21 mars 2002 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, dans "Le Nouvel hebdo" du 21 mars 2002, sur la création d'entreprise, l'équipement des ménages en ordinateurs et en liaisons Internet, ainsi que sur la participation de l'Etat au capital de France Télécom.
Le Nouvel Hebdo : En décembre dernier, dans un entretien au Nouvel Hebdo, Lionel Jospin annonçait sa volonté de faire de la France la première économie numérique européenne. C'est un objectif qui vous convient ?
Jacques Chirac : L'objectif est le bon. Mais M. Jospin ne donne pas aujourd'hui à notre pays les moyens de l'atteindre. Le rôle d'accompagnement des pouvoirs publics dans la création d'entreprise doit être significatif puisqu'il s'agit d'alléger tout ce qui empêche " le passage à l'acte ".
Nous avons du travail pour être aussi favorables à l'entreprise que nos voisins européens, car, selon le dernier rapport sur la compétitivité et l'innovation de la Commission européenne, la France est particulièrement mal placée en termes d'environnement pour la création d'entreprise : 15e sur 15 pour le financement, 14e sur 15 pour l'information et la formation, 15e sur 15 pour les procédures administratives.
J'ai indiqué ma volonté d'engager un effort massif en faveur de la création d'entreprises, avec comme objectif " un million d'entreprises en plus " sur cinq ans. Je compte relever le défi en appliquant le principe selon lequel " pas de taxes, ni de charges avant le premier euro de chiffre d'affaires ". Je souhaite donner de nouveaux droits aux entrepreneurs.
Dans notre pays, plus on prend des risques moins on est protégé. Il serait souhaitable que les créateurs d'entreprises puissent bénéficier de l'assurance chômage et qu'une distinction soit faite entre leur patrimoine privé et celui affecté à l'entreprise.
Plus généralement, il est nécessaire de ramener la fiscalité des entreprises françaises au niveau de la moyenne européenne et assouplir, par la négociation, la législation sur les 35 heures pour les salariés qui le souhaitent. Ainsi, nos entreprises cesseront-elles d'être pénalisées dans la compétition internationale, et l'emploi ne se délocalisera plus à l'étranger.
C'est en relançant notre effort de recherche et en mobilisant les financements disponibles que nous libérerons les initiatives, et ferons réellement de la France la première économie numérique européenne.
Êtes-vous favorable à une grande loi sur la société de l'information, ou faut-il se contenter d'adapter ponctuellement notre cadre juridique ?
Un projet de loi existe. Il sera examiné au Parlement et éventuellement amendé pour tenir compte des évolutions des derniers mois. Je regrette que le gouvernement, consacrant pendant quatre ans son énergie à bâtir cette cathédrale législative, ait laissé se développer l'internet en dehors d'une régulation adaptée.
Une autre voie était possible, sans doute préférable, celle de l'expérimentation législative : établir rapidement une loi d'une durée de vie limitée, par exemple à 5 ans, fixant un cadre temporaire. À son terme, elle est évaluée, prolongée, modifiée ou abrogée. Ainsi est-il possible d'encadrer le progrès technologique, sans pour autant le freiner.
La net économie se caractérise par une montée en puissance de la propriété intellectuelle. Notre système de droits d'auteur pourra-t-il longtemps rivaliser avec le régime anglo-saxon du " copyright " ?
Les technologies de l'information sont un extraordinaire moyen d'élargissement de l'accès à la culture. Cette dimension culturelle est au coeur de mon ambition pour la France. Je souhaite que notre culture et notre langue prennent toute leur place sur l'internet.
À l'heure de la circulation et de la reproduction des oeuvres sur les réseaux, la question de la protection des droits des créateurs constitue à mes yeux une priorité.
J'estime que nous devons tout faire, en coopération étroite avec nos partenaires européens, pour affronter avec succès la bataille du " copyright " et assurer la pérennité du droit d'auteur " à la française ". Nous avons su inventer le droit d'auteur. Nous devons, demain, assurer sa sauvegarde. Le Parlement doit donc se saisir de la question de la rémunération de la copie privée, en évitant la taxation des disques durs.
En effet, compte tenu du retard de la France en matière d'équipement des ménages en ordinateurs - 40 % de moins que la moyenne européenne -, une telle mesure serait un obstacle supplémentaire au développement de la société de l'information et à ses retombées en matière d'innovation, d'emploi et d'influence culturelle.
Quels moyens financiers et juridiques, à l'instar de ce qu'il est convenu d'appeler l'amendement Messier, faut-il mettre en oeuvre pour permettre aux Français d'accéder aux technologies de l'information ?
