11 février 2002 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. Jacques Chirac, Président de la République et candidat à l'élection présidentielle 2002, à TF1 le 11 février 2002, sur sa candidature, les affaires concernant le financement du RPR, le bilan du gouvernement Juppé, la dissolution de l'Assemblée nationale de 1997 et la réforme de l'Etat.
Patrick Poivre d'Arvor : Jacques Chirac, bonsoir, merci d'abord d'avoir répondu à notre invitation. Votre candidature met fin au suspense que certains Français, comme Robert Hue, qui l'a rappelé tout à l'heure, ont pu peut-être juger un peu hypocrite.
On voyait un président, en vraie-fausse campagne, recevant fin janvier ses amis politiques dans un étrange clair-obscur à l'Elysée. Vous donniez presque un peu l'impression de vous cacher... Est-ce que c'est cet abcès-là que vous avez voulu crever aujourd'hui en vous déclarant ?
Jacques Chirac : Non, Monsieur Poivre d'Arvor. Ce qui m'anime, c'est la passion. J'aime la France, j'aime les Français. Nous allons devoir, tous ensemble, prendre au lendemain des prochaines échéances électorales des décisions importantes, faire des choix importants. Je vais mettre mon enthousiasme, ma détermination, mon expérience, au service d'une France que je veux sûre, ouverte, généreuse. Voilà les raisons de ma candidature.
Tout de même, on a un petit peu l'impression d'une certaine précipitation. Par exemple, votre prédécesseur, François Mitterrand, qui était comme vous sortant en 1988, ne s'était déclaré qu'à cinq semaines du premier tour. Est-ce parce que, en ce qui vous concerne, les sondages baissent, que les courbes s'érodent, que vous vous êtes déclaré aujourd'hui ?
Ma décision était prise déjà depuis un certain temps.
Combien de temps à peu près ?
C'est une décision d'ordre personnel.
Cela remonte à plusieurs semaines ?
Depuis un certain temps, et qui n'a pas à être partagé. Vous évoquez mon prédécesseur. Les hommes changent, les temps changent et donc les choses changent. Ce qui a conduit ma réflexion, c'est l'exigence démocratique. Nous allons devoir avoir un grand débat. Les Français devront apporter des réponses importantes à des questions essentielles pour leur avenir. Il faut, dès maintenant, les mobiliser pour qu'ils se préparent à ce débat, qu'ils y participent pleinement et qu'ils puissent dire ce qu'ils veulent au terme de ce débat. Le moment était venu, de mon point de vue, de le faire.
Alors, quand même, pour l'image de la France à l'étranger par exemple, comment allez-vous vous débrouiller les uns les autres ? Dans un mois, à Barcelone, il y a un sommet européen qui va être important, où vous allez vous retrouver avec Lionel Jospin, qui, vraisemblablement, je le pense en tout cas comme beaucoup de Français, sera alors candidat. Comment allez-vous faire ? Allez-vous vous regarder en chiens de faïence ou allez-vous parler d'une seule voix ?
Faites-moi confiance et je dirai "faites confiance également au premier ministre". Lorsqu'il s'agit des intérêts de la France, des valeurs qu'elle défend, lorsque nous devons porter sa voix à l'extérieur, il n'y a jamais eu et il n'y aura pas, jusqu'au dernier jour de nos mandats, de polémiques, de difficultés, de choses qui seraient contraires à la dignité et aux intérêts supérieurs de notre pays.
Quoi qu'il en soit, vous êtes revenu, au fond, un citoyen comme les autres, un citoyen candidat comme le dit Jean-Marie Le Pen. Vous allez quand même redescendre, d'une certaine façon, de votre piédestal. Vous allez vous retrouver face à une quinzaine de candidats qui vont crier haro sur Chirac ou "tout sauf Chirac"... Comment allez-vous vous débrouiller ? Vous allez mesurer ce risque-là j'imagine ?
Je n'ai pas l'intention de polémiquer avec quiconque et notamment avec aucun, je dis bien aucun, des candidats. J'ai l'intention simplement de dire aux Français ce que je pense, ce que je pense d'utile et de nécessaire pour la France et ce que je veux, s'ils me font confiance.
