2 avril 2002 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à France 3 le 2 avril 2002, sur le respect du pacte de stabilité budgétaire, les fonds de pension "à la française", l'assouplissement négocié des 35 heures, le renforcement de l'efficacité de l'administration et l'ouverture du service public.
CHRISTINE OCKRENT - Bonsoir à tous, bonsoir Monsieur CHIRAC.
JACQUES CHIRAC - Bonsoir
QUESTION - Bienvenue à France Europe Express. Notre rendez-vous s'inscrit dans une série d'émissions consacrées, en toute équité, aux divers candidats à l'élection présidentielle. Un rendez-vous, en pleine semaine, comme celui proposé demain soir à la même heure à Lionel JOSPIN de façon à éviter la campagne officielle, qui, nous le savons, tous, commence vendredi à minuit et comme il y a beaucoup de candidats, a-t-on appris aujourd'hui, qui se présenteront à ce premier tour la légalité absolue des temps de parole sera nécessaire.
Monsieur CHIRAC, le Président de la République que vous êtes, a présidé ce matin aux cérémonies rendant hommage aux victimes de Nanterre. Est-ce que le Président, ce matin, a regretté ou non les propos du candidat JACQUES CHIRAC faisant, à chaud, le lien entre cette tuerie et le problème global de l'insécurité dans notre pays ?
JACQUES CHIRAC - Tout d'abord, je voudrais dire que cette cérémonie, ce matin, était très émouvante, très forte. C'était un vrai hommage rendu, à Nanterre et, au-delà de Nanterre, par la Nation aux victimes de ce drame et à celles et à ceux qui, dans l'expression démocratique de leur fonction, c'est-à-dire au c¿ur de notre démocratie, dans un Conseil municipal, ont été victimes. Pour ce qui concerne les propos que j'ai tenu et auxquels je n'ai strictement rien à changer ou à enlever, je vous laisse l'entière responsabilité de votre appréciation.
QUESTION - On vous a entendu Monsieur CHIRAC condamner avec la plus grande vigueur les attentats antisémites qui, hélas, ont lieu en France depuis quelques temps sur fond d'aggravation sans fin du conflit au Proche Orient. Au-delà de la langue de bois que tout le monde emploie, est-ce que vous ne craignez pas que l'on voit des craquements dans le modèle républicain auquel, grand nombre de Français sont attachés et que l'on voit apparaître dans ces incidents et dans d'autres, une forme de communautarisme à la française, à laquelle la classe politique, semble-t-il, ne s'adresse pas du tout ?
JACQUES CHIRAC - D'abord ce ne sont pas des incidents. Ce sont des actes très graves parfaitement contraires à l'esprit de la République, à la tolérance, au dialogue, au respect de l'autre, qui sont les fondements même de la République. Nous devons tout faire pour que ces actes soient sanctionnés, pour que ceux qui les ont commis soient gravement punis, sérieusement punis.
Deuxièmement, on ne peut pas parler de communautarisme, dans le cas particulier, même si c'est un phénomène qui existe et que je récuse. Là, il s'agit d'agressions à l'égard de personnes, de biens, de symboles d'une communauté juive qui, par ailleurs, est une communauté totalement intégrée dans la France. Il faut bien comprendre que, quand une synagogue est l'objet d'un attentat, c'est en réalité la France qui est humiliée. Quand un juif fait l'objet d'une agression, ce sont les Français qui sont agressés. C'est notre Nation, c'est la conception que nous en avons. La Nation, ce n'est pas seulement un héritage, c'est un avenir pour nous, c'est la garantie de nos libertés et nous devons nous assurer que conformément à l'esprit de la République toutes les sensibilités peuvent être exprimées et doivent être respectées et représentées.
QUESTION - Et donc est-ce que cela veut dire que le modèle républicain doit être ajusté à une mosaïque nationale qui semble s'exprimer ?
JACQUES CHIRAC - Non, pas du tout chère Madame¿
QUESTION - Je ne parle pas des actes antisémites je pense à des incidents ¿
JACQUES CHIRAC - Le modèle républicain doit tout simplement être respecté. C'est un modèle qui implique le respect des autres.
QUESTION - Monsieur CHIRAC face à ces drames, est-ce que vous estimez qu'une campagne électorale doit s'arrêter, je dirais l'espace d'une trêve ou d'une pause ? Ce matin, le porte-parole du parti socialiste disait : "tout n'est pas bon pour nourrir une campagne" est-ce que ce sont des propos que vous pourriez reprendre à votre compte ?
JACQUES CHIRAC - Oui, bien entendu. D'ailleurs vous aurez observé que, sur ce point, il n'y a pas de divergence de vues exprimées au sein de la campagne. Nous sommes là, devant des actes graves qui doivent être compris comme tels et réprimés comme tels.
QUESTION - Venons-en, Monsieur CHIRAC, au sondage que nous avons demandé, avec nos amis de France Info, à l'institut CSA. Nous avons demandé à un échantillon de Français, qui ont l'intention de voter pour vous, quelles sont leurs motivations ? Selon quels critères s'apprêtent-ils à voter Chirac au premier tour ? Dominique ROTIVAL nous en résume les résultats.
Présentation sondage
Les raisons du vote Chirac :
Pour 30 % d'entre vous c'est sa personnalité qui pourrait vous faire voter pour lui.
Pour 21 % c'est son projet.
Pour 13 % c'est par rejet des autres candidats.
Pour 13 % également c'est en raison de ce qu'il a apporté à la vie politique ces dernières années.
Enfin vous êtes 23 % à ne pas vous prononcer.
QUESTION - 23 % encore, donc il y a encore quelques âmes à conquérir. Est-ce que le fait que votre personnalité, même chez des gens qui penchent plutôt à gauche ou dans les extrêmes, l'emporte tellement fortement sur votre projet est-ce pour vous une bonne nouvelle ou une moins bonne nouvelle ?
JACQUES CHIRAC - N'exagérons rien ce sont les résultats que je vois afficher ici et qui valent ce qu'ils valent.
QUESTION - Ils sont flatteurs¿
JACQUES CHIRAC - Oui, mais enfin je veux dire qu'il n'y a pas, entre la personnalité et le projet, une si grande différence. Ce que, pour ma part, j'essaie de développer pendant cette campagne, c'est un projet, c'est de faire comprendre aux Français l'enjeu de ces prochaines élections. Nous aurons probablement l'occasion d'en reparler mais c'est cela l'essentiel.
QUESTION - Ce soir à minuit, Monsieur CHIRAC, il y aura probablement au moins quinze candidats officiels. Est-ce à dire, qu'au fond, la règle des 500 parrainages était ou est la bonne règle finalement, puisque pas mal de candidats ont, eux-mêmes, déclaré qu'il faudrait peut-être revoir cette règle. Est-ce que ce soir, on pourrait déjà presque faire un pré-bilan de votre point de vue ? Est-ce que finalement le fonctionnement démocratique a bien fonctionné ?
JACQUES CHIRAC - Je ferai une première remarque c'est que je ne connais pas d'autres démocraties dans lesquelles il y a autant de candidats dans une élection de ce genre.
QUESTION - C'est une bonne chose ou pas ?
QUESTION - Est-ce qu'il n'y en a pas trop. N'est-ce pas d'une certaine manière le symptôme d'un problème ?
JACQUES CHIRAC - Non, je crois que c'est une caractéristique française¿
QUESTION - C'est un record ?
JACQUES CHIRAC - ¿Ce qui m'amène d'ailleurs à la deuxième réflexion. C'est que, spontanément, dès que l'on se pose une question en France, la première réponse est : il n'y a qu'à changer la loi ou la Constitution, ce qui permet, d'ailleurs, de faire de la France non seulement le recordman du nombre des candidats mais également le recordman de l'instabilité constitutionnelle et législative. Ce qui n'est pas, à proprement parler, un gage de très bonne et forte démocratie. Nous avons des lois. Nous avons des institutions. Respectons-les et cessons surtout, chaque fois qu'il y a un problème, de les mettre en cause. S'il y a lieu de changer quelque chose, faisons-le non pas dans l'improvisation, non pas dans l'immédiat face à une difficulté quelconque et sans aucune réflexion, faisons-le après avoir réellement réfléchi aux choses.
QUESTION - Vous ne diriez pas, quand même, que c'est un signe de santé qu'il y en ait autant, de santé démocratique ?
JACQUES CHIRAC - Non, je ne dirai pas que c'est un problème de santé démocratique, je dirai que c'est un problème de tempérament national mais enfin cela peut s'éduquer un peu.
QUESTION - Au-delà du brouhaha qui entourait ces derniers jours Jean-Marie LE PEN, finalement, il les a, ces fameuses 500 signatures. On se souvient qu'il vous avait menacé d'apocalypse électorale à droite si jamais il ne les avait pas. Ça a été du cinéma selon vous ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai aucun commentaire à faire sur les déclarations du Président du Front national.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, je sais que vous n'attachez pas beaucoup d'importance aux sondages. Tout de même, si on les regarde aujourd'hui avec toute la prudence nécessaire : entre ceux qui déclarent qu'ils vont s'abstenir et ceux qui déclarent qu'ils vont voter, pour ce que l'on appelle, des "candidats" dits protestataires, on s'aperçoit tout de même que l'addition de ces trois votes probables feraient peut-être plus que ceux qui pourraient voter et pour vous et pour Lionel JOSPIN. Est-ce que cela peut poser problème ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que cela a toujours été comme cela et cela continuera de l'être¿
QUESTION - Cela ne l'est pas plus qu'il y a sept ans ou quatorze ans ?
JACQUES CHIRAC - Je ne crois pas que c'était beaucoup plus. Cela mériterait d'être vérifié mais ce n'est pas un changement substantiel.
QUESTION - Quels sont, Jean-Michel BLIER, bonsoir, les questions que les "internautes auditeurs" de France Info ont envie ce soir de poser à Monsieur CHIRAC.
JEAN-MICHEL BLIER - Oui, bonsoir Christine, bonsoir Monsieur CHIRAC. Bien écoutez, parmi les nombreuses questions qui nous sont parvenues sur le site internet de France Info, bon nombre d'internautes font valoir comme Eric de VANVES que le quinquennat a peut-être changé la nature de la fonction présidentielle et celle du Premier ministre ou, en tout cas, le rapport entre le Président de la République et son Premier ministre. Eric considère que, si le chef de l'Etat fixe toujours les grandes orientations de la politique générale, c'est le Premier ministre qui gouverne certes, mais le Président de la République est plus responsable. Donc, il vous demande dans quelles mesures seriez-vous prêt, chaque année, devant les Français à faire une sorte d'état des lieux de l'application de votre projet et s'il ne serait pas logique, dans ces conditions, que vous disiez avec quelle équipe et avec quel Premier ministre vous allez appliquer votre projet ?
JACQUES CHIRAC - D'abord, il n'est pas dans la tradition, pour répondre à la dernière QUESTION de présenter une équipe à une élection présidentielle. On présente un homme.
Deuxièmement, je ne suis pas sûr qu'Eric ait raison lorsqu'il dit que le quinquennat est de nature à modifier les rapports entre le Président de la République et le Premier ministre. Je ne le pense pas.
Et, enfin, je crois que nous avons des institutions qui ne sont certainement pas parfaites, mais qui ont fait la preuve de leur efficacité avec leur faiblesse, avec leur force. Et, qu'au total, on serait bien inspiré, pour une fois dans l'histoire, de conserver nos institutions s'en, sans cesse, les remettre en cause.
QUESTION - Mais, on pourrait penser, par exemple, qu'avec le quinquennat, le Président de la République va être plus engagé dans la gestion gouvernementale.
JACQUES CHIRAC - Qu'est-ce qui vous fait dire cela, Monsieur JULY ?
QUESTION - On peut se poser cette question.
JACQUES CHIRAC - Ça ! On peut se poser toutes les questions que l'on veut. C'est évident.
QUESTION - On peut se poser la question parce que, comme le mandat est plus court, d'ailleurs, toute la campagne se fait sur des engagements. Ce sont des engagements du Président de la République, donc il les conduit à terme. On peut penser que la relation avec le Premier ministre va être de nature différente, que le Président de la République va être plus engagé, plus impliqué.
JACQUES CHIRAC - Je ne le pense pas. Je ne pense pas que, de ce point de vue, le quinquennat ait changé quoique ce soit. Naturellement, dans une élection présidentielle, les institutions en France étant ce qu'elles sont, cela veut dire qu'un homme présente un projet, donne sa vision de la France et, donc, son projet. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'ensuite le gouvernement ne sera pas en charge de l'application de ce projet, le Président fixant les grandes orientations. J'ai tout de même fait un petit pas dans la direction qu'évoquait, tout à l'heure, l'internaute, Eric. Je ne sais pas si le Président doit chaque année rendre compte. Après tout, pourquoi pas ?...
