4 janvier 2006 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur les priorités du gouvernement, notamment la politique de l'emploi et l'intégration sociale, à Paris le 4 janvier 2006.


Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Président, cher Philippe GOULLIAUD,
Merci pour les voeux que vous venez de me présenter au nom de l'association de la presse présidentielle dont je connais le rôle et dont j'apprécie l'action. J'y ai été particulièrement sensible. C'est l'occasion pour moi de vous féliciter pour votre brillante élection. Et vous me permettrez de saluer amicalement Isabelle DATH, qui a présidé votre association pendant quatre ans, et dont j'ai pu apprécier, le mot est faible, la finesse, l'humour, et la pertinence d'analyse.
Beaucoup d'entre vous s'attendent certainement à ce que je vous dise que l'année 2006 doit être une année utile pour la France. Eh ! bien oui : c'est même une année capitale.
Nous sommes à un moment très particulier. La France est traversée d'interrogations et de tensions souvent fortes. On l'a vu lors de la campagne référendaire et avec la crise des banlieues.
En arrière-plan, il y a la question de la mondialisation : comment rester nous-mêmes, dans un monde qui change à tout allure ?
Il y a également des problèmes, des questions d'identité.
Mais au même moment, la France connaît des succès importants. Les chantiers de modernisation que nous avons lancés depuis 2002 commencent à porter leurs fruits. On le voit sur la croissance, sur le chômage, et aussi avec nos importants succès industriels. Certes il y a encore du scepticisme : mais la vérité, c'est que nous nous sommes donné au fil de ces années les moyens de notre ambition.
Pour s'en rendre compte, il faut en finir avec ce travers, qui consiste à ne voir que le négatif, à passer notre temps dans une sorte d'auto-flagellation permanente et aussi à nous diviser. La France est un grand pays, et nous avons toutes les raisons d'en être fiers. Le monde change autour de nous, et nous avons tant de défis à relever. Pour cela, il faut d'abord avoir confiance en nous-mêmes.
Voilà pourquoi l'année 2006 exige l'accélération de l'action.
C'est indispensable au pays. C'est ainsi également que la France pourra aborder les échéances de 2007, dans un esprit de sérénité et de responsabilité. C'est ainsi que nous éviterons que le débat de la prochaine campagne présidentielle ne soit dominé par les extrémismes ou les populismes. On est bien là au c?ur de mon combat politique.
Accélération de l'action, et d'abord pour l'emploi. C'est notre défi principal. Le chômage baisse depuis huit mois. C'est le résultat de l'effort des Françaises et des Français, c'est le résultat de la politique engagée en profondeur depuis 2002 et de l'action résolue du Gouvernement, au travail duquel je veux rendre particulièrement hommage. Il fallait assouplir les 35 heures. Il fallait sortir de la logique du partage du travail pour ramener vers l'emploi le plus de personnes possible, et notamment les jeunes. Le plan de cohésion sociale monte actuellement en puissance.
Il fallait encourager la création d'entreprises et libérer l'emploi dans les PME. Le contrat nouvelles embauches est incontestablement un succès.
Il fallait relancer la politique industrielle, d'innovation et de recherche. Nous l'avons fait en 2005, avec les pôles de compétitivité, l'Agence de l'innovation industrielle et la loi recherche.
En 2006, nous allons franchir des étapes nouvelles et décisives, avec une volonté : saisir toutes les opportunités de la mondialisation pour la croissance et pour l'emploi dans notre pays.
Demain, devant les Forces vives, je présenterai mes objectifs pour l'emploi et la politique industrielle. Cette année le Gouvernement franchira une nouvelle étape dans la bataille contre le chômage.
Parce qu'il pèse trop exclusivement sur les salaires, le système de financement de notre protection sociale joue contre l'emploi. Plus on embauche, plus on paye de charges.
A l'inverse plus on licencie, plus on délocalise, plus on importe de biens ou de services, et moins on en paye et plus on entraîne des dépenses sociales pour la nation.
