10 juin 2004 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur le financement de l'aide au développement, la résolution sur le transfert de souveraineté en Irak, la proposition d'intervention de l'OTAN en Irak, l'annulation des dettes de l'Irak, la modernisation du Moyen-Orient, le risque d'accès à l'arme nucléaire de l'Iran et la situation économique internationale, Sea Island le 10 juin 2004.

Mesdames,
Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer au terme de ce G8. Je dois dire que j'ai tout à fait conscience des problèmes et des difficultés auxquelles vous avez été confrontés dans la mesure où faire de l'information à 150 kilomètres de l'endroit où elle se produit, pour des professionnels, ce n'est probablement pas très pratique. Mais enfin, vous semblez avoir survécu. Et je tiens simplement à vous dire ma reconnaissance pour avoir assumé quelles que soient les difficultés.
J'ai eu le sentiment que ce Sommet s'était bien passé, il était bien organisé et je tiens à exprimer au Président BUSH et à tous ses collaborateurs toute ma reconnaissance, celle des autres aussi, parce que les choses se sont passées de façon tout à fait bien organisée.
Vous avez probablement déjà vu les déclarations et plans d'action que nous avons adoptés, qui sont assez nombreux et également, les conclusions de la présidence. Conclusions qui n'apportent rien de nouveau par rapport aux plans d'action, dont je tiens simplement à préciser, s'agissant des conclusions, que ce sont des conclusions qui sont de la seule responsabilité de la présidence. Je veux dire qu'il n'y a pas eu de concertation sur la rédaction des conclusions. Ce sera donc les conclusions de la présidence et d'elle seule. Je n'ai d'ailleurs pas d'observations particulières à faire sur ce point.
Pour ma part, j'ai souhaité, à l'occasion de cette réunion, articuler les initiatives ou mes interventions autour de cinq messages qui me paraissaient être dans la nature du G8 qui n'est pas un organisme directeur du monde naturellement, mais qui est un organisme qui, par l'importance des nations qui le composent, l'importance économique, politique, a une certaine vocation à prendre des initiatives, à suivre les choses, à donner des impulsions, à nourrir une réflexion, à affirmer une certaine vision du monde de demain.
Alors le premier de ces messages, c'était un message de dialogue. Chacun voit bien que nous sommes dans un monde qui, de ce point de vue, est plutôt en insuffisance qu'en excès. Je crois que c'était une bonne initiative en matière de dialogue d'avoir, d'une part, une réunion, c'était hier, avec sept chefs d'État du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord qui nous a permis, je dois dire, un échange de vue un peu unilatéral. C'est surtout eux qui ont été amenés à s'exprimer, pour nous donner leur sentiment, pour nous informer et qui a été, je dirais, positif et intéressant pour tout le monde.
Dans le même esprit, aujourd'hui à midi, il y a eu ce déjeuner de travail sur le thème du NEPAD, avec six Chefs d'État africains. Et là aussi, il y a eu un échange de vues que je trouvais pour ma part très positif. Les Africains avaient préparé leurs interventions, à mon avis, de façon très cohérente, très intelligente. Ils ont parlé chacun à leur tour sur un thème, sur un sujet et d'une manière que je trouvais particulièrement responsable et qui a impressionné, je crois, tout le monde, notamment ceux qui étaient peut-être moins proches des préoccupations africaines que d'autres.
Donc, le dialogue. C'était un peu dans le même esprit que nous avions organisé Evian. J'ai un peu regretté pour ma part que nous n'ayons pas étendu ce dialogue à un certain nombre de pays émergents, comme nous l'avions fait à Evian, car il est évident que parler des grandes affaires du monde, notamment sur le plan économique, aujourd'hui, sans entendre ou sans associer à notre réflexion des pays comme la Chine, comme l'Inde, comme le Brésil, comme d'autres, cela ne marche pas tout à fait. Ce sera peut-être pour la prochaine fois.
Par ailleurs, la concertation, pour ce qui nous concerne, avec les représentants de la société civile, s'est bien déroulée dans la préparation du G8, c'est-à-dire qu'il y a eu un certain nombre de réunions au niveau de mon cabinet avec les représentants de la société civile au sens le plus large du terme. Je les ai moi-même reçu toute une après-midi et nous aurons l'occasion de leur faire connaître en détail à la fois les conclusions, mais aussi l'esprit de cette réunion, le dialogue.