QUESTION - ...Ce que vous avez dit...
JACQUES CHIRAC - ...Cela n'aurait rien de choquant, ni de contraire à l'esprit de notre démocratie. En revanche, j'ai pris un autre engagement, c'est celui de demander au gouvernement, chargé d'appliquer les grandes orientations que j'ai définies, de présenter chaque année le bilan de son action devant le Parlement et d'engager sa responsabilité sur ce bilan.
QUESTION - Régulièrement, à échéances fixes, en quelque sorte.
JACQUES CHIRAC - Tous les ans, en fin d'année. J'ai pensé qu'il était légitime, sans que cela exige la moindre modification constitutionnelle, naturellement, que le gouvernement rende compte de la façon dont il a appliqué les orientations générales que le chef de l'Etat a définies, de façon à ce qu'on puisse savoir si les choses ont été réellement faites. Si elles ne l'ont pas été, pourquoi ? Et, si les raisons qui font qu'il y a des différences, sont justifiées ou non.
QUESTION - Donc, plus de contrôle parlementaire.
JACQUES CHIRAC - Oui.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, sans trahir de secrets, est-ce que vous avez déjà, dans votre for intérieur, choisi le Premier ministre ? Est-ce que vous avez déjà une petite connaissance ? Vous avez son nom ? Alors, trahissons le secret, allons-y. Nous sommes entre nous.
JACQUES CHIRAC - Nous sommes tout à fait entre nous...
QUESTION - Est-ce que vous avez choisi. Réponse : oui, non.
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire une chose. Votre temps est précieux. Nous venons de perdre vingt secondes pour ne rien dire.
QUESTION - D'accord. Vous auriez pu me dire oui ou non.
JACQUES CHIRAC - Eh bien, tout simplement, je n'ai pas l'intention de faire de confidences sur un sujet qui n'est pas d'actualité.
QUESTION - Il ne s'agit pas de confidences, Monsieur CHIRAC, mais de questions que deux personnalités ont envie de vous poser ce soir. L'une a osé vendre encore plus de livres que votre épouse et l'autre est rentrée ce matin du Proche Orient. Nous l'avions interrogé juste avant son départ.
Reportage sur Catherine MILLET.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, bonsoir. Je vais vous poser une question qui me tient très à coeur et qui concerne le nouveau Code pénal qui, comme vous le savez, continu à être assez discuté. Ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu de réviser, de remettre en cause un certain nombre de lois inscrites dans ce Code pénal, et notamment celles qui font peser une épée de Damoclés au-dessus de la tête des artistes ?
Reportage sur José BOVÉ.
QUESTION - Bonsoir, Monsieur CHIRAC. Si vous êtes élu Président de la République le 5 mai, vous allez devoir assister à l'Assemblée générale de la FAO, l'organe de l'ONU chargé de l'alimentation et de l'agriculture. Est-ce que vous défendrez à cette occasion la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire le droit des peuples de la planète à pouvoir se nourrir à partir de leur propre agriculture et à se protéger des importations à bas prix qui détruisent la capacité des paysans du monde ?
JACQUES CHIRAC - Je suis très sensible à ce qu'a dit Monsieur BOVÉ sur, non pas la souveraineté alimentaire, mais le droit des peuples. Et, ceci est en contradiction avec une règle que l'on cherche à nous imposer d'un peu partout et qui consiste à orienter les pays en développement vers les grandes cultures d'exportation dont chacun sait qu'elles sont très aléatoires...
QUESTION - ..."On", c'est qui dans votre esprit. Vous dites :on...
JACQUES CHIRAC - ...C'est en règle générale, tous ceux qui parlent du développement. Vous savez bien que la France, en particulier, est accusée de vouloir protéger son agriculture et donc, d'insuffisamment s'ouvrir en particulier aux importations des pays en développement. Ce qui d'abord est faux. L'Europe est le marché le plus ouvert du monde.
Et, deuxièmement, je ne suis pas certain - et sur ce point, je pense que la réflexion de Monsieur BOVÉ est fondée -, que les pays aient intérêt à être orientés vers les marchés vers l'exportation de leurs produits agricoles, c'est-à-dire vers des marchés qui sont par essence spéculatifs et, par conséquent, qui peuvent connaître des hauts et des bas. Alors que l'autosuffisance alimentaire est un élément essentiel pour les citoyens de ces pays.
QUESTION - Donc, une discussion à poursuivre avec José BOVÉ au prochain Salon de l'agriculture, peut-être.
JACQUES CHIRAC - Absolument.
QUESTION - Que répondez-vous à Catherine MILLET qui est préoccupée par la censure et par, en fait, une ambiance ou un régime, disons, moins libertaire que celui dans lequel nous avons de la chance de vivre ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que la France et même je suis sûr que la France est, notamment sur le plan de la création, le pays de la liberté. Elle l'est depuis longtemps. Et, sauf quelques moments, quelques accidents...
QUESTION - ...Quelques crispations...
JACQUES CHIRAC - ...De l'histoire, c'est vraiment un pays reconnu pour être le pays de la liberté. Et, donc, l'épée de Damoclés, évoquée par Catherine MILLET, est une épée, il faut bien le reconnaître, en carton. Ceci étant, je suis contre, naturellement, toutes espèces de censure, et notamment de censure sur la création. En revanche, on ne peut pas exclure que certains, par le biais de la télévision, par le biais du cinéma, puissent avoir, sous prétexte de création, des appels au meurtre, des appels au racisme, des actions m'étant en cause la protection de l'enfance, etc. Là, il faut bien tout de même une limite, à condition, bien entendu,...
QUESTION - ...Elles ne sont pas suffisantes.
JACQUES CHIRAC - Si tout à fait, à condition qu'elle soit appréciée par le juge et non pas par le politique. Cela va de soi. Je ne crois pas qu'on ait vraiment en France à se plaindre. En tous les cas, je suis un farouche défenseur de la liberté de création.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, il y a eu, sur vos engagements en matière économique et sociale, pas mal de débats. Vous avez répondu déjà à plusieurs questions. On a pensé que cela serait bien que vous apportiez des précisions. Parfois il y a eu des débats, des versions parfois différents, d'ailleurs, y compris parmi vos proches. On va prendre un certain nombre de points importants.
Le premier concerne les 35 heures et, en particulier, ce que vous appelez l'assouplissement des lois dites "Aubry". Vous proposez que cet assouplissement soit fait à la suite d'une négociation avec les partenaires sociaux. Les syndicats, en tous les cas, de salariés ont tous répondu sur ce programme et ont dit, purement, qu'ils étaient contre l'assouplissement. Est-ce que vous allez l'imposer d'une manière ou d'une autre ?
JACQUES CHIRAC - Sur ce sujet, c'est curieux, nous n'avons pas entendu exactement la même chose. Cela arrive. Je ne remets pas en cause, naturellement, les 35 heures. Oui, je veux que les choses soient claires.
QUESTION - Pourquoi ?
JACQUES CHIRAC - Tout simplement parce qu'elles ont été décidées et qu'il n'y a pas lieu, à mon sens, de le remettre en cause. Je note, néanmoins, que nous sommes aujourd'hui le pays qui, parmi les grandes nations industrielles, et notamment européennes, travaille le moins. Alors, il ne faut pas s'étonner que nous soyons descendus, en matière de revenu par habitant, à la douzième place sur quinze dans l'Union européenne, ce qui n'est tout de même pas brillant. Et, à la onzième place sur le plan du chômage. C'est un fait. Ce ne sont pas mes informations, mes statistiques, ce sont celles de l'Union européenne. Il faut savoir qu'il y a un lien direct et qu'on s'appauvrit. On travaille moins et on s'appauvrit, ce qui n'est pas un gage de dynamisme...
QUESTION - ...Alors, pourquoi ne pas les supprimer ?
JACQUES CHIRAC - ...Et un gage de création d'emplois, d'activités, etc...
QUESTION - ...On voit bien les raisons pour lesquelles il faut les supprimer, purement et simplement, selon vous...
JACQUES CHIRAC - ...On l'a décidé. Chacun a sa position sur ce point. Moi, je ne remettrai pas en cause les 35 heures. En revanche, la méthode qui a été employée et qui a consisté, sans aucune espèce de concertation avec qui que soit, et notamment avec les organisations syndicales, dans le cadre d'un dialogue social, que le gouvernement a toujours ignoré et ne veut pas réellement promouvoir comme un moyen de progrès social, à faire la même chose pour tout le monde, comme si toutes les entreprises, toutes les activités, tous les Français avaient exactement la même taille, le même poids, la même ambition. Ce qui est évidemment absurde.
Vous avez d'une part une loi qui, à l'évidence, est inapplicable dans un certain nombre de secteurs, sauf à faire fermer des entreprises. Ce n'est pas ce que l'on cherche...
QUESTION - ...Tout cela est un plaidoyer et pas forcément pour le maintien des 35 heures.
JACQUES CHIRAC - ...Et d'autre part, vous avez un système où celui pour une raison quelconque - parce qu'il veut changer de maison, d'appartement parce qu'il a un enfant -, veut gagner un peu plus, ne peut pas gagner un peu plus en travaillant un peu plus. Je dois dire que c'est vraiment une méthode tout à fait étonnante...
QUESTION - ...Donc, vous proposez l'assouplissement
JACQUES CHIRAC - Alors, je dis donc que nous avons la nécessité d'un aménagement, un assouplissement. On ne l'évitera pas. Seulement, je ne suis pas pour la décision idéologique, bureaucratique, imposée. Je suis pour la concertation. Il faut simplement que ceci fasse l'objet d'un dialogue social, d'une concertation avec les organisations syndicales et professionnelles. C'est une nécessité et je suis sûr que cela aboutira.
QUESTION - Prenons un exemple. Est-ce que vous, vous pourriez revenir sur les allégements de charge dont bénéficient justement les entreprises qui sont passées aux 35 heures ? Parce que vous allez avoir besoin d'argent, tout simplement pour financer, je crois, par exemple, 20 milliards d'euros pour vos mesures nouvelles ? Est-ce que, par exemple, cela sur les 35 heures, vous pourriez, avec les entreprises, négocier et revenir sur les allégements de charge ? M. RUFENACHT a répondu. Il a dit : "non, pas du tout. On ne supprime pas les allégements de charge".
JACQUES CHIRAC - Nous avons cette caractéristique, aussi, en France de changer en permanence le droit, la règle, la loi. Je m'insurge contre cela. C'est une des raisons, cette incertitude, qui éloigne les investisseurs étrangers de notre pays. Quand on a créé un droit, il est pérenne. Je ne propose pas de le remettre en cause, pas sur ce cas particulier, mais tout simplement, parce que c'est une mauvaise méthode de travail...
QUESTION - ...C'est une réponse très claire. Donc, les allégements de charge sont maintenus en ce qui concerne les lois "Aubry". Comment comptez-vous les assouplir ?
JACQUES CHIRAC - Je n'imposerai rien, je vous l'ai dit...
QUESTION - ...Par négociation, par branche ?
JACQUES CHIRAC - J'estime que c'est une négociation qui, par entreprise, par branche, sur le plan national, doit faire l'objet d'une concertation entre les organisations syndicales et patronales, de façon à être réaliste, à intégrer les réalités de la vie d'une part, et les inspirations légitimes des travailleurs, d'autre part. Ceci étant, je ne veux rien imposer. Je dis simplement que cela se fera naturellement, parce que c'est la vie et qu'on n'impose pas des règles sociales comme cela a été fait uniquement pour des raisons idéologiques...
QUESTION - ...Donc, s'ils n'en veulent pas, il n'y aura pas d'assouplissement.
JACQUES CHIRAC - Naturellement.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, sur le plan des retraites, vous préconisez les fonds de pension à la "française". Je voudrais savoir si vous pouvez nous donner ce soir quelques détails, la signification exactement de ces fonds de pension à la "française". Et, question complémentaire, je voudrais savoir qui gérerait ces fonds de pension ?. Est-ce que ce sont les syndicats comme, par exemple, la Préfond, aujourd'hui, pour les fonctionnaires ou les assureurs, les mutuelles comme on le voit dans d'autres pays ?
JACQUES CHIRAC - Là, encore, pour être clair, je voudrais d'abord dire, de façon à échapper à toute polémique, que je suis un farouche partisan du système français de répartition...
QUESTION - ...Cela, on n'y touche pas. On le conforte.
JACQUES CHIRAC - ...Et qu'il est hors de question de le mettre en cause. Enfin, il est en cause car il est en grand danger. Il faudra donc le restaurer et, pour cela, il faudra un effort collectif, et l'Etat devra y prendre, bien entendu, sa part et une part qui sera forcément importante. A partir de là, j'estime que celui - et ils sont nombreux -, qui veut pour ses vieux jours, économiser de façon à améliorer sa retraite, doit pouvoir le faire et le faire en franchise d'impôt. Cela, c'est un système type, celui des fonctionnaires. Je ne vois pas pourquoi, en France, il y aurait deux catégories de Français : ceux qui peuvent améliorer leur retraite, les fonctionnaires, et c'est très bien comme cela, et ceux qui ne le peuvent pas. Ce que je souhaite, c'est que le système soit étendu. Naturellement, je ne suis pas du tout pour en faire une affaire privée. Je l'ai dit à maintes reprises...
