18 avril 2002 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à Europe 1 le 18 avril 2002, sur les premières réformes envisagées (sécurité, fiscalité, justice) en cas de victoire à l'élection présidentielle.

J.-P. Elkabbach - Monsieur le candidat à l'Elysée, bienvenue à Europe 1 pour ce rendez-vous du matin en direct ! "Voici donc venir le temps de l'action", dites-vous souvent ces derniers temps. Là, où vous êtes, déjà, je suppose que votre calendrier doit être prêt. Par quoi vous commencerez ou vous commenceriez ?
- "Je suis tout à fait prêt, dans la mesure où les Français le voudront. Et s'ils me font confiance, mon premier souci sera de m'engager politiquement pour avoir le soutien d'une majorité déterminée, forte et unie à l'Assemblée nationale, aux élections législatives. Dès la formation du gouvernement, je donnerai immédiatement un coup d'arrêt à l'insécurité avec la mise en place, sous l'impulsion du chef de l'Etat, d'un conseil de sécurité intérieure où le Président donnera les directives et l'impulsion, avec la mise en place d'un gouvernement où un ministre chargé de l'insécurité aura les moyens de coordonner l'action des forces qui participent à la sécurité, et la création des groupements régionaux opérationnels pour éradiquer, dans les zones où ils se trouvent, les réseaux mafieux fondés sur la prostitution, l'immigration, les armes, la drogue. Toutes ces mesures-là seront immédiates."
C'est donc la priorité, pour vous, de l'action de la nouvelle équipe avec vous ?
- "C'est un préalable pour lancer les actions et les réformes nécessaires, pour redonner le dynamisme nécessaire de la France. Dans ce domaine, je convoquerai une session extraordinaire du Parlement pour trois grandes lois. Une loi-programme sur les forces de sécurité - gendarmerie, police, les équipements, les effectifs, la modernisation des moyens, le déploiement des forces - , une loi-programme sur la justice - concernant les moyens de la justice, la création de la justice de proximité pour lutter contre l'impunité, les centres fermés pour les multirécidivistes dangereux et la modernisation de nos prisons. Et puis, une troisième loi importante : une loi concernant les mesures fiscales, pour redynamiser la France, avec la première baisse de 5 % de l'impôts sur le revenu payable cette année sur les revenus de l'année dernière, la première étape de la baisse des charges et les mesures très importantes prévues pour les jeunes et pour faciliter leur entrée dans l'entreprise."
Quel président de la République vous voulez être ? Avec quelle perspective, quelles valeurs, quel rôle ? Est-ce que cela veut dire que vous allez vous impliquer dans votre conception encore ou beaucoup plus ?
- "Avant de vous répondre, je dois vous parler d'un troisième point qui doit être engagé instantanément, ce sont les grandes négociations sociales et qui concernent d'une part les retraites, et d'autre part, l'impulsion donnée au dialogue social dans le domaine de l'assurance emploi et formation, dans le domaine de l'assouplissement des 35 heures et dans le domaine de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Je veux être un président qui veut, avant tout, restaurer l'autorité de l'Etat, affirmer la cohésion nationale, renforcer la cohésion nationale, expliquer aux Français qu'ils doivent se respecter entre eux, être unis s'ils veulent être forts et enfin affirmer clairement l'unité de la République."
Tout à l'heure, vous disiez : "J'aurai une majorité ou il me faudrait une majorité forte et unie". Est-ce qu'elle sera multiple par ses sensibilités et pluraliste ou vous la considérez comme étant d'un bloc ? Est-ce que des gens comme F. Bayrou y auront leur place et pour longtemps ?
- "L'actuelle opposition a clairement dit, notamment récemment à Toulouse, son adhésion totale à une action commune dans le cadre d'une véritable union politique pour le deuxième tour, en faveur du candidat le mieux placé. Deuxièmement, elle a donné son approbation complète au projet qui d'ailleurs, est très conforme au moins. Il y a donc une majorité unie qui est susceptible de soutenir un gouvernement et donc de progresser. Dans cette majorité, naturellement, chacun y aura sa place. Il ne s'agit pas de brimer quiconque. Elle devra être unie et déterminée. C'est ce qui fait la grande différence avec le candidat du Parti socialiste, M. Jospin, qui lui, propose un projet mais n'a aucune majorité pour le soutenir s'il était élu dans la mesure où, on le voit, aujourd'hui, sa majorité plurielle a totalement éclaté. Il n'y a rien de commun, aujourd'hui, dans les programmes ou les ambitions des communistes, des chevènementistes, des Verts, des socialistes de droite ou des socialistes de gauche. Il n'y a pas d'unité, pas de dynamisme précis."
Est-ce que vous allez jusqu'à dire que le désordre, les tensions, les risques sociaux, ce serait plutôt la gauche ?
- "Je ne veux pas tenir ce type de propos de campagne. Ce que je constate, c'est qu'il y a des tensions, que ces tensions d'ailleurs justifient ou expliquent la montée du vote d'extrême gauche - si on en croit les sondages naturellement. Ce qui veut dire qu'il y a tout de même une vraie insatisfaction. Moi, je mets au coeur de mon programme l'insertion des Français dans la décision qui est prise, qu'ils puissent parler. C'est pourquoi, je soutiens le dialogue social, comme moteur de progrès social, et la démocratie locale. C'est-à-dire d'avantage de pouvoirs transférés aux collectivités locales, pour permettre une meilleure gestion de notre pays."
Vous dites les extrêmes, mais il y a des extrêmes à droite comme à gauche. Comment vous faîtes pour récupérer, intégrer et peut-être rassembler ceux qui sont loin et qui ont rejoint le Front national ?
