3 mai 2002 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à France-Inter le 3 mai 2002, sur son projet, en particulier la lutte contre l'inégalité des chances, et celui de l'extrême-droite, notamment la sortie de la France de l'Union européenne, ainsi que sur les manifestations de jeunes contre le Front national.

S. Paoli/J.-L. Hees/P. Le Marc
J.-L. Hees : C'est une de vos dernières interventions publiques avant le vote de dimanche. Un grand nombre de voix vont se porter sur votre nom dimanche : les voix de ceux qui ont voté pour vous au premier tour, les voix de ceux qui auraient voté pour vous au second tour, appartiennent à la grande famille de la droite et les voix des gens de gauche. Je voudrais savoir si vous avez quelque chose de particulier à leur dire aujourd'hui ?
- " D'abord, par nature et aussi par fonction, je considère qu'il n'y a qu'une seule France. Je sais bien que la démocratie se caractérise par la pluralité des convictions et par l'alternance entre des forces qui, par ailleurs, respectent les mêmes valeurs. C'est sur ce point que nous sommes dans une situation particulière et que les électeurs que vous dites de gauche sont fondés à s'interroger. Je leur dis très simplement que je les comprends et que je les respecte, naturellement. Mais que d'une certaine façon, dans la situation exceptionnelle qu'est la nôtre aujourd'hui, où il s'agit de défendre des valeurs communes à tous les Français non extrémistes, il s'agit d'aller au bout de leurs convictions, c'est-à-dire faire barrage à la tentation de l'extrême droite qui est extrêmement dangereuse au plan humain, politique et désastreuse au plan économique et social. C'est donc une priorité."
S. Paoli : Vous avez prononcé un mot, qui est beau parce qu'il est fort : vous avez dit que ce qui s'est passé le 1er Mai, nous "oblige tous". Dans votre bouche, avec cette fonction à laquelle vous prétendez à nouveau, qu'est ce que ça veut dire "obliger" ?
- "Cela veut dire d'une part, obligé à être plus attentif, à mieux écouter, à mieux comprendre que peut-être les responsables politiques, économiques, sociaux ne l'ont fait jusqu'à présent. Cela signifie également une obligation d'action. Nous mettons en exergue, à juste titre, nos valeurs communes, celles dont nous sommes fiers, - la Liberté, l'Egalité, la Fraternité, les droits de l'Homme - tout ce qui fait la force de notre nation, de notre pacte républicain. Mais ces valeurs n'ont réellement de sens que si au-delà des frontons des mairies, elles sont au coeur d'une action, au bénéfice de tous les Français et conformes au respect de ces valeurs. C'est à cela que le vote du premier tour nous oblige aussi."
P. Le Marc : Quelles conséquences tirerez-vous d'un vote massif de la gauche en votre faveur ? Est-ce que cela changerait votre responsabilité de Président, votre façon de présider ?
- "Le président de la République - c'est en tout cas l'idée que je m'en fais - est par vocation le Président de tous les Français. Il doit donc écouter, entendre, comprendre tous les Français, quelles que soient leurs convictions sur le plan d'une démocratie qui suppose tout naturellement l'alternance. Mais également, il doit mettre en oeuvre une politique qu'il propose et qui, naturellement, doit être conforme aux intérêts, en tous les cas, à la conception qu'il se fait de l'intérêt de tous les Français et bien entendu de l'intérêt de la France. Bien entendu, l'élan dont vous parlez oblige encore plus le président de la République, certainement. Mais il permettra probablement et surtout de donner plus de force à l'action qui doit être aujourd'hui conduite. Mais conduite, je le répète pour répondre aux questions que se posent les Français, qu'ils ont d'une certaine façon exprimées et qui avaient été finalement mal entendues par les responsables politiques en général."
J.-L. Hees : Je vais poser la question encore plus directement : est-ce que les événements de ces jours-ci et ceux de dimanche aussi, sont de nature à modifier en quoi que ce soit votre projet politique, si vous être réélu pour cinq ans ?
- "J'ai la conviction que le projet que j'ai proposé est conforme à l'intérêt de tous les Français et non pas aux Français de droite ou de gauche. J'ai essayé de mieux entendre ce qu'ils disaient, ce qui m'a conduit à un ensemble de propositions articulées autour d'un renforcement de l'autorité et d'une assurance de la sécurité, autour du renforcement des solidarités, notamment au bénéfice de ceux qui sont malentendus, mal écoutés, un peu mal aimés et qui en ont conscience. Enfin, une action en faveur de la reprise d'une politique de croissance et d'emploi qui, à mes yeux, est possible. Ces ambitions n'ont pas pour objectif de satisfaire telle ou telle partie de la population £ dans mon esprit, cela répond au besoin de l'ensemble des Français et aux nécessités de la France."
