3 avril 2002 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à LCI le 3 avril 2002, sur la proposition d'envoi d'une force internationale au Proche-Orient, la lutte contre l'insécurité, la réforme de l'Administration, l'objectif de baisse des charges et des impôts, l'ouverture du capital des services publics et les fonds de pension.
PIERRE-LUC SEGUILLON - JACQUES CHIRAC, Bonsoir. Merci de passer cette demi-heure avec les téléspectateurs de LCI, avant le meeting que vous allez tenir tout à l'heure à Bordeaux, où nous vous retrouverons ce soir.
Avec Anita HAUSSER, nous allons essayer de formuler les questions qui sont encore celles des téléspectateurs à quelques dix-neuf, vingt jours si je ne me trompe, du premier tour de cette élection présidentielle. Nous allons commencer si vous le voulez bien par le Proche Orient. Tout simplement parce que la crise du Proche Orient a fait irruption, si je puis dire, dans cette campagne présidentielle avec notamment ses répercutions indirectes sur notre propre territoire, le territoire français. Cet après-midi, le Premier ministre qui tenait une conférence de presse comme candidat s'est associé à l'initiative que vous avez prise de demander au Président de l'Union européenne, José-Maria AZNAR d'accompagner M. SOLANA au Proche Orient et il a également¿
JACQUES CHIRAC - ¿ pas d'accompagner, d'aller avec¿
QUESTION - ¿d'aller avec, oui bien sûr. Et il a également souhaité que soit envoyée une force d'observation et d'interposition, force internationale au Proche Orient sous l'égide de l'ONU. Que pensez-vous de cette proposition, est-elle réalisable ?
JACQUES CHIRAC - L'envoi d'une force d'interposition et d'observation, sous l'égide de l'ONU, sur place, est une idée qui est sur la table depuis maintenant un peu plus d'un an, et à laquelle la France a souscrit. Je m'étais, pour ma part, employé, à convaincre à Gènes où nous avions discuté de cette affaire, le Président américain, M. BUSH, dont c'était la première réunion du G8 et il avait d'ailleurs souscrit. Les difficultés de mise en ¿uvre ont différé à l'application de cette mesure et je crois qu'aujourd'hui les choses ayant pris la tournure dramatique que nous connaissons, il faut que l'ONU reprenne cette idée et voit comment la mettre en ¿uvre, ce qui suppose naturellement l'accord des deux partis et ce qui n'est pas facile.
QUESTION - Et ce qui suppose l'accord des Etats-Unis. Alors quelque chose peut-il se faire au Proche Orient ?
JACQUES CHIRAC - Les Etats-Unis, dans le principe, ont déjà donné leur accord. Ils l'ont donné à Gènes, et c'est, au fond, dans l'esprit même si ce n'est pas dans la lettre de la résolution 14-02 qu'ils ont acceptée récemment à l'ONU.
QUESTION - Que manque-t-il alors ? Que manque-t-il pour mettre les choses en ¿uvre ?
JACQUES CHIRAC - Il manque une décision de l'ONU qui, seule, peut prendre une décision de cette nature, mais je le répète, la France a pris une décision positive dans ce domaine. J'en ai encore d'ailleurs parlé ce matin avec le Président de l'Union européenne, M. José-Maria AZNAR, à qui, effectivement, j'ai suggéré d'aller sur place en, es-qualité, accompagné du Haut représentant M. SOLANA, ce qui n'a de sens naturellement, que s'il a la possibilité de participer à renouer un dialogue et donc s'il a la possibilité de voir à la fois le Premier ministre israélien et le Président de l'Autorité palestinienne.
QUESTION - Et c'est lui qui devrait les convaincre tous les deux ?
JACQUES CHIRAC - En tous les cas, il peut apporter la contribution de l'Europe dans ce domaine.
QUESTION - Quel jugement est-ce que vous portez sur ce conflit entre les Palestiniens et les Israéliens ? Est-ce que vous pensez qu'il est, je dirais, à responsabilités partagées ou, en revanche, est-ce qu'il y a aujourd'hui une responsabilité à stigmatiser voire à condamner ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que dans les moments de crise, il n'y a pas lieu de rechercher ou de mettre en exergue des responsabilités. Tout ce que je voudrais dire, c'est que Israël n'obtiendra pas la sécurité par la force et que les Palestiniens n'obtiendront pas la reconnaissance de leurs droits par le terrorisme, par la terreur. Cela est une certitude. Seule, une solution politique peut conduire à un résultat positif. Résultat positif qui est essentiel pour les deux parties naturellement, mais qui l'est aussi pour l'équilibre de la région qui commence à être un peu menacé. Vous voyez, j'avais ce matin une longue conversation avec le Président MOUBARAK d'Egypte, qui me disait l'inquiétude qui était la sienne devant les grandes manifestations qui actuellement se déroulent en Egypte et au Caire.
QUESTION - Quelle serait votre attitude si, demain, on apprenait que le Premier ministre israélien avait expulsé Yasser ARAFAT des territoires palestiniens ?
JACQUES CHIRAC - Je ne fais pas de politique fiction.
QUESTION - Alors pardonnez-moi, je reste un instant sur la politique fiction. On parle beaucoup de programmation d'une intervention des Etats-Unis dans quelques semaines ou dans quelques mois contre l'Irak. Quelle serait votre attitude si demain vous êtes toujours à l'Elysée ?
JACQUES CHIRAC - Je crois qu'il n'y a pas d'autre solution pour les autorités irakiennes que d'accepter le retour des inspecteurs. C'est ce que l'ONU demande à l'Irak, c'est ce que le Secrétaire général de l'ONU a, à nouveau, réaffirmé avec force et l'Irak serait bien inspiré de prendre très au sérieux ces demandes. Naturellement, si ces demandes, - ce que je souhaite et ce que j'espère et au total ce que je pense - sont acceptées parce qu'elles sont raisonnables et qu'elles sont naturelles, alors, le problème que vous évoquez ne se posera pas, ce que je souhaite également.
QUESTION - Pour en revenir en France, le conflit du Moyen Orient a des répercutions sur l'antisémitisme qui a connu un rebondissement, une aggravation, ces derniers jours, avec plusieurs attentats, une synagogue détruite, un cimetière attaqué. Vous avez demandé au Gouvernement de prendre des mesures. Est-ce que vous imaginiez que les choses étaient si fragiles dans notre pays ?
JACQUES CHIRAC - Alors je voudrais d'abord, une fois de plus, cela va de soi, condamner avec la plus grande fermeté des attentats ou des agressions à l'égard des personnes, des biens ou des symboles de la communauté juive qui est une partie intégrante de la communauté française. Ces actes sont inacceptables. Leurs auteurs doivent être poursuivis, trouvés et punis de façon exemplaire. C'est d'ailleurs, dans cet esprit, que j'ai demandé au gouvernement de faire le maximum pour assurer la sécurité, non seulement des Lieux Saints mais également des écoles juives et, plus généralement, de la communauté dans toute la mesure du possible. Naturellement, ce n'est pas facile parce que les points sont nombreux. Mais je voudrais dire que, ce qui est en cause aussi dans cette affaire, au-delà d'un antisémitisme qui n'a aucune place dans notre République, pas plus que le racisme ou la xénophobie, mais au-delà, c'est le problème même de notre cohésion nationale qui est en cause. La nation, ce n'est pas seulement notre héritage, c'est, je dirais avant tout, notre avenir, la garantie de nos libertés essentielles, notre liberté de penser, notre liberté religieuse, notre liberté de nous exprimer. La première des solidarités, c'est la solidarité nationale et donc nous devons tout faire pour préserver et renforcer notre cohésion nationale. Il va de soi que tout affrontement de cette nature est extraordinairement dangereux pour la cohésion et la solidarité.
QUESTION - Cette cohésion est menacée par les communautarismes ?
JACQUES CHIRAC - Alors c'est également un danger. Pour ma part, je n'accepterais jamais que la France dérive vers une juxtaposition de communautés. Ce n'est pas dans sa tradition. Ce n'est pas notre histoire, ce n'est pas notre culture, ce n'est pas notre ambition, pas plus d'ailleurs que je ne peux accepter que des conflits extérieurs, quelle qu'en soit la nature, puissent conduire sur notre sol, des Français à s'adresser contre d'autres Français. C'est la raison pour laquelle, je me permettrais d'appeler ce soir solennellement les Français à la vigilance. C'est notre héritage et notre avenir qui sont aujourd'hui en cause avec notre cohésion sociale. Je veux les appeler à la tolérance, au respect de l'autre. Il n'y a rien qui puisse justifier des agressions de Français contre des Français et par conséquent, chacun doit être non seulement vigilant, mais conscient de sa propre responsabilité au regard de ce qui est notre solidarité nationale, notre patrie collective, à tous les Français, quelles que soient leurs origines ou leurs convictions.
QUESTION - Alors j'en viens à la campagne, peut-être par le biais, encore, d'une question sur la politique étrangère. Le candidat JOSPIN a expliqué dans un entretien accordé au Figaro que s'il était élu, il aurait une diplomatie, une politique étrangère différente, une politique étrangère forte, dit-il. Alors, je voudrais savoir, parce que vous avez cohabité cinq ans ensemble, vous avez géré ensemble, dirigé ensemble la politique étrangère, est-ce que vous avez ressenti des divergences entre votre vision de la politique étrangère et la sienne, par exemple sur le Proche Orient à l'occasion de son propre voyage au Proche Orient ?