Le deuxième message, c'est celui de la confiance. J'ai été tout de même assez bien impressionné par, d'une part, la confiance dans la reprise de l'activité économique mondiale, c'est-à-dire la croissance et la détermination affirmée par tous de s'associer le plus efficacement possible à cette croissance. Ne rien faire pour l'handicaper et tout faire pour la prolonger, notamment dans le domaine social et de la création d'emplois. Cette croissance, on l'observe aux États-Unis, très créatrice d'emplois, on l'observe en Asie, mais on l'observe aussi en Afrique et on l'observe en Europe, c'est-à-dire notamment dans la zone euro, et pas que dans la zone euro. Il y a donc là un sentiment de sortie de crise qui, depuis quelques mois, s'affirme, qui hier était très présent dans les réflexions qui ont été faites par l'ensemble des participants à cette réunion.
Le troisième message, c'était la mobilisation pour le développement. J'ai évoqué, hier, les mesures générales que nous avons adoptées pour le développement qui, pour moi, est un sujet de grave préoccupation. Nous sommes bien obligés de constater que, la mondialisation étant ce qu'elle est, nous avons, aujourd'hui un système où, pour le moment, les pays pauvres stagnent, dans la meilleure hypothèse, avec des perspectives préoccupantes, compte tenu de la démographie, et les pays riches s'enrichissent. Il y a donc là un vrai problème.
Nous avons pris des engagements au sommet du Millénaire, il y a quatre ans, en l'an 2000. Nous allons arriver au tiers de la période d'engagement et, dans l'état actuel des choses, il est évident que si on ne fait pas une correction forte, eh bien nous ne respecterons pas les engagements du Millénaire qui, je le rappelle, étaient, en gros, de diminuer de moitié la pauvreté dans le monde. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'on n'a pas les moyens et nous nous trouvons avec une aide publique au développement qui est manifestement insuffisante.
La Banque mondiale a fait récemment un rapport important d'où il ressort qu'il faudrait, en gros, la doubler même peut-être la tripler - je le rappelle, elle est aujourd'hui d'une cinquantaine de milliards de dollars par an -, si l'on voulait atteindre les Objectifs du Millénaire. Je crois que ce serait un très grave échec et une très grande tristesse pour les pays concernés si l'on n'arrivait pas à atteindre les objectifs que nous nous étions fixés. Pour cela, il n'y a pas de doute, il faut améliorer les conditions de l'Aide Publique au Développement ou de l'aide, en général, au développement.
C'est ce qui explique, d'une part l'initiative britannique qu'on appelle l'Initiative Financière Internationale qui est très fortement soutenue par la France et dont nous avons fait adopter le principe à l'occasion de la réunion d'hier. D'autre part, j'en ai fait un premier compte rendu, c'est ce qui explique l'initiative de la France qui a réuni, sous l'autorité de M. LANDAU, un groupe de travail, -je voudrais remercier d'ailleurs le gouverneur Michel CAMDESSUS qui a apporté toute sa compétence et toute sa générosité dans ce travail- pour trouver les moyens d'une taxation internationale qui puisse être, à la fois, acceptable, efficace et productive. Nous n'en sommes pas encore aux conclusions mais je pense que nous aurons, avant la fin de l'année, les conclusions et que nous pourrons -peut-être en liaison avec le Président LULA, car vous savez que nous travaillons ensemble sur ce thème-, faire des propositions de taxation internationale. Je dois à la vérité de dire que ce problème que j'ai simplement évoqué, dans son principe, a été approuvé par certains mais contesté de la façon la plus ferme par d'autres. Donc, nous ne sommes pas, dans cette affaire, au bout de nos peines.
Dans le même esprit, les décisions que nous avons prises pour l'incitation à l'initiative privée dans les pays pauvres et notamment tout ce qui touche à l'introduction du micro crédit, de la micro finance a été, à mon sens, positif, de même que la lutte contre la famine et la lutte contre le sida, sur laquelle nous avons fortement, en tout les cas, nous, Français, insisté. Car nous voyons bien que le Fonds mondial qui n'est pas le seul moyen d'action mais qui est un moyen d'action essentiel, n'est pas aujourd'hui assuré pour l'année prochaine. Et il faut avoir dans deux ans les sommes que la Communauté internationale s'était engagée à mobiliser.