QUESTION - ...Ce ne serait donc pas purement qu'individuel...
JACQUES CHIRAC - ...C'est pour cela que je l'appelle à la "française", c'est-à-dire un système qui soit issu d'une négociation, là encore, au terme d'un dialogue social entre les grandes organisations syndicales et professionnelles.
QUESTION - Vous serez co-gestionnaire du système, comme vous l'a proposé, en particulier, la CFDT.
JACQUES CHIRAC - C'est ce que je suggère.
QUESTION - C'est une grande négociation dans laquelle vous mettrez à la fois l'harmonisation entre le public et le privé, l'allongement des durées de cotisation, les régimes spécifiques, les régimes spéciaux.
JACQUES CHIRAC - Il y a aussi l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise qui doit faire l'objet de la négociation¿Il faut une grande négociation. Cette négociation est urgente. Cette concertation est urgente. Elle a trois partenaires là, ce n'est pas seulement le dialogue social. Il y a l'Etat, naturellement, puisqu'il est responsable et qu'il apportera une part non négligeable de ce qui est nécessaire pour rétablir et restaurer notre système de répartition. Et puis, il y a les organisations syndicales et les organisations professionnelles. Il faut que cette concertation démarre très rapidement, c'est-à-dire ce sera, à mon avis, l'un des premiers points sur lequel devra s'engager un nouveau gouvernement. Et au terme de cette concertation il faudra bien, dûment éclairée, que l'Etat fasse des propositions.
QUESTION - Cela pourra déboucher sur un référendum, par exemple, si on s'aperçoit que l'on a du mal à faire passer cette loi ?
JACQUES CHIRAC - Je n'exclus aucune possibilité étant personnellement favorable au principe du référendum, je n'exclus aucune possibilité. Ne me faites pas dire que j'ai proposé un référendum dans cette affaire, nous sommes bien d'accord.
QUESTION - Mais vous ne l'excluez pas ?
JACQUES CHIRAC - Je n'exclus rien. Je n'exclus aucune formule démocratique.
QUESTION - Le MEDEF a émis un certain nombre de propositions qui, d'après les sondages, sont plutôt bien accueillies par les Français, notamment en matière de retraite mais aussi en matière d'assouplissement des trente-cinq heures etc¿Et le MEDEF vous juge pas assez audacieux dans votre programme. Quelle est votre réaction par rapport à ce jugement-là ?
JACQUES CHIRAC - Je vous dirais simplement que le MEDEF, c'est le MEDEF et moi, c'est moi ! Il n'y a pas de lien particulier.
QUESTION - Vous n'allez pas jusqu'à diaboliser les patrons quand même ?
JACQUES CHIRAC - Moi, je ne diabolise personne. Cela n'est pas du tout dans ma nature. Je vous le dis tout de suite, Madame OCKRENT, je ne diabolise personne. Nous sommes dans un Etat de droit et dans une démocratie respectueuse des valeurs de la République que j'évoquais tout à l'heure, et par conséquent, je respecte tout le monde. Cela est tout à fait clair. Je suis suffisamment¿.
QUESTION - ¿et l'ingérence des patrons dans le débat politique, vous trouvez que c'est une bonne chose ?
JACQUES CHIRAC - Il est naturel que tout le monde participe au débat politique, ce n'est pas de l'ingérence. Nous sommes en démocratie.
QUESTION - C'est le terme employé par Ernest-Antoine SEILLIERE ?
JACQUES CHIRAC - Tout le monde a le droit de participer à un débat politique. Tout le monde s'exprime à sa façon. Au nom de quoi, voulez-vous priver quelqu'un du droit de s'exprimer dans un débat politique ?
QUESTION - Enfin les patrons, c'est nouveau en France ?
JACQUES CHIRAC - Les patrons, ce n'est pas une race maudite, n'est-ce pas ?
QUESTION - Non, c'est bien ce que je voulais vous entendre dire.
JACQUES CHIRAC - Ceci étant, ils s'expriment leur propre sentiment. Ils sont libres de le faire et ils doivent le faire et c'est leur vocation de le faire comme les syndicats, comme les associations, comme les partis politiques et comme l'ensemble de celles ou de ceux qui veulent participer au débat public. On se plaint suffisamment que le débat public n'intéresse pas assez les Français, voilà que maintenant, lorsque quelqu'un s'intéresse à quelque chose, vous le lui reprochez.
QUESTION - Au contraire, je voulais savoir si vous étiez de ceux qui¿
JACQUES CHIRAC - ¿Je suis de ceux qui souhaitent une participation aussi active que possible, de tous les Français à un grand débat national qui est essentiel, puisqu'il s'agit de sortir d'une période de crise dans laquelle nous sommes depuis quelque temps alors que nous avons tous les atouts nécessaires pour surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
QUESTION - Voyons avec vous, Jean-Michel BLIER, à nouveau, quelles questions d'ordre économique et social, les " internautes auditeurs " de France Info ont envie de poser à M. CHIRAC, ce soir.
JEAN-MICHEL BLIER - Les auditeurs de France Info participent aussi au débat politique, au débat citoyen et j'ai retenu une question de Sébastien. Il précise qu'il a dix neuf ans et qu'il habite à Tours. Il fait valoir que l'on sent bien, dit-il, les pressions de Bruxelles pour l'ouverture de certains marchés, comme la Poste, le Gaz et l'Electricité. Et il vous interroge sur l'avenir du service public. Et il se demande si la tentation, au fond, ne sera pas très forte, d'ouvrir le capital de certaines entreprises publiques au secteur privé, tout simplement, dit-il, pour maintenir les déficits à niveau acceptable par Bruxelles ou tout simplement pour permettre à ces entreprises de s'ouvrir sur le marché et sur la concurrence ?
JACQUES CHIRAC - Je voudrais dire à votre correspondant que cela a été le grand débat du dernier Conseil européen à Barcelone et où la France a défendu, avec beaucoup de fermeté, ses services publics, non pas pour le principe mais tout simplement en fonction d'une exigence qui, pour nous, est essentielle : c'est le droit de tous les Français, partout, à avoir le même service. Et on ne peut pas concevoir qu'il y ait des services meilleurs, ici ou là, pour des raisons géographiques ou économiques. Et donc, nous sommes de ce point de vues, je dois le dire, unanimes, enfin unanimes parmi les principales forces politiques, à vouloir défendre le service public. Il ne faut pas confondre défense du service public et paralysie du service public. L'ouverture du service public, pour lui permettre notamment de faire les investissements nécessaires à l'étranger, est une chose que l'on peut parfaitement concevoir. Ce qui est essentiel, est d'en conserver le contrôle.
QUESTION - Est-ce que vous n'avez pas besoin, par exemple pour abonder le fonds de retraite qui va garantir la retraite par répartition, de privatiser beaucoup et en particulier le morceau principal du point de vue des propriétés d'Etat, en l'occurrence EDF ?
JACQUES CHIRAC - Je croyais que l'on allait arriver à la SNCF, n'est-ce pas, au point où nous en sommes ! Non. S'il y a des ouvertures - et elles sont probablement nécessaires, et c'est un point sur le lequel il n'y a pas de divergences de vues majeures au sein des forces politiques françaises - il est certain que le résultat ou le bénéfice devra en être versé pour l'essentiel¿.
QUESTION - ¿En un mot, vous comptez privatiser pour combien ?
JACQUES CHIRAC - Cela est une question qui n'a aucun sens. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'en faire un objectif. Deuxièmement parce qu'il ne s'agit pas de privatiser. Il faut utiliser les termes avec leur propre définition. Privatiser, c'est une chose £ ouvrir le capital, cela en est une autre. M. JULY vous êtes trop savant, je ne l'ignore pas, pour me faire croire que vous ne connaissez pas la différence. Donc, ne polémiquons pas. Ce n'est pas la peine. Le sujet ne le mérite pas. Par conséquent, personne ne prétend privatiser les services publics. En revanche, la gestion, la saine gestion des services publics conduit, je dirais, tout le monde, à estimer que des ouvertures sont nécessaires pour permettre le développement de ces services publics et notamment à l'étranger dans le cadre européen. Si tel est le cas, je dis simplement que les bénéfices de cette ouverture doivent être prioritairement affectés à la consolidation de notre système de retraite par répartition.
QUESTION - Une précision sur les effectifs de la fonction publique, Monsieur CHIRAC, parce que l'on a eu l'impression entre Jean-François COPE et d'autres responsables qui vous sont proches, de quelques zigzag -disons- dans les déclarations. Est-ce que les fonctionnaires qui partent à la retraite, selon vous, doivent être remplacés ou est-ce qu'il faut, si j'ose dire, profiter de cette évolution démographique pour réformer l'Etat, en particulier, par ce levier ?
QUESTION - Madame OCKRENT, je ne crois pas qu'on puisse aborder ce sujet par ce biais. Je vais vous dire pourquoi ? Nous avons en France un certain nombre de grandes entreprises et de moins grandes qui sont en permanence en train de s'adapter à la vie, aux nouvelles technologies, aux nouvelles méthodes de gestion¿
QUESTION - ¿Et qui réussissent fort bien¿
JACQUES CHIRAC - ¿Et qui réussissent fort bien. Nous avons la chance d'avoir en France, en particulier, des cadres et notamment des cadres supérieurs qui sont des gens tout à fait exceptionnels par leur qualité. Le monde entier le reconnaît. Hélas, un certain nombre est tenté de partir à l'étranger. C'est un autre problème. Pourquoi, sont-ils reconnus comme exceptionnels ? Parce qu'ils ont su faire évoluer les structures dans lesquelles ils travaillent, c'est-à-dire leurs entreprises au fur et à mesure de l'évolution des sciences, des techniques, de la gestion ou technologique. Pourquoi, est-ce que l'administration serait le seul domaine où on n'essaierait pas de faire de progrès, où on n'essaierait pas d'intégrer la notion de productivité ?
QUESTION - En utilisant en particulier cette évolution naturelle de notre démographie ?
JACQUES CHIRAC - En utilisant, non pas l'évolution naturelle, cela c'est regarder les choses, permettez-moi de vous le dire, par un bout de la lorgnette qui n'est pas le mien. Il n'est pas question de poser le problème : est-ce qu'il y a trop de fonctionnaires, est-ce qu'il n'y en a pas trop ? Ce n'est pas du tout le problème. Le problème qui se pose, c'est de savoir si, le rapport coût d'efficacité de l'administration est bon. Quand on lit le rapport de la Cour des Comptes, on s'aperçoit qu'il n'est pas excellent, qu'il y a un certain nombre de corrections qui pourraient être apportées ¿
QUESTION - ¿C'est une approche plus sévère, vous en êtes d'accord ?
JACQUES CHIRAC - Les reproches sont sévères. Je ne les fais pas miens. Je constate, pour le moment, ce que disent les experts. Ce qui vous dire que nous devons, et là encore, dans l'intérêt même et avec les fonctionnaires, voir là où il n'y a pas assez de fonctionnaires pour assumer les responsabilités qui sont les leurs, là où il y en a trop, là où l'on peut améliorer la productivité. Dans quel but ? Non pas de diminuer le nombre de fonctionnaires. Ce n'est pas un objectif. En revanche, ce qui est capital, c'est de savoir si on peut leur donner davantage de responsabilités, de moyens, de possibilités de s'épanouir, de s'exprimer, de donner une impulsion nouvelle à l'administration. C'est cela le fond du problème.
QUESTION - On peut en déduire que sur les huit cent mille qui vont partir d'ici à 2010, ils seront remplacés ?
JACQUES CHIRAC - Personne ne peut répondre à cette question qui n'a, permettez-moi de vous le dire, aucun sens. Ce qui est important, n'est pas de savoir s'il y aura huit cent mille contre huit cent mille. Ce qui est important, est de savoir si on aura une administration moderne et dynamique, qui a intégré les éléments de notre temps et si on aura des fonctionnaires heureux, satisfaits, dynamiques et contents de leur fonction. C'est cela le fond du problème.
QUESTION - Venons-en, Monsieur CHIRAC, à l'Europe. Les Français souhaitent qu'on en parle davantage dans cette campagne présidentielle. France Europe Express est évidemment le lieu, à la télévision, où nous nous efforçons de remédier à ce manque. Nous avons choisi et nous ferons la même chose, demain soir, pour Lionel JOSPIN, de vous expliquer, non pas de vous révéler, les grandes lignes du projet européen de celui qui apparaît, pour le moment, comme votre principal concurrent. Je veux parler du projet du candidat socialiste. Il s'agit bien du projet pour l'Europe.
