14 juillet 2005 - Seul le prononcé fait foi

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Interview télévisée de M. Jacques Chirac, Président de la République, le 14 juillet 2005, notamment sur la lutte contre le terrorisme, l'Union européenne, les Jeux olympiques de 2012, et la politique gouvernementale en matière d'emploi et de recherche.

ARLETTE CHABOT - Monsieur le Président, bonjour.
LE PRESIDENT - Bonjour.
ARLETTE CHABOT - Merci de nous accueillir avec Patrick POIVRE D'ARVOR pour un entretien traditionnel, mais avec aujourd'hui une atmosphère un peu particulière, parce qu'à 13 heures, vous avez respecté, comme on l'a fait dans les vingt-cinq pays de l'Union européenne, deux minutes de silence à la mémoire des victimes des attentats de Londres. Alors, New York, Madrid, Londres, chacun se demande aujourd'hui, au fond, quelle capitale, peut-être, sera visée demain. Est-ce que cela peut être Paris, même si la France n'a pas participé à la guerre en Irak ?
LE PRESIDENT - Je voudrais tout d'abord redire notre solidarité avec le peuple britannique. Solidarité que j'ai immédiatement exprimée, nous étions en Écosse quand les événements se sont produits, à Sa Majesté la Reine, au Premier ministre, aux autorités et au peuple britannique qui a été, je voudrais le souligner, une fois de plus, admirable, de calme, d'efficacité, de sang-froid et, tout à l'heure, pendant cette minute de silence, ces deux minutes de silence, j'avais un sentiment profond de respect et d'amitié pour le peuple britannique. Avant d'évoquer...
QUESTION - ... La menace éventuelle sur la France ?
LE PRESIDENT - ... Avant d'évoquer votre question, nous sommes le 14 juillet, c'est la fête nationale, et nous venons d'assister au défilé. Alors, vous me permettrez de rendre hommage d'abord aux soldats brésiliens qui ont défilé et aux aviateurs brésiliens qui ont été parfaits. Nous étions heureux de les voir sur les Champs-Élysées, en présence du Président du Brésil, et puis, rendre hommage à l'ensemble des soldats qui ont défilé et, au-delà d'eux, à toute l'armée française qui, une fois de plus, a donné une belle image de la France ce matin. Et donc, je lui exprime mon estime, ma reconnaissance et ma confiance.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors justement, les soldats peuvent servir à parer la menace terroriste. Est-ce que la France est autant visée que les pays qui ont participé à la guerre d'Irak ?
LE PRESIDENT - Personne. Personne ne peut répondre à cette question, car ces terroristes ont une mentalité, une psychologie qui est différente de la nôtre. Ce qui est sûr, c'est qu'aucun pays dans le monde n'est à l'abri d'attentats de cette nature. La France, pas plus qu'un autre. Et que, par conséquent, tout l'effort doit être fait pour lutter contre ce terrorisme, et se prémunir contre ce terrorisme. En ce qui concerne la France, vous savez qu'elle est parmi les pays, je dirai, considérée comme les plus efficaces dans le domaine des moyens mis en oeuvre pour la recherche, pour l'information, le renseignement sur le terrorisme. Nous renforçons sans cesse ces moyens, d'ailleurs, en cohérence complète avec tous nos partenaires, et notamment nos principaux partenaires. J'ai été sensible à l'hommage qui nous a été rendu par les Américains à ce sujet. Nous avons pris, de nouveau, des dispositions. Tout ce qui peut être imaginé, tout ce qui est à notre portée est mis en oeuvre en France pour détecter le terrorisme, lutter contre le terrorisme et, en cohérence avec nos principaux partenaires pour le faire sur le plan international.
QUESTION - Ce qui inquiète encore plus, c'est l'idée que ce sont des kamikazes, notamment des gens qui ont la citoyenneté britannique, des gens qui donnent leur vie. Cela ne s'est jamais vu en Europe. Est-ce qu'il faut quand même adapter le dispositif à ce genre d'acte ?
LE PRESIDENT - Avec le terrorisme, il faut toujours adapter, en permanence, car on ne sait pas ce qu'ils vont inventer de nouveau. Il faut attendre, pour ce qui concerne ce que vous évoquez, les résultats des enquêtes britanniques qui sont extrêmement efficaces - je n'en doute pas -, il faut en permanence s'adapter et c'est ce que font nos services, je le répète, en liaison étroite avec tous les autres.
QUESTION - Monsieur le Président, il y a tout juste un an, pratiquement à cette minute même, vous nous annonciez un référendum sur la Constitution européenne. Le 29 mai, les Français vous ont sèchement répondu. Est-ce qu'avec le recul, vous ne regrettez pas de ne pas être passé par la procédure parlementaire, comme une dizaine de pays qui ont tous répondu "oui" d'une part, et est-ce qu'ensuite, vous vous attribuez une responsabilité personnelle à cette défaite ?
LE PRESIDENT - Je crois qu'il faut voir d'abord, et bien réfléchir, à ce que les Français ont dit le 29 mai, ce qui a d'ailleurs été confirmé par les Hollandais. Les Français ont exprimé le 29 mai des attentes, des inquiétudes face à un monde qui change très vite, qui bouleverse les comportements, face à une Europe qui est, à la fois lointaine, mais également tatillonne, parfois intrusive dans la vie de nos compatriotes ou des Européens, face à une mondialisation dont ils ne se sentent pas vraiment protégés par l'Europe. Ils ont eu le sentiment d'avoir fait beaucoup d'efforts depuis vingt ans. Ils ne sont pas convaincus d'avoir été payés en retour pour eux, mais surtout pour leurs enfants. Je crois que cette inquiétude est surtout une inquiétude à l'égard des enfants.
QUESTION - Et c'est à cette Europe là qu'ils ont dit "non" ? Ce n'est pas à vous, personnellement, ou à votre gouvernement ?
LE PRESIDENT - Je crois, qu'au-delà des problèmes de personne, il faut s'interroger sur le message. Et ce message, ce n'est pas le message d'une France morose, une France qui aurait baissé les bras, d'une France qui doute. C'est une interrogation des Français sur leurs qualités, leurs défauts, sur leurs modèles, sur leurs inquiétudes et c'est un message fort à cet égard, mais qui dit interrogation, dit positif. C'est à partir d'interrogations que l'on peut trouver l'impulsion qui s'impose.