Quatrième message, c'était la responsabilité. Hier, nous avons longuement travaillé sur les problèmes de sécurité et nous avons pris un certain nombre de décisions que vous avez probablement déjà vues et que je résume brièvement dans trois domaines. D'une part, la prévention et la dissemination des matières nucléaires, éléments importants de nos politiques de non-prolifération. Deuxièmement, une coopération renforcée dans le domaine des transports aériens pour faciliter la vie des voyageurs et identifier mieux ceux que l'on appelle pudiquement les passagers à risque. Et troisièmement, un plan d'action sur le maintien de la paix, notamment en Afrique, en complet accord avec l'Organisation de l'Union Africaine, qui donne une nouvelle impulsion à nos efforts pour accroître les capacités régionales. C'est vrai notamment pour ce qui concerne la France, avec le système RECAMP que vous connaissez. Mais c'est vrai, c'est mieux coordonné maintenant, l'objectif étant que dans un délai bref, c'est-à-dire quelques années, l'Union africaine puisse avoir les éléments d'intervention nécessaires pour la garantie ou le maintien de la paix.
Sur ces trois thèmes, j'ai souligné à la fois les responsabilités, le potentiel d'action et les conditions d'action du G8 s'il veut être efficace. J'ai notamment insisté sur le respect du multilatéralisme qui est un gage d'une action efficace et légitime. J'ai insisté aussi sur le respect des libertés publiques, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Lutter contre le terrorisme est une nécessité. Elle ne doit pas nous faire oublier les principes qui sont ceux sur lesquels notre civilisation est fondée, notamment le respect des droits de l'Homme. Je suis également satisfait que nous ayons pu obtenir une mention positive allant un peu de l'avant pour ce qui concerne les paradis fiscaux.
En revanche, il y a un domaine où je regrette que nous n'ayons pas du tout progressé, et qui est celui de la lutte contre le changement climatique. Il est tout à fait évident que le réchauffement climatique est actuellement engagé. Les experts, les scientifiques pouvaient encore diverger dans leur appréciation, il y a une dizaine d'années. Aujourd'hui, ils sont tout à fait unanimes pour affirmer que le réchauffement climatique est engagé, avec toutes les conséquences que cela comporte. Nous sommes donc réellement menacés. Et nous sommes donc responsables et si nous restions dans l'inaction, nous porterions lourdement cette responsabilité. J'ai eu l'occasion, nous l'avons évoqué, d'en parler avec le Président des États-Unis. Vous dire que je l'ai convaincu, serait tout à fait excessif, vous l'imaginez bien, mais enfin, j'ai voulu appeler son attention sur les lourdes conséquences de notre inaction. Je me réjouis que la présidence britannique de l'année prochaine ait décidé de faire de ce thème un thème de propositions et d'actions.
Enfin, cinquième et dernier message, notre offre de partenariat aux pays du Moyen-Orient, du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord. Lors du déjeuner que nous avons eu avec un certain nombre de dirigeants du Moyen-Orient, nous sommes arrivés, je dirais, sans difficulté, à un accord sur la réponse que le G8 devait apporter à l'appel du sommet de Tunis pour les réformes. Vous savez que la France était très attachée à ce que ce sommet se tienne bien -ce qui a finalement été le cas-, de façon à ce que les Chefs d'État et de gouvernement, les opinions publiques également, arabes et musulmanes nous fassent connaître leurs sentiments et leurs attentes de façon à ce que nous puissions les prendre en compte et faire des propositions. C'est dans cet esprit que nous avons répondu aux propositions qui ont été formulées, à l'occasion du sommet de Tunis. Nous sommes prêts à renforcer notre partenariat avec les pays de cette région qui le souhaitent afin d'appuyer les réformes qu'ils ont décidé d'engager, en fonction de leur culture, de leur histoire, de leurs situations économique, sociale et politique.
J'ai rappelé les conditions du succès de cette entreprise, conditions impératives : première condition, une relance des efforts de paix, entre notamment, Israël et les Palestiniens. Il faut que nous nous mobilisions beaucoup plus, les États-Unis et nous, en particulier le Quartet, pour essayer de mettre en oeuvre la Feuille de route qui nous paraît, aujourd'hui, le seul moyen de ramener tout le monde autour de la table et d'interrompre la situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui. C'est une condition. Je crois que vouloir faire des réformes, c'est très bien, les aider, c'est parfait. Il y a, sans aucun doute, un préalable qui consiste à revenir à une situation de paix, de dialogue et de sécurité dans cette région du monde.