Reportage sur le projet de Lionel Jospin
QUESTION - Monsieur CHIRAC, quels sont les points de ce projet sur lesquels vous êtes en franc désaccord ?
JACQUES CHIRAC - Je voudrais tout d'abord vous dire ceux sur lesquels je suis d'accord¿
QUESTION - Eh bien voilà une bonne nouvelle, un peu de consensus¿
JACQUES CHIRAC - ¿Début 2000, je suis allé à Berlin devant le Bundestag. J'ai fait un discours qui a fait un peu de bruit à l'époque, dans lequel, entre autres choses, je proposais la notion de Fédération d'Etat-Nation pour la première fois. Il y a eu quelques critiques¿
QUESTION - Et maintenant c'est une expression que chacun reprend volontiers ?
JACQUES CHIRAC - ¿Ou plus ou moins, je vais y revenir. Deuxièmement, je proposais que l'Europe se dote d'une Constitution et j'expliquais ce que j'entendais par Constitution qui permettait notamment de dire, qui fait quoi, avec précision et simplicité. Alors je crois que ce sont deux propositions que le Premier ministre reprend. Je ne peux que m'en réjouir. Je proposais également que l'on fasse une réforme du scrutin en France car effectivement ce scrutin aujourd'hui n'est pas satisfaisant. Je proposais de grandes circonscriptions avec quelque chose de majoritaire¿
QUESTION - Et vous reprenez cette proposition dans votre¿
JACQUES CHIRAC - ¿Que je reprends naturellement. Alors en ce qui concerne les points de désaccord, le Premier ministre semble, d'après ce que je comprends, proposer qu'il y ait un président de la Commission qui soit issu obligatoirement de la majorité qui s'est dégagée au Parlement européen.
QUESTION - Alors que vous, vous proposez que ce soit un Président élu par le Conseil ?
JACQUES CHIRAC - Ce sont deux choses différentes. Vous êtes en train de confondre le président de la Commission et le président du Conseil¿
QUESTION - Eh bien non, je reviens à votre interview¿
JACQUES CHIRAC - ¿Non, cela n'a pas de rapport. Je parle d'abord du président de la Commission. Nous parlerons après du président du Conseil, ce sont deux choses différentes, deux institutions tout à fait différentes. Alors le président de la Commission, dit M. JOSPIN, devrait être choisi obligatoirement au sein de la majorité du Parlement. J'y suis tout à fait hostile tout simplement parce que la Commission doit être indépendante des Etats, indépendante politiquement. C'est cela sa vocation. C'est cela sa nature et donc il ne convient pas de la politiser, voilà. Nous avons là deux avis divergents.
S'agissant du président du Conseil européen, j'ai fait mes propres propositions. Elles n'ont pas été rappelées pour ce qui concerne M. JOSPIN. Je suis pour un président¿
QUESTION - Elles seront rappelées à M. JOSPIN demain soir dans la même forme.
JACQUES CHIRAC - ¿J'ai proposé qu'il y ait un président. J'ai dit tout cela, très en détails dans un discours que j'ai prononcé le 6 mars dernier à Strasbourg¿
QUESTION - Que nous avons lu attentivement.
JACQUES CHIRAC - ¿ Je m'en réjouis et je propose qu'un président soit élu pour une période disons ...quatre ans, on peut discuter sur la durée et qu'il soit élu par les membres du Conseil.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, est-ce que dans les points d'accord il y a le respect du pacte de stabilité c'est-à-dire sur la réduction du déficit budgétaire à l'échelle de 2004. C'est un point important sur la question de vos engagements ? Est-ce que vous êtes d'accord sur l'objectif ? Est-ce que vous êtes d'accord également sur le calendrier ?
JACQUES CHIRAC - Je vais y venir. Je prends les choses dans l'ordre. Je dirai d'abord que sur l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés, j'y suis naturellement favorable, parce que cela consiste à baisser en France l'impôt sur les sociétés. C'est une manière de le faire - ce à quoi je suis favorable - et c'est une manière de s'excuser de le faire pour M. JOSPIN car nous ne pouvons pas indéfiniment avoir un impôt sur les sociétés qui soit beaucoup plus élevé chez nous que chez nos voisins car cela conduit aux délocalisations que nous observons, à l'absence d'investissements français en France et à l'absence ou l'insuffisance d'investissements étrangers en France.
De la même façon, M. JOSPIN, dites-vous, propose que les mesures fiscales soient prises à la majorité qualifiée. J'y suis aussi, tout à fait, favorable parce que cela veut dire que l'on va baisser la fiscalité française qui est la plus élevée de tous les pays européens mais il y a une certaine contradiction entre la politique qui a été conduite par le gouvernement et l'affirmation qu'il faut ainsi baisser¿
QUESTION - Sauf à utiliser l'Europe comme levier de changement...
JACQUES CHIRAC - ¿ J'en viens maintenant au Pacte de stabilité parce que, là, il y a eu une polémique étonnante, mais vraiment étonnante. Qu'est-ce que le Pacte de stabilité ? Le Pacte de stabilité, je me permets de vous le rappeler, a été décidé par moi, contre l'avis de M. JOSPIN qui ne le voulait pas, à l'époque. Il est maintenant reconnu et il ne vous viendrait pas, j'imagine, à l'esprit, que je puisse ne pas respecter le Pacte de stabilité, par définition. Qu'est-ce qu'il dit¿.
QUESTION - C'est le calendrier ?
JACQUES CHIRAC - ¿ Il n'y a pas de calendrier dans le Pacte de stabilité, permettez-moi de vous le dire.
QUESTION - Il y a un accord négocié sur 2004 ?
JACQUES CHIRAC - Il n'y a pas d'accord négocié, chère Madame. C'est une polémique qui ne repose sur rien. Alors je reprends, si on veut que les gens comprennent, comme c'est un peu compliqué, il vaut mieux que je puisse terminer mes phrases.
Le Pacte de stabilité dit quoi. Il dit que l'on ne peut pas avoir plus de 3 % de la richesse nationale en déficit, cela est clair. Personne, à ma connaissance, ne remet en cause le Pacte de stabilité. Deuxièmement, cette soi-disant querelle sur l'année 2004 : le fait est que les ministres des Finances se sont réunis et fixés un objectif qui consiste à atteindre l'équilibre budgétaire en 2004. Cet objectif n'a fait l'objet d'aucune discussion au sein du Conseil européen entre les chefs d'Etat et de gouvernement¿
QUESTION - ¿Contre les ministres donc ?
JACQUES CHIRAC - ¿Je répète que les ministres ont décidé cela. Cet objectif n'a fait l'objet d'aucune discussion au Conseil européen c'est-à-dire au niveau de la décision entre les chefs d'Etat et de gouvernements. Alors, je suis tout à fait favorable naturellement à ce que l'on essaie d'atteindre cet objectif, bien entendu¿
QUESTION - Alors vous dîtes que c'est ouvert quoi ?
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire pourquoi. Je voudrais tout de même noter qu'il y a quand même quelque chose de contradictoire dans le fait que le gouvernement actuel, qui est le premier gouvernement, depuis huit ans, à avoir augmenté sensiblement les déficits - dont le ministre des Finances nous expliquait, il y a quelques jours, que hélas, on avait espéré faire 1,4 mais ce serait probablement 1,9 voire un peu au-dessus, c'est ce gouvernement qui vient essayer de donner des leçons aux autres en disant : il faut supprimer les déficits. Soyons sérieux. Je m'excuse¿
QUESTION - Ce n'est pas ce que dit M. STRAUSS KAHN dans son débat avec Nicolas SARKOZY, la querelle des chiffres continue¿
JACQUES CHIRAC - ¿On n'est pas sérieux dans cette affaire et je souhaite vraiment que sur des sujets de cette nature, on soit un peu sérieux. Alors moi, je vais vous dire quelque chose, nous n'avons aucun engagement officiel. Le gouvernement actuel a eu une politique qui a consisté à s'éloigner de cet objectif. Je dis que si on peut l'atteindre, il faut l'atteindre.
Mais ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est une politique qui redynamise notre pays c'est-à-dire qui redonne toutes les chances aux travailleurs, aux entreprises de travailler, de produire, de créer de la richesse et de l'emploi. Pour cela il faudra prendre un certain nombre de mesures parmi lesquelles une diminution des charges, notamment fiscales et sociales, qui pèsent sur les entreprises, qui pèsent sur l'emploi et qui font que, petit à petit nous nous appauvrissons, je vous le disais tout à l'heure.
Alors ne comptez pas sur moi effectivement pour prendre des mesures uniquement parce qu'il faudrait atteindre un objectif en 2004 qui serait de nature à contrarier l'impulsion qui doit être aujourd'hui donnée à notre économie. Non, je ne le ferai pas. Le Pacte de stabilité ne l'impose pas. Je respecterai le Pacte de stabilité et, dans toute la mesure du possible, je respecterai l'objectif fixé par les ministres des Finances en 2004, mais ce n'est pas impératif.
QUESTION - Une toute dernière question parce que malheureusement le temps nous est compté. Monsieur CHIRAC c'est une question d'actualité. Notre confrère "le Canard Enchaîné" se fait l'écho, demain dans son numéro, d'un rapport provisoire, je dis bien provisoire, de l'inspection générale de la ville de Paris sur le fonctionnement de la questure de l'hôtel de ville entre 1987 et 1995 où il apparaîtrait - j'emploie le conditionnel- qu'il y a un certain nombre de dépenses importantes vous concernant et éventuellement votre femme pour un montant de 14 millions dont 9 millions et demi, payés en liquide. Alors, est-ce qu'il s'agit selon vous d'une manipulation de campagne ou est-ce qu'il y a, je dirais, un semblant de vérité ou est-ce que vous avez des informations à nous donner concernant ce dossier ?
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire. Les dépenses de la questure et des services de la questure de la ville de Paris sont les plus réglementées, vérifiées, votées, d'ailleurs, par des commissions puis par le Conseil de Paris que l'on puisse imaginer. Et donc je n'ai pas de commentaires à faire là-dessus, si ce n'est que, pour une raison que j'ignore, s'il y a eu dans les services des cas de malversations ou de dysfonctionnements alors il appartient à la ville de Paris de porter plainte. Mais ce n'est pas à moi de vous répondre sur ce sujet. En revanche, je voudrais puisque je comprends que c'est la fin de l'émission, vous dire une chose, une QUESTION que vous m'avez posée indirectement quand vous m'avez demandé qui serait mon Premier ministre. Je n'ai pas voulu y répondre¿
QUESTION - Vous allez nous le dire alors ?
JACQUES CHIRAC - Non, je ne vais pas vous le dire. Mais je vais vous dire, en revanche, quelle sera ma majorité, si je suis élu, naturellement.
Nous avons aujourd'hui, je ne suis pas sûr que tous les Français en aient pris conscience, une situation qui n'est plus celle d'il y a cinq ans. Nous avons une opposition qui a fait son union, qui l'a manifesté à Toulouse et qu'elle a faite non seulement sur le plan politique, mais qui l'a faite également - notamment pour le deuxième tour -, sur le plan de sa vision et de son projet, qui est un projet dont le mien est fort proche naturellement. Nous avons donc une majorité unie et capable d'appliquer une politique¿
QUESTION - Vous dîtes qu'elle est unie parce que l'on a pu avoir l'impression que ce n'est pas toujours le cas, notamment à Toulouse ?
JACQUES CHIRAC - ¿C'était une impression qui était tout à fait justifiée par certains comportements antérieurs, mais aujourd'hui, elle est unie. Ce qui veut dire simplement que mon projet, si je suis élu, - ce qui me conduira d'ailleurs à m'engager totalement pour avoir une majorité susceptible de soutenir ce projet- aura une majorité pour être appliqué.
En revanche, qu'est-ce que j'observe à gauche, après cinq ans d'exercice du pouvoir ? J'observe qu'il n'y a plus de majorité. Il n'y a aucun rapport entre ce que disent les verts, les communistes, les chevènementistes et même au sein du Parti socialiste. On sent très bien qu'il y a les purs et durs, les moins purs et moins durs. Il n'y a en réalité aucune majorité capable de supporter le programme c'est-à-dire de soutenir l'action de M. JOSPIN.
Donc, moi, quand je vous propose quelque chose, c'est que, dans l'hypothèse où je suis élu et j'ai -il y a- une majorité nécessaire, pour soutenir ce projet tandis que ce n'est pas le cas pour la gauche. Je tiens simplement à le dire parce que c'est plus honnête comme cela.
QUESTION - Eh bien on entendra demain sur ce même sujet, bien évidemment, la réplique de M. JOSPIN qui sera notre invité dans le même cadre, à la même heure. Monsieur CHIRAC, merci d'avoir répondu à l'invitation de France Europe Express.