Un de vos amis, Philippe Séguin, tout récemment, vous exhortait à retrouver ce qu'il appelait "la crédibilité rodée". Ce que l'on appelle "les affaires" par exemple, il y a eu un effet incontestable dans l'opinion. Est-ce que c'est le retour très médiatisé de Didier Schuller en France, la parution, très annoncée également du livre du juge Halphen début mars, qui vous ont forcé à accélérer le rythme aujourd'hui ?
Rien de tout cela, Monsieur Poivre d'Arvor, rien de tout cela. J'ai la force d'un homme qui est tout entier, et depuis longtemps, mobilisé au service des Français. Alors, naturellement, on peut détruire. On peut alimenter la suspicion, la calomnie, la rumeur, la salissure. On peut aussi abattre un homme pour des raisons politiques, mais on ne peut pas toucher à la vérité d'un homme. J'ai consacré, et je consacre ma vie, au service des Français, je n'ai pas d'autre ambition. Je l'ai fait avec mes convictions, avec mes principes, avec mon c¿ur. Alors, ne soyons pas hypocrites... Vous évoquez "les affaires", de quoi s'agit-il ? Il s'agit des pratiques qui ont eu lieu, il y a une quinzaine d'années, et qui conduisaient les partis politiques à se débrouiller - si vous me permettez l'expression -, c'est-à-dire, n'ayant pas de ressources officielles, à rechercher par des moyens qu'ils ne considéraient pas à l'époque comme immoraux mais qui, aujourd'hui et à juste titre, sont considérés comme condamnables. Ils cherchaient les moyens de vivre dans la mesure où les partis sont essentiels. A partir de là, Monsieur Poivre d'Arvor, c'est tous les partis sans exception qui vivaient de cette manière. Il n'y a pas, d'un côté, chez les hommes politiques français, les corrompus et, de l'autre, les vertueux. Tout le monde était à la même enseigne, et j'ai été le premier comme premier ministre à faire passer une loi pour cela, au règlement de financement des partis politiques. A partir de là, les choses ont été régulières et normales. Vous savez, il ne faut pas confondre, il y a la justice qui doit s'exprimer librement, rechercher la vérité. Elle ne peut le faire que dans la sérénité. Et puis, il y a l'exploitation politique ou médiatique des affaires, une exploitation qui fait son miel de la calomnie, de la rumeur. Vous savez, c'est un vieux principe, calomnier, calomnier, il en reste toujours quelque chose ! C'est vieux comme le monde ! Et c'est un principe, ou plus exactement une pratique, qui n'a jamais grandi la démocratie, qui l'a mise souvent en danger.
Pour sa défense, dans Le Monde, Didier Schuller explique que le système de financement occulte, qui provient de l'office HLM des Hauts-de-Seine, dont il était à un moment donné le directeur, a servi non seulement à lui-même mais également à la fédération de son parti dans son département, mais également à l'ensemble de la fédération. Vous avez été, à un moment donné président, et longtemps même, président du RPR. Vous étiez donc au courant, forcément.
Je n'ai jamais, je vous le dis bien, jamais entendu parler de cette affaire, même si ces choses ne sont pas réglées par les présidents ou les secrétaires généraux des partis, leur trésorier. Je n'ai jamais entendu parler de cette affaire et, par conséquent, je la conteste totalement.
Et Didier Schuller, vous ne le connaissez pas, vous ne l'avez jamais rencontré ?
Non, non.
Il a été conseiller municipal, conseiller régional, conseiller...
Je me suis peut-être trouvé dans un endroit avec lui, mais je ne le connaissais pas personnellement.
Vous pensez que son retour en France est le fruit du hasard ?
Je ne pense rien.
Vos amis pensent beaucoup là-dessus. Ils ont beaucoup dit que c'était une manipulation socialiste.
Je ne pense rien, ce n'est pas ça pour moi le c¿ur du débat aujourd'hui.
Vous savez également qu'il y a au moins quatre juges qui brûlent de vous interroger sur des dossiers très distincts et il y a des gens qui se disent "se représenter, pour Jacques Chirac, c'est quand même une occasion aussi de garder et de conserver son impunité".