La deuxième condition, c'est le respect scrupuleux de l'indépendance et de la diversité des pays de la région. Nous devons répondre à leurs demandes et, en aucun cas, leur imposer des solutions. C'est un esprit de partenariat qui doit dominer dans cette affaire. Et troisième condition, c'est la mobilisation des instruments de coopération en capitalisant ce que l'Europe a déjà fait dans le processus de Barcelone qui, pour être parfois mal connu, est efficace et apprécié, et qui marque bien la route qui doit être suivie.
Voilà ce que je voulais simplement vous dire avant de répondre à vos questions sur ce sommet de Sea Island.
QUESTION - Depuis les deux conférences de presse de M. BLAIR et de M. BUSH, on a une idée un peu plus claire de ce qu'ils attendent de l'OTAN : tous deux nous ont dit qu'avoir des troupes de l'OTAN en Iraq n'était pas réaliste, pas pratique. Mais ils ont tous les deux parlé d'un rôle éventuel de formation de l'OTAN. Est-ce que vous voyez un rôle dans ce sens-là pour l'OTAN ? Est-ce que la France pourrait y participer ?
LE PRÉSIDENT - La question s'est posée de savoir si l'OTAN pouvait être mise en responsabilité, en Iraq ou d'ailleurs plus largement dans la région et il ne manquait pas de partisans de cette solution dont on voyait bien les avantages qu'elle pouvait comporter, notamment pour renforcer ou pour atténuer les problèmes de la coalition en Iraq.
Nous avons toujours été plus que réservés. Lorsque les Polonais ont accepté de s'installer en Iraq, nous avons accepté qu'ils aient une aide technique de l'OTAN parce qu'ils n'avaient pas les moyens d'assumer les responsabilités du commandement. Mais c'était une aide technique, ce n'était pas le drapeau de l'OTAN. Ce n'était pas la responsabilité de l'OTAN. En revanche, toute ingérence de l'OTAN dans cette région, nous paraît comporter de grands risques, y compris des risques, en quelque sorte, d'affrontement, de l'occident chrétien contre l'orient musulman. Caricature naturellement, mais enfin c'est une appréciation qu'il convient d'avoir présente à l'esprit. Nous avons donc indiqué clairement que nous ne pourrions pas accepter une mission de ce type pour l'OTAN. Alors, je sais qu'aujourd'hui, au niveau des experts, certains s'interrogent et c'est ce à quoi ont fait allusion, j'imagine, aussi bien M. BLAIR que M. BUSH, sur la formation des cadres de l'armée iraqienne. Sur ce point, je dois dire que je n'ai pas de sentiment à exprimer, ni sur le rôle que pourrait avoir, le cas échéant, les spécialistes dans ce domaine de l'OTAN. Il faudra voir les choses dans le détail, voir ce que l'on nous proposera. Pour le moment, il n'y a pas de proposition concrète et donc, je n'ai pas de commentaire à faire.
QUESTION - Si vous deviez faire une comparaison entre l'administration BUSH actuellement et l'administration REAGAN, que diriez-vous ? Je représente la télévision de Tokyo.
LE PRÉSIDENT - Je suis très heureux de répondre à la télévision de Tokyo. Je vous dirais simplement que je n'ai pas du tout l'intention de faire des comparaisons, surtout dans une période comme aujourd'hui où le Président REAGAN nous ayant quitté, il y a les cérémonies pour ses funérailles. La France y sera d'ailleurs représentée par le Président GISCARD d'ESTAING, accompagné du Ministre français des Affaires étrangères, Monsieur Michel BARNIER. Ce n'est pas sur l'événement qu'il faut faire des comparaisons de nature historique.
QUESTION - Quand vous parlez, Monsieur le Président, des risques concernant l'OTAN, est-ce que c'est parce que, à vos yeux, l'OTAN a une connotation américaine trop forte, à un moment où, dans cette région, il y a un très fort ressentiment anti-américain ?
LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas un sentiment américain, l'OTAN, c'est une organisation occidentale et, à ce titre, elle a sa place naturellement, là où l'Occident veut qu'elle l'aie. Je ne crois pas que ce serait, je le répète, opportun aujourd'hui de mêler les genres.