JACQUES CHIRAC - Non, je n'ai jamais ressenti de divergences, ce qui fait que la France s'est exprimée facilement d'une seule voix. Dans nos institutions, le chef de l'Etat a, je dirais, une responsabilité éminente dans ce domaine. D'abord, c'est lui qui conduit la délégation française. C'est lui qui conduit, en fait, la diplomatie française et on ne peut pas imaginer qu'il y ait des divergences de vues quelles que soient les circonstances de politique intérieure. Donc il y en a, en réalité jamais eu. Quand il y avait, sur le plan pratique, des questions qui devaient être discutées ensemble, nous le faisions régulièrement. Nous nous réunissions après le Conseil des ministres, en Conseil restreint, à l'Elysée pour préparer tel sommet, notamment les sommets européens et notamment pour être bien sûrs qu'il n'y avait pas de divergences de vues sur des problèmes techniques ou des problèmes qui étaient plus particulièrement de la responsabilité du gouvernement. Il n'y a pas eu de difficultés particulières, sinon, cela n'aurait pas été possible.
QUESTION - Alors, la campagne officielle va commencer à partir de demain soir. Les candidats ont déposé leurs signatures. A un moment donné, en tout cas, certains candidats se plaignaient de ne pas trouver de signatures. En réalité, au final, on va avoir seize ou dix-sept candidats, est-ce que c'est le trop plein ? Pensez-vous qu'il faut revoir la sélection ?
JACQUES CHIRAC - Monsieur. SEGUILLON, cette manie française, chaque fois qu'il y a un problème, quel qu'il soit, de vouloir changer la loi ou les institutions, est un facteur d'instabilité et un facteur de faiblesse et il faut s'en garder. La loi est la loi, il faut l'appliquer. Alors je reconnais qu'il y a une sorte de spécificité française qui fait que, la démocratie française s'exprime par des voix nombreuses et différentes, c'est la règle du jeu, eh bien, c'est très bien comme cela.
QUESTION - Alors dans cette campagne, il y a un de vos vieux compagnons de route qui voulait se présenter contre vous ? Qui veut se présenter contre vous, c'est Charles PASQUA. S'il n'était pas de ce combat, qu'est ce que cela vous ferait ?
JACQUES CHIRAC - Véritablement il ne m'a pas consulté pour être candidat, et il lui appartient de prendre sa décision et de dire ce qu'il pourra ou voudra faire.
QUESTION - Alors ceux qui vous écoutent, sont évidemment intéressés, tout particulièrement, par ce que fera plus exactement le candidat élu dans les premiers mois de son élection particulièrement. Vous avez, l'autre jour, chez nos confrères de TF1, énoncé un peu ce que serait votre calendrier au lendemain des élections législatives. Deux lois programmes : une loi programme sur la sécurité. Une loi programme sur la justice. Vous souhaitez davantage de moyens, davantage de prisons, davantage de fonctionnaires. Cela ne se fait pas d'un coup de baguette magique. Qu'est-ce qui va être visible ? Qu'est ce qui va changer, concrètement, pour les Français dans les premières semaines qui vont suivre une élection législative ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai pas la prétention de dire que l'on peut, en quelques semaines, tout changer, comme vous avez l'air de le suggérer. Ce qu'il faut d'abord, c'est avoir une vraie volonté politique. Constater que les Français sont, pour simplifier, confrontés à deux problèmes. D'une part, leur garantie d'existence. Ce sont les problèmes liés à la sécurité, la sécurité des biens et des personnes, naturellement, mais aussi la sécurité de leur retraite. Celle de leur santé, de leur environnement : ça c'est un premier domaine. Or, une nation n'est vraiment dynamique que si, par ailleurs, elle est sereine et assurée, si j'ose dire, de l'essentiel.
Et la deuxième nécessité pour les Français, c'est de leur donner plus de liberté d'agir, plus de dynamisme, leur permettre de libérer davantage leurs énergies créatrices qui sont grandes. Toute notre histoire le prouve. Alors que faire au début et dès le démarrage d'un nouveau gouvernement ? Je crois d'abord qu'il faut donner un signal très fort sur la volonté de ramener l'insécurité à un niveau aussi bas que possible. C'est pourquoi, je crois qu'il faudra immédiatement que le chef de l'Etat réunisse un Conseil de sécurité intérieure sous sa propre impulsion car le problème est si grave, qu'aujourd'hui il relève, à mon sens de l'impulsion et des arbitrages du chef de l'Etat. Il faudra mettre en place, dans le nouveau gouvernement, un ministre chargé d'assurer la sécurité intérieure et qui aurait la coordination de l'ensemble des moyens de la sécurité. Je dis, entre parenthèses que s'agissant de la gendarmerie, qui est une arme pour laquelle, vous le savez, j'ai un très grand respect, il est hors de question de remettre en cause son statut militaire.
QUESTION - Attendez, qu'est-ce qui change entre le ministre de l'Intérieur aujourd'hui et le ministre de la sécurité intérieure demain ?
JACQUES CHIRAC - C'est que le ministre de la Sécurité n'a qu'un objectif, qui est celui d'éradiquer l'insécurité.
Troisièmement et instantanément, il faut mettre en place les groupements d'intervention concernant les régions, - les groupements régionaux d'intervention -, c'est-à-dire ensemble, des policiers, des gendarmes, des magistrats mais aussi des représentants du fisc ou des douanes. Pourquoi ? Parce qu'une part importante de la délinquance, notamment dans les quartiers difficiles, émane des réseaux mafieux qui se sont installés et qui font de la prostitution, de la drogue, de l'immigration clandestine ou d'autres choses. Et ces réseaux mafieux, il faut les éradiquer. Les moyens actuels, locaux de la police ou de la gendarmerie ne sont pas suffisants quelles que soient leurs compétences et les dangers qu'ils prennent. Il faut donc des opérations qui soient des opérations massives pour éradiquer ces réseaux mafieux.
QUESTION - Alors, qui dirigerait ces groupements d'intervention régionaux ?
JACQUES CHIRAC - Les préfets ou les préfets de région et le ministre naturellement. Il faudra ensuite, je vous le disais, - dès la session extraordinaire du Parlement que je convoquerai, si je suis élu, et si nous avons une majorité correspondante à ce que je souhaite et pour laquelle je m'engagerai - deux grandes lois de programmation quinquennale : l'une pour la justice qui a besoin de moyens nouveaux, qui a besoin aussi que l'on dise comment on mettra en place la justice de proximité, comment on donnera les moyens aux magistrats d'assumer leur fonction, ce qu'ils n'ont pas actuellement, comment on redonnera aux prisons la vocation qui est la leur, c'est-à-dire la dignité qui doit être la leur et comment on mettra en place les centres éducatifs fermés, préventifs ou éducatifs- qui sont indispensables pour les multirécidivistes et pour les caïds qui sont l'un des éléments caractéristiques de cette délinquance.
QUESTION - Ce qui signifie un recrutement, si je comprends bien, très important, sinon massif de policiers, de magistrats, d'éducateurs ?
JACQUES CHIRAC - Il lui faudra, sans aucun doute, davantage de policiers, de magistrats, d'éducateurs.
La deuxième loi de programmation est celle qui consiste la police et la gendarmerie, c'est-à-dire les forces de l'ordre. Cela touche, naturellement, leurs effectifs, leurs moyens, la modernisation d'un certain nombre de moyens, je pense, en particulier, aux commissariats. Cela touche également le déploiement de ces forces sur le territoire national. Bref, cela est la partie sécurité. De même que dans le cadre de la partie sécurité, je souhaite que l'on fasse une charte de l'environnement adossée à notre Constitution.
Et puis, il y a la partie dynamisme, qui devra également figurer - je répondrai à vos questions sur ce point - dans cette session extraordinaire qui concerne, elle, l'activité économique, la diminution des charges.
QUESTION - On va y venir. Tout ce que vous dites, c'est une action à long terme ?
JACQUES CHIRAC - Oui, mais qui doit être engagée immédiatement.
QUESTION - Mais embaucher des policiers, il faut les former £ engager des magistrats, il faut trois ans pour les former¿
JACQUES CHIRAC - ¿En attendant, il faut mieux utiliser ceux dont on dispose et surtout, Anita HAUSSER, leur redonner la dignité qui est la leur, la considération qu'on leur doit. Vous savez, très nombreux, sont aujourd'hui les représentants de la police, de la gendarmerie qui n'ont pas le sentiment que la société les tient dans l'estime qui leur est due. Ce sont des gens qui font un travail difficile, hélas, dangereux comme un certain nombre de faits en témoigne et qui doivent être psychologiquement aussi remobilisés. Pour remobiliser ces hommes et ces femmes, il n'y a pas d'autre moyen que de leur apporter le respect et la considération qu'on leur doit, à commencer par le gouvernement et ensuite l'ensemble du pays.