C'est vraiment, Monsieur Poivre d'Arvor, me rabaisser de façon qui me choque profondément. J'irai même jusqu'à dire qui me fait un peu de peine. En tous les cas, cela ne me touche pas.
Parce que, cette impunité pour vous, elle est légale bien sûr, mais elle vous paraît normale ?
Ce n'est pas mon impunité. Il y a tout simplement une garantie constitutionnelle qui existe dans tous les pays et qui, seule, peut permettre au président de la République d'assumer convenablement ses fonctions au service de la France et des Français, comme dans les autres pays au service de leurs concitoyens.
Dans les mauvaises ondes du mois de janvier, il y a eu également une révélation de notre confrère Eric Zemmour qui a dit qu'entre les deux tours de la présidentielle de 1988 cette fois vous aviez rencontré une ou deux fois Jean-Marie Le Pen. Est-ce que vous confirmez ou pas ?
L'Elysée a eu l'occasion de faire à ce sujet un communiqué.
Et vous-même ?
Un communiqué pour infirmer cette affirmation. Il m'est arrivé de rencontrer, ou plus exactement d'être en présence fortuitement de M. Le Pen. Une fois notamment. Cela m'a d'ailleurs permis de lui dire en face ce que je pensais. Mais...
Charles Pasqua dit que c'est lui qui a organisé la rencontre ?
Monsieur Poivre d'Arvor, vous connaissez mes actes, vous connaissez mon engagement. Est-ce que vous pouvez trouver dans mes actes, dans mes engagements, dans mes propos, quoi que ce soit qui puisse vous conduire à penser que j'ai transigé, quel qu'en soit le prix, avec convictions ? Jamais, Monsieur Poivre d'Arvor.
Donc, vous ne l'avez jamais rencontré pour essayer de discuter du deuxième tour ? Toujours dans les abcès, puisque Philippe Séguin vous exhortait justement à crever tous ces abcès, il disait "l'abcès de la dissolution". Moi, je me mets un peu à votre place, je me dis "pourquoi ne pas dire une bonne fois pour toutes, oui, il y a cinq ans j'ai fait une bêtise ce jour-là. J'ai fait perdre cinq ans, sinon à la France, en tout cas à mes idées, à mes électeurs ?" Il est si difficile cet aveu-là ?
Cela ne serait pas difficile, mais je ne le pense pas. Lorsque l'ai été élu, j'ai été immédiatement confronté avec un problème essentiel : est-ce que la France pourrait rester dans la construction européenne et adhérer à l'euro. Nous étions dans une situation financière qui ne nous le permettait pas. Nous ne remplissions pas les critères nécessaires, notamment sur le plan financier, pour être membre du club européen. Et c'était dramatique pour la France et pour son avenir. Inacceptable. J'ai donc fait un choix qui était le choix de l'Europe. Ce choix m'a conduit à prendre un certain nombre de mesures qui ont été, c'est vrai, mal comprises et surtout mal ressenties, dans la mesure où c'étaient des contraintes, par les Français. Pour rétablir notre situation financière et par voie de conséquence pour nous permettre d'être aujourd'hui dans l'euro et pour vous permettre d'avoir aujourd'hui des euros dans votre poche. A partir de là j'ai bien vu que la contestation existait, que les Français comprenaient mal cette situation et que non seulement la contestation était politique mais elle était aussi dans la rue. A partir de là il y a eu une exigence démocratique. Et l'exigence démocratique, c'est de faire appel aux Français pour leur dire voilà la situation, il vous appartient, puisque vous contestez, et je peux le comprendre, de trancher. C'est la raison pour laquelle j'ai dissous. Quelques mois, j'ai mis fin au mandat de l'Assemblée nationale, quelques mois avant l'échéance je vous le ferai remarquer, c'est l'exigence démocratique et je ne le regrette pas. Il fallait le faire.