JACQUES CHIRAC - Bonsoir
QUESTION - Bienvenue à France Europe Express. Notre rendez-vous s'inscrit dans une série d'émissions consacrées, en toute équité, aux divers candidats à l'élection présidentielle. Un rendez-vous, en pleine semaine, comme celui proposé demain soir à la même heure à Lionel JOSPIN de façon à éviter la campagne officielle, qui, nous le savons, tous, commence vendredi à minuit et comme il y a beaucoup de candidats, a-t-on appris aujourd'hui, qui se présenteront à ce premier tour la légalité absolue des temps de parole sera nécessaire.
Monsieur CHIRAC, le Président de la République que vous êtes, a présidé ce matin aux cérémonies rendant hommage aux victimes de Nanterre. Est-ce que le Président, ce matin, a regretté ou non les propos du candidat JACQUES CHIRAC faisant, à chaud, le lien entre cette tuerie et le problème global de l'insécurité dans notre pays ?
JACQUES CHIRAC - Tout d'abord, je voudrais dire que cette cérémonie, ce matin, était très émouvante, très forte. C'était un vrai hommage rendu, à Nanterre et, au-delà de Nanterre, par la Nation aux victimes de ce drame et à celles et à ceux qui, dans l'expression démocratique de leur fonction, c'est-à-dire au c¿ur de notre démocratie, dans un Conseil municipal, ont été victimes. Pour ce qui concerne les propos que j'ai tenu et auxquels je n'ai strictement rien à changer ou à enlever, je vous laisse l'entière responsabilité de votre appréciation.
QUESTION - On vous a entendu Monsieur CHIRAC condamner avec la plus grande vigueur les attentats antisémites qui, hélas, ont lieu en France depuis quelques temps sur fond d'aggravation sans fin du conflit au Proche Orient. Au-delà de la langue de bois que tout le monde emploie, est-ce que vous ne craignez pas que l'on voit des craquements dans le modèle républicain auquel, grand nombre de Français sont attachés et que l'on voit apparaître dans ces incidents et dans d'autres, une forme de communautarisme à la française, à laquelle la classe politique, semble-t-il, ne s'adresse pas du tout ?
JACQUES CHIRAC - D'abord ce ne sont pas des incidents. Ce sont des actes très graves parfaitement contraires à l'esprit de la République, à la tolérance, au dialogue, au respect de l'autre, qui sont les fondements même de la République. Nous devons tout faire pour que ces actes soient sanctionnés, pour que ceux qui les ont commis soient gravement punis, sérieusement punis.
Deuxièmement, on ne peut pas parler de communautarisme, dans le cas particulier, même si c'est un phénomène qui existe et que je récuse. Là, il s'agit d'agressions à l'égard de personnes, de biens, de symboles d'une communauté juive qui, par ailleurs, est une communauté totalement intégrée dans la France. Il faut bien comprendre que, quand une synagogue est l'objet d'un attentat, c'est en réalité la France qui est humiliée. Quand un juif fait l'objet d'une agression, ce sont les Français qui sont agressés. C'est notre Nation, c'est la conception que nous en avons. La Nation, ce n'est pas seulement un héritage, c'est un avenir pour nous, c'est la garantie de nos libertés et nous devons nous assurer que conformément à l'esprit de la République toutes les sensibilités peuvent être exprimées et doivent être respectées et représentées.
QUESTION - Et donc est-ce que cela veut dire que le modèle républicain doit être ajusté à une mosaïque nationale qui semble s'exprimer ?
JACQUES CHIRAC - Non, pas du tout chère Madame¿
QUESTION - Je ne parle pas des actes antisémites je pense à des incidents ¿
JACQUES CHIRAC - Le modèle républicain doit tout simplement être respecté. C'est un modèle qui implique le respect des autres.
QUESTION - Monsieur CHIRAC face à ces drames, est-ce que vous estimez qu'une campagne électorale doit s'arrêter, je dirais l'espace d'une trêve ou d'une pause ? Ce matin, le porte-parole du parti socialiste disait : "tout n'est pas bon pour nourrir une campagne" est-ce que ce sont des propos que vous pourriez reprendre à votre compte ?
JACQUES CHIRAC - Oui, bien entendu. D'ailleurs vous aurez observé que, sur ce point, il n'y a pas de divergence de vues exprimées au sein de la campagne. Nous sommes là, devant des actes graves qui doivent être compris comme tels et réprimés comme tels.
QUESTION - Venons-en, Monsieur CHIRAC, au sondage que nous avons demandé, avec nos amis de France Info, à l'institut CSA. Nous avons demandé à un échantillon de Français, qui ont l'intention de voter pour vous, quelles sont leurs motivations ? Selon quels critères s'apprêtent-ils à voter Chirac au premier tour ? Dominique ROTIVAL nous en résume les résultats.
Présentation sondage
Les raisons du vote Chirac :
Pour 30 % d'entre vous c'est sa personnalité qui pourrait vous faire voter pour lui.
Pour 21 % c'est son projet.
Pour 13 % c'est par rejet des autres candidats.
Pour 13 % également c'est en raison de ce qu'il a apporté à la vie politique ces dernières années.
Enfin vous êtes 23 % à ne pas vous prononcer.
QUESTION - 23 % encore, donc il y a encore quelques âmes à conquérir. Est-ce que le fait que votre personnalité, même chez des gens qui penchent plutôt à gauche ou dans les extrêmes, l'emporte tellement fortement sur votre projet est-ce pour vous une bonne nouvelle ou une moins bonne nouvelle ?
JACQUES CHIRAC - N'exagérons rien ce sont les résultats que je vois afficher ici et qui valent ce qu'ils valent.
QUESTION - Ils sont flatteurs¿
JACQUES CHIRAC - Oui, mais enfin je veux dire qu'il n'y a pas, entre la personnalité et le projet, une si grande différence. Ce que, pour ma part, j'essaie de développer pendant cette campagne, c'est un projet, c'est de faire comprendre aux Français l'enjeu de ces prochaines élections. Nous aurons probablement l'occasion d'en reparler mais c'est cela l'essentiel.
QUESTION - Ce soir à minuit, Monsieur CHIRAC, il y aura probablement au moins quinze candidats officiels. Est-ce à dire, qu'au fond, la règle des 500 parrainages était ou est la bonne règle finalement, puisque pas mal de candidats ont, eux-mêmes, déclaré qu'il faudrait peut-être revoir cette règle. Est-ce que ce soir, on pourrait déjà presque faire un pré-bilan de votre point de vue ? Est-ce que finalement le fonctionnement démocratique a bien fonctionné ?
JACQUES CHIRAC - Je ferai une première remarque c'est que je ne connais pas d'autres démocraties dans lesquelles il y a autant de candidats dans une élection de ce genre.
QUESTION - C'est une bonne chose ou pas ?
QUESTION - Est-ce qu'il n'y en a pas trop. N'est-ce pas d'une certaine manière le symptôme d'un problème ?
JACQUES CHIRAC - Non, je crois que c'est une caractéristique française¿
QUESTION - C'est un record ?
JACQUES CHIRAC - ¿Ce qui m'amène d'ailleurs à la deuxième réflexion. C'est que, spontanément, dès que l'on se pose une question en France, la première réponse est : il n'y a qu'à changer la loi ou la Constitution, ce qui permet, d'ailleurs, de faire de la France non seulement le recordman du nombre des candidats mais également le recordman de l'instabilité constitutionnelle et législative. Ce qui n'est pas, à proprement parler, un gage de très bonne et forte démocratie. Nous avons des lois. Nous avons des institutions. Respectons-les et cessons surtout, chaque fois qu'il y a un problème, de les mettre en cause. S'il y a lieu de changer quelque chose, faisons-le non pas dans l'improvisation, non pas dans l'immédiat face à une difficulté quelconque et sans aucune réflexion, faisons-le après avoir réellement réfléchi aux choses.
QUESTION - Vous ne diriez pas, quand même, que c'est un signe de santé qu'il y en ait autant, de santé démocratique ?
JACQUES CHIRAC - Non, je ne dirai pas que c'est un problème de santé démocratique, je dirai que c'est un problème de tempérament national mais enfin cela peut s'éduquer un peu.
QUESTION - Au-delà du brouhaha qui entourait ces derniers jours Jean-Marie LE PEN, finalement, il les a, ces fameuses 500 signatures. On se souvient qu'il vous avait menacé d'apocalypse électorale à droite si jamais il ne les avait pas. Ça a été du cinéma selon vous ?
JACQUES CHIRAC - Je n'ai aucun commentaire à faire sur les déclarations du Président du Front national.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, je sais que vous n'attachez pas beaucoup d'importance aux sondages. Tout de même, si on les regarde aujourd'hui avec toute la prudence nécessaire : entre ceux qui déclarent qu'ils vont s'abstenir et ceux qui déclarent qu'ils vont voter, pour ce que l'on appelle, des "candidats" dits protestataires, on s'aperçoit tout de même que l'addition de ces trois votes probables feraient peut-être plus que ceux qui pourraient voter et pour vous et pour Lionel JOSPIN. Est-ce que cela peut poser problème ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que cela a toujours été comme cela et cela continuera de l'être¿
QUESTION - Cela ne l'est pas plus qu'il y a sept ans ou quatorze ans ?
JACQUES CHIRAC - Je ne crois pas que c'était beaucoup plus. Cela mériterait d'être vérifié mais ce n'est pas un changement substantiel.
QUESTION - Quels sont, Jean-Michel BLIER, bonsoir, les questions que les "internautes auditeurs" de France Info ont envie ce soir de poser à Monsieur CHIRAC.
JEAN-MICHEL BLIER - Oui, bonsoir Christine, bonsoir Monsieur CHIRAC. Bien écoutez, parmi les nombreuses questions qui nous sont parvenues sur le site internet de France Info, bon nombre d'internautes font valoir comme Eric de VANVES que le quinquennat a peut-être changé la nature de la fonction présidentielle et celle du Premier ministre ou, en tout cas, le rapport entre le Président de la République et son Premier ministre. Eric considère que, si le chef de l'Etat fixe toujours les grandes orientations de la politique générale, c'est le Premier ministre qui gouverne certes, mais le Président de la République est plus responsable. Donc, il vous demande dans quelles mesures seriez-vous prêt, chaque année, devant les Français à faire une sorte d'état des lieux de l'application de votre projet et s'il ne serait pas logique, dans ces conditions, que vous disiez avec quelle équipe et avec quel Premier ministre vous allez appliquer votre projet ?
JACQUES CHIRAC - D'abord, il n'est pas dans la tradition, pour répondre à la dernière QUESTION de présenter une équipe à une élection présidentielle. On présente un homme.
Deuxièmement, je ne suis pas sûr qu'Eric ait raison lorsqu'il dit que le quinquennat est de nature à modifier les rapports entre le Président de la République et le Premier ministre. Je ne le pense pas.
Et, enfin, je crois que nous avons des institutions qui ne sont certainement pas parfaites, mais qui ont fait la preuve de leur efficacité avec leur faiblesse, avec leur force. Et, qu'au total, on serait bien inspiré, pour une fois dans l'histoire, de conserver nos institutions s'en, sans cesse, les remettre en cause.
QUESTION - Mais, on pourrait penser, par exemple, qu'avec le quinquennat, le Président de la République va être plus engagé dans la gestion gouvernementale.
JACQUES CHIRAC - Qu'est-ce qui vous fait dire cela, Monsieur JULY ?
QUESTION - On peut se poser cette question.
JACQUES CHIRAC - Ça ! On peut se poser toutes les questions que l'on veut. C'est évident.
QUESTION - On peut se poser la question parce que, comme le mandat est plus court, d'ailleurs, toute la campagne se fait sur des engagements. Ce sont des engagements du Président de la République, donc il les conduit à terme. On peut penser que la relation avec le Premier ministre va être de nature différente, que le Président de la République va être plus engagé, plus impliqué.
JACQUES CHIRAC - Je ne le pense pas. Je ne pense pas que, de ce point de vue, le quinquennat ait changé quoique ce soit. Naturellement, dans une élection présidentielle, les institutions en France étant ce qu'elles sont, cela veut dire qu'un homme présente un projet, donne sa vision de la France et, donc, son projet. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'ensuite le gouvernement ne sera pas en charge de l'application de ce projet, le Président fixant les grandes orientations. J'ai tout de même fait un petit pas dans la direction qu'évoquait, tout à l'heure, l'internaute, Eric. Je ne sais pas si le Président doit chaque année rendre compte. Après tout, pourquoi pas ?...
QUESTION - ...Ce que vous avez dit...
JACQUES CHIRAC - ...Cela n'aurait rien de choquant, ni de contraire à l'esprit de notre démocratie. En revanche, j'ai pris un autre engagement, c'est celui de demander au gouvernement, chargé d'appliquer les grandes orientations que j'ai définies, de présenter chaque année le bilan de son action devant le Parlement et d'engager sa responsabilité sur ce bilan.
