13 juillet 2004 - Seul le prononcé fait foi

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Message de M. Jacques Chirac, Président de la République, aux participants à la quinzième conférence internationale sur le sida à Bangkok le 13 juillet 2004, sur la lutte contre le sida notamment dans les pays en voie de développement.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Vingt ans après le début de l'épidémie, nous sommes loin d'en avoir fini avec le sida. La maladie continue à progresser en Afrique et, de plus en plus, en Asie. Cinq millions de femmes et d'hommes, selon les estimations, ont encore été contaminés l'an passé, portant le nombre des séropositifs à quarante millions. Chaque année le sida fait davantage de victimes que le terrorisme ou les guerres.
Et pourtant, nous savons aujourd'hui que le sida n est pas une fatalité que la science, seule, un jour, permettrait de conjurer. C'est aussi une maladie sociale dont les causes sont, tout autant que le virus, la pauvreté, le déni et l'exclusion.
Notre obsession doit être d'enrayer cette effrayante progression, car si nous ne changeons pas d'échelle pour renforcer la prévention et ouvrir l'accès aux traitements aux millions de personnes qui en ont besoin de façon urgente, notamment en Afrique, conformément aux objectifs que défend l'Organisation Mondiale de la Santé ce seront cent millions de personnes qui vivront avec le virus en 2020.
L'exemple de la Thaïlande, qui vous accueille aujourd'hui, démontre qu'il est possible de faire reculer le sida, au prix d'une mobilisation générale des responsables politiques et de toutes les forces de la société civile. En s'attaquant sans concession à ses causes sociales. Aux peurs et à l'ignorance. Aux entraves économiques et structurelles à l'accès aux traitements. A la marginalisation des personnes vivant avec le virus, et en particulier les plus fragiles, femmes, usagers de drogue ou prostitués.
Ici, comme ailleurs, l'action des associations de personnes vivant avec le sida s'est révélée déterminante pour susciter l'indispensable prise de conscience de la part de la société et des pouvoirs publics. Pour faire reconnaître la dignité et les droits fondamentaux des malades, condition primordiale de l'efficacité de toute stratégie de lutte contre le sida. Je tiens à leur rendre hommage. A leur dire ma solidarité et mon soutien.
L'ultime victoire contre le sida reviendra à la science, avec la mise au point d'un vaccin. Le G8 vient ainsi de lancer à Sea Island une initiative importante pour mieux coordonner la recherche internationale. Mais, nous savons tous que la perspective est lointaine. Avant longtemps, nous ne disposerons pas d'autres réponses que la prévention et les traitements.
Ces réponses permettent déjà de contenir et de faire reculer la maladie, comme l'illustrent les exemples de la Thaïlande, du Brésil, du Sénégal ou de l'Ouganda, pour ne citer que quelques pays. Et pourtant, ce combat, nous risquons aujourd'hui de le perdre. Non pas vaincus par le virus, mais par nous-mêmes.
Posons sans fard ces questions qui dérangent :
Pourquoi n'arrivons-nous pas à freiner les nouvelles contaminations, alors que des stratégies de prévention efficaces sont aujourd'hui connues ?
Pourquoi si peu de malades en Afrique, à peine quelques dizaines de milliers, ont-ils aujourd'hui accès aux antirétroviraux alors que nous avons créé le Fonds Mondial et poussé, avec l'accord sur les génériques à l'OMC, à des baisses substantielles des prix des médicaments ?
Pourquoi ne parvenons-nous pas à mettre un terme à la dispersion de nos stratégies et de nos moyens alors même que nous savons que la condition du succès est la coordination des donateurs bilatéraux et multilatéraux, autour de stratégies définies et mises en oeuvre par les pays eux-mêmes ?
Pour espérer vaincre la maladie, il faut d'abord s attaquer aux préjugés qui l'entourent. Pour amener le malade à se soigner, il faut reconnaître la personne dans sa dignité et dans ses droits.
Car, face au déni et aux préjugés tenaces qui, dans bien des pays, s'attachent au corps et à la sexualité, seule une mobilisation au plus haut niveau des responsables politiques, religieux et sociaux permettra de vaincre les réticences qui entravent la prévention et le dépistage. Car pourquoi prendre le risque de la vérité si l'annonce de l'infection signifie la mort sociale.
Mais il faut aussi dans une approche globale lever tous les autres obstacles qui s'opposent encore à l'accès aux traitements.
Assurons la pérennité des financements du Fonds Mondial et augmentons ses ressources à hauteur de trois milliards de dollars par an en répartissant cet effort entre l'Europe, les Etats-Unis et l'ensemble des autres donateurs.
Évitons toute concurrence inutile entre les bailleurs multilatéraux et bilatéraux en reconnaissant aux pays concernés la responsabilité première de coordonner et de mener la lutte contre le sida, selon la règle des trois unités : unité du cadre national d'action £ unité de direction £ unité d'évaluation.
Mettons en oeuvre l'accord sur les génériques, afin de consolider les baisses de prix. Obliger certains pays à renoncer à ces dispositions, à la faveur de négociations commerciales bilatérales, relèverait d'un chantage immoral. Car pourquoi commencer un traitement sans assurance de disposer dans la durée de médicaments de qualité et abordables.
Allons enfin plus loin. Pour mettre au point des médicaments adaptés aux conditions spécifiques des pays pauvres, comme les combinaisons d'antirétroviraux dans un seul comprimé ou les doses pour les enfants. Des résultats encourageants dans ce domaine viennent d'être publiés. Pour renforcer les systèmes de santé locaux, qui doivent prendre en charge un nombre croissant de patients. Pour développer les ressources humaines, qui font encore trop souvent défaut, en harmonisant les efforts de formation sur la base d'un code des meilleures pratiques. Pour développer des mécanismes de couverture sociale, afin que le coût résiduel des traitements ne soit plus un obstacle pour les malades les plus pauvres.
Mesdames et Messieurs,
Comme toutes les grandes épreuves le sida est aussi un révélateur et un ferment de changement.
Révélateur du courage des femmes et des hommes qui luttent pour leur dignité et pour leurs droits. Pour la reconnaissance du malade en tant que personne. Pour une prise en charge globale de la maladie.
Facteur de transformation sociale pour davantage de justice et de solidarité. Au sein des pays en développement où la lutte contre le sida passe notamment par la reconnaissance du rôle des femmes. Mais aussi entre le Nord et le Sud.
Ainsi, pour espérer l'emporter, nous devons concevoir la lutte contre le sida comme un combat total pour la dignité humaine et pour le développement. Je ne doute pas que votre Conférence saura y contribuer.
Je vous remercie.