Il y a sept ans, comme d'ailleurs tous les candidats, vous avez fait de belles promesses, en ce qui vous concerne, vous avez dit essentiellement je voudrais réduire la fracture sociale, je voudrais baisser les impôts. Or, on s'aperçoit bien que la fracture sociale n'est pas vraiment réduite et que les impôts ont immédiatement augmenté peu de temps après. Pourquoi on vous croirait cette fois-ci ? Donnez-nous des bonnes raisons ?
Vous évoquez en quelque sorte....
Je résume oui...
Je vous l'ai dit à l'instant, l'essentiel c'était de pouvoir être dans les pays qui étaient ensemble dans l'Union européenne. Cela a supposé naturellement l'augmentation des impôts, la réduction des déficits. Il n'y a pas eu que cela. J'ai pris tout un ensemble de mesures, le gouvernement de M. Juppé a pris tout un ensemble de mesures qui étaient dans le droit-fil des engagements que j'avais pris. Le contrat initiative-emploi a apporté des emplois à plusieurs centaines de milliers de chômeurs de longue durée dans une période où, comme vous le savez, la croissance était très faible et où l'emploi aurait pu se développer beaucoup. La politique de réduction des charges sur les emplois les plus modestes a permis d'après les documents officiels la création de quatre cent mille emplois. Et c'est bien grâce à ça que le chômage n'a pas augmenté pendant cette période malgré la situation économique. Le prêt à taux zéro en faveur des familles les plus modestes pour leur logement a été un grand succès et allait tout droit dans le sens que vous évoquiez à l'instant. Nous avions une situation de l'assurance maladie et de la Sécurité sociale dramatique. Nous avons pris des mesures courageuses et qui ont été c'est vrai, là aussi, mal ressenties, mais qui ont sauvé la Sécurité sociale de la faillite. La loi sur l'exclusion, c'est le gouvernement Juppé qui l'a élaborée, à mon initiative et sous mon impulsion. A quelques jours près, elle n'a pas pu être votée, elle a été reprise par le gouvernement suivant et adoptée ensuite, mais c'était bien dans ce sens et, pour ne pas allonger le débat, je ne parlerai pas de la défense des institutions, de l'augmentation des pouvoirs du Parlement et notamment des pouvoirs de contrôle de la réforme des armées, de la suppression d'un service militaire qui était obsolète et qui nous permet aujourd'hui d'avoir une armée qui est capable de faire face à la défense de notre pays, de ses valeurs, de ses intérêts dans le monde. Ce n'est pas négligeable. Sans parler du fait que j'ai voulu porter d'une voix forte la voix de la France dans le monde. Personne ne conteste que je l'ai fait. J'ai donné de la France une image forte dans le monde. Cela m'a permis également de défendre, ce n'était pas l'habitude dans notre pays, avec acharnement les intérêts économiques de la France un peu partout dans le monde. Cela m'a permis de relancer des débats essentiels, celui notamment de la diversité culturelle nécessaire, du dialogue des cultures, celui concernant l'aide aux pays pauvres qui finalement va probablement, notamment pour l'Afrique, prendre corps après un combat que j'ai mené pendant des années et des années, celui de la défense des éléments essentiels d'un environnement qui se dégrade de plus en plus et qui est géré en dépit du sens commun sur le plan international. Tout cela ce n'est pas tout à fait rien. Et j'en suis fier.
Ça, c'est le bilan, donc c'est le passé. On va essayer de s'interroger sur, parce que j'imagine que c'est la préoccupation de nos concitoyens, sur l'avenir. Candidat pour quoi faire, président pour quoi faire. D'abord, est-ce que la France est en bonne santé ?
Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire ça. Et ce que je veux, c'est redonner toutes ses chances à la France. L'avenir de la France n'est pas écrit à l'avance. Je vous l'ai dit, il y a des choix à faire, des décisions à prendre. On a un peu le sentiment aujourd'hui que la France marche au ralenti. On observe que notre situation par rapport à nos grands partenaires européens ou étrangers se dégrade, notamment en terme de pouvoir d'achat, en terme de richesse par habitant, on a le sentiment qu'il y a une sorte de crise, je dirai de désordre, qui s'est installée dans les esprits, dans les m¿urs, dans les comportements et dans l'une des manifestations les plus dramatiques qu'est l'insécurité. Donc, il faut demain faire des choix, il faut imprimer à la France une direction claire et ferme.