Il ne suffit pas de constater le coût de l'équipement et de l'accès à internet, le regretter et attendre. Je souhaite mettre en oeuvre un programme national d'équipement en ordinateurs communicants. Il concernera en priorité les familles défavorisées, afin que tout enfant rentrant au collège puisse bénéficier à la maison de cet outil de plus en plus indispensable.
Les étudiants seront également aidés par le biais des bourses d'études qui devront prendre en charge l'acquisition d'un ordinateur.
Enfin, je suis favorable à l'extension des défiscalisations pour les entreprises qui souhaiteraient donner des ordinateurs neufs, ou d'occasion, et des forfaits internet à leurs salariés. J'estime l'effort à consentir pour ce plan de " rattrapage " de l'ordre de 300 millions d'euros.
Faut-il revoir le régime fiscal permettant d'investir dans des entreprises de croissance, qu'elles soient déjà cotées ou en création ?
Des efforts importants doivent être faits pour dégager des financements en faveur de la création d'entreprises. Ce sont eux qui ont permis le formidable boom de la net économie. Je veux renforcer les incitations fiscales pour orienter l'épargne de proximité vers l'investissement dans les nouvelles entreprises.
Pensez-vous qu'il faille établir une autorité de contrôle de l'internet ? Si oui, cette tâche doit-elle revenir au CSA, à l'ART ou à la Cnil ?
Nous avons déjà trois autorités indépendantes qui régulent l'internet. Et aussi le Conseil de la concurrence, très actif sur le secteur des télécoms. Les coopérations entre ces autorités doivent se renforcer, mais je n'éprouve pas le besoin de créer une autorité supplémentaire.
Combien de foyers français devraient être connectés au net, à la fin du prochain quinquennat en 2007 ?
L'objectif que je me fixe est celui d'un ordinateur par famille d'ici à 2007. L'ordinateur communicant est l'encyclopédie universelle du XXIe siècle. Dans les universités, l'objectif est d'un ordinateur par étudiant. Au collège et au lycée, un ordinateur pour 3 élèves d'ici à 5 ans.
Revenons à l'économie numérique. Le gouvernement soutient fortement la mise en place d'un réseau de télévision numérique terrestre. Vous êtes d'accord avec ce projet, fortement critiqué par TF1 et M6 ?
La télévision numérique terrestre est une avancée technologique inéluctable. Elle est surtout l'occasion de permettre aux Français un accès à une offre élargie de programmes.
Elle est également porteuse de grandes potentialités pour l'épanouissement de la vie locale. Il ne saurait être question de remettre en cause ce projet, qui est d'ailleurs largement engagé.
Doit-on réserver en priorité les canaux créés par la TNT à des chaînes gratuites ou payantes ?
Au terme de ses analyses, le Conseil supérieur de l'audiovisuel est arrivé à la conclusion que la meilleure formule était celle d'un équilibre entre les chaînes gratuites et les chaînes payantes. À mes yeux, il est très important que cette nouvelle technologie permette aux Français de bénéficier de nouvelles chaînes gratuites.
Mais il serait vain en même temps de vouloir nier les réalités économiques et il est donc naturel qu'une offre payante y trouve aussi sa place.
Dans le secteur des télécoms, êtes-vous favorable à une privatisation totale de France Telecom ?
France Telecom est devenue une entreprise puissante en Europe, dans un marché européen unifié et ouvert à la concurrence. Il est vital que France Telecom puisse nouer des partenariats industriels stratégiques et lever les fonds dont elle a besoin. Il est donc possible, en fonction de l'intérêt de l'entreprise, que l'État réduise sa participation au capital.
La participation majoritaire de l'État n'est pas un tabou. Il va cependant de soi que les personnels, qui ont le statut de fonctionnaires, doivent pouvoir le conserver. Un cahier des charges précis serait fixé à France Telecom pour l'exécution de ses missions de service public sous le contrôle de l'ART.
En dehors de ce secteur, l'État doit-il conserver des participations dans des entreprises de technologie, comme Thomson Multimedia ou ST Microelectronics ?
L'État doit gérer son patrimoine de manière intelligente et dynamique dans l'intérêt des entreprises en cause. Il ne doit pas s'interdire de vendre telle ou telle participation s'il le juge nécessaire. Une large part de la vente de ces actifs sera affectée au financement du fonds de réserve des retraites.
Pensez-vous que les conditions de la vente des licences de téléphone UMTS pourraient entraîner un échec de la troisième génération de téléphonie mobile ?
La gestion du dossier de l'UMTS par le gouvernement, opportuniste et dépourvue tant de logique économique que de vision industrielle, a pendant de longs mois perturbé le secteur de la téléphonie mobile. Je me félicite que le gouvernement soit revenu, en définitive, à des tarifs de licences plus raisonnables.
La France entre dans la société de l'information. Qu'est-ce que cela signifierait pour vous d'être le premier président de la République de cette nouvelle ère ?