QUESTION - Mais vous-même, vous vous êtes senti humilié par ce "non" davantage, par exemple, que la dissolution ratée ?
LE PRESIDENT - Je ne me suis pas senti humilié. Mais vous m'avez demandé si je regrettais d'avoir fait un référendum, je vous dis, tout de suite, "non". Tout le monde sentait bien qu'il y avait un problème européen. L'Europe est un grand dessein. La voie qui avait été tracée par la Constitution que, moi, je considérais comme une bonne voie, provoquait des interrogations. C'était évident. Et donc, il était essentiel, essentiel pour la démocratie que les Françaises et les Français soient interrogés directement. Je pense que l'on ne pouvait pas faire cela simplement entre nous. Il y a des pays qui l'ont fait, naturellement.
QUESTION - ... Une dizaine, à peu près, à ce jour. Ils ont tous dit "oui", d'ailleurs.
LE PRESIDENT - Notamment, parce que leurs institutions ne leur permettaient pas d'accéder au référendum. Ce qui est le cas, notamment, de nos amis allemands. Mais je considérais que dans un pays comme la France qui a besoin de renforcer sa démocratie, il n'était pas concevable de trancher un problème de cette nature sans interroger les Françaises et les Français. C'était un pas, c'était un risque mais c'était un pas dans la bonne direction pour ce qui concerne la démocratie et je souhaite que cette pratique du référendum soit dorénavant plus fréquemment utilisée. Je l'ai toujours pensé.
QUESTION - Bien qu'on ne réponde jamais à la question posée ?
LE PRESIDENT - Je sais, je sais, c'est difficile. Il y a toujours un côté plébiscite d'une façon ou d'une autre dans un référendum. C'est dommage. Mais il faut petit à petit donner l'habitude aux Françaises et aux Français de répondre eux-mêmes sur les grandes questions quand il y a un problème important. Cela évitera de faire des erreurs. Peut-être cela a-t-il été le cas avec le 29 mai.
QUESTION - Certains font le rapprochement avec le 21 avril 2002 et le 29 mai 2005. On dit, au fond, c'est parce que les politiques, la classe politique et vous n'ont pas su répondre à l'attente, à la demande, aux inquiétudes exprimées le 21 avril, que les Français ont dit à nouveau : "on doute" le 29 mai ?
LE PRESIDENT - On peut faire, naturellement, ce genre de réflexion. Je crois surtout que les Français ont exprimé l'inquiétude et les attentes que j'évoquais tout à l'heure, et que cela doit nous conduire à en tirer les conséquences non pas d'une façon négative, mais de façon positive, c'est-à-dire utiliser cette force pour aller plus vite et plus loin dans la bonne direction. C'est quoi, aller plus vite et plus loin dans la bonne direction ? C'est d'abord croire en nos atouts et ils sont importants. Quand le monde entier s'interroge sur ce que sera, pour nos petits-enfants, l'énergie, ce n'est pas en Asie, ce n'est pas en Amérique, ce n'est pas ailleurs qu'en France qu'il se situe avec ITER. On a des atouts considérables. Il faut également avoir conscience de nos retards et ils sont importants aussi, et donc les combler. Il faut que l'on prenne à bras le corps cette affaire du chômage qui est une plaie, qui n'est pas inévitable et contre laquelle nous n'avons jusqu'ici, nous y reviendrons j'imagine, pas su réagir comme il convenait. Et enfin, il faut préparer l'avenir, nous projeter dans l'avenir. Et là aussi, cela veut dire renouer avec une vieille tradition qui a fait notre force, qui est celle de la recherche, de l'innovation, de l'industrialisation dans notre pays, naturellement dans les domaines hautement sophistiqués, un peu comme le fait le Japon actuellement.
QUESTION - Justement, vous arrive-t-il d'envier un peu Tony BLAIR dont le taux de croissance est deux fois supérieur au nôtre, le taux de chômage deux fois inférieur, qui gagne ses élections, qui, en plus, empoche les Jeux Olympiques en 2012 ?
LE PRESIDENT - J'ai beaucoup d'estime à la fois pour le peuple britannique, pour bien des raisons. Je le répète, il vient de nous donner, encore une fois, une raison de leur témoigner de l'estime et j'ai beaucoup d'estime également pour Tony BLAIR. Je le connais bien et depuis longtemps. Mais je ne crois pas que le modèle britannique soit un modèle que nous devions envier ou copier. Certes, le chômage y est moins important que le nôtre, sensiblement, mais si vous prenez les grands éléments d'une vie de société, qu'il s'agisse de la politique de santé, de celle de la lutte contre la pauvreté, vous vous apercevez que nous sommes tout de même beaucoup mieux placés que les Britanniques. Quand vous regardez les investissements sur l'avenir, par rapport à la richesse nationale, la France consacre 5,6% de cette richesse à l'éducation. Les Anglais y consacrent 4 ou 4,2%. Quand on voit la recherche, la recherche scientifique et technique, ce qui est la clé de demain, nous y reviendrons probablement, les Anglais y consacrent 1,8% de leur richesse nationale, nous, 2,2%, et nous avons comme objectifs 3% très rapidement. Dans tous les domaines qui concernent la société, nous sommes mieux placés, beaucoup mieux placés que les Anglais. Alors, certes ce n'est pas vrai pour le chômage. Mais cela me conduit simplement à vous dire que, non, je ne l'envie pas...
QUESTION - Sur les Jeux olympiques, vous lui en voulez, vous trouvez qu'il a gagné à la loyale ?
LE PRESIDENT - Vous savez, l'olympisme c'est le sport et le sport s'est fondé sur une réalité "que le meilleur gagne".
QUESTION - Vous n'avez pas eu un coup de blues vous-même en rentrant de Singapour lorsque vous avez appris que la France n'avait pas les JO ?
