressource forestière et la compétitivité de notre industrie de transformation, et ainsi de réduire notre déficit commercial dans ce secteur.
D'autre part, l'importance stratégique de l'agriculture et de la pêche pour la France et pour l'Europe exige que vous vous mobilisiez très fortement à l'occasion des prochaines échéances européennes, en particulier le bilan de santé de la PAC de 2008 et la présidence française de l'Union, et des grands rendez-vous internationaux de l'Organisation mondiale du commerce. Ils doivent être l'occasion d'affirmer le principe de préférence communautaire et le principe de soutien de l'agriculture européenne mis en oeuvre par la politique agricole commune. Vous veillerez à ce que les efforts consentis par l'Union européenne dans le cadre des négociations à l'OMC soient compatibles avec les objectifs qui sont les nôtres en matière agricole, et compensés par des efforts d'un niveau strictement équivalent de nos partenaires. Nos concitoyens doivent pour leur part être mieux informés des intérêts directs qu'ils retirent, dans leur vie quotidienne, de la politique de soutien de l'agriculture.
Dans le même esprit, vous veillerez à ce que les produits agricoles et agro-alimentaires importés soient sûrs et conformes aux normes imposées aux produits européens, grâce à la mise en place de véritables contrôles aux frontières de l'Union européenne. De même, vous agirez au niveau international pour réguler les pratiques de la grande pêche industrielle, dont notre pêche fait les frais alors qu'elle ne la pratique quasiment pas, et vous veillerez au renforcement des contrôles contre la pêche illégale à proximité de nos côtes. En liaison avec les représentants des pêcheurs, vous entreprendrez une réflexion sur la structuration de la profession et les conditions d'accès à la ressource.
Nul ne devra douter de notre détermination à soutenir notre agriculture et notre pêche.
Pour autant, et en deuxième lieu, nous sommes également convaincus que la politique de soutien de notre agriculture doit évoluer pour répondre à la demande fondamentale de nos agriculteurs de vivre de leur travail, c'est-à-dire du prix de leurs productions. Développer les filières de qualité et les produits de terroir, mettre en place des circuits courts de production et de livraison, investir dans l'agriculture biologique, valoriser les activités non agricoles des exploitants et renforcer notre présence sur les marchés mondiaux contribueront à la réalisation de cet objectif.
Tout l'enjeu de la nouvelle PAC qui se mettra en place à compter de 2014 sera de préserver l'indépendance alimentaire de l'Union européenne et le rôle de l'agriculture dans l'aménagement du territoire tout en permettant à nos agriculteurs de vivre directement de leur travail. C'est au service de cet objectif que vous devez, dès maintenant, engager avec les représentants de l'ensemble de la filière agricole la réflexion sur l'après-2013. Nous devons arriver dans les négociations européennes avec des propositions constructives servant nos intérêts et ceux de l'Union dans son ensemble et, pour cela, les élaborer nous-mêmes.
Vous engagerez par ailleurs un plan de restructuration et de relance sur cinq ans de la filière et de la production viticoles, permettant la reconquête progressive des parts de marché mondiales perdues par le vin français et garantissant l'accompagnement social des producteurs en difficulté.
Vous ferez du renforcement de l'organisation des producteurs et du développement des interprofessions une priorité de votre action. C'est en étant plus soudés que les producteurs seront plus forts et pourront peser sur la formation des prix et le partage de la valeur ajoutée. Vous prendrez également les dispositions nécessaires pour faire respecter la loi et les règles de la concurrence loyale dans les rapports entre les agriculteurs et la grande distribution.
Enfin, vous réglerez la question des mécanismes de régulation des risques et de gestion des crises. Comme toute autre profession, nos agriculteurs éprouvent un besoin légitime de stabilité de leurs revenus.
Souvent mise au seul banc des accusés de la détérioration de notre environnement, l'agriculture est en réalité un contributeur essentiel au développement durable de notre pays. Du fait de sa diversité, elle participe aussi bien à la lutte contre le réchauffement climatique, qu'au maintien de la biodiversité et à la qualité des paysages. L'objectif de développement durable, qui est au coeur de l'action du nouveau gouvernement, doit donc être poursuivi avec les agriculteurs et non pas contre eux. C'est en abordant le rôle de l'agriculture dans son ensemble qu'il sera possible de faire évoluer les pratiques présentant des risques pour les ressources naturelles. Cette approche doit également être privilégiée pour la pêche et la préservation de la ressource halieutique.
