26 novembre 2004 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la situation en Côte d'Ivoire et sur l'aide au développement et la francophonie, à Ouagadougou le 26 novembre 2004.

Monsieur le Président du Faso,
Mesdames et Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement,
Mesdames, les Premières dames,
Monsieur le Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies,
Monsieur le Secrétaire Général de l'Organisation Internationale de la Francophonie,
Mesdames, Messieurs,
Mes Chers Amis,
Je tiens à vous remercier tout d'abord, Monsieur le Président de la République, mon Cher Blaise, pour l'accueil inoubliable du peuple du Burkina Faso dans cette ville si belle et si moderne de Ouagadougou où bat, aujourd'hui, le coeur de notre famille francophone.
Au moment où cette famille s'apprête à adopter sa stratégie de développement durable, l'épreuve qui frappe l'un de nos membres nous rappelle que la paix est la condition première du développement.
A quelques heures de route d'ici, l'un de nous traverse une crise profonde. Une crise qui mobilise la communauté internationale tout entière, les Nations Unies, l'Union africaine, la CEDEAO, une communauté décidée à tout faire pour enrayer la spirale d'autodestruction d'une grande nation qui nous est si proche et si chère.
Dans ces circonstances graves, je tiens à redire solennellement que la France est l'amie de la Côte d'Ivoire. Elle n'est pas là pour imposer sa propre paix, mais pour tenter d'éviter la guerre civile et le chaos. Elle est présente aux côtés du peuple ivoirien, comme de tant d'autres peuples affligés par la guerre, pour l'aider à trouver lui-même le chemin de la réconciliation, de la paix et du renouveau.
En adoptant à l'unanimité la résolution 1572, le Conseil de sécurité de l'ONU a rappelé avec la plus grande fermeté qu'il ne peut y avoir de solution militaire à des crises de cette nature. Il a réaffirmé les voies d'un règlement politique qu'attendent depuis trop longtemps la nation ivoirienne et l'ensemble de la région.
Pour la Francophonie, c'est là un défi majeur. Comment justifier notre existence si nous restions indifférents quand un conflit déchire l'un de nos membres, quand nos valeurs fondamentales sont niées par le recours à la force ou la politique de la haine ? Notre organisation, fondée sur la confiance, doit être un lieu où l'on aborde malentendus et différends dans un esprit de fraternité et de conciliation. Nous devons adresser à la Côte d'Ivoire un message ferme et amical à la fois, pour que les parties renoncent à la politique du pire et à la violence, à l'illusion de la solution militaire, et renouent avec le dialogue, seul chemin vers la paix.
Nous devons réagir chaque fois qu'un de nos membres est confronté à une telle situation.
Je rends hommage à l'engagement et à l'action de notre Secrétaire général, le Président Abdou DIOUF. Homme d'expérience et de sagesse, il est, à la tête de notre Organisation, un artisan infatigable de la paix.
Sous sa conduite, la Francophonie affirme son rôle politique. Elle s'est engagée avec succès dans des actions de médiation, de soutien aux processus de sortie de conflit, d'appui aux élections. Elle doit travailler en liaison étroite avec les Nations Unies, l'Union africaine et les organisations régionales. Confirmons pour cela le mandat politique de notre Secrétaire général, et d'abord en Côte d'Ivoire. Faisons mieux vivre le dialogue politique entre nos représentants personnels et entre nos ministres.
Communauté de valeurs, la Francophonie a aussi pour mission d'aider à l'enracinement de la démocratie, des droits de l'Homme et de l'état de droit. Donnons sa pleine portée à la Déclaration de Bamako qui organise notre coopération dans ce domaine, en étroite liaison avec l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, ardent avocat de la démocratie.
La paix est une condition du développement. Mais, pour que cette paix puisse s'enraciner durablement, il faut que le progrès économique, stimulé par des politiques de croissance vigoureuses, serve la justice et la solidarité, qu'il respecte les équilibres sociaux, culturels et écologiques. Tel est bien l'enjeu de notre Sommet.
Avec l'adoption d'un cadre stratégique décennal, la Francophonie donne à ses membres les moyens de relever le défi. Ce cadre orientera l'action de nos opérateurs : pour la mobilisation de ressources, pour l'éducation et la santé, pour l'écologie et pour la culture. Il renforcera la crédibilité des projets présentés aux bailleurs de fonds internationaux.
Sachons utiliser un contexte international propice à l'action. 2005 est l'année du premier bilan de la réalisation des objectifs du Millénaire. Pour répondre aux besoins de financement du développement, la France, avec le Brésil, le Chili et l'Espagne, a proposé la création de moyens nouveaux, de taxations internationales et d'autres mécanismes innovants. Cent dix pays ont reconnu qu'il n'y avait pas d'autre voie pour donner une nouvelle impulsion au développement et ont approuvé cette initiative. Un mouvement irréversible est lancé dont l'aboutissement dépend maintenant de chacun d'entre nous. J'appelle la Francophonie à se mobiliser pour que le Sommet des Nations Unies de septembre 2005 prenne, sur cet enjeu majeur, les décisions qui s'imposent. Nous savons pouvoir compter sur l'engagement du Secrétaire général des Nations Unies, notre ami Kofi ANNAN que je salue très chaleureusement et qui n'a pas pu être ici, aujourd'hui, pour des raisons que nous comprenons parfaitement. Chacun connaît en effet ses convictions et sa sagesse.