QUESTION - On a évoqué le recrutement des fonctionnaires qu'ils soient policiers, qu'ils soient magistrats, qu'ils soient éducateurs. Je voudrais que vous disiez, très clairement, aujourd'hui -parce que, quand on parle du problème de la Fonction publique, du nombre des fonctionnaires, vous dites : " redéploiement". Mais est-ce que votre maîtrise des dépenses publiques signifie que vous allez, en fait, réduire progressivement le nombre de fonctionnaires ? On sait qu'il y a huit cent mille fonctionnaires qui partent à la retraite d'ici à dix ans. question très basique : est-ce qu'il faut les renouveler ou pas ?
JACQUES CHIRAC - Pierre-Luc SEGUILLON, elle est peut-être basique votre question, mais permettez-moi de vous dire qu'elle n'a aucun sens. Quel est l'objectif ? Ce n'est pas d'avoir tant de fonctionnaires.
QUESTION - C'est la maîtrise des dépenses publiques ?
JACQUES CHIRAC - Non, pas du tout. L'objectif, c'est d'avoir une administration qui rende tous les services que l'on peut exiger d'elle et dans laquelle les fonctionnaires ou les agents des services publics puissent avoir une vie épanouissante et mettre le meilleur d'eux-mêmes au service de ce à quoi il croit, c'est-à-dire le service public. Cela c'est le fond du problème et par conséquent nous devons faire en sorte que, là, où il n'y a pas assez d'agents, il y en ait davantage, là où il y en a trop, qu'on en réduise le nombre. Il n'y a pas un objectif en disant : on va faire tant de fonctionnaires. Le nombre de fonctionnaires est la conséquence d'une réforme de l'administration, laquelle réforme, je le répète, a le double objectif : mieux servir les Français d'une part £ d'autre part, intégrer les formes modernes d'administration avec les conséquences de la décentralisation qui vont s'amplifier, avec les transferts de compétences, les technologies nouvelles de gestion. Il n'y a pas de raison que l'administration ne soit pas gérée comme une grande entreprise privée, c'est-à-dire de façon moderne et dynamique. Je vous répète, la question n'a aucun sens.
QUESTION - Si je peux préciser, quand même, le sens de ma question : on dit régulièrement, et vous-même l'avez dit par le passé, que l'on est l'un des pays où il y a le plus de fonctionnaires ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai pas le souvenir d'avoir dit cela et je n'ai pas de chiffres qui puissent étayer ou contredire cette affirmation. Ce que je vous dis, c'est que le nombre de fonctionnaires n'est pas un objectif. C'est une conséquence d'une politique.
QUESTION - Quand on vous écoute, on se dit qu'il faut plus de policiers, plus de magistrats, donc tout cela fait des embauches, qu'il faut aussi plus de monde dans les hôpitaux, puisque vous avez pris à bras le corps la crise des hôpitaux, en préconisant également un grand plan d'équipement de santé¿
JACQUES CHIRAC - ¿ Ce ne sont pas les fonctionnaires, enfin¿
QUESTION - ...Ce ne sont pas des fonctionnaires, mais les fonctionnaires territoriaux¿
JACQUES CHIRAC - On a une crise forte dans les hôpitaux, que je connais bien et je déplore, dont la principale caractéristique est le manque dramatique de personnel soignant notamment les infirmiers et les aides-soignantes bien sûr, mais également maintenant les médecins. Petit à petit, il y a, là, une vraie crise, ce qui est inadmissible dans un pays qui a probablement le meilleur système de santé du monde et qui laisse ce système dériver dans une crise qui est tout à fait inacceptable.
QUESTION - Alors cette crise, vous la résolvez comment ? Est-ce qu'on la résout en assouplissant, comme vous dites, les 35 heures, c'est-à-dire en permettant au personnel hospitalier de travailler plus ? Ou faut-il, là aussi, embaucher massivement ?
JACQUES CHIRAC - Il faudrait, pour les hôpitaux, sans aucun doute, embaucher de façon relativement importante. C'est bien ce qui est prévu et de façon insuffisante. Malheureusement, pour embaucher, il faut avoir quelqu'un à embaucher. Et les choses étant ce qu'elles sont, nous n'avons pas, aujourd'hui, en France, le nombre d'infirmières formées qui permettrait de les embaucher parce qu'on n'a pas réfléchi à ce problème, de même qu'on n'a pas réfléchi aux conséquences du numerus clausus pour les médecins et on s'aperçoit, aujourd'hui, que, dans bien des disciplines, on manque de médecins et on en manquera de plus en plus. Donc là, il y a une révision à faire. Mais ce sont des problèmes qui peuvent être réglés, notamment celui de la santé, qui est essentiel. Mais ils ne se régleront convenablement que, dans la mesure, où la France aura retrouvé son dynamisme. Or, aujourd'hui, la France est dans les derniers pays en matière de dynamisme de l'Union européenne. Nous sommes, vous le savez, le onzième pays en matière de chômage sur quinze et nous sommes le douzième pays en matière de richesse par habitant. Non pas que nous soyons moins courageux, moins dynamiques, moins compétents que les autres mais simplement parce qu'on a crée un système où nous sommes moins compétitifs et que si nous voulons rendre à la France, - notamment pour lui permettre son progrès social, l'amélioration des revenus, la diminution du chômage - il n'y a pas d'autre solution que de nous redonner du dynamisme. Et ça, c'est l'essentiel. C'est le deuxième volet, dont je parlais tout à l'heure. Cela passe par une réduction des charges excessives qui pèsent sur l'ensemble des Français et notamment sur les entreprises françaises. Cela est un point capital.
QUESTION - Si vous permettez quelques précisions, justement, sur ces mesures. D'ailleurs, vous l'avez dit, dès la première année 2002 vous opérez. Vous souhaitez une réduction de l'impôt sur le revenu de 5 %. question très précise : est-ce que ce 5 % qui représente à peu près deux milliards et demi d'euros s'ajoute à la baisse prévue, aujourd'hui, par le ministre de l'Economie et des Finances, Laurent FABIUS, qui est déjà de deux milliards d'euros ?
JACQUES CHIRAC - Je finis par ne plus savoir exactement ce qui est prévu par le gouvernement. Ce que je peux vous dire, c'est que je considère que les Français, aujourd'hui, paient trop d'impôts et donc la France n'est plus compétitive. Résultat : nous voyons les entreprises se délocaliser. Nous voyons les investissements français se faire à l'étranger. Nous voyons les investissements français venir moins en France. Nous devons donc regarder où nous sommes plus lourdement chargés que les autres, de façon à diminuer la charge. C'est d'abord sur l'impôt sur le revenu. Et c'est la raison pour laquelle, je propose une diminution qui, au total, est de l'ordre de quinze milliards d'euros sur la période de cinq ans. Donc, dès la première année, moins 5% qui devront être votés par la session extraordinaire.
QUESTION - Sur ce premier point, sur l'impôt sur le revenu, est-ce que l'impôt négatif, qui est la prime pour l'emploi, vous le gardez ? Et deuxièmement, est-ce que vous l'augmentez ?
JACQUES CHIRAC - Ou bien vous me demandez ce que je veux faire, ou bien vous me demandez ce que fait le gouvernement. Moi, je vous dis ce que je veux faire, c'est-à-dire baisser les impôts. La prime sur l'emploi existe. Je parle d'une situation qui est la situation actuelle et je dis que nous devons baisser les charges. D'abord, les impôts sur le revenu : parce que nous sommes, de ce point de vue, trop lourdement chargés et le résultat est : combien de Français, souvent sortis des grandes écoles, des universités partent à l'étranger ? C'est de l'intelligence que nous perdons. Or, il faut faire le pari de l'intelligence.
Deuxièmement, les entreprises : pourquoi est-ce que nous avons cette situation et cette délocalisation ? C'est parce que nos entreprises ont un impôt sur les sociétés qui est sensiblement supérieur à celui de leurs voisines. Or, aujourd'hui, tous les territoires doivent être compétitifs. Il faut donc le baisser, non pas pour faire des cadeaux aux entreprises naturellement, mais simplement pour les rendre compétitives. Cette baisse, j'y affecte de l'ordre de sept milliards d'euros sur la période et cela nous permet de revenir à la moyenne européenne.
QUESTION - Le chancelier allemand Gerhard SCHROEDER veut aller jusqu'à 25 % ?
JACQUES CHIRAC - Attendez, le chancelier allemand fait ce qu'il veut. Moi, je vous dis ce que je fais.
Le troisième point, ce sont les charges sociales qui sont tout à fait excessives, notamment, pour ce qui concerne les plus bas salaires. C'est essentiel pour les jeunes mais c'est essentiel aussi pour recréer de l 'emploi. Vous avez vu le dernier rapport de l'INSEE, qui dit que les diminutions de charges sociales sont le seul moyen efficace pour lutter contre le chômage. Quatre cent soixante mille emplois ont été créés par les mesures prises en 1993 et 1995. Je ne parle pas de la taxe d'habitation, à laquelle j'affecte également deux milliards d'euros. Tout cela fait trente milliards de baisse de charges. Comment peut-on les financer ? C'est cela que vous me demandiez. Eh bien je vais vous le dire. La croissance telle qu'elle est aujourd'hui, prévisible dans l'esprit de tous les prévisionnistes et de tous les programmes, d'ailleurs, est de l'ordre de 3 %. Je le pense aussi. J'ai indiqué que je limiterai l'augmentation des dépenses publiques à 1,4 %. Nous l'avons déjà fait souvent dans notre pays. Ce n'est donc pas un objectif idéaliste. La différence entre ces deux chiffres donne, sur la période, une recette supplémentaire de 65 milliards d'euros. Donc, je fais 30 milliards que je rends aux Français, au titre de la croissance, et 35 milliards (le solde), affectés soit aux dépenses nouvelles soit, surtout, à la réduction des déficits. Voilà, l'équilibre global de mon projet.