S. Paoli : Les Français, y compris dans les manifestations de ces derniers jours, ont exprimé une volonté de changement. Or, hier, à Villepinte, vous disiez qu'il n'était pas question de changer de République. Comment peut-on faire changer aujourd'hui ce pays sans toucher à sa structure politique ?
- "Nous avons en France une caractéristique historique, c'est qu'à chaque crise ou difficulté, nous voulons changer la constitution des textes et nous nous imaginons que cela changera quelque chose ! Non ! Ce n'est pas en changeant les institutions qu'on change les problèmes, c'est en s'attaquant aux problèmes, en leur apportant des solutions qu'on fait fonctionner convenablement les institutions. Nous sommes le record toute catégorie de changement de constitution dans l'histoire de tous les pays démocratiques. Je ne crois pas que cela soit un des grands privilèges de la France. Nous avons des institutions qui sont ce qu'elles sont, faisons-les d'abord fonctionner convenablement. Ce qui est en cause, ce ne sont pas les institutions, mais la capacité des hommes qui ont en charge de gouverner la France à entendre, à comprendre et à agir."
S. Paoli : Mais vous n'estimez pas que la cohabitation, de fait, a changé la nature même de l'exercice du pouvoir dans notre pays ?
- "Peut-être, ce que vous dites est vrai et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'engagerai au lendemain de ces élections, si je suis élu, afin d'avoir, non pas pour des raisons partisanes, naturellement, mais pour des raisons d'action, une majorité qui me permettra d'appliquer un projet que j'ai proposé aux Français, que dans cette hypothèse, ils auront accepté, et qui, je le répète, est à mes yeux dans l'intérêt de tous les Français, et d'abord de ceux qui se sont manifestés à juste titre pour exprimer leurs inquiétudes et leurs difficultés."
J.-L. Hees : Vous allez peut-être dire que je fais de la psychologie, mais vous avez dit que c'était le combat de votre vie, ce qui n'est pas une petite phrase...
- "Il s'agissait de la lutte contre l'extrême droite."
J.-L. Hees : Justement, est-ce que vous vous dites que vous avez une opportunité unique ? Je ne dis pas miraculeuse, je dis unique. Qu'est-ce que cela modifie dans le lien qu'on peut avoir avec un peuple, comme le peuple français ?
- "D'abord, je n'ai jamais accepté les thèse de l'extrême droite pour toutes les raisons que je n'ai pas besoin de développer. Mais elles sont profondément contraires à ce qu'est l'homme, à la dignité de l'homme et totalement incompatibles avec la démocratie et ses principes, c'est clair. Ce sont des thèses dangereuses, comme on a pu l'observer partout où elles ont été mises en oeuvre dans l'Histoire. Partout, chaque fois que l'extrême droite a pris le pouvoir, y compris légalement, cela s'est terminé en drame pour l'ensemble des populations concernées, cela a coûté très cher. Donc, c'est vrai que j'ai toujours combattu, avec beaucoup d'autres, j'ai toujours été dans le camp de ceux qui, quoi qu'il arrive, combattaient l'extrême droite. Cela ne me donne pas une vocation particulière, si ce n'est celle de respecter, quoi qu'il arrive, les principes et les valeurs sur lesquelles est fondée notre civilisation."
P. Le Marc : Le scrutin du 21 avril a révélé l'ampleur des peurs et des traumatismes que suscitent la mondialisation, mais aussi l'intégration européenne dont on perçoit mal les finalités et qui semble pour certains, condamner la nation à un effacement. Ne vous sentez-vous pas une responsabilité dans cette réaction et quelles conséquences tirez-vous de cet appel qui monte du pays ?
- "Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait un appel qui monte du pays contre l'Europe..."
P. Le Marc : Au moins une pédagogie sur l'Europe...
- "Je crois effectivement que nous devons mieux expliquer que l'Europe, c'est d'abord et avant tout la paix - ce qui est essentiel - et la démocratie - ce qui ne l'est pas moins - £ l'un d'ailleurs n'allant pas sans l'autre - l'histoire nous l'apprend. L'Europe est également la meilleure carte pour la prospérité et la croissance, c'est le grand marché, c'est la capacité de faire des progrès techniques et industriels, c'est une monnaie unique qui nous met à l'abri des dévaluations qui ont fait tant de mal, qui nous permet d'avoir des taux d'intérêt faibles - je pourrais développer ces thèmes. L'Europe, c'est également un modèle social qui s'affirme et se confirme petit à petit et qui, globalement, est conforme à l'idée que nous nous faisons..."