Dans les années 1990, notre pays a franchi une étape capitale de la réforme du financement de la protection sociale avec la création de la CSG, ce qui fut un projet indiscutable. Il fallait des ressources dynamiques et fondées sur tous les revenus pour financer des prestations universelles.
Il faut maintenant aller vers une assiette de cotisations patronales qui ne prenne pas seulement en compte les salaires mais l'ensemble de la valeur ajoutée.
C'est une réforme essentielle pour la défense et le développement de l'emploi dans notre pays. Il faut concilier haut niveau de protection sociale et économie ouverte sur la mondialisation.
Cette réforme sera élaborée en étroite concertation avec les partenaires sociaux. Elle sera progressive pour tenir compte de la situation de l'ensemble des entreprises qui sont diverses.
Nous devons aussi répondre aux évolutions du monde du travail. Il faut que chaque salarié soit en permanence armé pour occuper ou retrouver un emploi qui lui convienne. C'est une véritable sécurisation des parcours professionnels centrée sur la formation tout au long de la vie de travail que nous devons mettre en place, aujourd'hui, et ceci bien entendu, avec les partenaires sociaux. Elle est le pendant de l'assouplissement du marché du travail que nous avons utilement conduit.
Le combat pour l'emploi passe aussi par la politique industrielle. Nous concentrerons des moyens massifs sur deux priorités.
L'après pétrole est un des enjeux majeurs du siècle. Nous avons des atouts maîtres. Pour faire face au changement climatique, consommer moins d'énergie, développer l'énergie du futur, il faut des ruptures technologiques. Je présenterai devant les Forces vives, demain, la stratégie énergétique de la France pour les prochaines décennies.
L'autre priorité, c'est le numérique. Il bouleverse l'industrie de la communication, de l'image, du savoir, et aussi le commerce à l'échelle du monde. Nous avons rattrapé notre retard en équipement. Nous devons maintenant prendre de l'avance : être dans les premiers pour la télévision sur mobile et la généralisation de la TNT £ permettre à nos industriels des télécommunications de lancer des programmes d'équipement pour le très haut débit £ lancer avec nos partenaires européens le premier moteur de recherche véritablement multimédia, Quaéro, pour relever le défi mondial lancé par Google et Yahoo.
Il y a l'accélération de l'action, il y a les résultats. Mais beaucoup se jouera aussi sur notre capacité à nous inscrire dans le cadre d'un projet collectif mobilisateur. Sortons de ce débat qui tourne en rond sur le " modèle français " : il faut évidemment réformer pour changer ce qui fonctionne mal ou ce qui n'est plus adapté. Mais on ne change pas ce que l'on est. Notre projet, je vous l'ai dit, il n'est pas à réinventer, il est à faire vivre : c'est la République, dans les principes et dans les actes.
La première exigence, c'est de faire respecter la loi et les règles. Depuis 2002, nous avons montré qu'il n'y a pas de fatalité à la montée de la violence. Mais beaucoup reste à faire. Le gouvernement va amplifier son action pour lutter contre la délinquance.
Ce qui s'est passé dans le train Nice-Lyon est totalement inacceptable et les coupables seront recherchés et punis comme il se doit. Les forces de l'ordre, la SNCF doivent évidemment assurer la sécurité des voyageurs.
Le gouvernement devra aussi redoubler d'efforts pour faire respecter nos lois en matière d'immigration irrégulière. Et j'y veillerai.
Mais pour que la loi garde toute sa force, nous avons besoin de réformer notre justice. Il faut renforcer les droits de la défense. Il faut repenser la responsabilité des juges et de l'ensemble de la chaîne judiciaire. Il faut réformer le Conseil supérieur de la magistrature. Et je présenterai cette réforme dans les prochaines semaines.
La deuxième exigence, c'est la promotion du mérite, c'est l'égalité des chances.