QUESTION - Vous tablez sur une situation internationale sereine et, ce qui est frappant, lorsqu'on voit les sondages - je sais que vous ne les aimez pas beaucoup -, les Français n'ont pas l'air de beaucoup croire à votre programme de baisse d'impôts. Comment expliquez-vous cela ?
JACQUES CHIRAC - On leur a tellement dit ! Qu'ils ont quelques excuses à être un peu sceptiques par rapport au programme. On leur a tellement souvent dit des choses qui ne se sont pas passées. Je le reconnais. Mais, si vous le permettez, je donnerai un argument : lorsque je parle de ces baisses de charges et que je les inscris dans un ensemble équilibré, ce n'est pas par idéologie. Ce n'est pas, non plus, par désir de faire une proposition politique attractive. C'est, tout simplement, parce que c'est inévitable. Je le répète, la France ne progressera pas si elle est plus lourdement chargée que les autres pays européens, et, plus généralement, les autres pays du monde.
Donc, le problème n'est pas un problème idéologique ou politique. C'est incontournable. C'est inévitable. Sinon, nous allons droit dans le mur.
QUESTION - Parmi les outils qui peuvent être les vôtres, demain, il y a les privatisations. Mais que reste-t-il encore à privatiser, quand on voit ce qu'a privatisé le gouvernement de Lionel JOSPIN ? J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'accélération soudaine des privatisations déclenchées par le ministre de l'Economie et des Finances. J'ai envie de vous poser la question : mais que va-t-il vous rester à privatiser, notamment pour alimenter le fameux fonds de réserve des retraites ?
JACQUES CHIRAC - Cela, c'est une question qui correspond bien à la réalité. D'abord, si l'on a cédé beaucoup d'actifs publics ces derniers temps, c'est, j'imagine, surtout pour des raisons budgétaires, car le déficit budgétaire, pour la première fois depuis huit ans, réaugmente. Il a fallu trouver des ressources partout où l'on pouvait en trouver. Il reste encore des choses à faire, non pas pour privatiser - je n'aime pas ce terme, cela ne correspond pas à une réalité -. Et, quand on parle de privatisation, on a l'air de mettre en cause les services publics. Or, moi, je suis profondément attaché à nos services publics qui sont la seule garantie pour les Français d'avoir les mêmes droits sur l'ensemble du territoire. C'est une notion essentielle. C'est la raison pour laquelle, je le répète, je suis très attaché - je l'ai défendu à Barcelone, récemment -, à nos services publics.
Donc, je n'aime pas ce terme de privatisation. En revanche, dans le cadre de la modernisation de l'économie, il est certain que des ouvertures de capital sont nécessaires, y compris dans certains services publics, pour leur permettre de développer leurs activités, notamment sur le plan international. Donc, il y a des cessions d'actifs qui sont encore possible. Et, c'est vrai, comme vous l'avez dit, que ces cessions d'actifs publics devront, au moins pour une part importante, être affectés à la consolidation de notre système de retraite par répartition qui est en grand danger.
QUESTION - Alors, moi, je voudrais vous poser une question sur les retraites, précisément. Vous voulez réunir une grande conférence tripartite sur ce sujet. Mais, vous-même, est-ce que vous pensez qu'il faut augmenter la durée de cotisation, ou est-ce qu'il faut augmenter les cotisations ? Et, quid des salariés qui ont travaillé pendant quarante ans, qui n'ont pas encore soixante ans et qui voudraient partir à la retraite ?
JACQUES CHIRAC - Ce sont deux questions différentes. Pour simplifier, je suis d'abord, naturellement, avant tout, garant de notre système de retraite par répartition qui est un système qu'il est hors de question de mettre en cause. Il est en danger. Il faut le renforcer par les moyens que nous évoquions, tout à l'heure, et par un effort collectif. L'Etat, je l'ai dit, apportera sa part. Il faut, effectivement, qu'une concertation, débouchant rapidement sur des décisions entre l'Etat et les organisations syndicales et les organisations professionnelles, puisse trouver les solutions qui permettent cet effort collectif. Est-ce que cela doit être un allongement, une diminution des durées, une augmentation, une diminution des cotisations ? Cela, c'est un problème technique qui doit être examiné à l'occasion de cette concertation.
QUESTION - Ce n'est pas négligeable, quand même.
JACQUES CHIRAC - Oui. Mais, c'est à l'occasion de cette concertation que cela doit être fait. Ce qu'il faut, c'est rétablir l'équilibre dans les perspectives démographiques que nous connaissons. Ce problème est soluble. Mais, je le répète, il coûtera cher à l'Etat. Mais, il est soluble et il doit être résolu.
Parallèlement, ce que je dis, c'est qu'il y a des Français, beaucoup de Français, qui veulent pouvoir améliorer leur retraite. Il y a ceux, qui voudraient pouvoir économiser, d'une façon ou d'une autre, en y étant incités ou aidés par une défiscalisation, comme les fonctionnaires peuvent le faire avec ce que l'on appelle la Préfond - on a fait une querelle épouvantable sur les fonds de pensions, cela n'a aucun sens. Je dis simplement qu'il faut, là aussi, un peu plus de liberté, et que ceux, qui veulent économiser, y soient incités ou qu'on leur donne les facilités nécessaires. Il n'y a pas de raison de limiter cela aux seuls fonctionnaires. Il faut l'étendre à tous les Français.
QUESTION - Deux questions sur la campagne elle-même. Vous êtes, quand on regarde les intentions de vote, au coude à coude, si je puis dire, avec le candidat JOSPIN. Qu'est-ce que vous répondez à ceux de vos amis qui vous disent : "vous êtes au coude à coude, parce que vous ne vous êtes pas suffisamment positionner à droite et que vous êtes trop au centre dans votre programme, dans vos propos" ?
JACQUES CHIRAC - D'abord, avec tout le respect que j'ai pour les instituts de sondages qui, en France, sont excellents, vous faites allusion dans les intentions de vote à des sondages, dont on sait qu'ils reflètent une science très aléatoire £ c'est le moins que l'on puisse dire, par conséquent, il est très difficile de dire, quelle est la réalité politique des choses. Personne ne peut le faire sérieusement, aujourd'hui. Donc, je me méfie un peu. Je n'en tire, d'ailleurs, aucune conséquence, ni dans un sens ni dans l'autre. Simple observation.
Deuxièmement, je suis candidat. Et, je suis candidat avec un projet affirmant une vision des choses. Elle est la mienne. Les Français l'accepteront ou ne l'accepteront pas. Je suis respectueux, par essence, de la démocratie. Je leur fais toute confiance. Ce que je peux simplement leur dire, c'est que j'ai fait appel à tout ce que je peux avoir d'expérience ou d'intuition - je ne dirai pas d'intelligence -, pour leur proposer ce qui me parait, aujourd'hui, le mieux à même de répondre aux besoins de la France et à leurs besoins personnels.
QUESTION - Si vous me le permettez, une deuxième question. Vous avez vécu cinq ans de cohabitation. Vous êtes candidat. Vous serez, peut-être, demain à nouveau Président de la République. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous demanderaient : "est-ce que vous pourriez encore supporter, en quelle que manière, une cohabitation". Autrement dit, soit vous prendrez des dispositions institutionnelles en proposant aux Français des dispositions nouvelles pour éviter une nouvelle cohabitation, soit vous dites d'avance : "quoiqu'il arrive, je refuserai la cohabitation".
JACQUES CHIRAC - Je vous disais, tout à l'heure, qu'il y avait une espèce d'exception française, une manie française, qui consiste à vouloir toujours changer les lois, les institutions, ce qui fait de la France le record du monde pour ce qui concerne le nombre de constitutions, l'instabilité législative, etc. C'est une grande faiblesse pour notre pays. Moi, j'ai confiance dans la démocratie. Les Français ont voulu, il y a cinq ans, une majorité de gauche. Je n'ai pas mis en cause, naturellement, leur décision. Je n'ai pas fait un caprice. J'ai dit : "c'est très bien. Ils ont voulu cela". Et, par conséquent, il m'appartient, et j'ai dit au Premier ministre que j'ai désigné : "il vous appartient de faire en sorte que leurs affaires soient gérées, certainement dans le cadre des institutions, avec votre responsabilité et la mienne, mais de la façon la plus digne", sans évoquer l'image de la France à l'étranger. C'est ce qui a été fait.
QUESTION - Est-ce que cela a bien fonctionné ?
JACQUES CHIRAC - Je ne dis pas que cela a bien fonctionné. La cohabitation n'est pas un bon système. Mais, moi, je n'en tire pas la conclusion qu'il faut soit, ajouter une crise institutionnelle à une crise politique, soit ne pas vouloir accepter la décision des Français. En revanche, la conclusion que j'en tire, c'est qu'il appartiendra au Président élu de s'engager fortement, précisément en évoquant l'expérience des cinq années passées, pour demander aux Français de lui donner la majorité qui lui permettra d'assumer les engagements qu'il a pris.