QUESTION - Monsieur le Président, concernant le Proche-Orient, vous avez très clairement fait état hier d'un préalable. Mais dans la déclaration finale, dont vous avez dit qu'elle est de la responsabilité de la présidence, il est question d'un partenariat de progrès, etc. d'assistance pour les peuples du Moyen-Orient élargi et du Maghreb. Est-ce que vous considérez que le préalable a été levé et est-ce que vous partagez cette vision américaine et que d'autres pays européens partagent, à savoir que les réformes, l'assistance, le partenariat constituent en soi une manière d'apaiser les conflits, notamment le conflit israélo-palestinien ? Mais pourquoi pas les autres conflits frontaliers comme le Cashemire, la Tchétchénie ou ailleurs ?
LE PRÉSIDENT - Je crois d'abord qu'il ne faut pas mélanger les choses. La question que vous me posez, c'est de savoir si le préalable qui me paraît évident du retour à la paix dans le conflit le plus fort, le plus spectaculaire, le plus durable entre Israël et la Palestine, enfin les Palestiniens, si ce préalable est levé, et je vous réponds non, il n'est pas levé puisqu'il ne se passe rien pour le moment. Je veux dire que rien ne peut réellement nous permettre d'escompter que tout le monde revienne autour de la table et qu'il y ait ce qui est inéluctable : un accord négocié pour deux États qui soient à la fois libres, indépendants et en sécurité.
QUESTION - Monsieur le Président, après votre vote aux Nations Unies cette semaine, après ce Sommet, que pensez-vous en général de la situation en Iraq ? Est-ce que vous avez accepté le fait accompli ? Est-ce que vous vous opposez, est-ce que vous avez des réserves à propos de l'OTAN parce que vous vous opposez toujours à la position américaine en Iraq ?
LE PRÉSIDENT - Je ne m'oppose pas du tout à la position américaine en Iraq. Nous avons eu, la France et les États-Unis, une divergence de vues complète sur la guerre en Iraq. C'est comme cela. Et j'ai regretté cette guerre. Je considère qu'elle n'était ni nécessaire, ni d'ailleurs utile, qu'elle était forcément coûteuse dans tous les sens du terme et que l'on aurait pu trouver d'autres solutions pour orienter l'Iraq vers un système plus démocratique ou plus équilibré. Je n'ai pas changé d'avis. Mais c'est un problème historique. Je ne vais pas revenir là-dessus indéfiniment.
Aujourd'hui, ma conviction, je l'ai dit bien clairement, et notamment au Président BUSH, c'est que la situation est tout de même très dégradé, elle est très inquiétante, préoccupante. Et la seule chance que l'on puisse avoir de s'orienter vers une certaine stabilité, un développement, la sécurité en Iraq, la seule chance, c'est que les Iraqiens aient réellement conscience, soient convaincus qu'on leur rend la totalité de leur souveraineté, de leur indépendance et de la maîtrise de leur destin. C'est la voie, à mon avis, d'ailleurs étroite, qui permettra peut-être de sortir des drames que nous connaissons actuellement.
Alors cela veut dire qu'il faut réellement transférer cette souveraineté, donc ne pas tricher si j'ose dire. C'est ce à quoi nous avons été très attentifs. C'est la raison pour laquelle nous avons été si exigeants dans l'élaboration de la résolution de l'ONU. Je dois dire d'ailleurs que nous n'étions pas seuls, puisque nous avions avec nous, une coopération vingt quatre heures sur vingt quatre, -le mot n'est pas excessif-, de nos amis allemands, russes, espagnols, algériens et quelques autres.
Finalement, c'est ce qui a été retenu comme principe. Et si les Iraqiens ont vraiment conscience qu'ils sont de nouveau maîtres de leur destin, il y a peut-être une chance. Si on ne joue pas le jeu, cette chance disparaîtra.
QUESTION - Monsieur le Président, bienvenue aux États-Unis. La prolifération a été l'un des sujets principaux de cette conférence. Hier, vous avez parlé de trois cas : la Libye, la Corée du Nord et l'Iran. Pensez-vous qu'il est toujours possible d'empêcher, de prévenir l'Iran d'acquérir des armes nucléaires ? Si oui, comment le feriez-vous ? Est-ce que vous pensez que le modèle libyen constitue un modèle, ou est-il important de trouver une troisième voie entre le modèle iraqien et le modèle libyen ?