LE PRESIDENT - J'ai eu naturellement un grand regret parce que la France s'était mobilisée, qu'elle avait présenté un beau projet, un projet, je crois, parfait et j'aurais été heureux que nous ayons ces Jeux olympiques en 2012. Donc je le regrette. J'en tire simplement comme conclusion que nous devons probablement rechercher ce qui nous a manqué et combler ce manque. Je pense notamment à notre présence aujourd'hui très insuffisante au niveau des grandes fédérations internationales sportives. Ceci étant, notre projet avait également pour objectif de donner une forte relance à notre politique sportive et de ce point de vue nous allons maintenir cette ambition, c'est-à -dire qu'une part des grands projets prévus - je pense, par exemple, pour ce qui concerne la région parisienne, au vélodrome ou à la piscine -, seront réalisés et je vais avoir très prochainement une réunion avec le Premier ministre et le ministre des Sports d'une part, avec le maire de Paris et le président de la région Ile de France d'autre part, pour voir comment on peut, à partir de ce projet, conserver les éléments positifs pour nous permettre une relance forte de la politique sportive en France. J'ajoute que nous devons nous consacrer à une préparation intensive bien meilleure que par le passé, pour que nos sportifs soient brillants...
QUESTION - Y compris à Londres, en 2012 ?
LE PRESIDENT - ... A Pékin d'abord et à Londres ensuite. N'oublions pas que nous avons également, c'est un domaine particulier, la coupe du monde du Rugby, en 2007.
QUESTION - Monsieur le Président, vous disiez le modèle social britannique n'est pas parfait. Mais le nôtre, on s'interroge beaucoup. C'est vrai que l'on va reparler du chômage. Combien de présidents ont dit : c'est notre priorité, on va s'attaquer au chômage. Or, les Français se disent que ça fait à peu près dix-neuf ans qu'ils vivent entre 8 à 10% de chômeurs. On se dit qu'aujourd'hui, il y a un million d'enfants, en France, qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le ministre des Finances dit : on vit au-dessus de nos moyens, on a une dette qui explose. Qu'est-ce qu'il faut garder du modèle social, ou il n'est pas obsolète ?
LE PRESIDENT - Non. Permettez-moi de vous dire une chose pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Vous évoquiez notre modèle social et les Anglais. Vous dites qu'il y a un nombre important d'enfants en dessous du seuil de pauvreté. Vous faites allusion j'imagine aux statistiques officielles et internationales qui ont été publiées. Je me permets de vous faire remarquer que si en France, c'est vrai, il y a 7% d'enfants qui sont en dessous des normes fixant le seuil de pauvreté, en Angleterre c'est 17%. Je dis simplement cela pour dire, il ne faut par croire que nous sommes...
QUESTION - ... Le modèle social français, n'est-il pas un peu périmé et inefficace ?
LE PRESIDENT - Le modèle social français n'est ni inefficace, ni périmé. Il a une grande ambition qui s'exprime d'une façon simple. C'est une harmonisation permanente vers le haut. Cela, il faut le garder. C'est en quelque sorte notre génie national. C'est une nécessité. Alors, à partir de là nous voyons bien qu'il y a une faiblesse forte, dramatique, en matière d'emploi. Alors on peut s'interroger. La vérité c'est que la France s'est installée depuis vingt ans dans un système qui accepte le chômage. Nous avons créé toutes sortes de moyens légitimes, au regard de la politique sociale pour rendre le chômage, après tout, supportable. Aujourd'hui on voit bien que ce système ne marche pas. Et que par conséquent il faut faire autre chose.
QUESTION - Vraiment changer, quoi, vraiment changer ? ...
LE PRESIDENT - ... Il faut vraiment changer...
QUESTION - ... Parce que Dominique de VILLEPIN s'est donné cent jours pour gagner. Et plus généralement est-ce que l'on peut en vingt mois, les vingt mois qui nous séparent de la Présidentielle, gagner cette bataille ?
LE PRESIDENT - Alors, je crois que vingt mois c'est une image naturellement...
QUESTION - ... Cent jours...
LE PRESIDENT - ... Je veux dire cent jours. Je crois qu'il faut surtout avoir une claire vision de ce que l'on veut faire. Si nous sommes décidés à mobiliser tous nos moyens pour lutter contre le chômage, et c'est le cas du Premier ministre et de son gouvernement, alors il faut s'engager dans trois ou quatre directions avec détermination. La première direction c'est qu'il faut chercher les emplois là où ils sont. Où sont les emplois possibles aujourd'hui ? Dans deux grands secteurs. Les petites et très petites entreprises. Deux millions et demi de très petites entreprises environ, dont plus d'un million et demi qui n'ont pas du tout de salariés, et qui pourraient créer des emplois. Et qui ne le font pas parce que les contraintes, les dangers, les difficultés...
QUESTION - ... Les charges...
LE PRESIDENT - ... Les procédures, les charges, ne leur permettent pas de le faire. Donc, c'est dans ce secteur qu'il faut d'abord créer les conditions permettant l'emploi. Et elles existent naturellement. Le deuxième secteur est celui des services. Les services à la personne. Nous connaissons tous des personnes âgées, handicapées, malades, des mères de famille qui travaillent et qui ont besoin que l'on s'occupe de leurs enfants. Bref, il y a un immense champ qui, en France, est beaucoup moins exploré que dans les autres pays, de services à la personne dont les experts disent qu'ils peuvent créer environ 500 000 emplois en trois ans. Il faut le faire et c'est l'ambition du gouvernement quand il crée le chèque universel emploi service. Cela c'est chercher les emplois là où ils sont. Deuxièmement, il faut faciliter l'embauche. Nous avons un nombre de jeunes tout à fait considérable au chômage, entre 20 et 25%. Nous avons un nombre considérable de seniors qui n'ont pas d'emploi. Nous avons beaucoup de gens qui sont dans des systèmes de minima sociaux comme le RMI et qui pourraient être réintégrés dans l'emploi. Il faut donc mettre oeuvre les moyens nécessaires, c'est-à -dire en particulier les contrats adaptés aux différents types de situation. C'est le plan de cohésion sociale pour lequel le gouvernement consacre en cinq ans treize milliards d'euros. C'est considérable. Et ce plan de cohésion sociale qui commence, portera forcément ses fruits. Troisièmement, il faut mobiliser tous les moyens. Nous avons encore trop de procédures et d'incohérences dans nos systèmes. Trop souvent les administrations nationales travaillent un peu chacune pour soi, ne sont pas suffisamment dynamisées. Il en va de même des administrations des communes, surtout des départements ou des régions. Et puis, il y a le problème typiquement français de l'ANPE et de l'UNEDIC, qui sont deux voies en réalité séparées.