- "Une élection présidentielle est un contrat non pas entre des partis politiques et un homme, mais c'est un contrat entre des Français et un homme. Chaque français, au deuxième tour, comme d'ailleurs au premier, détient entre ses mains une parcelle de l'avenir de la France. Il y a des décisions à prendre £ il faut se rassembler pour agir. Et je suis sûr que les Français le comprennent. Dans une démocratie, il n'y a pas de hasard. Il appartiendra donc à chacun, en conscience, d'exercer son choix."
Avec les contraintes - j'ai posé la question à L. Jospin - de la mondialisation, avec les progrès de l'Europe, qu'est-ce que le résultat du 5 mai va changer réellement et vraiment pour la France elle-même, quel que soit le vainqueur ?
- "La mondialisation est inéluctable. Elle comporte de grands avantages, parce qu'elle facilite le commerce et crée des richesses. Elle comporte des dangers qui sont ceux de l'affaiblissement des faibles par rapport à l'enrichissement des riches. Elle doit donc être humanisée et maîtrisée, ce qui suppose que la mondialisation de la solidarité accompagne la mondialisation de l'économie."
Mais pour nous, pour la France ?
- "J'y viens. Je vous l'ai dit : la mondialisation risque d'affaiblir les faibles £ c'est vrai partout et c'est vrai en France. Cela veut dire que nous tirerons les bénéfices nécessaires de la mondialisation - mais il faut une forte autorité sur le plan international naturellement - que si la France est forte, que si la France est compétitive. Tout notre souci est de redynamiser la France. Toutes les mesures que je propose pour rassurer les Français dans beaucoup de domaines - comme les retraites -, créent une dynamique que j'amplifie par des mesures fiscales, par des mesures sociales permettant de travailler plus, de travailler mieux et d'être plus compétitif. C'est ce qui nous manque. La mondialisation exige que nous ayons, à la fois, la force politique d'être présents dans le monde et d'être entendus et la force économique qu'il faut rendre à une France qui s'est incontestablement affaiblie."
Si c'est vous qui êtes à l'Elysée, ou L. Jospin ou un autre, où sont pour les citoyens les différences ? Il y aura des différences ?
- "Les différences sont considérables. Rapidement, je dirais que, d'abord - et c'est le point que je viens de souligner -, il y a cette exigence de dynamisation de l'économie pour encourager la croissance, pour servir l'objectif de plein emploi, pour restaurer la valeur travail. Cela représente des actions à mener en réduction d'impôts, de charges, de règlements."
Vous estimez que vous êtes les seul à pouvoir le faire ?
- "En tous les cas, il me semble - si je regarde ce qui s'est passé depuis cinq ans - que je suis le mieux placé. Le deuxième élément, c'est l'impératif de garantir les besoins essentiels des Français comme les retraites, la santé qui est en crise, l'éducation notamment tout au long de la vie, la solidarité avec des pauvres qui n'ont bénéficié de rien au terme de quatre ans de croissance, l'environnement, la sécurité alimentaire et bien d'autres. Et enfin, c'est le dernier point, je l'ai souligné tout à l'heure : c'est la reprise du dialogue social qui est tout à fait essentiel. Nous ne pouvons pas laisser les choses être décidées de Paris, par le Gouvernement dans tous les domaines. Il faut que, dans le cadre de la loi, le dialogue social soit véritablement le moteur du progrès social au niveau des entreprises, comme au niveau des branches ou de la France."
Je voudrais terminer par ce qui est en train de se passer à Canal Plus. Vous disiez, tout à l'heure, qu'il fallait dynamiser les entreprises dans un monde de concurrence. Que pensez-vous du fait que la crise de Canal Plus dans Vivendi est ainsi devenue, en France, en peu de temps, une affaire politique d'ampleur nationale ?
- "Il y a d'abord, naturellement, la belle aventure télévisuelle et je comprends le désarroi des salariés de Canal Plus. Il y a ensuite les risques, notamment en ce qui concerne le contrat de financement du cinéma, qui est essentiel à mes yeux, sur le plan de la politique de la culture en France."
D'autant plus qu'à Hollywood, on se lèche déjà les babines !
-"Troisièmement, il y a Vivendi environnement, c'est-à-dire l'approvisionnement en eau d'un grand nombre de Français - ce qui est essentiel. C'est une forme de service public qui ne peut pas être assumée par n'importe qui."
C'est-à-dire que l'Etat n'accepterait pas qu'il y ait une main mise étrangère sur un bien précieux comme l'eau, sur le marché de l'eau en France ?
- "Je ne l'imagine pas, parce qu'il y a, là, une fonction de service public et quelque chose de vital pour les Français."
On peut dire qu'on a constaté que vous défendez, aujourd'hui, Canal Plus et les Guignols ? Vous n'êtes pas rancunier ? Vous avez peut-être à la fois de l'humour et pas de rancune ?
- "Je ne vois pas en quoi je devrais être rancunier. Mais je défends un système qui a fait ses preuves, notamment pour ce qui concerne la politique culturelle de la France, la diversité culturelle, qui est un élément que j'ai toujours soutenu et défendu, aussi bien à l'organisation mondiale du commerce, à l'Unesco qu'en Europe."
Mais c'est à un chef d'entreprise ou de groupe de faire ce qu'il veut à l'intérieur de son groupe ?
- "Non, il a un contrat et ce contrat doit être respecté, sinon le contrat tombe."
S'il ne respecte pas le contrat, on peut même imaginer de retirer l'autorisation de Canal Plus ?
- "Sans aucun doute."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 avril 2002)