QUESTION - Pouvez-vous imaginer que cela ne soit pas le cas ?
JACQUES CHIRAC - Je ne le pense pas. Je ne pense pas que cela sera le cas.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, merci beaucoup d'avoir répondu à nos questions.
Avec Anita HAUSSER, nous allons essayer de formuler les questions qui sont encore celles des téléspectateurs à quelques dix-neuf, vingt jours si je ne me trompe, du premier tour de cette élection présidentielle. Nous allons commencer si vous le voulez bien par le Proche Orient. Tout simplement parce que la crise du Proche Orient a fait irruption, si je puis dire, dans cette campagne présidentielle avec notamment ses répercutions indirectes sur notre propre territoire, le territoire français. Cet après-midi, le Premier ministre qui tenait une conférence de presse comme candidat s'est associé à l'initiative que vous avez prise de demander au Président de l'Union européenne, José-Maria AZNAR d'accompagner M. SOLANA au Proche Orient et il a également¿
JACQUES CHIRAC - ¿ pas d'accompagner, d'aller avec¿
QUESTION - ¿d'aller avec, oui bien sûr. Et il a également souhaité que soit envoyée une force d'observation et d'interposition, force internationale au Proche Orient sous l'égide de l'ONU. Que pensez-vous de cette proposition, est-elle réalisable ?
JACQUES CHIRAC - L'envoi d'une force d'interposition et d'observation, sous l'égide de l'ONU, sur place, est une idée qui est sur la table depuis maintenant un peu plus d'un an, et à laquelle la France a souscrit. Je m'étais, pour ma part, employé, à convaincre à Gènes où nous avions discuté de cette affaire, le Président américain, M. BUSH, dont c'était la première réunion du G8 et il avait d'ailleurs souscrit. Les difficultés de mise en ¿uvre ont différé à l'application de cette mesure et je crois qu'aujourd'hui les choses ayant pris la tournure dramatique que nous connaissons, il faut que l'ONU reprenne cette idée et voit comment la mettre en ¿uvre, ce qui suppose naturellement l'accord des deux partis et ce qui n'est pas facile.
QUESTION - Et ce qui suppose l'accord des Etats-Unis. Alors quelque chose peut-il se faire au Proche Orient ?
JACQUES CHIRAC - Les Etats-Unis, dans le principe, ont déjà donné leur accord. Ils l'ont donné à Gènes, et c'est, au fond, dans l'esprit même si ce n'est pas dans la lettre de la résolution 14-02 qu'ils ont acceptée récemment à l'ONU.
QUESTION - Que manque-t-il alors ? Que manque-t-il pour mettre les choses en ¿uvre ?
JACQUES CHIRAC - Il manque une décision de l'ONU qui, seule, peut prendre une décision de cette nature, mais je le répète, la France a pris une décision positive dans ce domaine. J'en ai encore d'ailleurs parlé ce matin avec le Président de l'Union européenne, M. José-Maria AZNAR, à qui, effectivement, j'ai suggéré d'aller sur place en, es-qualité, accompagné du Haut représentant M. SOLANA, ce qui n'a de sens naturellement, que s'il a la possibilité de participer à renouer un dialogue et donc s'il a la possibilité de voir à la fois le Premier ministre israélien et le Président de l'Autorité palestinienne.
QUESTION - Et c'est lui qui devrait les convaincre tous les deux ?
JACQUES CHIRAC - En tous les cas, il peut apporter la contribution de l'Europe dans ce domaine.
QUESTION - Quel jugement est-ce que vous portez sur ce conflit entre les Palestiniens et les Israéliens ? Est-ce que vous pensez qu'il est, je dirais, à responsabilités partagées ou, en revanche, est-ce qu'il y a aujourd'hui une responsabilité à stigmatiser voire à condamner ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que dans les moments de crise, il n'y a pas lieu de rechercher ou de mettre en exergue des responsabilités. Tout ce que je voudrais dire, c'est que Israël n'obtiendra pas la sécurité par la force et que les Palestiniens n'obtiendront pas la reconnaissance de leurs droits par le terrorisme, par la terreur. Cela est une certitude. Seule, une solution politique peut conduire à un résultat positif. Résultat positif qui est essentiel pour les deux parties naturellement, mais qui l'est aussi pour l'équilibre de la région qui commence à être un peu menacé. Vous voyez, j'avais ce matin une longue conversation avec le Président MOUBARAK d'Egypte, qui me disait l'inquiétude qui était la sienne devant les grandes manifestations qui actuellement se déroulent en Egypte et au Caire.
QUESTION - Quelle serait votre attitude si, demain, on apprenait que le Premier ministre israélien avait expulsé Yasser ARAFAT des territoires palestiniens ?
JACQUES CHIRAC - Je ne fais pas de politique fiction.
QUESTION - Alors pardonnez-moi, je reste un instant sur la politique fiction. On parle beaucoup de programmation d'une intervention des Etats-Unis dans quelques semaines ou dans quelques mois contre l'Irak. Quelle serait votre attitude si demain vous êtes toujours à l'Elysée ?
JACQUES CHIRAC - Je crois qu'il n'y a pas d'autre solution pour les autorités irakiennes que d'accepter le retour des inspecteurs. C'est ce que l'ONU demande à l'Irak, c'est ce que le Secrétaire général de l'ONU a, à nouveau, réaffirmé avec force et l'Irak serait bien inspiré de prendre très au sérieux ces demandes. Naturellement, si ces demandes, - ce que je souhaite et ce que j'espère et au total ce que je pense - sont acceptées parce qu'elles sont raisonnables et qu'elles sont naturelles, alors, le problème que vous évoquez ne se posera pas, ce que je souhaite également.
QUESTION - Pour en revenir en France, le conflit du Moyen Orient a des répercutions sur l'antisémitisme qui a connu un rebondissement, une aggravation, ces derniers jours, avec plusieurs attentats, une synagogue détruite, un cimetière attaqué. Vous avez demandé au Gouvernement de prendre des mesures. Est-ce que vous imaginiez que les choses étaient si fragiles dans notre pays ?
JACQUES CHIRAC - Alors je voudrais d'abord, une fois de plus, cela va de soi, condamner avec la plus grande fermeté des attentats ou des agressions à l'égard des personnes, des biens ou des symboles de la communauté juive qui est une partie intégrante de la communauté française. Ces actes sont inacceptables. Leurs auteurs doivent être poursuivis, trouvés et punis de façon exemplaire. C'est d'ailleurs, dans cet esprit, que j'ai demandé au gouvernement de faire le maximum pour assurer la sécurité, non seulement des Lieux Saints mais également des écoles juives et, plus généralement, de la communauté dans toute la mesure du possible. Naturellement, ce n'est pas facile parce que les points sont nombreux. Mais je voudrais dire que, ce qui est en cause aussi dans cette affaire, au-delà d'un antisémitisme qui n'a aucune place dans notre République, pas plus que le racisme ou la xénophobie, mais au-delà, c'est le problème même de notre cohésion nationale qui est en cause. La nation, ce n'est pas seulement notre héritage, c'est, je dirais avant tout, notre avenir, la garantie de nos libertés essentielles, notre liberté de penser, notre liberté religieuse, notre liberté de nous exprimer. La première des solidarités, c'est la solidarité nationale et donc nous devons tout faire pour préserver et renforcer notre cohésion nationale. Il va de soi que tout affrontement de cette nature est extraordinairement dangereux pour la cohésion et la solidarité.
QUESTION - Cette cohésion est menacée par les communautarismes ?
JACQUES CHIRAC - Alors c'est également un danger. Pour ma part, je n'accepterais jamais que la France dérive vers une juxtaposition de communautés. Ce n'est pas dans sa tradition. Ce n'est pas notre histoire, ce n'est pas notre culture, ce n'est pas notre ambition, pas plus d'ailleurs que je ne peux accepter que des conflits extérieurs, quelle qu'en soit la nature, puissent conduire sur notre sol, des Français à s'adresser contre d'autres Français. C'est la raison pour laquelle, je me permettrais d'appeler ce soir solennellement les Français à la vigilance. C'est notre héritage et notre avenir qui sont aujourd'hui en cause avec notre cohésion sociale. Je veux les appeler à la tolérance, au respect de l'autre. Il n'y a rien qui puisse justifier des agressions de Français contre des Français et par conséquent, chacun doit être non seulement vigilant, mais conscient de sa propre responsabilité au regard de ce qui est notre solidarité nationale, notre patrie collective, à tous les Français, quelles que soient leurs origines ou leurs convictions.
QUESTION - Alors j'en viens à la campagne, peut-être par le biais, encore, d'une question sur la politique étrangère. Le candidat JOSPIN a expliqué dans un entretien accordé au Figaro que s'il était élu, il aurait une diplomatie, une politique étrangère différente, une politique étrangère forte, dit-il. Alors, je voudrais savoir, parce que vous avez cohabité cinq ans ensemble, vous avez géré ensemble, dirigé ensemble la politique étrangère, est-ce que vous avez ressenti des divergences entre votre vision de la politique étrangère et la sienne, par exemple sur le Proche Orient à l'occasion de son propre voyage au Proche Orient ?