QUESTION - Et est-ce qu'il y a trop de Français qui refusent des emplois, qui font la comparaison avec le RMI par exemple, qui disent que finalement...
LE PRESIDENT - ... Non. Il n'y a pas trop de Français qui refusent les emplois, mais il y a trop de Français qui ne sont pas incités ou encouragés par des procédures adaptées à prendre des emplois qui existent ou qui peuvent se créer. Sur l'ANPE et l'UNEDIC cela ne marche pas, n'est-ce pas ? On a un système qui est tout à fait incohérent. Alors il y a actuellement des négociations entre l'État et les organisations syndicales de travailleurs professionnels et salariés qui doivent aboutir. Sinon il faudra que l'État prenne des mesures de nature législative. Il faut qu'il y ait un guichet. Un guichet unique où chacun puisse aller et avoir les informations et les moyens adaptés à son cas. Guichet unique et accompagnement personnalisé. C'est une nécessité absolue.
QUESTION - On a l'impression que l'on a perdu un peu trois ans, là, Monsieur le Président, quand on vous écoute. Est-ce que l'on relance aujourd'hui un nouveau plan ? On se dit pourquoi on ne l'a pas fait plus tôt ?
LE PRESIDENT - Avant d'évoquer ce point, auquel je peux d'ailleurs répondre directement aussi, mais je voudrais évoquer...
QUESTION - ... Oui, terminez...
LE PRESIDENT - ... Tout simplement parce qu'il y a des moments pour faire les choses, des moments psychologiquement possibles. Je vous l'ai dit pendant très longtemps, nous nous sommes contentés en matière d'emploi, non pas d'inciter au travail mais d'accompagner le chômage. Alors, on est arrivé à des sommets, lorsqu'on a fait les 35 heures, qui nous ont coûté extrêmement cher, moi je ne suis pas contre la diminution du temps de travail dans son principe. C'est dans la nature, je crois, historique de l'homme. Mais fait de cette façon-là, cela a été très, très, très préjudiciable.
QUESTION - Mais l'année dernière, il y avait la croissance. Aujourd'hui, elle semble ralentir...
LE PRESIDENT - Donc, il y a un moment psychologique pour faire une réforme pour qu'elle soit admise, sinon les habitudes l'emportent. Je crois que le moment maintenant est venu et que la passion qui emporte le gouvernement et le Premier ministre actuels, sont des éléments déclenchants pour obtenir des résultats positifs. Mais, et c'est le point sur lequel je voudrais également dire un mot, on y reviendra peut-être, ce n'est pas seulement en gérant le quotidien et en l'améliorant sensiblement, ce qui est un impératif et une possibilité, mais il faut également penser à l'avenir. Cela fait penser aux emplois de demain. Et dans ce domaine, il faut impérativement que la France renoue avec une grande tradition, je l'évoquais tout à l'heure, dans le domaine de la recherche, de l'innovation, et de l'industrialisation. Dans les technologies de demain, c'est une nécessité absolue. La France est un grand pays. Nous sommes actuellement le quatrième exportateur du monde, et le deuxième pour les produits agricoles. Nous avons des moyens considérables, mais il faut prévoir ce que sera demain. Quand nous nous donnons du mal, avec nos amis européens, alors nous faisons Ariane, nous faisons des Airbus, nous faisons ITER, nous faisons Galiléo, nous faisons des choses qui sont la projection dans l'avenir, et qui créent les emplois, et des emplois qui ne se délocalisent pas. Dès demain, il faut donner une forte et nouvelle impulsion à cela. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé un certain nombre de mesures et d'initiatives dans ce domaine.
QUESTION - Alors toujours dans le domaine économique, le 14 juillet dernier, vous nous annonciez la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu, et le mois dernier votre Premier ministre vous a démenti. Donc apparemment, vous ne tiendrez pas votre promesse de baisser de 30% l'impôt sur le revenu, promesse de 2002. Est-ce que c'est parce que les comptes de la France sont déjà dans le rouge ou peuvent aller dans le rouge sur les normes de Bruxelles ?
LE PRESIDENT - La baisse des impôts en général, de l'impôt sur le revenu en particulier, qui ont atteint des niveaux excessifs, notamment par comparaison avec nos grands pays concurrents, est une nécessité. Naturellement, elle ne peut se concevoir que dans un certain équilibre budgétaire. Nous ne pouvons pas nous lancer dans ce qui a été la politique à partir de 1981, politique de dépenses sans compter, et de déficit qui se creusait, au point de conduire quasiment à la faillite de la France. Donc, il faut s'adapter. Je souhaite toujours la baisse de l'impôt sur le revenu, la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu pour atteindre.
QUESTION - ... Ce sera l'année prochaine ?
LE PRESIDENT - ... Mais naturellement, ça s'adapte aux moyens dont nous disposons. La croissance étant un peu plus faible que celle qui avait été prévue, notamment en raison des difficultés avec le dollar, avec le pétrole, et d'autres eh bien, nous sommes obligés de nous adapter. Et l'objectif reste le même.
QUESTION - Et l'ISF, vous allez vous adapter ?
LE PRESIDENT - L'ISF, moi je suis, je le dis tout de suite, tout à fait opposé à la suppression de l'ISF. Parce que je trouve qu'il est normal que la fortune fasse partie des éléments de solidarité.
QUESTION - On peut l'adapter un petit peu ? En fonction de la situation ?
LE PRESIDENT - Je ne sais pas si on peut adapter. Ce que je crois, en tous les cas, c'est qu'il y a un problème, et qui doit être étudié. Il y a incontestablement des délocalisations de capitaux ou d'entreprises qui nous coûtent cher actuellement, incontestablement. Et également des risques de prises de contrôles d'entreprises françaises par des capitaux étrangers. Alors, il faut examiner en détail ces problèmes de façon transparente, de façon concertée, et voir s'il y a lieu ou non d'en tirer des conséquences.
QUESTION - Si la croissance est un peu molle ce qu'on disait, puis handicapée effectivement par le dollar, le pétrole, il y a un moyen de la redoper un petit peu en France ?
LE PRESIDENT - La croissance ?
QUESTION - Ce sera une initiative ou il faut attendre que le retour ... ?