P. Le Marc : Mais ce plaidoyer ne passe pas dans l'opinion, du moins dans une partie de l'opinion. Alors, comment convaincre ceux qui sont réticents ?
- "Vous dites qu'il ne passe pas, mais j'observe depuis quelques années une adhésion de plus en plus grande des Français à l'Europe. Le meilleur témoignage est la façon dont l'euro s'est affirmé, dont on est passé à l'euro. C'était véritablement un témoignage fort de la part des Français. Le deuxième problème, c'est celui de la mondialisation et c'est très différent. La mondialisation, il faut reconnaître qu'elle est inéluctable dans la mesure où elle est le fruit de l'évolution, notamment des techniques, des technologies. Elle est profitable dans la mesure où elle permet d'augmenter le commerce, donc la production, donc l'emploi, donc les richesses £ il faut en tenir compte. Cela conduit à deux exigences : la première, au plan international, est d'humaniser et de maîtriser cette mondialisation. La mondialisation de l'économie suppose la mondialisation de la solidarité sinon, cela ne peut pas marcher, parce que les riches deviennent de plus en riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Deuxièmement, cela suppose que nous soyons attractifs, compétitifs, que les conditions de travail, d'emploi, la vie des entreprises et des travailleurs soient telles qu'elles soient compétitives par rapport à nos principaux partenaires. La crainte des délocalisations qui est grande, c'est la crainte de ne pas être compétitifs. Si nous sommes compétitifs, à ce moment là, nous aurons création d'emplois, nous aurons développement de l'activité par définition. Il ne faut donc pas craindre la mondialisation, il faut l'expliquer mais surtout, il faut prendre les mesures nécessaires pour que la France soit compétitive, attractive et qu'ainsi, elle puisse en profiter pour créer du travail et des revenus."
S. Paoli : A propos de l'Europe et de la mondialisation - puisqu'en effet, on ne peut pas dissocier ses deux thèmes -, J.-M. Le Pen disait qu'on pouvait sortir de l'Europe et citait le cas de la Norvège, de la Suisse et du Danemark. Un auditeur avait envie de comprendre si on pouvait ou non en sortir ? Que répondez-vous à cet auditeur ?
- "Naturellement, on peut en sortir. On peut tout faire dans la vie, même les pires bêtises. Mais cela exigerait, d'abord, que la France se mette complètement au ban de l'Europe et d'ailleurs du monde, que l'on soit tout seul recroquevillés sur nous-mêmes. Cela impliquerait un appauvrissement général de notre population et de notre économie. Pensez, par exemple, aux revenus des agriculteurs. La sortie de l'Europe, ce serait une baisse de 30 ou 40 voire 50 % de leurs revenus. Alors, comment est-ce qu'on assume cela ? Pensez que nous avons en France entre un Français sur trois et un français sur quatre qui travaille pour l'exportation et que les deux tiers de nos exportations vont vers l'Europe. Cela veut dire qu'un Français sur 5 en gros ou un peu moins travaille pour l'Europe. Vous n'imaginez pas que si on se remettait à mettre des barrières douanières que ce serait sans conséquences ? Ce serait un appauvrissement général. La sortie de l'euro, c'est fou comme conception ! Avec les conséquences que cela comporterait sur les taux d'intérêts, sur les dévaluations. Nous aurions à nouveau une situation tout à fait dramatique. C'est d'une totale irresponsabilité. Mais je crois que l'extrême droite, lorsqu'elle envisage ces solutions, n'y croit pas. D'ailleurs, cela ne l'intéresse pas. Elle n'y réfléchit pas. Ce qu'elle veut, c'est alimenter par une action démagogique un rejet ou un mécontentement à l'égard de la démocratie. C'est en cela qu'elle est dangereuse."
J.-L. Hees : En 1995, beaucoup de jeunes ont cru en vous, ont voté pour vous. On a revu toute cette jeunesse dans les rues le 1er mai. Je présume que cela vous a semblé plutôt beau, positif et sain. Au-delà du vote qu'ils apporteront dimanche au candidat Chirac - parce qu'ils semblent déterminés à barrer le passage à l'autre candidat -, est-ce qu'il y a quelque chose à leur dire aussi pour dire que ce n'est pas simplement un vote pour faire barrage, mais un vote pour quelque chose s'ils ont envie de voter Chirac ?