QUESTION - Régulièrement, à échéances fixes, en quelque sorte.
JACQUES CHIRAC - Tous les ans, en fin d'année. J'ai pensé qu'il était légitime, sans que cela exige la moindre modification constitutionnelle, naturellement, que le gouvernement rende compte de la façon dont il a appliqué les orientations générales que le chef de l'Etat a définies, de façon à ce qu'on puisse savoir si les choses ont été réellement faites. Si elles ne l'ont pas été, pourquoi ? Et, si les raisons qui font qu'il y a des différences, sont justifiées ou non.
QUESTION - Donc, plus de contrôle parlementaire.
JACQUES CHIRAC - Oui.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, sans trahir de secrets, est-ce que vous avez déjà, dans votre for intérieur, choisi le Premier ministre ? Est-ce que vous avez déjà une petite connaissance ? Vous avez son nom ? Alors, trahissons le secret, allons-y. Nous sommes entre nous.
JACQUES CHIRAC - Nous sommes tout à fait entre nous...
QUESTION - Est-ce que vous avez choisi. Réponse : oui, non.
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire une chose. Votre temps est précieux. Nous venons de perdre vingt secondes pour ne rien dire.
QUESTION - D'accord. Vous auriez pu me dire oui ou non.
JACQUES CHIRAC - Eh bien, tout simplement, je n'ai pas l'intention de faire de confidences sur un sujet qui n'est pas d'actualité.
QUESTION - Il ne s'agit pas de confidences, Monsieur CHIRAC, mais de questions que deux personnalités ont envie de vous poser ce soir. L'une a osé vendre encore plus de livres que votre épouse et l'autre est rentrée ce matin du Proche Orient. Nous l'avions interrogé juste avant son départ.
Reportage sur Catherine MILLET.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, bonsoir. Je vais vous poser une question qui me tient très à coeur et qui concerne le nouveau Code pénal qui, comme vous le savez, continu à être assez discuté. Ne pensez-vous pas qu'il y aurait lieu de réviser, de remettre en cause un certain nombre de lois inscrites dans ce Code pénal, et notamment celles qui font peser une épée de Damoclés au-dessus de la tête des artistes ?
Reportage sur José BOVÉ.
QUESTION - Bonsoir, Monsieur CHIRAC. Si vous êtes élu Président de la République le 5 mai, vous allez devoir assister à l'Assemblée générale de la FAO, l'organe de l'ONU chargé de l'alimentation et de l'agriculture. Est-ce que vous défendrez à cette occasion la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire le droit des peuples de la planète à pouvoir se nourrir à partir de leur propre agriculture et à se protéger des importations à bas prix qui détruisent la capacité des paysans du monde ?
JACQUES CHIRAC - Je suis très sensible à ce qu'a dit Monsieur BOVÉ sur, non pas la souveraineté alimentaire, mais le droit des peuples. Et, ceci est en contradiction avec une règle que l'on cherche à nous imposer d'un peu partout et qui consiste à orienter les pays en développement vers les grandes cultures d'exportation dont chacun sait qu'elles sont très aléatoires...
QUESTION - ..."On", c'est qui dans votre esprit. Vous dites :on...
JACQUES CHIRAC - ...C'est en règle générale, tous ceux qui parlent du développement. Vous savez bien que la France, en particulier, est accusée de vouloir protéger son agriculture et donc, d'insuffisamment s'ouvrir en particulier aux importations des pays en développement. Ce qui d'abord est faux. L'Europe est le marché le plus ouvert du monde.
Et, deuxièmement, je ne suis pas certain - et sur ce point, je pense que la réflexion de Monsieur BOVÉ est fondée -, que les pays aient intérêt à être orientés vers les marchés vers l'exportation de leurs produits agricoles, c'est-à-dire vers des marchés qui sont par essence spéculatifs et, par conséquent, qui peuvent connaître des hauts et des bas. Alors que l'autosuffisance alimentaire est un élément essentiel pour les citoyens de ces pays.
QUESTION - Donc, une discussion à poursuivre avec José BOVÉ au prochain Salon de l'agriculture, peut-être.
JACQUES CHIRAC - Absolument.
QUESTION - Que répondez-vous à Catherine MILLET qui est préoccupée par la censure et par, en fait, une ambiance ou un régime, disons, moins libertaire que celui dans lequel nous avons de la chance de vivre ?
JACQUES CHIRAC - Je crois que la France et même je suis sûr que la France est, notamment sur le plan de la création, le pays de la liberté. Elle l'est depuis longtemps. Et, sauf quelques moments, quelques accidents...
QUESTION - ...Quelques crispations...
JACQUES CHIRAC - ...De l'histoire, c'est vraiment un pays reconnu pour être le pays de la liberté. Et, donc, l'épée de Damoclés, évoquée par Catherine MILLET, est une épée, il faut bien le reconnaître, en carton. Ceci étant, je suis contre, naturellement, toutes espèces de censure, et notamment de censure sur la création. En revanche, on ne peut pas exclure que certains, par le biais de la télévision, par le biais du cinéma, puissent avoir, sous prétexte de création, des appels au meurtre, des appels au racisme, des actions m'étant en cause la protection de l'enfance, etc. Là, il faut bien tout de même une limite, à condition, bien entendu,...
QUESTION - ...Elles ne sont pas suffisantes.
JACQUES CHIRAC - Si tout à fait, à condition qu'elle soit appréciée par le juge et non pas par le politique. Cela va de soi. Je ne crois pas qu'on ait vraiment en France à se plaindre. En tous les cas, je suis un farouche défenseur de la liberté de création.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, il y a eu, sur vos engagements en matière économique et sociale, pas mal de débats. Vous avez répondu déjà à plusieurs questions. On a pensé que cela serait bien que vous apportiez des précisions. Parfois il y a eu des débats, des versions parfois différents, d'ailleurs, y compris parmi vos proches. On va prendre un certain nombre de points importants.
Le premier concerne les 35 heures et, en particulier, ce que vous appelez l'assouplissement des lois dites "Aubry". Vous proposez que cet assouplissement soit fait à la suite d'une négociation avec les partenaires sociaux. Les syndicats, en tous les cas, de salariés ont tous répondu sur ce programme et ont dit, purement, qu'ils étaient contre l'assouplissement. Est-ce que vous allez l'imposer d'une manière ou d'une autre ?
JACQUES CHIRAC - Sur ce sujet, c'est curieux, nous n'avons pas entendu exactement la même chose. Cela arrive. Je ne remets pas en cause, naturellement, les 35 heures. Oui, je veux que les choses soient claires.
QUESTION - Pourquoi ?
JACQUES CHIRAC - Tout simplement parce qu'elles ont été décidées et qu'il n'y a pas lieu, à mon sens, de le remettre en cause. Je note, néanmoins, que nous sommes aujourd'hui le pays qui, parmi les grandes nations industrielles, et notamment européennes, travaille le moins. Alors, il ne faut pas s'étonner que nous soyons descendus, en matière de revenu par habitant, à la douzième place sur quinze dans l'Union européenne, ce qui n'est tout de même pas brillant. Et, à la onzième place sur le plan du chômage. C'est un fait. Ce ne sont pas mes informations, mes statistiques, ce sont celles de l'Union européenne. Il faut savoir qu'il y a un lien direct et qu'on s'appauvrit. On travaille moins et on s'appauvrit, ce qui n'est pas un gage de dynamisme...
QUESTION - ...Alors, pourquoi ne pas les supprimer ?
JACQUES CHIRAC - ...Et un gage de création d'emplois, d'activités, etc...
QUESTION - ...On voit bien les raisons pour lesquelles il faut les supprimer, purement et simplement, selon vous...
JACQUES CHIRAC - ...On l'a décidé. Chacun a sa position sur ce point. Moi, je ne remettrai pas en cause les 35 heures. En revanche, la méthode qui a été employée et qui a consisté, sans aucune espèce de concertation avec qui que soit, et notamment avec les organisations syndicales, dans le cadre d'un dialogue social, que le gouvernement a toujours ignoré et ne veut pas réellement promouvoir comme un moyen de progrès social, à faire la même chose pour tout le monde, comme si toutes les entreprises, toutes les activités, tous les Français avaient exactement la même taille, le même poids, la même ambition. Ce qui est évidemment absurde.
Vous avez d'une part une loi qui, à l'évidence, est inapplicable dans un certain nombre de secteurs, sauf à faire fermer des entreprises. Ce n'est pas ce que l'on cherche...
QUESTION - ...Tout cela est un plaidoyer et pas forcément pour le maintien des 35 heures.
JACQUES CHIRAC - ...Et d'autre part, vous avez un système où celui pour une raison quelconque - parce qu'il veut changer de maison, d'appartement parce qu'il a un enfant -, veut gagner un peu plus, ne peut pas gagner un peu plus en travaillant un peu plus. Je dois dire que c'est vraiment une méthode tout à fait étonnante...
QUESTION - ...Donc, vous proposez l'assouplissement
JACQUES CHIRAC - Alors, je dis donc que nous avons la nécessité d'un aménagement, un assouplissement. On ne l'évitera pas. Seulement, je ne suis pas pour la décision idéologique, bureaucratique, imposée. Je suis pour la concertation. Il faut simplement que ceci fasse l'objet d'un dialogue social, d'une concertation avec les organisations syndicales et professionnelles. C'est une nécessité et je suis sûr que cela aboutira.
QUESTION - Prenons un exemple. Est-ce que vous, vous pourriez revenir sur les allégements de charge dont bénéficient justement les entreprises qui sont passées aux 35 heures ? Parce que vous allez avoir besoin d'argent, tout simplement pour financer, je crois, par exemple, 20 milliards d'euros pour vos mesures nouvelles ? Est-ce que, par exemple, cela sur les 35 heures, vous pourriez, avec les entreprises, négocier et revenir sur les allégements de charge ? M. RUFENACHT a répondu. Il a dit : "non, pas du tout. On ne supprime pas les allégements de charge".
JACQUES CHIRAC - Nous avons cette caractéristique, aussi, en France de changer en permanence le droit, la règle, la loi. Je m'insurge contre cela. C'est une des raisons, cette incertitude, qui éloigne les investisseurs étrangers de notre pays. Quand on a créé un droit, il est pérenne. Je ne propose pas de le remettre en cause, pas sur ce cas particulier, mais tout simplement, parce que c'est une mauvaise méthode de travail...
QUESTION - ...C'est une réponse très claire. Donc, les allégements de charge sont maintenus en ce qui concerne les lois "Aubry". Comment comptez-vous les assouplir ?
JACQUES CHIRAC - Je n'imposerai rien, je vous l'ai dit...
QUESTION - ...Par négociation, par branche ?
JACQUES CHIRAC - J'estime que c'est une négociation qui, par entreprise, par branche, sur le plan national, doit faire l'objet d'une concertation entre les organisations syndicales et patronales, de façon à être réaliste, à intégrer les réalités de la vie d'une part, et les inspirations légitimes des travailleurs, d'autre part. Ceci étant, je ne veux rien imposer. Je dis simplement que cela se fera naturellement, parce que c'est la vie et qu'on n'impose pas des règles sociales comme cela a été fait uniquement pour des raisons idéologiques...
QUESTION - ...Donc, s'ils n'en veulent pas, il n'y aura pas d'assouplissement.
JACQUES CHIRAC - Naturellement.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, sur le plan des retraites, vous préconisez les fonds de pension à la "française". Je voudrais savoir si vous pouvez nous donner ce soir quelques détails, la signification exactement de ces fonds de pension à la "française". Et, question complémentaire, je voudrais savoir qui gérerait ces fonds de pension ?. Est-ce que ce sont les syndicats comme, par exemple, la Préfond, aujourd'hui, pour les fonctionnaires ou les assureurs, les mutuelles comme on le voit dans d'autres pays ?
JACQUES CHIRAC - Là, encore, pour être clair, je voudrais d'abord dire, de façon à échapper à toute polémique, que je suis un farouche partisan du système français de répartition...
QUESTION - ...Cela, on n'y touche pas. On le conforte.
JACQUES CHIRAC - ...Et qu'il est hors de question de le mettre en cause. Enfin, il est en cause car il est en grand danger. Il faudra donc le restaurer et, pour cela, il faudra un effort collectif, et l'Etat devra y prendre, bien entendu, sa part et une part qui sera forcément importante. A partir de là, j'estime que celui - et ils sont nombreux -, qui veut pour ses vieux jours, économiser de façon à améliorer sa retraite, doit pouvoir le faire et le faire en franchise d'impôt. Cela, c'est un système type, celui des fonctionnaires. Je ne vois pas pourquoi, en France, il y aurait deux catégories de Français : ceux qui peuvent améliorer leur retraite, les fonctionnaires, et c'est très bien comme cela, et ceux qui ne le peuvent pas. Ce que je souhaite, c'est que le système soit étendu. Naturellement, je ne suis pas du tout pour en faire une affaire privée. Je l'ai dit à maintes reprises...