JACQUES CHIRAC - Non, je n'ai jamais ressenti de divergences, ce qui fait que la France s'est exprimée facilement d'une seule voix. Dans nos institutions, le chef de l'Etat a, je dirais, une responsabilité éminente dans ce domaine. D'abord, c'est lui qui conduit la délégation française. C'est lui qui conduit, en fait, la diplomatie française et on ne peut pas imaginer qu'il y ait des divergences de vues quelles que soient les circonstances de politique intérieure. Donc il y en a, en réalité jamais eu. Quand il y avait, sur le plan pratique, des questions qui devaient être discutées ensemble, nous le faisions régulièrement. Nous nous réunissions après le Conseil des ministres, en Conseil restreint, à l'Elysée pour préparer tel sommet, notamment les sommets européens et notamment pour être bien sûrs qu'il n'y avait pas de divergences de vues sur des problèmes techniques ou des problèmes qui étaient plus particulièrement de la responsabilité du gouvernement. Il n'y a pas eu de difficultés particulières, sinon, cela n'aurait pas été possible.
QUESTION - Alors, la campagne officielle va commencer à partir de demain soir. Les candidats ont déposé leurs signatures. A un moment donné, en tout cas, certains candidats se plaignaient de ne pas trouver de signatures. En réalité, au final, on va avoir seize ou dix-sept candidats, est-ce que c'est le trop plein ? Pensez-vous qu'il faut revoir la sélection ?
JACQUES CHIRAC - Monsieur. SEGUILLON, cette manie française, chaque fois qu'il y a un problème, quel qu'il soit, de vouloir changer la loi ou les institutions, est un facteur d'instabilité et un facteur de faiblesse et il faut s'en garder. La loi est la loi, il faut l'appliquer. Alors je reconnais qu'il y a une sorte de spécificité française qui fait que, la démocratie française s'exprime par des voix nombreuses et différentes, c'est la règle du jeu, eh bien, c'est très bien comme cela.
QUESTION - Alors dans cette campagne, il y a un de vos vieux compagnons de route qui voulait se présenter contre vous ? Qui veut se présenter contre vous, c'est Charles PASQUA. S'il n'était pas de ce combat, qu'est ce que cela vous ferait ?
JACQUES CHIRAC - Véritablement il ne m'a pas consulté pour être candidat, et il lui appartient de prendre sa décision et de dire ce qu'il pourra ou voudra faire.
QUESTION - Alors ceux qui vous écoutent, sont évidemment intéressés, tout particulièrement, par ce que fera plus exactement le candidat élu dans les premiers mois de son élection particulièrement. Vous avez, l'autre jour, chez nos confrères de TF1, énoncé un peu ce que serait votre calendrier au lendemain des élections législatives. Deux lois programmes : une loi programme sur la sécurité. Une loi programme sur la justice. Vous souhaitez davantage de moyens, davantage de prisons, davantage de fonctionnaires. Cela ne se fait pas d'un coup de baguette magique. Qu'est-ce qui va être visible ? Qu'est ce qui va changer, concrètement, pour les Français dans les premières semaines qui vont suivre une élection législative ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai pas la prétention de dire que l'on peut, en quelques semaines, tout changer, comme vous avez l'air de le suggérer. Ce qu'il faut d'abord, c'est avoir une vraie volonté politique. Constater que les Français sont, pour simplifier, confrontés à deux problèmes. D'une part, leur garantie d'existence. Ce sont les problèmes liés à la sécurité, la sécurité des biens et des personnes, naturellement, mais aussi la sécurité de leur retraite. Celle de leur santé, de leur environnement : ça c'est un premier domaine. Or, une nation n'est vraiment dynamique que si, par ailleurs, elle est sereine et assurée, si j'ose dire, de l'essentiel.
Et la deuxième nécessité pour les Français, c'est de leur donner plus de liberté d'agir, plus de dynamisme, leur permettre de libérer davantage leurs énergies créatrices qui sont grandes. Toute notre histoire le prouve. Alors que faire au début et dès le démarrage d'un nouveau gouvernement ? Je crois d'abord qu'il faut donner un signal très fort sur la volonté de ramener l'insécurité à un niveau aussi bas que possible. C'est pourquoi, je crois qu'il faudra immédiatement que le chef de l'Etat réunisse un Conseil de sécurité intérieure sous sa propre impulsion car le problème est si grave, qu'aujourd'hui il relève, à mon sens de l'impulsion et des arbitrages du chef de l'Etat. Il faudra mettre en place, dans le nouveau gouvernement, un ministre chargé d'assurer la sécurité intérieure et qui aurait la coordination de l'ensemble des moyens de la sécurité. Je dis, entre parenthèses que s'agissant de la gendarmerie, qui est une arme pour laquelle, vous le savez, j'ai un très grand respect, il est hors de question de remettre en cause son statut militaire.
QUESTION - Attendez, qu'est-ce qui change entre le ministre de l'Intérieur aujourd'hui et le ministre de la sécurité intérieure demain ?
JACQUES CHIRAC - C'est que le ministre de la Sécurité n'a qu'un objectif, qui est celui d'éradiquer l'insécurité.
Troisièmement et instantanément, il faut mettre en place les groupements d'intervention concernant les régions, - les groupements régionaux d'intervention -, c'est-à-dire ensemble, des policiers, des gendarmes, des magistrats mais aussi des représentants du fisc ou des douanes. Pourquoi ? Parce qu'une part importante de la délinquance, notamment dans les quartiers difficiles, émane des réseaux mafieux qui se sont installés et qui font de la prostitution, de la drogue, de l'immigration clandestine ou d'autres choses. Et ces réseaux mafieux, il faut les éradiquer. Les moyens actuels, locaux de la police ou de la gendarmerie ne sont pas suffisants quelles que soient leurs compétences et les dangers qu'ils prennent. Il faut donc des opérations qui soient des opérations massives pour éradiquer ces réseaux mafieux.
QUESTION - Alors, qui dirigerait ces groupements d'intervention régionaux ?
JACQUES CHIRAC - Les préfets ou les préfets de région et le ministre naturellement. Il faudra ensuite, je vous le disais, - dès la session extraordinaire du Parlement que je convoquerai, si je suis élu, et si nous avons une majorité correspondante à ce que je souhaite et pour laquelle je m'engagerai - deux grandes lois de programmation quinquennale : l'une pour la justice qui a besoin de moyens nouveaux, qui a besoin aussi que l'on dise comment on mettra en place la justice de proximité, comment on donnera les moyens aux magistrats d'assumer leur fonction, ce qu'ils n'ont pas actuellement, comment on redonnera aux prisons la vocation qui est la leur, c'est-à-dire la dignité qui doit être la leur et comment on mettra en place les centres éducatifs fermés, préventifs ou éducatifs- qui sont indispensables pour les multirécidivistes et pour les caïds qui sont l'un des éléments caractéristiques de cette délinquance.
QUESTION - Ce qui signifie un recrutement, si je comprends bien, très important, sinon massif de policiers, de magistrats, d'éducateurs ?
JACQUES CHIRAC - Il lui faudra, sans aucun doute, davantage de policiers, de magistrats, d'éducateurs.
La deuxième loi de programmation est celle qui consiste la police et la gendarmerie, c'est-à-dire les forces de l'ordre. Cela touche, naturellement, leurs effectifs, leurs moyens, la modernisation d'un certain nombre de moyens, je pense, en particulier, aux commissariats. Cela touche également le déploiement de ces forces sur le territoire national. Bref, cela est la partie sécurité. De même que dans le cadre de la partie sécurité, je souhaite que l'on fasse une charte de l'environnement adossée à notre Constitution.
Et puis, il y a la partie dynamisme, qui devra également figurer - je répondrai à vos questions sur ce point - dans cette session extraordinaire qui concerne, elle, l'activité économique, la diminution des charges.
QUESTION - On va y venir. Tout ce que vous dites, c'est une action à long terme ?
JACQUES CHIRAC - Oui, mais qui doit être engagée immédiatement.
QUESTION - Mais embaucher des policiers, il faut les former £ engager des magistrats, il faut trois ans pour les former¿
JACQUES CHIRAC - ¿En attendant, il faut mieux utiliser ceux dont on dispose et surtout, Anita HAUSSER, leur redonner la dignité qui est la leur, la considération qu'on leur doit. Vous savez, très nombreux, sont aujourd'hui les représentants de la police, de la gendarmerie qui n'ont pas le sentiment que la société les tient dans l'estime qui leur est due. Ce sont des gens qui font un travail difficile, hélas, dangereux comme un certain nombre de faits en témoigne et qui doivent être psychologiquement aussi remobilisés. Pour remobiliser ces hommes et ces femmes, il n'y a pas d'autre moyen que de leur apporter le respect et la considération qu'on leur doit, à commencer par le gouvernement et ensuite l'ensemble du pays.
QUESTION - On a évoqué le recrutement des fonctionnaires qu'ils soient policiers, qu'ils soient magistrats, qu'ils soient éducateurs. Je voudrais que vous disiez, très clairement, aujourd'hui -parce que, quand on parle du problème de la Fonction publique, du nombre des fonctionnaires, vous dites : " redéploiement". Mais est-ce que votre maîtrise des dépenses publiques signifie que vous allez, en fait, réduire progressivement le nombre de fonctionnaires ? On sait qu'il y a huit cent mille fonctionnaires qui partent à la retraite d'ici à dix ans. question très basique : est-ce qu'il faut les renouveler ou pas ?