- "L'élan, le sursaut de la jeunesse depuis le premier tour est quelque chose d'extraordinairement encourageant. Tous ces jeunes ont manifesté avec détermination, avec enthousiasme et avec dignité. Ils l'ont fait avec un sens aigu de la responsabilité. Probablement parce qu'intuitivement ou après réflexion, ils ont compris qu'il y avait un danger important pour la France dans laquelle ils seraient appelés à vivre demain, à travailler, à s'épanouir. Cela, il faut le refuser. C'est vrai que c'est tout à fait encourageant. Trop de commentateurs étrangers qui ont donné une très mauvaise image de la France - il faut bien le reconnaître - dans le monde entier, à la suite du premier tour, pensaient que nos valeurs étaient atteintes. Cette réaction de la jeunesse qui a entraîné, d'ailleurs, une réaction plus générale des Français et une réaction d'ailleurs de tous les responsables d'une façon ou d'une autre, et qui se sont exprimés est quelque chose d'encourageant et qui montre à l'extérieur que la France, telle que l'étranger l'imagine, c'est-à-dire porteuse de grandes valeurs de la démocratie et des droits de l'homme, celle de 1789 ou celle du général De Gaulle, était toujours là, présente et active."
J.-L. Hees : Ces jeunes, le 1er mai, n'ont pas vu beaucoup de représentants de la droite par exemple dans leurs grande manifestation. C'est une erreur politique ?
- "N'essayons pas de politiser ces manifestations. Je crois que tout le monde a manifesté chacun à sa manière."
J.-L. Hees : Vous n'auriez pas eu envie d'y aller ?
- "Ce n'est pas tout à fait le rôle ou la nature du président de la République, mais j'ai été très attentif aux images, aux belles images que j'ai vues sur les écrans de télévision. N'essayons pas de détourner les choses. La France qui a manifesté, et notamment les jeunes qui ont manifesté, ce n'était pas la France de gauche ou celle de droite, ils étaient tous là, c'était la France démocratique, c'était la démocratie française, la République française qui manifestait."
P. Le Marc : Il y a les belles images du 1er mai, mais il y a aussi la réalité - j'en viens au 21 avril - qui a démontré la frustration profonde d'une partie de la société française qui ressent un fossé croissant qui la sépare d'une France plus aisée, qui s'adapte mieux. C'est une fracture sociale mais aussi une fracture culturelle très profonde. Est-ce qu'il n'y a pas là un défi majeur pour le nouveau Président que vous pouvez être ?
- "Bien sûr."
P. Le Marc : Et comment réduire cette fracture sociale et culturelle ?
- "La politique, c'est toujours difficile. Il est exact qu'il y a un nombre important de nos concitoyens qui ont eu le sentiment de ne pas être entendus, écoutés, d'être en quelque sorte un peu les laisser-pour-compte. Et s'ils en avaient le sentiment dans une large mesure, c'est parce que c'était la réalité. Tous ceux qui sont victimes de la sécurité, tous ceux qui sont victimes d'une excessive bureaucratie et d'une fiscalité envahissante, tous ceux qui sont choqués par l'absence des respects de la valeur travail, tous ceux qui sont inquiets - nous en parlions à l'instant - des conséquences éventuelles de la mondialisation, toutes ces Françaises, tous ces Français ont eu le sentiment qu'on ne leur parlait pas de leurs problèmes."
P. Le Marc : Il y aussi le sentiment d'une inégalité des chances éprouvée par ces Français ?
- "Ce n'est pas un sentiment mais c'est une réalité. Il y a, aujourd'hui, une inégalité des chances."