QUESTION - ...Ce ne serait donc pas purement qu'individuel...
JACQUES CHIRAC - ...C'est pour cela que je l'appelle à la "française", c'est-à-dire un système qui soit issu d'une négociation, là encore, au terme d'un dialogue social entre les grandes organisations syndicales et professionnelles.
QUESTION - Vous serez co-gestionnaire du système, comme vous l'a proposé, en particulier, la CFDT.
JACQUES CHIRAC - C'est ce que je suggère.
QUESTION - C'est une grande négociation dans laquelle vous mettrez à la fois l'harmonisation entre le public et le privé, l'allongement des durées de cotisation, les régimes spécifiques, les régimes spéciaux.
JACQUES CHIRAC - Il y a aussi l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise qui doit faire l'objet de la négociation¿Il faut une grande négociation. Cette négociation est urgente. Cette concertation est urgente. Elle a trois partenaires là, ce n'est pas seulement le dialogue social. Il y a l'Etat, naturellement, puisqu'il est responsable et qu'il apportera une part non négligeable de ce qui est nécessaire pour rétablir et restaurer notre système de répartition. Et puis, il y a les organisations syndicales et les organisations professionnelles. Il faut que cette concertation démarre très rapidement, c'est-à-dire ce sera, à mon avis, l'un des premiers points sur lequel devra s'engager un nouveau gouvernement. Et au terme de cette concertation il faudra bien, dûment éclairée, que l'Etat fasse des propositions.
QUESTION - Cela pourra déboucher sur un référendum, par exemple, si on s'aperçoit que l'on a du mal à faire passer cette loi ?
JACQUES CHIRAC - Je n'exclus aucune possibilité étant personnellement favorable au principe du référendum, je n'exclus aucune possibilité. Ne me faites pas dire que j'ai proposé un référendum dans cette affaire, nous sommes bien d'accord.
QUESTION - Mais vous ne l'excluez pas ?
JACQUES CHIRAC - Je n'exclus rien. Je n'exclus aucune formule démocratique.
QUESTION - Le MEDEF a émis un certain nombre de propositions qui, d'après les sondages, sont plutôt bien accueillies par les Français, notamment en matière de retraite mais aussi en matière d'assouplissement des trente-cinq heures etc¿Et le MEDEF vous juge pas assez audacieux dans votre programme. Quelle est votre réaction par rapport à ce jugement-là ?
JACQUES CHIRAC - Je vous dirais simplement que le MEDEF, c'est le MEDEF et moi, c'est moi ! Il n'y a pas de lien particulier.
QUESTION - Vous n'allez pas jusqu'à diaboliser les patrons quand même ?
JACQUES CHIRAC - Moi, je ne diabolise personne. Cela n'est pas du tout dans ma nature. Je vous le dis tout de suite, Madame OCKRENT, je ne diabolise personne. Nous sommes dans un Etat de droit et dans une démocratie respectueuse des valeurs de la République que j'évoquais tout à l'heure, et par conséquent, je respecte tout le monde. Cela est tout à fait clair. Je suis suffisamment¿.
QUESTION - ¿et l'ingérence des patrons dans le débat politique, vous trouvez que c'est une bonne chose ?
JACQUES CHIRAC - Il est naturel que tout le monde participe au débat politique, ce n'est pas de l'ingérence. Nous sommes en démocratie.
QUESTION - C'est le terme employé par Ernest-Antoine SEILLIERE ?
JACQUES CHIRAC - Tout le monde a le droit de participer à un débat politique. Tout le monde s'exprime à sa façon. Au nom de quoi, voulez-vous priver quelqu'un du droit de s'exprimer dans un débat politique ?
QUESTION - Enfin les patrons, c'est nouveau en France ?
JACQUES CHIRAC - Les patrons, ce n'est pas une race maudite, n'est-ce pas ?
QUESTION - Non, c'est bien ce que je voulais vous entendre dire.
JACQUES CHIRAC - Ceci étant, ils s'expriment leur propre sentiment. Ils sont libres de le faire et ils doivent le faire et c'est leur vocation de le faire comme les syndicats, comme les associations, comme les partis politiques et comme l'ensemble de celles ou de ceux qui veulent participer au débat public. On se plaint suffisamment que le débat public n'intéresse pas assez les Français, voilà que maintenant, lorsque quelqu'un s'intéresse à quelque chose, vous le lui reprochez.
QUESTION - Au contraire, je voulais savoir si vous étiez de ceux qui¿
JACQUES CHIRAC - ¿Je suis de ceux qui souhaitent une participation aussi active que possible, de tous les Français à un grand débat national qui est essentiel, puisqu'il s'agit de sortir d'une période de crise dans laquelle nous sommes depuis quelque temps alors que nous avons tous les atouts nécessaires pour surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.
QUESTION - Voyons avec vous, Jean-Michel BLIER, à nouveau, quelles questions d'ordre économique et social, les " internautes auditeurs " de France Info ont envie de poser à M. CHIRAC, ce soir.
JEAN-MICHEL BLIER - Les auditeurs de France Info participent aussi au débat politique, au débat citoyen et j'ai retenu une question de Sébastien. Il précise qu'il a dix neuf ans et qu'il habite à Tours. Il fait valoir que l'on sent bien, dit-il, les pressions de Bruxelles pour l'ouverture de certains marchés, comme la Poste, le Gaz et l'Electricité. Et il vous interroge sur l'avenir du service public. Et il se demande si la tentation, au fond, ne sera pas très forte, d'ouvrir le capital de certaines entreprises publiques au secteur privé, tout simplement, dit-il, pour maintenir les déficits à niveau acceptable par Bruxelles ou tout simplement pour permettre à ces entreprises de s'ouvrir sur le marché et sur la concurrence ?
JACQUES CHIRAC - Je voudrais dire à votre correspondant que cela a été le grand débat du dernier Conseil européen à Barcelone et où la France a défendu, avec beaucoup de fermeté, ses services publics, non pas pour le principe mais tout simplement en fonction d'une exigence qui, pour nous, est essentielle : c'est le droit de tous les Français, partout, à avoir le même service. Et on ne peut pas concevoir qu'il y ait des services meilleurs, ici ou là, pour des raisons géographiques ou économiques. Et donc, nous sommes de ce point de vues, je dois le dire, unanimes, enfin unanimes parmi les principales forces politiques, à vouloir défendre le service public. Il ne faut pas confondre défense du service public et paralysie du service public. L'ouverture du service public, pour lui permettre notamment de faire les investissements nécessaires à l'étranger, est une chose que l'on peut parfaitement concevoir. Ce qui est essentiel, est d'en conserver le contrôle.
QUESTION - Est-ce que vous n'avez pas besoin, par exemple pour abonder le fonds de retraite qui va garantir la retraite par répartition, de privatiser beaucoup et en particulier le morceau principal du point de vue des propriétés d'Etat, en l'occurrence EDF ?
JACQUES CHIRAC - Je croyais que l'on allait arriver à la SNCF, n'est-ce pas, au point où nous en sommes ! Non. S'il y a des ouvertures - et elles sont probablement nécessaires, et c'est un point sur le lequel il n'y a pas de divergences de vues majeures au sein des forces politiques françaises - il est certain que le résultat ou le bénéfice devra en être versé pour l'essentiel¿.
QUESTION - ¿En un mot, vous comptez privatiser pour combien ?
JACQUES CHIRAC - Cela est une question qui n'a aucun sens. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'en faire un objectif. Deuxièmement parce qu'il ne s'agit pas de privatiser. Il faut utiliser les termes avec leur propre définition. Privatiser, c'est une chose £ ouvrir le capital, cela en est une autre. M. JULY vous êtes trop savant, je ne l'ignore pas, pour me faire croire que vous ne connaissez pas la différence. Donc, ne polémiquons pas. Ce n'est pas la peine. Le sujet ne le mérite pas. Par conséquent, personne ne prétend privatiser les services publics. En revanche, la gestion, la saine gestion des services publics conduit, je dirais, tout le monde, à estimer que des ouvertures sont nécessaires pour permettre le développement de ces services publics et notamment à l'étranger dans le cadre européen. Si tel est le cas, je dis simplement que les bénéfices de cette ouverture doivent être prioritairement affectés à la consolidation de notre système de retraite par répartition.
QUESTION - Une précision sur les effectifs de la fonction publique, Monsieur CHIRAC, parce que l'on a eu l'impression entre Jean-François COPE et d'autres responsables qui vous sont proches, de quelques zigzag -disons- dans les déclarations. Est-ce que les fonctionnaires qui partent à la retraite, selon vous, doivent être remplacés ou est-ce qu'il faut, si j'ose dire, profiter de cette évolution démographique pour réformer l'Etat, en particulier, par ce levier ?
QUESTION - Madame OCKRENT, je ne crois pas qu'on puisse aborder ce sujet par ce biais. Je vais vous dire pourquoi ? Nous avons en France un certain nombre de grandes entreprises et de moins grandes qui sont en permanence en train de s'adapter à la vie, aux nouvelles technologies, aux nouvelles méthodes de gestion¿
QUESTION - ¿Et qui réussissent fort bien¿
JACQUES CHIRAC - ¿Et qui réussissent fort bien. Nous avons la chance d'avoir en France, en particulier, des cadres et notamment des cadres supérieurs qui sont des gens tout à fait exceptionnels par leur qualité. Le monde entier le reconnaît. Hélas, un certain nombre est tenté de partir à l'étranger. C'est un autre problème. Pourquoi, sont-ils reconnus comme exceptionnels ? Parce qu'ils ont su faire évoluer les structures dans lesquelles ils travaillent, c'est-à-dire leurs entreprises au fur et à mesure de l'évolution des sciences, des techniques, de la gestion ou technologique. Pourquoi, est-ce que l'administration serait le seul domaine où on n'essaierait pas de faire de progrès, où on n'essaierait pas d'intégrer la notion de productivité ?
QUESTION - En utilisant en particulier cette évolution naturelle de notre démographie ?
JACQUES CHIRAC - En utilisant, non pas l'évolution naturelle, cela c'est regarder les choses, permettez-moi de vous le dire, par un bout de la lorgnette qui n'est pas le mien. Il n'est pas question de poser le problème : est-ce qu'il y a trop de fonctionnaires, est-ce qu'il n'y en a pas trop ? Ce n'est pas du tout le problème. Le problème qui se pose, c'est de savoir si, le rapport coût d'efficacité de l'administration est bon. Quand on lit le rapport de la Cour des Comptes, on s'aperçoit qu'il n'est pas excellent, qu'il y a un certain nombre de corrections qui pourraient être apportées ¿
QUESTION - ¿C'est une approche plus sévère, vous en êtes d'accord ?
JACQUES CHIRAC - Les reproches sont sévères. Je ne les fais pas miens. Je constate, pour le moment, ce que disent les experts. Ce qui vous dire que nous devons, et là encore, dans l'intérêt même et avec les fonctionnaires, voir là où il n'y a pas assez de fonctionnaires pour assumer les responsabilités qui sont les leurs, là où il y en a trop, là où l'on peut améliorer la productivité. Dans quel but ? Non pas de diminuer le nombre de fonctionnaires. Ce n'est pas un objectif. En revanche, ce qui est capital, c'est de savoir si on peut leur donner davantage de responsabilités, de moyens, de possibilités de s'épanouir, de s'exprimer, de donner une impulsion nouvelle à l'administration. C'est cela le fond du problème.
QUESTION - On peut en déduire que sur les huit cent mille qui vont partir d'ici à 2010, ils seront remplacés ?
JACQUES CHIRAC - Personne ne peut répondre à cette question qui n'a, permettez-moi de vous le dire, aucun sens. Ce qui est important, n'est pas de savoir s'il y aura huit cent mille contre huit cent mille. Ce qui est important, est de savoir si on aura une administration moderne et dynamique, qui a intégré les éléments de notre temps et si on aura des fonctionnaires heureux, satisfaits, dynamiques et contents de leur fonction. C'est cela le fond du problème.
QUESTION - Venons-en, Monsieur CHIRAC, à l'Europe. Les Français souhaitent qu'on en parle davantage dans cette campagne présidentielle. France Europe Express est évidemment le lieu, à la télévision, où nous nous efforçons de remédier à ce manque. Nous avons choisi et nous ferons la même chose, demain soir, pour Lionel JOSPIN, de vous expliquer, non pas de vous révéler, les grandes lignes du projet européen de celui qui apparaît, pour le moment, comme votre principal concurrent. Je veux parler du projet du candidat socialiste. Il s'agit bien du projet pour l'Europe.