LE PRESIDENT - La croissance, je me permets de vous faire remarquer que depuis trois ans, la France est nettement au-dessus de la croissance moyenne de la zone euro, c'est-à-dire des pays de l'Europe qui sont dans la zone euro. Nous avons en gros 0,5 points de croissance de plus que les autres. Ce qui prouve que l'on n'est pas si mauvais. Je tiens à le souligner. Ceci étant, la croissance est fonction d'un certain nombre de considérations de nature économique internationale et interne, mais aussi européenne. D'où la nécessité - et nous parlerons je pense, tout à l'heure, de l'Europe -, de relancer l'Europe sur le thème de la croissance, et en particulier, conformément d'ailleurs à ce qu'a évoqué le Premier ministre Luxembourgeois - qui est le Président vous le savez pendant deux ans de l'euro groupe, c'est-à-dire des pays qui ont l'euro en commun - sur une politique européenne plus dynamique en matière de croissance. Cela suppose naturellement une meilleure concertation sans mettre en cause son indépendance, bien entendu, avec la Banque centrale européenne. Il y a là, sans aucun doute, une faiblesse de notre système européen.
QUESTION - ... La Banque centrale ?
LE PRESIDENT - La Banque centrale européenne.
QUESTION - Ils pourraient peut-être changer un petit peu de comportement de temps en temps, c'est cela ? Sans, bien sûr, porter atteinte à leur indépendance.
LE PRESIDENT - Il est certain qu'il doit y avoir au sein de l'euro groupe une préoccupation majeure qui est de renforcer la croissance et que cela ne peut pas se faire sans une relation convenable entre l'euro groupe et la Banque centrale européenne.
QUESTION - Toujours le 14 juillet dernier, vous avez dit que le Président de l'UMP ne pouvait pas être ministre. Qu'est-ce qui vous a fait revenir sur cette règle ?
LE PRESIDENT - Le Président de l'UMP a été nommé ministre, et ceci je m'en réjouis parce que c'était dans le cadre d'une synthèse de toutes les personnalités de la majorité au sens large du terme pour s'engager sur la voie que j'évoquais tout à l'heure, notamment la lutte contre le chômage et la projection dans l'avenir de notre économie. A ce titre, il a donné ses fonctions, pour assumer la présidence effective, à son premier Vice-président, M. GAUDIN. Je trouve cela tout à fait normal.
QUESTION - Vous aviez dit aussi à ce moment-là "je décide, il exécute". On a parfois l'impression que c'est "je décide, il m'exécute". Vous n'avez pas l'impression que de temps en temps, il dépasse la ligne jaune ?
LE PRESIDENT - C'est la règle maintenant dans nos institutions. Le Président de la République prend un certain nombre de décisions en concertation, bien sûr, avec le gouvernement et le gouvernement les exécute.
QUESTION - Oui, mais quand Nicolas SARKOZY, puisqu'il faut peut-être prononcé son nom, lance beaucoup de débat, a-t-il raison de lancer des débats ?
LE PRESIDENT - Il faut toujours lancer des débats.
QUESTION - Mais vous l'approuvez de temps en temps ?
LE PRESIDENT - Nous sommes, je l'ai dit, dans un moment où les Français s'interrogent. On parlait tout à l'heure du référendum, c'est une des raisons aussi qui font que je ne regrette pas le référendum quelles qu'en étaient les conséquences. J'ai été très impressionné par la qualité du débat sur l'Europe à l'occasion de ce référendum. Pour dire la vérité, je n'aurais jamais imaginé - et c'est monté en puissance tout au long des semaines qui ont précédé le 29 mai - que les Français puissent s'investir et s'exprimer de façon aussi forte, dans un sens ou dans l'autre, peu importe, discuter, dialoguer et dire ce qu'ils pensaient de façon aussi forte.
QUESTION - Et le débat sur la récidive, par exemple, ou sur les erreurs de la justice, c'est un bon débat ?
LE PRESIDENT - Là, le débat sur la récidive est un bon débat. Cela ne fait aucun doute. Vous aurez d'ailleurs observé d'une part que des dispositions législatives sont prises à ce sujet et qui vont être en place avant la fin de l'année. Et deuxièmement, vous aurez observé que dans les grâces traditionnelles du 14 juillet, j'ai exclu, pour la première fois, tous les récidivistes.
QUESTION - Quand même, Dominique de VILLEPIN, Nicolas SARKOZY, dans le même gouvernement depuis le début - parce qu'on a toujours un peu mauvais esprit - on se dit "mais cela va durer combien de temps" ? Et qu'elles sont les qualités de l'un et de l'autre ? Est-ce qu'ils sont complémentaires ?
LE PRESIDENT - Je n'ai jamais eu pour vocation de donner des notes aux hommes politiques, aux ministres, et aux Premiers ministres en particulier. J'ai toute confiance dans le Premier ministre pour conduire à bien l'ambition et la mission qui est la sienne, c'est-à-dire de régler concrètement des problèmes qui se posent aujourd'hui, parfois de façon angoissante, aux Français.
QUESTION - Et lequel des deux vous parait le plus apte à vous succéder en 2007 ?
LE PRESIDENT - Je crois que ce sujet est tout à fait prématuré.
QUESTION - Cela veut dire qu'éventuellement vous pourriez vous représenter vous-même en 2007 ?
LE PRESIDENT - Vous le saurez le moment venu.
QUESTION - C'est quand le moment venu ?
LE PRESIDENT - C'est le moment opportun.
QUESTION - Vous teniez quand même à ce que l'action du gouvernement ne soit pas polluée par une campagne électorale ? Vous l'avez dit l'année dernière.
LE PRESIDENT - Je souhaite, naturellement, non seulement que l'action du gouvernement au moment où elle est essentielle et où elle puise dans le débat des Français l'énergie nécessaire pour avancer, ne soit pas polluée naturellement par des débats internes, politiques ou inutiles. Je le souhaite vivement. Je souhaite que tous les hommes politiques et les femmes politiques de la majorité s'associent dans cet effort et fassent preuve par conséquent de solidarité. Chacun peut apporter naturellement sa personnalité mais ensuite il faut être unis, totalement unis, dans l'action.
QUESTION - Vous êtes à l'Élysée depuis 10 ans maintenant, est-ce que vous craignez le "10 ans, cela suffit" qu'ont pu connaître le général de GAULLE ou François MITTERRAND, par exemple ?