P. Le Marc : Comment corrigez cette inégalité des chances ?
- "C'est une action de longue haleine. Il faut d'abord prendre en compte les problèmes posés par l'insécurité qui est la première des inégalités et d'inégalités des chances. Il faut ensuite avoir une politique résolument tournée vers la croissance et vers le travail. C'est ce que je propose, pour donner toutes leurs chances à ceux qui veulent travailler. Et ceci avec des méthodes qui ne relèvent pas de l'assistance, qui n'est qu'un pis aller, mais qui relève de l'incitation au travail. D'où la baisse des charges, la baisse d'une fiscalité excessive etc. C'est enfin répondre aux angoisses que les Français ressentent face à certains problèmes : la santé. On nous dit qu'on a un très bon système de santé - ce qui est vrai -, mais il est en crise totale. Il faut y répondre. C'est cela l'égalité des chances. Que les petits retraités, les petits salariés qui, aujourd'hui, voient qu'ils n'ont pas le droit à la CMU, mais qui n'ont pas la possibilité de s'offrir une mutuelle. Il faut répondre aussi à ce problème, car ce sont des gens qui, également, ont besoin d'être respectés et de toucher leurs droits, d'avoir leurs droits dans la démocratie. Que ceux qui ont une petite retraite s'interrogent sur l'avenir de leurs retraites, c'est aussi un problème indiscutable. Sans parler de tout ce qui touche à l'environnement, à la sécurité alimentaire, à l'éducation. Que nous ayons encore - et cela ne baisse pas - un si grand nombre d'illettrés - peut-être 10 %, cela dépend de la définition que l'on donne de l'illettrisme -, ce qui était grave mais n'avait pas de conséquences sur le travail dramatique il y a 30 ans est, aujourd'hui, un cas de handicap social et économique fort. On ne peut plus rien faire si on ne sait pas lire, écrire et compter aujourd'hui dans notre société. Tout cela ce sont des choses profondément ressenties par des garçons, des filles, des familles. C'est une vraie fracture, c'est une vraie question que les Français ont posée. Il faut donc y répondre. On a les moyens d'y répondre à condition de développer d'avantage de responsabilités, de contacts, de dialogue. De dialogue au niveau du dialogue social, qui est une nécessité comme moteur du progrès et que l'on a complètement ignoré, avec cette manie que nous avons de vouloir tout décider d'en haut. Et aussi de dialogue local, avec la démocratie locale : nous avons eu un temps de jacobinisme qui était parfaitement justifié. Je ne le critique pas, car cela correspondait à un moment de notre histoire. Aujourd'hui, cela ne peut plus marcher. Il faut que ce soit au niveau le plus proche possible des Français que se prennent les décisions qui les concernent. Il faut transférer des compétences aux régions, aux départements et aux communes. Bref, faire en sorte que les Français soient associés aux décisions qui les concernent. C'est une grande évolution. On ne peut plus imposer les choses de Paris, des bureaux parisiens, de la technocratie parisienne. Le dialogue social, le dialogue local est une nécessité d'un monde moderne."
S. Paoli : L'autre évolution - j'allais dire l'autre obligation - est aussi de changer l'image de la politique. Hier soir, à Villepinte, vous avez dit : pas de carrière, pas de carriérisme. Cela pourrait drôlement modifier une équipe gouvernementale en en laissant pas de carrière ? Cela va éliminer quelques noms ?!
- "Je crois, en tout cas, que le moment est venu d'avoir une équipe qui soit aussi dévouée que possible à l'action et à l'intérêt général. Quand je dis "l'intérêt général", c'est celui de tous les Français et d'abord de ceux qui en ont le plus besoin."
J.-L. Hees : Une équipe ouverte à la société civile ?
- "La constitution d'un gouvernement, c'est de la responsabilité d'un Président élu. Je ne le suis pas encore."
P. Le Marc : C'est ce qu'attendent les Français ?
- "Oui. J'essayerai de ne pas les décevoir."
J.-L. Hees : Vous avez remarqué qu'on ne vous demande pas, en ce moment, le nom de Premier ministre...
- "Je vous en suis gré"
J.-L. Hees : Tout de même un certain nombre de gens, dans ce pays, se disent que l'élection n'est pas faite. Mais est-ce que la droite va avoir la "main lourde" ? C'est vrai que c'est un réflexe que l'on peut comprendre. C'était un peu le profil qui nous intéressait...
- "Je dirais simplement que je suis déterminé à servir l'ensemble des Français et la France. C'est mon ambition. C'est cela mon projet. Deuxièmement, je voudrais dire qu'il y a quelques valeurs qui doivent être réhabilitées, au-delà même de nos valeurs républicaines. C'est l'autorité. Il faut une certaine autorité notamment au niveau de l'Etat mais aussi de la famille, de l'école. Deuxièmement, ce sont les valeurs de respect et de tolérance qui petit à petit se sont effacées. Quand vous regardez le comportement, notre comportement, on s'aperçoit que de plus en plus, le respect de l'autre et la tolérance ne sont plus les moteurs de nos réactions et de nos comportements. Il faut réhabiliter l'autorité d'une part, le respect et la tolérance d'autre part."
S. Paoli : Faire en sorte que ce soit tous les jours le 1er mai ?
- "D'une certaine façon, à condition que ce soit dans l'ordre et dans la dignité."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 mai 2002)