JACQUES CHIRAC - Pierre-Luc SEGUILLON, elle est peut-être basique votre question, mais permettez-moi de vous dire qu'elle n'a aucun sens. Quel est l'objectif ? Ce n'est pas d'avoir tant de fonctionnaires.
QUESTION - C'est la maîtrise des dépenses publiques ?
JACQUES CHIRAC - Non, pas du tout. L'objectif, c'est d'avoir une administration qui rende tous les services que l'on peut exiger d'elle et dans laquelle les fonctionnaires ou les agents des services publics puissent avoir une vie épanouissante et mettre le meilleur d'eux-mêmes au service de ce à quoi il croit, c'est-à-dire le service public. Cela c'est le fond du problème et par conséquent nous devons faire en sorte que, là, où il n'y a pas assez d'agents, il y en ait davantage, là où il y en a trop, qu'on en réduise le nombre. Il n'y a pas un objectif en disant : on va faire tant de fonctionnaires. Le nombre de fonctionnaires est la conséquence d'une réforme de l'administration, laquelle réforme, je le répète, a le double objectif : mieux servir les Français d'une part £ d'autre part, intégrer les formes modernes d'administration avec les conséquences de la décentralisation qui vont s'amplifier, avec les transferts de compétences, les technologies nouvelles de gestion. Il n'y a pas de raison que l'administration ne soit pas gérée comme une grande entreprise privée, c'est-à-dire de façon moderne et dynamique. Je vous répète, la question n'a aucun sens.
QUESTION - Si je peux préciser, quand même, le sens de ma question : on dit régulièrement, et vous-même l'avez dit par le passé, que l'on est l'un des pays où il y a le plus de fonctionnaires ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai pas le souvenir d'avoir dit cela et je n'ai pas de chiffres qui puissent étayer ou contredire cette affirmation. Ce que je vous dis, c'est que le nombre de fonctionnaires n'est pas un objectif. C'est une conséquence d'une politique.
QUESTION - Quand on vous écoute, on se dit qu'il faut plus de policiers, plus de magistrats, donc tout cela fait des embauches, qu'il faut aussi plus de monde dans les hôpitaux, puisque vous avez pris à bras le corps la crise des hôpitaux, en préconisant également un grand plan d'équipement de santé¿
JACQUES CHIRAC - ¿ Ce ne sont pas les fonctionnaires, enfin¿
QUESTION - ...Ce ne sont pas des fonctionnaires, mais les fonctionnaires territoriaux¿
JACQUES CHIRAC - On a une crise forte dans les hôpitaux, que je connais bien et je déplore, dont la principale caractéristique est le manque dramatique de personnel soignant notamment les infirmiers et les aides-soignantes bien sûr, mais également maintenant les médecins. Petit à petit, il y a, là, une vraie crise, ce qui est inadmissible dans un pays qui a probablement le meilleur système de santé du monde et qui laisse ce système dériver dans une crise qui est tout à fait inacceptable.
QUESTION - Alors cette crise, vous la résolvez comment ? Est-ce qu'on la résout en assouplissant, comme vous dites, les 35 heures, c'est-à-dire en permettant au personnel hospitalier de travailler plus ? Ou faut-il, là aussi, embaucher massivement ?
JACQUES CHIRAC - Il faudrait, pour les hôpitaux, sans aucun doute, embaucher de façon relativement importante. C'est bien ce qui est prévu et de façon insuffisante. Malheureusement, pour embaucher, il faut avoir quelqu'un à embaucher. Et les choses étant ce qu'elles sont, nous n'avons pas, aujourd'hui, en France, le nombre d'infirmières formées qui permettrait de les embaucher parce qu'on n'a pas réfléchi à ce problème, de même qu'on n'a pas réfléchi aux conséquences du numerus clausus pour les médecins et on s'aperçoit, aujourd'hui, que, dans bien des disciplines, on manque de médecins et on en manquera de plus en plus. Donc là, il y a une révision à faire. Mais ce sont des problèmes qui peuvent être réglés, notamment celui de la santé, qui est essentiel. Mais ils ne se régleront convenablement que, dans la mesure, où la France aura retrouvé son dynamisme. Or, aujourd'hui, la France est dans les derniers pays en matière de dynamisme de l'Union européenne. Nous sommes, vous le savez, le onzième pays en matière de chômage sur quinze et nous sommes le douzième pays en matière de richesse par habitant. Non pas que nous soyons moins courageux, moins dynamiques, moins compétents que les autres mais simplement parce qu'on a crée un système où nous sommes moins compétitifs et que si nous voulons rendre à la France, - notamment pour lui permettre son progrès social, l'amélioration des revenus, la diminution du chômage - il n'y a pas d'autre solution que de nous redonner du dynamisme. Et ça, c'est l'essentiel. C'est le deuxième volet, dont je parlais tout à l'heure. Cela passe par une réduction des charges excessives qui pèsent sur l'ensemble des Français et notamment sur les entreprises françaises. Cela est un point capital.
QUESTION - Si vous permettez quelques précisions, justement, sur ces mesures. D'ailleurs, vous l'avez dit, dès la première année 2002 vous opérez. Vous souhaitez une réduction de l'impôt sur le revenu de 5 %. question très précise : est-ce que ce 5 % qui représente à peu près deux milliards et demi d'euros s'ajoute à la baisse prévue, aujourd'hui, par le ministre de l'Economie et des Finances, Laurent FABIUS, qui est déjà de deux milliards d'euros ?
JACQUES CHIRAC - Je finis par ne plus savoir exactement ce qui est prévu par le gouvernement. Ce que je peux vous dire, c'est que je considère que les Français, aujourd'hui, paient trop d'impôts et donc la France n'est plus compétitive. Résultat : nous voyons les entreprises se délocaliser. Nous voyons les investissements français se faire à l'étranger. Nous voyons les investissements français venir moins en France. Nous devons donc regarder où nous sommes plus lourdement chargés que les autres, de façon à diminuer la charge. C'est d'abord sur l'impôt sur le revenu. Et c'est la raison pour laquelle, je propose une diminution qui, au total, est de l'ordre de quinze milliards d'euros sur la période de cinq ans. Donc, dès la première année, moins 5% qui devront être votés par la session extraordinaire.
QUESTION - Sur ce premier point, sur l'impôt sur le revenu, est-ce que l'impôt négatif, qui est la prime pour l'emploi, vous le gardez ? Et deuxièmement, est-ce que vous l'augmentez ?
JACQUES CHIRAC - Ou bien vous me demandez ce que je veux faire, ou bien vous me demandez ce que fait le gouvernement. Moi, je vous dis ce que je veux faire, c'est-à-dire baisser les impôts. La prime sur l'emploi existe. Je parle d'une situation qui est la situation actuelle et je dis que nous devons baisser les charges. D'abord, les impôts sur le revenu : parce que nous sommes, de ce point de vue, trop lourdement chargés et le résultat est : combien de Français, souvent sortis des grandes écoles, des universités partent à l'étranger ? C'est de l'intelligence que nous perdons. Or, il faut faire le pari de l'intelligence.
Deuxièmement, les entreprises : pourquoi est-ce que nous avons cette situation et cette délocalisation ? C'est parce que nos entreprises ont un impôt sur les sociétés qui est sensiblement supérieur à celui de leurs voisines. Or, aujourd'hui, tous les territoires doivent être compétitifs. Il faut donc le baisser, non pas pour faire des cadeaux aux entreprises naturellement, mais simplement pour les rendre compétitives. Cette baisse, j'y affecte de l'ordre de sept milliards d'euros sur la période et cela nous permet de revenir à la moyenne européenne.
QUESTION - Le chancelier allemand Gerhard SCHROEDER veut aller jusqu'à 25 % ?
JACQUES CHIRAC - Attendez, le chancelier allemand fait ce qu'il veut. Moi, je vous dis ce que je fais.
Le troisième point, ce sont les charges sociales qui sont tout à fait excessives, notamment, pour ce qui concerne les plus bas salaires. C'est essentiel pour les jeunes mais c'est essentiel aussi pour recréer de l 'emploi. Vous avez vu le dernier rapport de l'INSEE, qui dit que les diminutions de charges sociales sont le seul moyen efficace pour lutter contre le chômage. Quatre cent soixante mille emplois ont été créés par les mesures prises en 1993 et 1995. Je ne parle pas de la taxe d'habitation, à laquelle j'affecte également deux milliards d'euros. Tout cela fait trente milliards de baisse de charges. Comment peut-on les financer ? C'est cela que vous me demandiez. Eh bien je vais vous le dire. La croissance telle qu'elle est aujourd'hui, prévisible dans l'esprit de tous les prévisionnistes et de tous les programmes, d'ailleurs, est de l'ordre de 3 %. Je le pense aussi. J'ai indiqué que je limiterai l'augmentation des dépenses publiques à 1,4 %. Nous l'avons déjà fait souvent dans notre pays. Ce n'est donc pas un objectif idéaliste. La différence entre ces deux chiffres donne, sur la période, une recette supplémentaire de 65 milliards d'euros. Donc, je fais 30 milliards que je rends aux Français, au titre de la croissance, et 35 milliards (le solde), affectés soit aux dépenses nouvelles soit, surtout, à la réduction des déficits. Voilà, l'équilibre global de mon projet.