Je mesure à la fois la chance que cela représente et la responsabilité qui m'incombe. Nous devons porter une ambition dans ce domaine pour " une France numérique " qui innove et qui entreprenne
(Source http://www.2002pourlafrance.net, le 25 mars 2002)
Jacques Chirac : L'objectif est le bon. Mais M. Jospin ne donne pas aujourd'hui à notre pays les moyens de l'atteindre. Le rôle d'accompagnement des pouvoirs publics dans la création d'entreprise doit être significatif puisqu'il s'agit d'alléger tout ce qui empêche " le passage à l'acte ".
Nous avons du travail pour être aussi favorables à l'entreprise que nos voisins européens, car, selon le dernier rapport sur la compétitivité et l'innovation de la Commission européenne, la France est particulièrement mal placée en termes d'environnement pour la création d'entreprise : 15e sur 15 pour le financement, 14e sur 15 pour l'information et la formation, 15e sur 15 pour les procédures administratives.
J'ai indiqué ma volonté d'engager un effort massif en faveur de la création d'entreprises, avec comme objectif " un million d'entreprises en plus " sur cinq ans. Je compte relever le défi en appliquant le principe selon lequel " pas de taxes, ni de charges avant le premier euro de chiffre d'affaires ". Je souhaite donner de nouveaux droits aux entrepreneurs.
Dans notre pays, plus on prend des risques moins on est protégé. Il serait souhaitable que les créateurs d'entreprises puissent bénéficier de l'assurance chômage et qu'une distinction soit faite entre leur patrimoine privé et celui affecté à l'entreprise.
Plus généralement, il est nécessaire de ramener la fiscalité des entreprises françaises au niveau de la moyenne européenne et assouplir, par la négociation, la législation sur les 35 heures pour les salariés qui le souhaitent. Ainsi, nos entreprises cesseront-elles d'être pénalisées dans la compétition internationale, et l'emploi ne se délocalisera plus à l'étranger.
C'est en relançant notre effort de recherche et en mobilisant les financements disponibles que nous libérerons les initiatives, et ferons réellement de la France la première économie numérique européenne.
Êtes-vous favorable à une grande loi sur la société de l'information, ou faut-il se contenter d'adapter ponctuellement notre cadre juridique ?
Un projet de loi existe. Il sera examiné au Parlement et éventuellement amendé pour tenir compte des évolutions des derniers mois. Je regrette que le gouvernement, consacrant pendant quatre ans son énergie à bâtir cette cathédrale législative, ait laissé se développer l'internet en dehors d'une régulation adaptée.
Une autre voie était possible, sans doute préférable, celle de l'expérimentation législative : établir rapidement une loi d'une durée de vie limitée, par exemple à 5 ans, fixant un cadre temporaire. À son terme, elle est évaluée, prolongée, modifiée ou abrogée. Ainsi est-il possible d'encadrer le progrès technologique, sans pour autant le freiner.
La net économie se caractérise par une montée en puissance de la propriété intellectuelle. Notre système de droits d'auteur pourra-t-il longtemps rivaliser avec le régime anglo-saxon du " copyright " ?
Les technologies de l'information sont un extraordinaire moyen d'élargissement de l'accès à la culture. Cette dimension culturelle est au coeur de mon ambition pour la France. Je souhaite que notre culture et notre langue prennent toute leur place sur l'internet.
À l'heure de la circulation et de la reproduction des oeuvres sur les réseaux, la question de la protection des droits des créateurs constitue à mes yeux une priorité.
J'estime que nous devons tout faire, en coopération étroite avec nos partenaires européens, pour affronter avec succès la bataille du " copyright " et assurer la pérennité du droit d'auteur " à la française ". Nous avons su inventer le droit d'auteur. Nous devons, demain, assurer sa sauvegarde. Le Parlement doit donc se saisir de la question de la rémunération de la copie privée, en évitant la taxation des disques durs.
En effet, compte tenu du retard de la France en matière d'équipement des ménages en ordinateurs - 40 % de moins que la moyenne européenne -, une telle mesure serait un obstacle supplémentaire au développement de la société de l'information et à ses retombées en matière d'innovation, d'emploi et d'influence culturelle.
Quels moyens financiers et juridiques, à l'instar de ce qu'il est convenu d'appeler l'amendement Messier, faut-il mettre en oeuvre pour permettre aux Français d'accéder aux technologies de l'information ?
Il ne suffit pas de constater le coût de l'équipement et de l'accès à internet, le regretter et attendre. Je souhaite mettre en oeuvre un programme national d'équipement en ordinateurs communicants. Il concernera en priorité les familles défavorisées, afin que tout enfant rentrant au collège puisse bénéficier à la maison de cet outil de plus en plus indispensable.