LE PRESIDENT - Cela, c'est aux Français de le dire. Ce n'est pas à moi. En tous les cas, ce que je peux vous dire c'est que j'estime avoir assumé mes fonctions comme je croyais devoir les assumer, tant sur le plan intérieur que sur le plan international, pour adapter la France aux évolutions du monde moderne d'une part, et défendre les valeurs et les intérêts français à l'extérieur. Je continue à le faire. Mais en revanche, j'ai puisé fortement dans le message des Français du 29 mai, une énergie, une ambition nouvelle que je fais partager naturellement au gouvernement et qui est celle qu'a exprimée clairement le Premier ministre, pour avancer. Parce que je crois que le moment est venu de le faire, qu'il est psychologiquement possible de le faire dans un certain nombre de domaines essentiels pour l'avenir, pour les Français et leurs enfants. C'est celui du chômage, naturellement, celui de l'industrie, de la recherche, de l'innovation et de leurs réalisations.
QUESTION - Comment peut-on avancer ? Visiblement on est en défense actuellement sur à peu près tous les sujets, y compris sur la PAC ou sur le budget européen. Comment peut-on avancer ? Est-ce qu'il faut faire revoter les Français, par exemple ?
LE PRESIDENT - Je vous ai dit tout de suite que je ne me sens absolument pas en défense. Peut-être ne suis-je pas assez sensible aux commentaires de la presse ou des médias. Mais quand je suis à l'extérieur de la France, je ne me sens absolument pas en défense. Je me sens sûr de moi tout simplement parce que je défends des valeurs sûres et qui sont les nôtres.
QUESTION - Ce n'est pas difficile d'être Président d'un pays, d'un grand pays fondateur de l'Europe qui a voté "non" au référendum ? Vous nous aviez dit "On sera le mouton noir de l'Europe".
LE PRESIDENT - Bien sûr, que cela pose un problème. Mais si les Français l'ont voulu ainsi, il faut, dans cette situation, trouver, non pas des raisons de se battre la coulpe mais des raisons de réagir. Qu'est-ce qu'il nous faut en Europe aujourd'hui ? Il nous faut d'abord résoudre les problèmes immédiats. Les problèmes immédiats il y en a deux, entre autres, enfin les plus importants : c'est le budget européen. Il va bien falloir que l'on trouve une solution. Je vous ai dit tout de suite que je ne suis pas disposé à faire la moindre concession sur la politique agricole commune. Nous y reviendrons si vous le souhaitez, parce que je considère que c'est une politique d'avenir et qui est conforme aux intérêts de la France, pas seulement des intérêts des paysans français, mais des intérêts de la France et du monde.
QUESTION - Vous, si vous ne faites pas de concessions et si Tony BLAIR n'en fait pas ... ?
LE PRESIDENT - Eh bien, il faudra que l'on trouve des solutions. Cela, c'est un premier problème. Le deuxième c'est qu'il faut faire attention, qu'à l'occasion de l'incertitude créée, on ne voit pas ressortir des tentatives qui nous inquiéteraient. Je pense à la Directive service ou à la Directive temps de travail. Il ne faudrait pas qu'elles ressortent en raison du flou actuel. J'y serai naturellement très attentif. Ça, c'est le premier point, c'est l'immédiat. Deuxièmement, il faut sortir de la crise institutionnelle. Alors ça, ce n'est pas à nous, naturellement, d'imposer une solution, mais nous pouvons faire des propositions. J'avais proposé, dés le dernier Conseil, vous vous en souviendrez, que nous nous réunissions, tous ensemble, pour examiner les raisons pour lesquelles les Européens, pas seulement les Français, avaient exprimé des craintes, des désaccords sur l'Europe et je me réjouis qu'après que nous en ayons parlé d'ailleurs, le Premier ministre britannique qui assure actuellement la présidence de l'Europe, ait décidé de faire cette réunion à vingt-cinq chefs d'État et de gouvernement pour analyser ensemble les conclusions qu'il faut en tirer, notamment sur le plan institutionnel. Et cela aura lieu à l'automne.
QUESTION - Est-ce qu'on peut imaginer, par exemple, de faire cette réunion sur une partie du Traité constitutionnel ?
LE PRESIDENT - On peut tout imaginer. Il y a une chose simplement qu'on ne peut pas imaginer, c'est qu'il y ait une renégociation. Car personne, naturellement, ne l'a jamais envisagé. Je suis très sévère à l'égard de ceux qui ont expliqué aux Français, pendant la campagne, qu'il pouvait y avoir une renégociation, un plan "B". Parce que, ou c'était de l'incompétence, ou c'était de la mauvaise foi. Mais dans les deux cas, ce n'était pas vrai. Donc, nous avons cela, cette réflexion approfondie qui va être engagée, développée à l'automne. Et puis, il faut surtout continuer à faire avancer l'Europe et notamment l'Europe des projets, ils sont très importants. La France, sur le plan de l'avenir, a pris les devants avec l'Agence d'innovation industrielle. Avec son accord, l'accord franco-allemand et les quatre premiers projets qui ont été décidés dans des domaines de très haute technologie, concernant la santé ou l'informatique. Nous sommes ouverts naturellement à le faire sur le plan européen. C'est un point tout à fait capital et qui doit faire l'objet d'avancées rapides et d'autant plus rapides que nous avons le problème institutionnel que j'évoquais. Il y a la lutte contre le terrorisme. Plus généralement, la lutte pour la sécurité des biens et des personnes, la lutte contre l'immigration clandestine ou excessive, la justice. Dans tous ces domaines, nous devons faire avancer les projets que nous avons déjà, les accélérer ou en imaginer d'autres. Nous avons le problème de la défense. La défense cela marche bien. La France était à l'origine à Saint-Malo de l'Europe de la défense. Cela va bien, cela marche bien. Nous nous mettons en état de nous doter des moyens autonomes d'intervenir chaque fois que c'est nécessaire dans le monde pour défendre nos valeurs, pour défendre nos intérêts. Et il y a également notre Agence européenne de l'armement dont les conséquences technologiques et industrielles sont très importantes. Il faut poursuivre naturellement au rythme accéléré cette Europe de la défense. Vous avez pu voir que les Américains avec Google ont lancé une grande initiative très importante puisqu'il s'agit d'un projet de bibliothèque numérique qui va diffuser la totalité de la culture américaine...
QUESTION - Et qui inquiètent les Français, la Bibliothèque nationale de France...