LE PRÉSIDENT - Vous auriez pu également évoquer le modèle coréen du nord. Premièrement, je crois qu'il est essentiel d'éviter que de nouveaux États se dotent, en dehors des contrôles de l'Agence, de moyens nucléaires. Comme vous le savez, nous avons fait une offensive diplomatique forte, les Anglais, les Allemands et les Français, auprès des autorités iraniennes, pour essayer de les convaincre que le rapport coût/efficacité de l'objectif qu'ils semblaient vouloir poursuivre de se doter des armes de destruction massive était tout à fait négatif. Il y a à cela une raison simple qui consiste à demander aux Iraniens : mais si vous avez une bombe nucléaire, qu'est-ce que vous allez en faire, sur qui vous allez l'envoyer, alors qu'elle vous aura coûté extraordinairement chère. Il n'y a pas de réponse satisfaisante ou raisonnable à cette question.
Donc, nous pensons qu'il est absolument nécessaire de convaincre les Iraniens. Alors, sont-ils convaincus ? Je ne peux pas répondre à cette question. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous faisons, d'ailleurs en étroite coopération avec les Américains, nos trois pays poursuivent une action déterminée pour que les Iraniens acceptent, sous le contrôle et les inspections de l'Agence Internationale, d'apporter la preuve qu'ils ont interrompu leur programme, enfin, dans tout le domaine nucléaire.
QUESTION - Votre volonté de poursuivre sérieusement, de respecter et de faire respecter le traité ne va-t-il pas contre certaines relations économiques qu'a la France avec certains pays tel que l'Iran ?
LE PRÉSIDENT - Je ne le crois pas du tout. Je dirais même, au contraire. D'abord, l'application du Traité de Non Prolifération s'impose. Ensuite, vous aurez observé que la position de la France, comme d'ailleurs de l'Angleterre et de l'Allemagne qui sont les trois nations en pointe de cette affaire, c'est de dire aux Iraniens, une fois clairement affichée et prouvée la non prolifération militaire, avec l'aide internationale, que le développement du nucléaire civil leur permettra de répondre aux besoins économiques de ce pays.
QUESTION - Monsieur le Président, nous avons entendu parler d'une visite que vous deviez faire, d'ici la fin du mois, en Libye. On entend dire maintenant à Paris qu'elle serait annulée. Je voulais savoir si vous pouviez nous renseigner à ce propos et nous dire pour quelle raison elle serait annulée. Éventuellement, est-ce que cela a une relation avec l'affaire révélée aujourd'hui dans la presse américaine où deux personnes ont été arrêtées aux États-Unis dont les Américains affirment que ce sont des agents libyens qui préparaient un attentat contre le prince héritier d'Arabie Saoudite.
LE PRÉSIDENT - Je n'ai naturellement aucun commentaire à faire sur une information de cette nature. Quant à ma visite en Libye, elle n'est pas annulée pour une raison très simple, c'est qu'elle n'a pas encore été décidée. Elle est envisagée, donc il n'y a pas d'annulation.
QUESTION - Monsieur le Président, c'est une question sur la dette iraqienne. On sait que les Américains souhaiteraient qu'elle soit réduite de 95 %, que le FMI a émis un avis pour qu'elle soit réduite de 80 %. Quand la France évoquait une réduction substantielle, on parlait du chiffre de 50 %. Est-ce que ce chiffre de 50 % est toujours le bon dans l'esprit de la France ?
LE PRÉSIDENT - Il est tout à fait le bon et je vais vous dire pourquoi. L'Iraq est un pays riche, potentiellement, même s'il a une dette considérable. Comment expliquerez-vous aux pays pauvres très endettés ou à quelques pays également très endettés, -je pense, par exemple, puisqu'il était là aujourd'hui, au Nigeria-, comment expliquerez vous à ces gens qu'on va faire en trois mois pour l'Iraq plus que l'on a fait en dix ans pour les trente sept pays les plus pauvres et les plus endettés du monde ? Cela n'a pas de signification. Ce n'est pas convenable.
C'est la raison pour laquelle, effectivement, la France, -et nous ne sommes pas les seuls-, a pris une position claire, une annulation oui, substantielle oui. Que veut dire substantielle ? Pour nous, c'est effectivement autour de 50 %. Nous ne souhaitons pas, nous ne voulons pas aller au-delà, pour les raisons que je viens de vous indiquer.