Alors justement quel va être l'axe de votre campagne, est-ce que ça va être la fracture sociale comme en 1995 ou est-ce que ça va être une droite plus assumée comme vous le conseille, par exemple, Nicolas Sarkozy ?
Je trouve mes propres conseils dans les contacts permanents que j'ai avec les Français.
Qu'est-ce qu'ils vous disent, les Français ?
Ils me disent un certain nombre de choses qui me conduisent à des conclusions. D'abord, qu'il y a un préalable, et ce préalable c'est de retrouver la cohésion sociale dans notre pays. Cela veut dire d'abord restaurer l'autorité de l'Etat qui a tendance à se dégrader. Cela veut dire rendre la sécurité, notamment des biens et des personnes, à tous les Français, car lorsqu'il y a peur il y a forcément manque de sérénité et dynamisme. Il faut renforcer la solidarité, il n'est pas normal que dans un pays comme la France, après quatre ans de croissance et tout ce que cela comporte comme richesse accumulée, la pauvreté n'ait pas reculé. Il faut donner à la justice tous les moyens dont elle a besoin pour faire sereinement, efficacement et plus rapidement son devoir essentiel pour notre pays. Il faut en un mot retrouver une valeur qui s'est un peu effacée, c'est le respect que chaque Français doit avoir pour l'autre, doit avoir pour l'ensemble de ses concitoyens. On manque aujourd'hui du respect de l'autre. Et c'est un effort essentiel de faire comprendre l'importance de cette valeur. Alors, ayant, si j'ose dire, un peu remis la France à l'endroit, nous pourrons, avec plus d'énergie, de dynamisme, donner toute sa force à cette initiative qui est dans le c¿ur et dans la tête de tous les Français que je voyais encore ce matin à Avignon, en les libérant d'un carcan paralysant d'excès de réglementations, d'excès de charges.
Un carcan socialiste ?
Un carcan d'idéologies dépassées, c'est-à-dire qui ne tient pas compte des réalités aujourd'hui de ce monde. Chacun devrait pouvoir être beaucoup plus maître de son destin, autrement dit on ne peut plus avoir aujourd'hui un pays où les décisions, toutes les décisions, jusqu'aux plus modestes, sont prises dans des bureaux parisiens en fonction d'une idéologie. Il faut libérer ces énergies, c'est très important.
Concrètement parlant, en matière économique, est-ce qu'il faut baisser les impôts et quel impôt ?
Je ne rentrerai pas dans le détail. Nous avons une situation financière très difficile en perspective, car...
Ça veut dire que vous aurez une toute petite marge de man¿uvre ?
Oui, toute petite, car nous avons mangé notre blé en herbe. Nous n'avons pas profité réellement des chances que nous donnait la croissance et, maintenant qu'elle a diminué, nous allons en payer les effets. Or, nous avons la nécessité d'assumer des charges nouvelles, notamment dans le domaine je vous le disais tout à l'heure de la sécurité, dans le domaine de la garantie des retraites qui sont un des plus graves problèmes qui n'aient pas été résolus et qui se posent maintenant. Et pourtant, nous sommes dans l'obligation impérieuse de donner un signal clair incontestable aux Français que les charges diminueront. Tout simplement parce que, si nous ne le faisons pas, la compétitivité de la France continuera à baisser. Ça veut dire que les investisseurs français continueront, comme c'est le cas maintenant, à investir à l'étranger, que les investisseurs étrangers viendront moins en France et que les cerveaux français continueront à s'expatrier.
Est-ce qu'il faut pour cela toucher à l'appareil de l'Etat, réformer l'Etat ?