LE PRESIDENT - Pas seulement, à juste titre. Et donc, j'ai proposé que nous lancions immédiatement une bibliothèque numérique. Nous avons nous-mêmes commencé, nous sommes là aussi en flèche, si j'ose dire, en exemple, et nous avons obtenu l'accord de principe de tous nos partenaires pour faire une grande bibliothèque numérique européenne qui permettra de diffuser dans le monde entier la culture européenne. Cela c'est également très important sur le plan de la diversité culturelle. Donc si vous voulez, il y a beaucoup de projets. Je dis un dernier mot, si vous me le permettez Madame CHABOT. Sur tout ceci, nous devons être attentifs. Parce qu'il faut tirer les conséquences aussi des choses, et le faire en meilleure liaison avec l'opinion publique.
QUESTION - Un grand débat : par exemple en France sur l'Europe.
LE PRESIDENT - Le grand débat il a eu lieu, et il a été exemplaire. Mais à tout le moins, faut-il associer - ce qu'on n'a pas fait suffisamment jusqu'ici -, le Parlement. Si on veut avoir un débat, il faut commencer par le début, c'est-à-dire davantage associer le Parlement...
QUESTION - Cela on le dit régulièrement et on ne leur donne pas les moyens...
LE PRESIDENT - ... Eh bien, maintenant on va le faire.
QUESTION - Et les politiques vont arrêter de dire "c'est la faute de Bruxelles, que ce n'est pas nous". Vous savez, nous, on n'y est pour rien, puisqu'on se défoule généralement quand il y a une décision un peu difficile ? C'est la responsabilité de tout le monde cela ?
LE PRESIDENT - C'est la responsabilité de tout le monde. Nous avons tous eu nos torts. Et c'est vrai que, pas seulement en France, un peu partout en Europe, les politiques ont eu trop tendance à dire c'est la faute à Bruxelles quand c'était mauvais, et quand c'était bon, on l'a arraché à Bruxelles.
QUESTION - Vous ne ferez plus jamais cela.
LE PRESIDENT - Il ne faut pas le faire.
QUESTION - Sur tous ces sujets, est-ce que l'autorité du Président se trouve affaiblie quand approche la fin de l'échéance du mandat présidentiel ?
LE PRESIDENT - Je ne peux pas répondre de façon objective à cette question. Je peux simplement vous donner un exemple. Quand je suis à l'étranger, je n'en ai pas du tout le sentiment.
QUESTION - Et en France ?
LE PRESIDENT - En France, c'est aux Français de le dire. Mais, nous venons de faire le G8 en Ecosse. Il y avait deux sujets essentiels, le sujet du climat et le sujet de l'aide à l'Afrique. Sur le climat, il y avait deux positions tout à fait divergentes, celle de nos amis américains et la nôtre qui m'avait conduit deux jours avant l'échéance, à dire très clairement que nous n'accepterions pas si cinq conditions n'étaient pas remplies. Eh bien, elles ont été remplies. Je considère que c'est un pas très important en avant, fait dans la bonne direction. Cela va nous redonner - le fait que les Américains aient accepté de nous rejoindre sur ces points - une capacité d'impulsion qui était bien nécessaire sur un sujet aussi important. Pour l'Afrique, c'était à la demande de la présidence britannique, mais c'est la France qui a fait toutes les propositions et c'est la France qui a obtenu, notamment pour les mécanismes de financement innovant, l'essentiel de ce qui a été obtenu pour l'Afrique. Donc, je vous dis que je n'ai pas du tout le sentiment que l'on puisse prendre aujourd'hui une décision contre la France. Et j'ai, en revanche, le sentiment que, quand la France s'exprime, elle est généralement suivie.
QUESTION - Et on a l'impression, Monsieur le Président, aujourd'hui, que vous avez vu, vous avez entendu ce thème de la France qui perd. Vous avez dit vous-même la France doute. Alors on dit aujourd'hui, vous positivez, vous refusez ce thème de la France qui perd, notamment on l'a dit face à une Grande-Bretagne qui a l'air dynamique, heureuse, alors qu'ici on est morose et on doute de tout.
LE PRESIDENT - Je crois que c'est une question de tempérament. Je crois surtout que les Français ont des raisons, que j'évoquais tout à l'heure, d'avoir des inquiétudes. Et je dirais même que ce sont plutôt des inquiétudes pour leurs enfants, plus que pour eux-mêmes. Il faut donc en tenir compte, mais je le répète, c'est un élément d'impulsion important. Et pour ma part, j'ai confiance et je leur fais tout à fait confiance.
QUESTION - La France ne perd pas, elle doute mais elle ne perd pas?
LE PRESIDENT - Écoutez, la France est aujourd'hui le quatrième exportateur mondial. Nous avons dans presque tous les grands domaines industriels et commerciaux des champions mondiaux. Nous sommes directement associés, ou même à l'origine, de grands chantiers que j'évoquais tout à l'heure, comme Ariane ou Airbus, etc. Nous sommes la deuxième puissance agricole du monde et le premier exportateur de produits agricoles transformés au monde. Un monde qui a de plus en plus besoin d'agriculture, parce que la démographie augmente et que l'on ne pourra plus nourrir les gens. C'est donc notamment la politique agricole commune qui a permis ce résultat, et c'est donc l'un des éléments du monde de demain. C'est l'un des éléments du progrès humain, d'où la nécessité de la maintenir. C'est bien une des raisons pour lesquelles je la soutiens, ce n'est pas uniquement pour défendre les intérêts des paysans français. Cela compte pour moi, vous le savez, mais ça n'est pas seulement pour ça : c'est parce que c'est l'intérêt du monde. Et la sécurité alimentaire ? Tout le monde est inquiet, plus ou moins, de la sécurité alimentaire. Où est-elle le mieux assurée ? Elle est le mieux assurée en Europe, parce que les règles sont très strictes, que nous donnons l'exemple et que nous tirons le monde vers la qualité et la sécurité alimentaire par notre politique. D'ailleurs, ça n'est pas le hasard si notre natalité est la meilleure d'Europe, avec celle de l'Irlande. Bien meilleure naturellement que celle de nos amis britanniques. Cela n'est pas non plus un hasard si, en matière de durée de la vie, la France est au premier rang : c'est là où l'on vit le plus longtemps.