Avec le ministre d'Etat, ministre de l'Ecologie, du développement et de l'aménagement durables, vous engagerez donc les concertations et les actions nécessaires pour, notamment, continuer à mieux utiliser la ressource en eau et réduire significativement l'utilisation d'engrais et de pesticides. Vous inciterez les professionnels agricoles à définir une certification des exploitations respectueuses de l'environnement.
Vous le savez, le programme présidentiel devra être mis en oeuvre en respectant scrupuleusement notre volonté de préserver l'avenir des générations futures grâce à une gestion rigoureuse des finances publiques, conforme à nos engagements européens et composante essentielle de la démocratie irréprochable que nous souhaitons mettre en place.
Réussir les réformes attendues par les Français et cesser la spirale de l'endettement ne sont nullement inconciliables, mais sont au contraire deux objectifs complémentaires dès lors qu'il est décidé d'abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de politiques qui marchent. Répartir la pénurie est aussi lâche et inefficace que laisser courir la dette publique. Si nous voulons modifier en profondeur les structures et les modes d'intervention des administrations publiques, c'est pour que chaque euro dépensé soit un euro utile et que le potentiel humain inestimable de notre administration soit beaucoup mieux valorisé.
Dès cet été, une révision générale des politiques publiques, à l'instar de celle réalisée par le Canada au milieu des années 90, sera donc entreprise. Elle sera conduite, sous notre autorité, par le Secrétaire général de la Présidence de la République, le Directeur du cabinet du Premier ministre, le ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, le secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques, ainsi que des personnalités qualifiées issues du secteur public et du secteur privé, et des parlementaires. L'objet de cette révision générale des politiques publiques sera de passer en revue, avec la collaboration, naturellement, des ministres concernés, chacune des politiques publiques et des interventions mises en oeuvre par les administrations publiques, d'en évaluer les résultats et de décider des réformes nécessaires pour améliorer la qualité du service rendu aux Français, le rendre plus efficace et moins coûteux, et surtout réallouer les moyens publics des politiques inutiles ou inefficaces au profit des politiques qui sont nécessaires et que nous voulons entreprendre ou approfondir. C'est dans le cadre de cette révision générale que sera mis en oeuvre l'engagement présidentiel d'embaucher un fonctionnaire pour deux partant à la retraite et que nos objectifs de finances publiques sur cinq ans seront poursuivis et atteints (réduction de la dette publique à moins de 60% du PIB, équilibre budgétaire, baisse aussi rapide que possible des prélèvements obligatoires avec l'objectif d'une réduction de quatre points sur dix ans).
Nous vous demandons de vous impliquer personnellement et sans réserve dans cet exercice qui ne saurait remettre aucunement en cause la mission que la présente lettre vous confie. Les premières grandes réformes issues de la révision générale des politiques publiques interviendront dès la préparation des budgets pour 2008. Nous insistons sur le fait qu'un bon ministre ne se reconnaîtra pas à la progression de ses crédits, mais à ses résultats et à sa contribution à la réalisation du projet présidentiel, y compris sur le plan financier.
Sur l'ensemble des points de cette lettre de mission, nous vous demandons de nous proposer des indicateurs de résultats dont le suivi sera conjoint. Nous souhaitons que figurent notamment, parmi ceux-ci, des indicateurs de mesure de la lutte contre la déprise agricole, du renforcement de la recherche et de l'enseignement agricole, du contrôle sanitaire des importations, de la reconquête de nos positions dans le commerce viticole, de la réduction de l'utilisation d'engrais et de pesticides, du développement des filières à haute valeur ajoutée, ainsi que, fondamentalement, de l'augmentation du revenu de nos agriculteurs et de nos exportations.
Nous ferons le point d'ici un an de l'avancement de votre mission et des inflexions qu'il convient, le cas échéant, de lui apporter.
En vous renouvelant notre confiance, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l'assurance de nos sentiments les meilleurs.