Pour l'éducation, j'ai une double priorité : d'abord, développer l'apprentissage dans le secondaire et le supérieur, pour en faire une filière de réussite et d'excellence à part entière. Et ouvrir aussi plus largement aux jeunes des milieux modestes l'Université et les grandes écoles. Elles devront désormais participer activement à l'orientation et à la préparation des jeunes qui en ont besoin, dès les études secondaires, par exemple en généralisant les tutorats. Cela sera inscrit formellement dans leurs missions. Les concours seront revus pour mieux prendre en compte les aptitudes, tout autant que le bagage culturel. Les meilleurs bacheliers de chaque lycée de France doivent avoir un droit d'accès garanti aux classes préparatoires aux grandes écoles, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous commencerons, dès cette année, avec les meilleures mentions au baccalauréat. Et les classes préparatoires devront porter leur taux d'élèves boursiers à un tiers, comme c'est le cas dans les universités.
Cette logique d'ouverture et de respiration de la société, nous allons l'appliquer aussi à la fonction publique, qui doit être plus accueillante à l'ensemble des talents et à la diversité. C'est le message que je compte adresser, lors de mes voeux, aux fonctionnaires et agents de l'Etat. Je le ferai cette année à la Préfecture de la région Lorraine. J'ai voulu rendre hommage ainsi à l'administration territoriale de l'Etat qui a bien du mérite.
Agir pour l'égalité des chances, c'est évidemment agir pour les quartiers en difficulté. La clé, c'est l'accélération de la mise en ?uvre de tout ce qui a été lancé et qui est important : les zones franches, le plan de rénovation urbaine, le plan de cohésion sociale, l'Agence pour la cohésion sociale. C'est la mobilisation de tous les acteurs qui est nécessaire. J'aurai prochainement l'occasion de l'expliquer.
Il est essentiel aussi d'ouvrir et de faire respirer notre vie politique.
Je souhaite que nous franchissions une étape nouvelle pour la parité entre hommes et femmes ou entre femmes et hommes.
Comme je l'ai dit hier devant les bureaux des Assemblées, je souhaite que soit instituée une obligation de parité dans les exécutifs communaux de plus de 3 500 habitants, dans les exécutifs régionaux ainsi que dans la désignation des délégués aux structures intercommunales. Je souhaite également que les sanctions financières prévues à l'encontre des partis politiques qui ne respecteraient pas les exigences légales en termes de parité soient considérablement renforcées pour devenir véritablement dissuasives.
Enfin, les partis politiques doivent s'engager à faire toute leur place aux femmes et aux hommes issus de l'immigration dans les candidatures aux élections locales ou aux élections nationales. Les élus, la représentation nationale, doivent être à l'image de la diversité de la France, ce qui n'est pas le cas. C'est une exigence démocratique, c'est une exigence civique et cela ne peut plus attendre.
Je serai aussi intransigeant sur le respect des valeurs de la République : le combat contre le racisme, la lutte contre l'antisémitisme £ la lutte contre les discriminations. Ces combats, vous le savez, ont toujours été les miens. Ce qui fait la grandeur de la France, c'est la tolérance, le respect de chacun.
Nous pouvons être fiers de notre histoire, marquée par tant de succès, tant de grandeur, tant de lumière. Mais c'est aussi parce qu'on est à l'aise avec son histoire que l'on peut reconnaître ses zones d'ombre et ses épreuves. Je l'ai fait en 1995, au Vel'd'Hiv', pour en finir avec " ce passé qui ne passait pas ", celui du déshonneur de Vichy.
La question de l'esclavage est une blessure pour un grand nombre de nos concitoyens, notamment outre-mer. La France a été exemplaire, en étant le premier pays au monde, et aujourd'hui encore le seul, à reconnaître l'esclavage comme un crime contre l'humanité. J'ai décidé d'instaurer en France une journée de la mémoire. Je l'expliquerai le 30 janvier, en recevant le Comité que préside Madame Maryse Condé.