QUESTION - Vous tablez sur une situation internationale sereine et, ce qui est frappant, lorsqu'on voit les sondages - je sais que vous ne les aimez pas beaucoup -, les Français n'ont pas l'air de beaucoup croire à votre programme de baisse d'impôts. Comment expliquez-vous cela ?
JACQUES CHIRAC - On leur a tellement dit ! Qu'ils ont quelques excuses à être un peu sceptiques par rapport au programme. On leur a tellement souvent dit des choses qui ne se sont pas passées. Je le reconnais. Mais, si vous le permettez, je donnerai un argument : lorsque je parle de ces baisses de charges et que je les inscris dans un ensemble équilibré, ce n'est pas par idéologie. Ce n'est pas, non plus, par désir de faire une proposition politique attractive. C'est, tout simplement, parce que c'est inévitable. Je le répète, la France ne progressera pas si elle est plus lourdement chargée que les autres pays européens, et, plus généralement, les autres pays du monde.
Donc, le problème n'est pas un problème idéologique ou politique. C'est incontournable. C'est inévitable. Sinon, nous allons droit dans le mur.
QUESTION - Parmi les outils qui peuvent être les vôtres, demain, il y a les privatisations. Mais que reste-t-il encore à privatiser, quand on voit ce qu'a privatisé le gouvernement de Lionel JOSPIN ? J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'accélération soudaine des privatisations déclenchées par le ministre de l'Economie et des Finances. J'ai envie de vous poser la question : mais que va-t-il vous rester à privatiser, notamment pour alimenter le fameux fonds de réserve des retraites ?
JACQUES CHIRAC - Cela, c'est une question qui correspond bien à la réalité. D'abord, si l'on a cédé beaucoup d'actifs publics ces derniers temps, c'est, j'imagine, surtout pour des raisons budgétaires, car le déficit budgétaire, pour la première fois depuis huit ans, réaugmente. Il a fallu trouver des ressources partout où l'on pouvait en trouver. Il reste encore des choses à faire, non pas pour privatiser - je n'aime pas ce terme, cela ne correspond pas à une réalité -. Et, quand on parle de privatisation, on a l'air de mettre en cause les services publics. Or, moi, je suis profondément attaché à nos services publics qui sont la seule garantie pour les Français d'avoir les mêmes droits sur l'ensemble du territoire. C'est une notion essentielle. C'est la raison pour laquelle, je le répète, je suis très attaché - je l'ai défendu à Barcelone, récemment -, à nos services publics.
Donc, je n'aime pas ce terme de privatisation. En revanche, dans le cadre de la modernisation de l'économie, il est certain que des ouvertures de capital sont nécessaires, y compris dans certains services publics, pour leur permettre de développer leurs activités, notamment sur le plan international. Donc, il y a des cessions d'actifs qui sont encore possible. Et, c'est vrai, comme vous l'avez dit, que ces cessions d'actifs publics devront, au moins pour une part importante, être affectés à la consolidation de notre système de retraite par répartition qui est en grand danger.
QUESTION - Alors, moi, je voudrais vous poser une question sur les retraites, précisément. Vous voulez réunir une grande conférence tripartite sur ce sujet. Mais, vous-même, est-ce que vous pensez qu'il faut augmenter la durée de cotisation, ou est-ce qu'il faut augmenter les cotisations ? Et, quid des salariés qui ont travaillé pendant quarante ans, qui n'ont pas encore soixante ans et qui voudraient partir à la retraite ?
JACQUES CHIRAC - Ce sont deux questions différentes. Pour simplifier, je suis d'abord, naturellement, avant tout, garant de notre système de retraite par répartition qui est un système qu'il est hors de question de mettre en cause. Il est en danger. Il faut le renforcer par les moyens que nous évoquions, tout à l'heure, et par un effort collectif. L'Etat, je l'ai dit, apportera sa part. Il faut, effectivement, qu'une concertation, débouchant rapidement sur des décisions entre l'Etat et les organisations syndicales et les organisations professionnelles, puisse trouver les solutions qui permettent cet effort collectif. Est-ce que cela doit être un allongement, une diminution des durées, une augmentation, une diminution des cotisations ? Cela, c'est un problème technique qui doit être examiné à l'occasion de cette concertation.
QUESTION - Ce n'est pas négligeable, quand même.
JACQUES CHIRAC - Oui. Mais, c'est à l'occasion de cette concertation que cela doit être fait. Ce qu'il faut, c'est rétablir l'équilibre dans les perspectives démographiques que nous connaissons. Ce problème est soluble. Mais, je le répète, il coûtera cher à l'Etat. Mais, il est soluble et il doit être résolu.
Parallèlement, ce que je dis, c'est qu'il y a des Français, beaucoup de Français, qui veulent pouvoir améliorer leur retraite. Il y a ceux, qui voudraient pouvoir économiser, d'une façon ou d'une autre, en y étant incités ou aidés par une défiscalisation, comme les fonctionnaires peuvent le faire avec ce que l'on appelle la Préfond - on a fait une querelle épouvantable sur les fonds de pensions, cela n'a aucun sens. Je dis simplement qu'il faut, là aussi, un peu plus de liberté, et que ceux, qui veulent économiser, y soient incités ou qu'on leur donne les facilités nécessaires. Il n'y a pas de raison de limiter cela aux seuls fonctionnaires. Il faut l'étendre à tous les Français.
QUESTION - Deux questions sur la campagne elle-même. Vous êtes, quand on regarde les intentions de vote, au coude à coude, si je puis dire, avec le candidat JOSPIN. Qu'est-ce que vous répondez à ceux de vos amis qui vous disent : "vous êtes au coude à coude, parce que vous ne vous êtes pas suffisamment positionner à droite et que vous êtes trop au centre dans votre programme, dans vos propos" ?
JACQUES CHIRAC - D'abord, avec tout le respect que j'ai pour les instituts de sondages qui, en France, sont excellents, vous faites allusion dans les intentions de vote à des sondages, dont on sait qu'ils reflètent une science très aléatoire £ c'est le moins que l'on puisse dire, par conséquent, il est très difficile de dire, quelle est la réalité politique des choses. Personne ne peut le faire sérieusement, aujourd'hui. Donc, je me méfie un peu. Je n'en tire, d'ailleurs, aucune conséquence, ni dans un sens ni dans l'autre. Simple observation.
Deuxièmement, je suis candidat. Et, je suis candidat avec un projet affirmant une vision des choses. Elle est la mienne. Les Français l'accepteront ou ne l'accepteront pas. Je suis respectueux, par essence, de la démocratie. Je leur fais toute confiance. Ce que je peux simplement leur dire, c'est que j'ai fait appel à tout ce que je peux avoir d'expérience ou d'intuition - je ne dirai pas d'intelligence -, pour leur proposer ce qui me parait, aujourd'hui, le mieux à même de répondre aux besoins de la France et à leurs besoins personnels.
QUESTION - Si vous me le permettez, une deuxième question. Vous avez vécu cinq ans de cohabitation. Vous êtes candidat. Vous serez, peut-être, demain à nouveau Président de la République. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous demanderaient : "est-ce que vous pourriez encore supporter, en quelle que manière, une cohabitation". Autrement dit, soit vous prendrez des dispositions institutionnelles en proposant aux Français des dispositions nouvelles pour éviter une nouvelle cohabitation, soit vous dites d'avance : "quoiqu'il arrive, je refuserai la cohabitation".
JACQUES CHIRAC - Je vous disais, tout à l'heure, qu'il y avait une espèce d'exception française, une manie française, qui consiste à vouloir toujours changer les lois, les institutions, ce qui fait de la France le record du monde pour ce qui concerne le nombre de constitutions, l'instabilité législative, etc. C'est une grande faiblesse pour notre pays. Moi, j'ai confiance dans la démocratie. Les Français ont voulu, il y a cinq ans, une majorité de gauche. Je n'ai pas mis en cause, naturellement, leur décision. Je n'ai pas fait un caprice. J'ai dit : "c'est très bien. Ils ont voulu cela". Et, par conséquent, il m'appartient, et j'ai dit au Premier ministre que j'ai désigné : "il vous appartient de faire en sorte que leurs affaires soient gérées, certainement dans le cadre des institutions, avec votre responsabilité et la mienne, mais de la façon la plus digne", sans évoquer l'image de la France à l'étranger. C'est ce qui a été fait.
QUESTION - Est-ce que cela a bien fonctionné ?
JACQUES CHIRAC - Je ne dis pas que cela a bien fonctionné. La cohabitation n'est pas un bon système. Mais, moi, je n'en tire pas la conclusion qu'il faut soit, ajouter une crise institutionnelle à une crise politique, soit ne pas vouloir accepter la décision des Français. En revanche, la conclusion que j'en tire, c'est qu'il appartiendra au Président élu de s'engager fortement, précisément en évoquant l'expérience des cinq années passées, pour demander aux Français de lui donner la majorité qui lui permettra d'assumer les engagements qu'il a pris.
QUESTION - Pouvez-vous imaginer que cela ne soit pas le cas ?
JACQUES CHIRAC - Je ne le pense pas. Je ne pense pas que cela sera le cas.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, merci beaucoup d'avoir répondu à nos questions.