Voici quelques jours, s'est ouverte l'année internationale du microcrédit et je suis heureux de saluer la présence parmi nous de M. Mohammed YUNUS, père de cette technique efficace et révolutionnaire. Cet instrument a déjà permis à plus de soixante millions de femmes et d'hommes de briser le cercle de la pauvreté. Le moment est venu de changer d'échelle et d'en décupler le nombre de bénéficiaires. La Francophonie peut apporter une contribution déterminante à la réalisation de cet objectif. La France a décidé pour sa part de créer une facilité de vingt millions d'euros qui bénéficiera en premier lieu aux pays francophones de la zone de solidarité prioritaire. Elle accueillera, en juin prochain, une conférence internationale qui sera un pas supplémentaire en faveur d'une mobilisation générale sur ce thème.
L'éducation n'est pas seulement la clé du développement. Elle est aussi un droit, et chaque famille doit pouvoir attendre de la collectivité l'accès, pour ses enfants, à des écoles de qualité. Cela doit être le domaine d'excellence de la Francophonie, en veillant à l'égalité entre les garçons et les filles.
Nous devons également, à travers l'Agence universitaire de la Francophonie, dont je salue l'action très remarquable, soutenir la création de réseaux et de pôles d'excellence universitaires et scientifiques dans les pays francophones du Sud. Et poursuivre le travail engagé pour enrayer la fuite de leurs meilleurs étudiants, c'est-à-dire de leurs cerveaux, professeurs et chercheurs.
La protection de l'environnement est, tout autant, un impératif pour la solidarité francophone. Chacun sait que les conséquences du changement climatique et de l'appauvrissement de la biodiversité pèseront davantage sur les pays du Sud. Nous devons nous concerter pour mieux faire entendre notre voix dans les institutions chargées de la protection de l'environnement. Pour faire progresser ensemble le projet de création d'une Organisation des Nations Unies pour l'Environnement. Pour aider nos partenaires à définir et mettre en place des politiques nationales. La conférence internationale sur le bassin du Niger a été exemplaire à cet égard. De la même manière, assurons ensemble, en février prochain, le succès de la conférence sur le bassin du Congo.
La diversité culturelle, dont notre famille a fait son étendard, doit être reconnue comme le quatrième pilier du développement durable.
L'adoption l'année prochaine de la convention sur la diversité culturelle est possible, pourvu que nous restions unis et déterminés. Elle marquera une étape décisive dans l'élaboration d'un nouvel ordre international fondé sur la solidarité et le respect de l'autre.
La diversité des langues est aussi une diversité des regards sur le monde et sur son évolution. Le français qui nous rassemble est une langue de culture et de modernité, une langue scientifique. Une langue de l'Europe élargie, puisque sept, et bientôt neuf, nouveaux ou futurs membres de l'Union européenne participeront à notre mouvement. Il leur appartient de promouvoir l'usage du français dans les enceintes européennes.
Le français est également une langue du sport dans son expression la plus aboutie, c'est-à-dire l'olympisme. La candidature de Paris aux Jeux de 2012, que je ne peux pas résister à évoquer ici, participe au rayonnement de notre langue. Grâce à votre soutien, la Francophonie pourra y prendre toute sa dimension.

TV5 joue un rôle unique et essentiel. Je rends hommage avec émotion à Serge ADDA qui l'a présidée avec talent. La France continuera, avec tous ses partenaires, à soutenir le développement de TV5. Elle poursuivra, dans le même temps, le projet d'une chaîne française d'information internationale.

L'exceptionnelle créativité des pays francophones du Sud constitue enfin un remarquable atout pour leur développement. La solidarité francophone doit les aider à valoriser ce potentiel historique.

Notre mouvement est à la recherche d'une nouvelle dimension populaire, d'une légitimité des coeurs qui assure sa pérennité. L'année SENGHOR, tout comme les Rencontres des Francophonies, que la France accueillera en 2006, y contribueront, j'en suis sûr.
Mesdames et Messieurs,
Nous avons doté la Francophonie de moyens accrus, de programmes originaux et d'institutions nouvelles.
Ces réformes ont donné à notre communauté une ambition et une visibilité sans précédent. Bientôt l'ensemble de nos opérateurs s'installeront autour de notre Secrétaire général - incarnation de la vocation politique de notre organisation et garant de la cohérence de son action - dans un siège de prestige, la Maison de la Francophonie, avenue de Saxe, au centre de Paris, à proximité immédiate de l'UNESCO.

Notre mouvement fait l'objet d'un intérêt croissant. Il comprend cinquante-six membres et observateurs. Sept autres pays s'apprêtent à nous rejoindre. Cet intérêt est le signe que notre Organisation répond à une attente. Nous sommes dans un monde où s'affirment des communautés linguistiques de plus en plus conscientes d'elles-mêmes. Démontrons par notre détermination politique, par notre dynamisme économique, par notre volonté de progresser sur tous les fronts du développement durable, notre vitalité, notre créativité et notre capacité à apporter au monde contemporain des réponses et des projets à la hauteur des défis qu'il lui faut relever.
Je vous remercie.