Je voudrais aussi aborder la question de l'article 4 de la loi du 23 février 2005. Je m'en suis entretenu hier avec Monsieur Jean-Louis Debré. Le texte actuel divise les Français. Il doit être réécrit. Après avoir consulté les principales associations, le Président de l'Assemblée Nationale déposera une proposition de loi en ce sens afin de réécrire ce texte, et ceci afin de parvenir à une rédaction qui rassemble et qui apaise les esprits.
Je souhaite par ailleurs que cette démarche s'inscrive dans le cadre d'une réflexion générale, car ce n'est pas à la loi d'écrire l'histoire.
Enfin, cette année sera celle des grands combats de la France dans le monde. L'Europe a toujours progressé en surmontant ses crises et ses difficultés. Nous avons trouvé un bon accord sur le budget de l'élargissement. Dans le respect du vote des Françaises et des Français, et avec nos partenaires européens, au premier rang desquels l'Allemagne, je prendrai des initiatives, sous la présidence autrichienne et en étroite concertation avec elle, pour relancer la construction d'une Europe politique, d'une Europe sociale, d'une Europe des grands projets stratégiques.
Et bien sûr, nous continuerons à être à la pointe du combat contre le réchauffement climatique et pour le développement : des financements innovants et massifs sont indispensables, je dirais vitaux, pour l'équilibre de la planète et pour la justice et la solidarité. La France a montré l'exemple avec le prélèvement sur les billets d'avion pour lutter contre les grandes pandémies. Il s'agit là d'un tout premier pas, je dirais à titre expérimental, et pour donner en quelque sorte le "la" de ce qui doit être la mise en ?uvre de la responsabilité du monde. La Conférence de Paris, en février, nous permettra, je l'espère, d'entraîner un très grand nombre de pays dans la voie de la justice et de la solidarité mondiales et du respect des hommes, et tout simplement de l'équilibre politique de notre planète.
La France sera aussi très vigilante sur les suites de l'accord OMC de Hong-Kong, qu'il s'agisse de la place des pays pauvres dans le commerce international, de l'industrie, des services ou de l'agriculture. Je voudrais souligner que la défense de la PAC n'est pas un combat du passé ou pour des intérêts catégoriels. Quand les Etats-Unis défendent vigoureusement, becs et ongles, leur "green power", personne ne s'étonne et tout le monde le comprend. Eh bien, il doit en être de même pour nous. Ce qui est en réalité en cause dans cette politique, c'est la sécurité alimentaire en quantité et en qualité, c'est l'emploi, c'est notre force économique. Une agriculture puissante est essentielle pour l'avenir de la France en Europe et dans le Monde.
Mesdames et Messieurs,
Notre rencontre est enfin l'occasion pour moi de rappeler, après votre président, que trop souvent, à travers le monde, les journalistes sont victimes de régimes qui croient pouvoir museler l'opinion. En 2005, 63 sont morts et 126 ont été détenus pour raison d'opinion. La France évidemment condamne vigoureusement ces pratiques et appuie toutes celles et tous ceux qui veulent faire vivre une presse pluraliste et libre.
Trop souvent aussi, des journalistes sont victimes de prises d'otage. Après celles de Christian CHESNOT et de Georges MALBRUNOT, nous avons vécu en 2005 l'heureuse libération de Florence AUBENAS et d'Hussein HANOUN. Après vous, j'appelle à la libération de tous leurs confrères, plus généralement de tous les otages détenus dans le monde, et notamment à la libération d'Ingrid BETANCOURT. Et je veux dire à la famille de Bernard PLANCHE que tout, absolument tout, est mis en oeuvre pour obtenir son retour le plus vite possible.
Le combat pour la liberté de la presse est aussi un combat pour que celle-ci se développe au rythme des mutations technologiques et pour faire progresser la diversité culturelle et l'expression de la pluralité d'opinion. C'est également dans cet esprit que j'ai décidé la création de la chaîne d'information internationale, voix et regard français sur le monde, qui commencera à émettre, vous le savez, cette année.
Encore tous mes voeux à chacune et à chacun d'entre vous, pour vous-même, pour vos journaux et de tout coeur je vous souhaite une très très bonne année. Je vous remercie.