Sans aucun doute redéfinir les fonctions de l'Etat. Les conforter là où elles sont nécessaires et petit à petit les alléger là où elles le sont moins. Mais ce que je veux vous dire, c'est que l'un des grands défis à relever ce sera de faire en sorte que notre pays soit à nouveau compétitif, que les gens viennent y investir, que ce soit les Français ou les étrangers, que les cerveaux français restent chez nous. A partir de là nous aurons, si nous libérons par ailleurs d'un certain nombre de contraintes l'initiative individuelle, nous aurons un vrai progrès et ça suppose notamment que l'on cesse de tout décider à Paris et que l'on transfère au dialogue social, c'est-à-dire à la responsabilité des partenaires sociaux au niveau de la branche, de la région, de l'entreprise nationale, un grand nombre de décisions qui aujourd'hui sont prises de façon idéologique et incompétente, et inadaptée. Alors, naturellement, l'Etat doit conserver la maîtrise du cadre qui peut garantir à tous l'égalité des chances et aussi naturellement la protection sociale nécessaire et qui est un élément fondamental de la cohésion nationale que l'on ne peut naturellement en aucun cas mettre en cause mais, dans ce cadre, il faut laisser plus de liberté notamment au dialogue social pour s'exprimer.
Est-ce que vous dites que le futur président aura finalement une marge de man¿uvre économique toute petite, est-ce qu'il ne faut pas par exemple privatiser encore par exemple EDF, essayer de récupérer de l'argent là où on peut ?
Nous verrons cela le moment venu. Il existe des marges de man¿uvre si on les veut et de toute façon, si on peut répondre aux exigences que je viens d'évoquer, il faudra bien les trouver.
Maintenant que vous vous êtes déclaré est-ce que vous souhaitez que le premier ministre le fasse à son tour ?
C'est son problème.
Vous pensez qu'il le fera ?
J'imagine qu'un jour ou l'autre il le fera. J'en ai l'intuition.
On connaît votre goût des campagnes. Qu'est-ce qui fait qu'à soixante-neuf ans, pour la quatrième fois, vous vous représentiez à la présidentielle ?
Je vous l'ai dit tout à l'heure, la passion. Vous savez la passion, ça ne s'émousse pas. Je dirais au contraire que ça se renforce avec l'expérience.
François Bayrou, qu'on a entendu tout à l'heure, ne cesse d'appeler de ses v¿ux une relève. Quand est-ce que vous exaucerez ce v¿u à droite. De votre côté, vous occupez la place depuis longtemps maintenant.
Je vous ai dit que je n'ai l'intention de polémiquer avec personne. Notamment avec aucun candidat.
Nous évoquions au début de cet entretien l'hypocrisie qu'il y avait jusqu'alors à être candidat sans l'être. Pour ce qui est du prochain premier ministre, est-ce qu'on peut savoir par avance, non pas son nom peut-être, mais si vous avez décidé dans votre tête qui il serait ou qui elle serait ?
Je vous ai dit tout à l'heure, l'ampleur des tâches et leur difficulté, des tâches que le prochain président, le prochain gouvernement, aura à assumer. Pour cela, elles seront exigeantes, elles seront difficiles, pour cela, je veux rassembler des hommes et des femmes enthousiastes, compétents, déterminés, audacieux, des hommes et des femmes de dialogue, sachant parler avec les Français. Et je constituerai, croyez-le bien, une équipe, si les Français m'en donnent mandat, je constituerai une équipe qui sera à la fois nouvelle et efficace et une équipe qui peut-être vous étonnera.
Très surprenante, et avec derrière vous un parti, un mouvement différent et non pas des partis qui se chamaillent en permanence ?
Je ne suis pas, je vous l'ai dit à maintes reprises, je ne suis pas ou je ne suis plus depuis que je suis en fonction, l'homme d'un parti. Je suis le président de tous les Français, en tous les cas c'est ce que je veux être naturellement. Je veux être le candidat non pas d'une idéologie, non pas d'un parti, a fortiori pas de la nostalgie, je veux être le candidat de la passion, je veux être le candidat de la France, je veux être le candidat du renouvellement et du rassemblement.
Et vous êtes sûr que pendant dix semaines vous réussirez à ne jamais dire de mal de M. Jospin comme vous avez réussi à le faire pendant une demi-heure. Vous tiendrez ?
Je le souhaite vivement, car je me décevrais si tel n'était pas le cas. Ce qui ne veut pas dire naturellement...
Que vous n'en pensiez pas ?