QUESTION - Monsieur le Président, à propos de la situation économique. Vous avez rappelé le diagnostic partagé par les pays du G8 sur la reprise de croissance
QUESTION - A propos de la situation économique, vous avez rappelé le diagnostic partagé par les pays du G8 sur la reprise de la croissance, un peu partout dans le monde. Mais vous avez, aussi, mentionné la nécessité de soutenir cette croissance, de la protéger, de l'alimenter et de ne rien faire pour la freiner. Est-ce à dire que vous avez eu des signes ou même des engagements de nos partenaires américains pour qu'ils infléchissent leur politique économique ?
LE PRÉSIDENT - J'ai eu l'occasion d'évoquer avec le Président américain, mais aussi autour de la table, quelques inquiétudes. Dans le contexte qui est par ailleurs un contexte, effectivement, de croissance que personne ne conteste. Ces inquiétudes, c'est d'abord l'importance des déficits intérieurs et extérieurs budgétaires et financiers des États-Unis. L'importance de ces déficits, quels que soient les transferts qui se font spontanément et automatiquement vers les États-Unis peuvent à un moment donné, créer des déséquilibres et obliger à un atterrissage qui pourrait être un peu difficile. Donc, il faut y faire attention.
La deuxième inquiétude, c'est évidemment le pétrole et le prix du pétrole. Nous ne sommes pas dans la perspective d'un choc pétrolier mais le prix du pétrole augmente. Nous avons donc, à cet égard, des inquiétudes et ces inquiétudes sont généralement partagées, en tout les cas, chacun en a conscience. En revanche, cette situation d'efforts à faire pour faciliter la croissance nous a conduit à prendre conscience très fortement de la nécessité de faire un certain nombre de réformes, dans chacun des principaux États. C'est vrai pour les États-Unis, c'est vrai pour la France, c'est vrai pour l'Allemagne qui a été un peu un précurseur. Dans ce domaine, il est évident que si l'on n'accompagne pas la reprise par de vrais efforts, en matière de réformes, comme la France s'y est engagée, avec les retraites hier, avec l'assurance maladie aujourd'hui, alors on court de grands risques.
QUESTION - Concernant toutes ces discussions sur l'Iraq et le Moyen-Orient pendant ces trois jours, est-ce que vous avez gagné plus que ce que vous avez concédé, au total?
LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, je ne suis arrivé ici, ni pour gagner, ni pour concéder. Les choses ne se sont pas passées ici, elles se sont passées à New York, au moment de l'élaboration de la résolution. Et je vous dis très franchement qu'après être passé par des phases d'optimisme et de pessimisme, toujours de détermination, nous sommes arrivés à une résolution qui nous parait, dans ce domaine, raisonnable et positive. C'est la raison pour laquelle elle a été votée à l'unanimité.
QUESTION - Tout à l'heure, George BUSH a qualifié les relations avec la France de cordiales, au cours de sa conférence de presse. Comment, vous, vous qualifiez les relations avec de la France avec les États-Unis, alors que, semble-t-il, les divergences demeurent sur beaucoup de dossiers ?
LE PRÉSIDENT - Eh bien, je les qualifierai d'un seul mot : cordiales, comme elles doivent l'être. Je le répète, on peut être amis sans être pour autant subordonnés. Nous avons des points d'accord très forts, notamment sur l'essentiel : une certaine vision du monde, de la démocratie, des droits de l'Homme, une expérience historique exceptionnelle. On peut ne pas être d'accord sur tout. Ce qui est le cas. Et on peut être en désaccord sans être agressifs. Voilà. Cordiales, c'est le mot.
QUESTION - La France s'est opposée à la guerre en Iraq et, cette semaine, le nouveau président iraqien a participé au sommet du G8. Pourriez-vous nous définir quelle a été la nature de votre relation avec le nouveau président iraqien, cette semaine ?
LE PRÉSIDENT - Je connais peu le nouveau président iraqien. Pour dire la vérité, je l'ai rencontré pour la première fois. Notre rencontre a été tout à fait cordiale, et surtout, surtout, je lui souhaite de réussir. Il peut compter sur la France pour faire le maximum afin que lui-même et son équipe réussissent. Réussir, cela veut dire quoi ? Cela veut dire rétablir la sécurité, l'ordre, le développement dans ce pays qui est un superbe pays, qui mérite de réussir et qui se trouve dans une situation difficile. Je forme donc des voeux très chaleureux pour la réussite du nouveau président iraqien.