Reportage sur le projet de Lionel Jospin
QUESTION - Monsieur CHIRAC, quels sont les points de ce projet sur lesquels vous êtes en franc désaccord ?
JACQUES CHIRAC - Je voudrais tout d'abord vous dire ceux sur lesquels je suis d'accord¿
QUESTION - Eh bien voilà une bonne nouvelle, un peu de consensus¿
JACQUES CHIRAC - ¿Début 2000, je suis allé à Berlin devant le Bundestag. J'ai fait un discours qui a fait un peu de bruit à l'époque, dans lequel, entre autres choses, je proposais la notion de Fédération d'Etat-Nation pour la première fois. Il y a eu quelques critiques¿
QUESTION - Et maintenant c'est une expression que chacun reprend volontiers ?
JACQUES CHIRAC - ¿Ou plus ou moins, je vais y revenir. Deuxièmement, je proposais que l'Europe se dote d'une Constitution et j'expliquais ce que j'entendais par Constitution qui permettait notamment de dire, qui fait quoi, avec précision et simplicité. Alors je crois que ce sont deux propositions que le Premier ministre reprend. Je ne peux que m'en réjouir. Je proposais également que l'on fasse une réforme du scrutin en France car effectivement ce scrutin aujourd'hui n'est pas satisfaisant. Je proposais de grandes circonscriptions avec quelque chose de majoritaire¿
QUESTION - Et vous reprenez cette proposition dans votre¿
JACQUES CHIRAC - ¿Que je reprends naturellement. Alors en ce qui concerne les points de désaccord, le Premier ministre semble, d'après ce que je comprends, proposer qu'il y ait un président de la Commission qui soit issu obligatoirement de la majorité qui s'est dégagée au Parlement européen.
QUESTION - Alors que vous, vous proposez que ce soit un Président élu par le Conseil ?
JACQUES CHIRAC - Ce sont deux choses différentes. Vous êtes en train de confondre le président de la Commission et le président du Conseil¿
QUESTION - Eh bien non, je reviens à votre interview¿
JACQUES CHIRAC - ¿Non, cela n'a pas de rapport. Je parle d'abord du président de la Commission. Nous parlerons après du président du Conseil, ce sont deux choses différentes, deux institutions tout à fait différentes. Alors le président de la Commission, dit M. JOSPIN, devrait être choisi obligatoirement au sein de la majorité du Parlement. J'y suis tout à fait hostile tout simplement parce que la Commission doit être indépendante des Etats, indépendante politiquement. C'est cela sa vocation. C'est cela sa nature et donc il ne convient pas de la politiser, voilà. Nous avons là deux avis divergents.
S'agissant du président du Conseil européen, j'ai fait mes propres propositions. Elles n'ont pas été rappelées pour ce qui concerne M. JOSPIN. Je suis pour un président¿
QUESTION - Elles seront rappelées à M. JOSPIN demain soir dans la même forme.
JACQUES CHIRAC - ¿J'ai proposé qu'il y ait un président. J'ai dit tout cela, très en détails dans un discours que j'ai prononcé le 6 mars dernier à Strasbourg¿
QUESTION - Que nous avons lu attentivement.
JACQUES CHIRAC - ¿ Je m'en réjouis et je propose qu'un président soit élu pour une période disons ...quatre ans, on peut discuter sur la durée et qu'il soit élu par les membres du Conseil.
QUESTION - Monsieur CHIRAC, est-ce que dans les points d'accord il y a le respect du pacte de stabilité c'est-à-dire sur la réduction du déficit budgétaire à l'échelle de 2004. C'est un point important sur la question de vos engagements ? Est-ce que vous êtes d'accord sur l'objectif ? Est-ce que vous êtes d'accord également sur le calendrier ?
JACQUES CHIRAC - Je vais y venir. Je prends les choses dans l'ordre. Je dirai d'abord que sur l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés, j'y suis naturellement favorable, parce que cela consiste à baisser en France l'impôt sur les sociétés. C'est une manière de le faire - ce à quoi je suis favorable - et c'est une manière de s'excuser de le faire pour M. JOSPIN car nous ne pouvons pas indéfiniment avoir un impôt sur les sociétés qui soit beaucoup plus élevé chez nous que chez nos voisins car cela conduit aux délocalisations que nous observons, à l'absence d'investissements français en France et à l'absence ou l'insuffisance d'investissements étrangers en France.
De la même façon, M. JOSPIN, dites-vous, propose que les mesures fiscales soient prises à la majorité qualifiée. J'y suis aussi, tout à fait, favorable parce que cela veut dire que l'on va baisser la fiscalité française qui est la plus élevée de tous les pays européens mais il y a une certaine contradiction entre la politique qui a été conduite par le gouvernement et l'affirmation qu'il faut ainsi baisser¿
QUESTION - Sauf à utiliser l'Europe comme levier de changement...
JACQUES CHIRAC - ¿ J'en viens maintenant au Pacte de stabilité parce que, là, il y a eu une polémique étonnante, mais vraiment étonnante. Qu'est-ce que le Pacte de stabilité ? Le Pacte de stabilité, je me permets de vous le rappeler, a été décidé par moi, contre l'avis de M. JOSPIN qui ne le voulait pas, à l'époque. Il est maintenant reconnu et il ne vous viendrait pas, j'imagine, à l'esprit, que je puisse ne pas respecter le Pacte de stabilité, par définition. Qu'est-ce qu'il dit¿.
QUESTION - C'est le calendrier ?
JACQUES CHIRAC - ¿ Il n'y a pas de calendrier dans le Pacte de stabilité, permettez-moi de vous le dire.
QUESTION - Il y a un accord négocié sur 2004 ?
JACQUES CHIRAC - Il n'y a pas d'accord négocié, chère Madame. C'est une polémique qui ne repose sur rien. Alors je reprends, si on veut que les gens comprennent, comme c'est un peu compliqué, il vaut mieux que je puisse terminer mes phrases.
Le Pacte de stabilité dit quoi. Il dit que l'on ne peut pas avoir plus de 3 % de la richesse nationale en déficit, cela est clair. Personne, à ma connaissance, ne remet en cause le Pacte de stabilité. Deuxièmement, cette soi-disant querelle sur l'année 2004 : le fait est que les ministres des Finances se sont réunis et fixés un objectif qui consiste à atteindre l'équilibre budgétaire en 2004. Cet objectif n'a fait l'objet d'aucune discussion au sein du Conseil européen entre les chefs d'Etat et de gouvernement¿
QUESTION - ¿Contre les ministres donc ?
JACQUES CHIRAC - ¿Je répète que les ministres ont décidé cela. Cet objectif n'a fait l'objet d'aucune discussion au Conseil européen c'est-à-dire au niveau de la décision entre les chefs d'Etat et de gouvernements. Alors, je suis tout à fait favorable naturellement à ce que l'on essaie d'atteindre cet objectif, bien entendu¿
QUESTION - Alors vous dîtes que c'est ouvert quoi ?
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire pourquoi. Je voudrais tout de même noter qu'il y a quand même quelque chose de contradictoire dans le fait que le gouvernement actuel, qui est le premier gouvernement, depuis huit ans, à avoir augmenté sensiblement les déficits - dont le ministre des Finances nous expliquait, il y a quelques jours, que hélas, on avait espéré faire 1,4 mais ce serait probablement 1,9 voire un peu au-dessus, c'est ce gouvernement qui vient essayer de donner des leçons aux autres en disant : il faut supprimer les déficits. Soyons sérieux. Je m'excuse¿
QUESTION - Ce n'est pas ce que dit M. STRAUSS KAHN dans son débat avec Nicolas SARKOZY, la querelle des chiffres continue¿
JACQUES CHIRAC - ¿On n'est pas sérieux dans cette affaire et je souhaite vraiment que sur des sujets de cette nature, on soit un peu sérieux. Alors moi, je vais vous dire quelque chose, nous n'avons aucun engagement officiel. Le gouvernement actuel a eu une politique qui a consisté à s'éloigner de cet objectif. Je dis que si on peut l'atteindre, il faut l'atteindre.
Mais ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est une politique qui redynamise notre pays c'est-à-dire qui redonne toutes les chances aux travailleurs, aux entreprises de travailler, de produire, de créer de la richesse et de l'emploi. Pour cela il faudra prendre un certain nombre de mesures parmi lesquelles une diminution des charges, notamment fiscales et sociales, qui pèsent sur les entreprises, qui pèsent sur l'emploi et qui font que, petit à petit nous nous appauvrissons, je vous le disais tout à l'heure.
Alors ne comptez pas sur moi effectivement pour prendre des mesures uniquement parce qu'il faudrait atteindre un objectif en 2004 qui serait de nature à contrarier l'impulsion qui doit être aujourd'hui donnée à notre économie. Non, je ne le ferai pas. Le Pacte de stabilité ne l'impose pas. Je respecterai le Pacte de stabilité et, dans toute la mesure du possible, je respecterai l'objectif fixé par les ministres des Finances en 2004, mais ce n'est pas impératif.
QUESTION - Une toute dernière question parce que malheureusement le temps nous est compté. Monsieur CHIRAC c'est une question d'actualité. Notre confrère "le Canard Enchaîné" se fait l'écho, demain dans son numéro, d'un rapport provisoire, je dis bien provisoire, de l'inspection générale de la ville de Paris sur le fonctionnement de la questure de l'hôtel de ville entre 1987 et 1995 où il apparaîtrait - j'emploie le conditionnel- qu'il y a un certain nombre de dépenses importantes vous concernant et éventuellement votre femme pour un montant de 14 millions dont 9 millions et demi, payés en liquide. Alors, est-ce qu'il s'agit selon vous d'une manipulation de campagne ou est-ce qu'il y a, je dirais, un semblant de vérité ou est-ce que vous avez des informations à nous donner concernant ce dossier ?
JACQUES CHIRAC - Je vais vous dire. Les dépenses de la questure et des services de la questure de la ville de Paris sont les plus réglementées, vérifiées, votées, d'ailleurs, par des commissions puis par le Conseil de Paris que l'on puisse imaginer. Et donc je n'ai pas de commentaires à faire là-dessus, si ce n'est que, pour une raison que j'ignore, s'il y a eu dans les services des cas de malversations ou de dysfonctionnements alors il appartient à la ville de Paris de porter plainte. Mais ce n'est pas à moi de vous répondre sur ce sujet. En revanche, je voudrais puisque je comprends que c'est la fin de l'émission, vous dire une chose, une QUESTION que vous m'avez posée indirectement quand vous m'avez demandé qui serait mon Premier ministre. Je n'ai pas voulu y répondre¿
QUESTION - Vous allez nous le dire alors ?
JACQUES CHIRAC - Non, je ne vais pas vous le dire. Mais je vais vous dire, en revanche, quelle sera ma majorité, si je suis élu, naturellement.
Nous avons aujourd'hui, je ne suis pas sûr que tous les Français en aient pris conscience, une situation qui n'est plus celle d'il y a cinq ans. Nous avons une opposition qui a fait son union, qui l'a manifesté à Toulouse et qu'elle a faite non seulement sur le plan politique, mais qui l'a faite également - notamment pour le deuxième tour -, sur le plan de sa vision et de son projet, qui est un projet dont le mien est fort proche naturellement. Nous avons donc une majorité unie et capable d'appliquer une politique¿
QUESTION - Vous dîtes qu'elle est unie parce que l'on a pu avoir l'impression que ce n'est pas toujours le cas, notamment à Toulouse ?
JACQUES CHIRAC - ¿C'était une impression qui était tout à fait justifiée par certains comportements antérieurs, mais aujourd'hui, elle est unie. Ce qui veut dire simplement que mon projet, si je suis élu, - ce qui me conduira d'ailleurs à m'engager totalement pour avoir une majorité susceptible de soutenir ce projet- aura une majorité pour être appliqué.
En revanche, qu'est-ce que j'observe à gauche, après cinq ans d'exercice du pouvoir ? J'observe qu'il n'y a plus de majorité. Il n'y a aucun rapport entre ce que disent les verts, les communistes, les chevènementistes et même au sein du Parti socialiste. On sent très bien qu'il y a les purs et durs, les moins purs et moins durs. Il n'y a en réalité aucune majorité capable de supporter le programme c'est-à-dire de soutenir l'action de M. JOSPIN.
Donc, moi, quand je vous propose quelque chose, c'est que, dans l'hypothèse où je suis élu et j'ai -il y a- une majorité nécessaire, pour soutenir ce projet tandis que ce n'est pas le cas pour la gauche. Je tiens simplement à le dire parce que c'est plus honnête comme cela.
QUESTION - Eh bien on entendra demain sur ce même sujet, bien évidemment, la réplique de M. JOSPIN qui sera notre invité dans le même cadre, à la même heure. Monsieur CHIRAC, merci d'avoir répondu à l'invitation de France Europe Express.