Les étudiants seront également aidés par le biais des bourses d'études qui devront prendre en charge l'acquisition d'un ordinateur.
Enfin, je suis favorable à l'extension des défiscalisations pour les entreprises qui souhaiteraient donner des ordinateurs neufs, ou d'occasion, et des forfaits internet à leurs salariés. J'estime l'effort à consentir pour ce plan de " rattrapage " de l'ordre de 300 millions d'euros.
Faut-il revoir le régime fiscal permettant d'investir dans des entreprises de croissance, qu'elles soient déjà cotées ou en création ?
Des efforts importants doivent être faits pour dégager des financements en faveur de la création d'entreprises. Ce sont eux qui ont permis le formidable boom de la net économie. Je veux renforcer les incitations fiscales pour orienter l'épargne de proximité vers l'investissement dans les nouvelles entreprises.
Pensez-vous qu'il faille établir une autorité de contrôle de l'internet ? Si oui, cette tâche doit-elle revenir au CSA, à l'ART ou à la Cnil ?
Nous avons déjà trois autorités indépendantes qui régulent l'internet. Et aussi le Conseil de la concurrence, très actif sur le secteur des télécoms. Les coopérations entre ces autorités doivent se renforcer, mais je n'éprouve pas le besoin de créer une autorité supplémentaire.
Combien de foyers français devraient être connectés au net, à la fin du prochain quinquennat en 2007 ?
L'objectif que je me fixe est celui d'un ordinateur par famille d'ici à 2007. L'ordinateur communicant est l'encyclopédie universelle du XXIe siècle. Dans les universités, l'objectif est d'un ordinateur par étudiant. Au collège et au lycée, un ordinateur pour 3 élèves d'ici à 5 ans.
Revenons à l'économie numérique. Le gouvernement soutient fortement la mise en place d'un réseau de télévision numérique terrestre. Vous êtes d'accord avec ce projet, fortement critiqué par TF1 et M6 ?
La télévision numérique terrestre est une avancée technologique inéluctable. Elle est surtout l'occasion de permettre aux Français un accès à une offre élargie de programmes.
Elle est également porteuse de grandes potentialités pour l'épanouissement de la vie locale. Il ne saurait être question de remettre en cause ce projet, qui est d'ailleurs largement engagé.
Doit-on réserver en priorité les canaux créés par la TNT à des chaînes gratuites ou payantes ?
Au terme de ses analyses, le Conseil supérieur de l'audiovisuel est arrivé à la conclusion que la meilleure formule était celle d'un équilibre entre les chaînes gratuites et les chaînes payantes. À mes yeux, il est très important que cette nouvelle technologie permette aux Français de bénéficier de nouvelles chaînes gratuites.
Mais il serait vain en même temps de vouloir nier les réalités économiques et il est donc naturel qu'une offre payante y trouve aussi sa place.
Dans le secteur des télécoms, êtes-vous favorable à une privatisation totale de France Telecom ?
France Telecom est devenue une entreprise puissante en Europe, dans un marché européen unifié et ouvert à la concurrence. Il est vital que France Telecom puisse nouer des partenariats industriels stratégiques et lever les fonds dont elle a besoin. Il est donc possible, en fonction de l'intérêt de l'entreprise, que l'État réduise sa participation au capital.
La participation majoritaire de l'État n'est pas un tabou. Il va cependant de soi que les personnels, qui ont le statut de fonctionnaires, doivent pouvoir le conserver. Un cahier des charges précis serait fixé à France Telecom pour l'exécution de ses missions de service public sous le contrôle de l'ART.
En dehors de ce secteur, l'État doit-il conserver des participations dans des entreprises de technologie, comme Thomson Multimedia ou ST Microelectronics ?
L'État doit gérer son patrimoine de manière intelligente et dynamique dans l'intérêt des entreprises en cause. Il ne doit pas s'interdire de vendre telle ou telle participation s'il le juge nécessaire. Une large part de la vente de ces actifs sera affectée au financement du fonds de réserve des retraites.
Pensez-vous que les conditions de la vente des licences de téléphone UMTS pourraient entraîner un échec de la troisième génération de téléphonie mobile ?
La gestion du dossier de l'UMTS par le gouvernement, opportuniste et dépourvue tant de logique économique que de vision industrielle, a pendant de longs mois perturbé le secteur de la téléphonie mobile. Je me félicite que le gouvernement soit revenu, en définitive, à des tarifs de licences plus raisonnables.
La France entre dans la société de l'information. Qu'est-ce que cela signifierait pour vous d'être le premier président de la République de cette nouvelle ère ?
Je mesure à la fois la chance que cela représente et la responsabilité qui m'incombe. Nous devons porter une ambition dans ce domaine pour " une France numérique " qui innove et qui entreprenne
(Source http://www.2002pourlafrance.net, le 25 mars 2002)