Non, pas du tout. Ce n'est pas du tout le cas, je respecte le premier ministre, il a ses engagements, il a ses convictions, elles sont très différentes des miennes, je peux critiquer une politique, je peux critiquer des mesures, je n'ai aucune intention de critiquer un homme.
Merci M. le Président, ou Jacques Chirac, puisque vous êtes maintenant candidat, d'être venu pour la première fois sur notre plateau.
On voyait un président, en vraie-fausse campagne, recevant fin janvier ses amis politiques dans un étrange clair-obscur à l'Elysée. Vous donniez presque un peu l'impression de vous cacher... Est-ce que c'est cet abcès-là que vous avez voulu crever aujourd'hui en vous déclarant ?
Jacques Chirac : Non, Monsieur Poivre d'Arvor. Ce qui m'anime, c'est la passion. J'aime la France, j'aime les Français. Nous allons devoir, tous ensemble, prendre au lendemain des prochaines échéances électorales des décisions importantes, faire des choix importants. Je vais mettre mon enthousiasme, ma détermination, mon expérience, au service d'une France que je veux sûre, ouverte, généreuse. Voilà les raisons de ma candidature.
Tout de même, on a un petit peu l'impression d'une certaine précipitation. Par exemple, votre prédécesseur, François Mitterrand, qui était comme vous sortant en 1988, ne s'était déclaré qu'à cinq semaines du premier tour. Est-ce parce que, en ce qui vous concerne, les sondages baissent, que les courbes s'érodent, que vous vous êtes déclaré aujourd'hui ?
Ma décision était prise déjà depuis un certain temps.
Combien de temps à peu près ?
C'est une décision d'ordre personnel.
Cela remonte à plusieurs semaines ?
Depuis un certain temps, et qui n'a pas à être partagé. Vous évoquez mon prédécesseur. Les hommes changent, les temps changent et donc les choses changent. Ce qui a conduit ma réflexion, c'est l'exigence démocratique. Nous allons devoir avoir un grand débat. Les Français devront apporter des réponses importantes à des questions essentielles pour leur avenir. Il faut, dès maintenant, les mobiliser pour qu'ils se préparent à ce débat, qu'ils y participent pleinement et qu'ils puissent dire ce qu'ils veulent au terme de ce débat. Le moment était venu, de mon point de vue, de le faire.
Alors, quand même, pour l'image de la France à l'étranger par exemple, comment allez-vous vous débrouiller les uns les autres ? Dans un mois, à Barcelone, il y a un sommet européen qui va être important, où vous allez vous retrouver avec Lionel Jospin, qui, vraisemblablement, je le pense en tout cas comme beaucoup de Français, sera alors candidat. Comment allez-vous faire ? Allez-vous vous regarder en chiens de faïence ou allez-vous parler d'une seule voix ?
Faites-moi confiance et je dirai "faites confiance également au premier ministre". Lorsqu'il s'agit des intérêts de la France, des valeurs qu'elle défend, lorsque nous devons porter sa voix à l'extérieur, il n'y a jamais eu et il n'y aura pas, jusqu'au dernier jour de nos mandats, de polémiques, de difficultés, de choses qui seraient contraires à la dignité et aux intérêts supérieurs de notre pays.
Quoi qu'il en soit, vous êtes revenu, au fond, un citoyen comme les autres, un citoyen candidat comme le dit Jean-Marie Le Pen. Vous allez quand même redescendre, d'une certaine façon, de votre piédestal. Vous allez vous retrouver face à une quinzaine de candidats qui vont crier haro sur Chirac ou "tout sauf Chirac"... Comment allez-vous vous débrouiller ? Vous allez mesurer ce risque-là j'imagine ?
Je n'ai pas l'intention de polémiquer avec quiconque et notamment avec aucun, je dis bien aucun, des candidats. J'ai l'intention simplement de dire aux Français ce que je pense, ce que je pense d'utile et de nécessaire pour la France et ce que je veux, s'ils me font confiance.