QUESTION - Et là , vous ne pensez pas à la cuisine française ou à la cuisine britannique ... ?
LE PRESIDENT - Remarquez qu'on doit rendre à la cuisine française l'hommage qui lui est dû, et peut-être a-t-elle - certainement même - sa part dans la longévité des Français.
QUESTION - Avez-vous dit que la cuisine britannique est la moins bonne du monde ? L'avez-vous dit ?
LE PRESIDENT - Non, je n'ai pas dit cela. Bon, alors, nous avons donc des éléments qui sont extrêmement forts, des éléments de dynamisme. Mais nous avons deux faiblesses, et c'est pour cela qu'il faut se concentrer sur ces points. C'est, d'une part, le chômage, et cela suppose un changement de mentalité, d'accepter une évolution qui permette de donner une priorité au travail par rapport à l'aide pure et simple, au chômage. Et deuxièmement, si nous n'y prenons pas garde, nous n'investirons pas assez sur le plan des technologies.
QUESTION- L'innovation et la recherche.
LE PRESIDENT - On parle beaucoup des délocalisations, à juste titre, c'est inquiétant : il faut réagir et on ne peut réagir qu'unis sur le plan européen. Mais regardons les pays qui évoluent, je prends l'exemple du Japon qui, depuis quelques années, fait des efforts considérables en matière d'innovation industrielle et de recherche, parce que l'innovation industrielle, c'est le résultat de la recherche, d'une façon ou d'une autre. Le Japon commence à relocaliser, parce que ses avantages en matière d'investissements et de technicité compensent - et largement - ses handicaps en termes de salaires et de coûts de revient. Il y a donc là une grande politique qui doit impérativement être mise en oeuvre. Je vais la mettre en oeuvre, et je veux vous dire comment, après que vous ayez posé votre question.
QUESTION - Non, non, allez-y, car nous devons terminer.
LE PRESIDENT - Je terminerai là-dessus parce que c'est peut-être ce qu'il y a de plus important : nous avons en France une recherche qui est traditionnellement très bonne, mais qui doit être maintenant encouragée. Et la recherche, ce n'est pas l'innovation industrielle. Elle obéit à une autre logique : la recherche, c'est en réalité la maîtrise de la connaissance et non pas de l'innovation industrielle. L'industrie, c'est l'innovation, et tout notre problème c'est d'avoir une cohérence entre ces deux efforts qui ne doivent pas être soumis l'un à l'autre, mais qui doivent être rendus cohérents : la recherche et l'industrie. Alors, comment ? J'ai décidé d'un grand plan, que je commence à mettre en oeuvre, et qui va d'abord créer, avec la loi sur la recherche, un Haut comité scientifique qui, comme dans tous les grands pays, sera placé auprès du Président de la République et devra définir les grands axes de la recherche. Deuxièmement, une Agence nationale de la recherche, qui sera dotée de moyens - elle vient d'être créée et des moyens lui ont été donnés - pour la mise en oeuvre de ces grands projets d'avenir. Ces projets émaneront soit des entreprises - tous les Airbus de demain par exemple - soit des chercheurs eux-mêmes. L'un ou l'autre, car souvent les chercheurs ont des trouvailles, des intuitions qui doivent être utilisées. C'est ensuite l'Agence de l'innovation industrielle, qui va être dotée de deux milliards et va probablement être présidée par M. BEFFA, qui en a eu lui-même la conception. Cette agence va encourager les entreprises, en liaison avec les chercheurs, à mettre en oeuvre des grands projets, en étant incité financièrement par l'Etat ou par l'Europe. Et enfin, il y a des pôles de compétitivité que le gouvernement a annoncés, il y a deux ou trois jours, qui consistent à prendre des régions et des sujets donnés, à les rendre cohérents, à mettre ensemble les chercheurs, les entreprises - grandes, petites ou moyennes -, les laboratoires, et à chercher l'excellence dans une discipline ou une industrie donnée. Il y aura des moyens. Nous allons, avec la loi sur la recherche, prévoir six milliards d'euros pour cela. On a créé 3 000 emplois de chercheurs nouveaux cette année, 3 000 l'année prochaine. Il y a donc les moyens nécessaires. Dans ce contexte, je souhaite que l'on soit très, très attentif à la politique énergétique, que l'on ait une vraie réflexion sur notre politique énergétique. On a fait des résultats brillants, brillants au plan mondial. Le choix d'ITER en est un. La troisième génération de réacteurs lancée sur le plan de l'énergie nucléaire en est un autre avec les débouchés considérables que l'on peut prévoir dans l'avenir pour l'industrie française. Mais il y a une cohérence d'ensemble de notre politique énergétique avec tous les moyens à mettre en oeuvre, de Gaz de France, d'EDF, d'Areva, plus un effort particulier sur les énergies renouvelables, notamment le solaire et les biocarburants. Nous devons faire un grand effort. Si nous faisons cet effort, et c'est ce que j'ai défini, et c'est l'une des feuilles de route que j'ai donnée au gouvernement et que je me suis donné à moi-même, alors nous créerons les moyens pour demain de l'emploi et de l'emploi non délocalisable et même probablement de la relocalisation.
QUESTION - Monsieur le Président, on arrive au terme de cet entretien. Une toute dernière question. Est-ce que le principe, la tradition même de cette interview a encore un intérêt ce dont doutait M. SARKOZY avant-hier ?
LE PRESIDENT - Écoutez, c'est à vous de le définir. Pour moi, sans aucun doute, "oui", parce que cela m'a permis de vous dire clairement un certain nombre d'ambitions et je voudrais terminer sur une seule ambition : aujourd'hui, il faut rassembler toutes nos énergies. Ce qui est en cause aujourd'hui, ce qui est sorti du débat du 29 mai, c'est qu'il nous faut l'ambition et le rassemblement. C'est par l'ambition et le rassemblement que nous sortirons des difficultés. Et cela suppose que les politiques donnent l'exemple et qu'ils soient réunis, unis et rassemblés dans le seul objectif de servir les Français.
QUESTION - Donc, on se retrouvera l'année prochaine, au 14 juillet, dans les mêmes circonstances, peut-être pour votre dernier 14 juillet. Nous le verrons bien.
ARLETTE CHABOT - Merci, Monsieur le Président.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Je vous remercie beaucoup.