Un de vos amis, Philippe Séguin, tout récemment, vous exhortait à retrouver ce qu'il appelait "la crédibilité rodée". Ce que l'on appelle "les affaires" par exemple, il y a eu un effet incontestable dans l'opinion. Est-ce que c'est le retour très médiatisé de Didier Schuller en France, la parution, très annoncée également du livre du juge Halphen début mars, qui vous ont forcé à accélérer le rythme aujourd'hui ?
Rien de tout cela, Monsieur Poivre d'Arvor, rien de tout cela. J'ai la force d'un homme qui est tout entier, et depuis longtemps, mobilisé au service des Français. Alors, naturellement, on peut détruire. On peut alimenter la suspicion, la calomnie, la rumeur, la salissure. On peut aussi abattre un homme pour des raisons politiques, mais on ne peut pas toucher à la vérité d'un homme. J'ai consacré, et je consacre ma vie, au service des Français, je n'ai pas d'autre ambition. Je l'ai fait avec mes convictions, avec mes principes, avec mon c¿ur. Alors, ne soyons pas hypocrites... Vous évoquez "les affaires", de quoi s'agit-il ? Il s'agit des pratiques qui ont eu lieu, il y a une quinzaine d'années, et qui conduisaient les partis politiques à se débrouiller - si vous me permettez l'expression -, c'est-à-dire, n'ayant pas de ressources officielles, à rechercher par des moyens qu'ils ne considéraient pas à l'époque comme immoraux mais qui, aujourd'hui et à juste titre, sont considérés comme condamnables. Ils cherchaient les moyens de vivre dans la mesure où les partis sont essentiels. A partir de là, Monsieur Poivre d'Arvor, c'est tous les partis sans exception qui vivaient de cette manière. Il n'y a pas, d'un côté, chez les hommes politiques français, les corrompus et, de l'autre, les vertueux. Tout le monde était à la même enseigne, et j'ai été le premier comme premier ministre à faire passer une loi pour cela, au règlement de financement des partis politiques. A partir de là, les choses ont été régulières et normales. Vous savez, il ne faut pas confondre, il y a la justice qui doit s'exprimer librement, rechercher la vérité. Elle ne peut le faire que dans la sérénité. Et puis, il y a l'exploitation politique ou médiatique des affaires, une exploitation qui fait son miel de la calomnie, de la rumeur. Vous savez, c'est un vieux principe, calomnier, calomnier, il en reste toujours quelque chose ! C'est vieux comme le monde ! Et c'est un principe, ou plus exactement une pratique, qui n'a jamais grandi la démocratie, qui l'a mise souvent en danger.
Pour sa défense, dans Le Monde, Didier Schuller explique que le système de financement occulte, qui provient de l'office HLM des Hauts-de-Seine, dont il était à un moment donné le directeur, a servi non seulement à lui-même mais également à la fédération de son parti dans son département, mais également à l'ensemble de la fédération. Vous avez été, à un moment donné président, et longtemps même, président du RPR. Vous étiez donc au courant, forcément.
Je n'ai jamais, je vous le dis bien, jamais entendu parler de cette affaire, même si ces choses ne sont pas réglées par les présidents ou les secrétaires généraux des partis, leur trésorier. Je n'ai jamais entendu parler de cette affaire et, par conséquent, je la conteste totalement.
Et Didier Schuller, vous ne le connaissez pas, vous ne l'avez jamais rencontré ?
Non, non.
Il a été conseiller municipal, conseiller régional, conseiller...
Je me suis peut-être trouvé dans un endroit avec lui, mais je ne le connaissais pas personnellement.
Vous pensez que son retour en France est le fruit du hasard ?
Je ne pense rien.
Vos amis pensent beaucoup là-dessus. Ils ont beaucoup dit que c'était une manipulation socialiste.
Je ne pense rien, ce n'est pas ça pour moi le c¿ur du débat aujourd'hui.
Vous savez également qu'il y a au moins quatre juges qui brûlent de vous interroger sur des dossiers très distincts et il y a des gens qui se disent "se représenter, pour Jacques Chirac, c'est quand même une occasion aussi de garder et de conserver son impunité".
C'est vraiment, Monsieur Poivre d'Arvor, me rabaisser de façon qui me choque profondément. J'irai même jusqu'à dire qui me fait un peu de peine. En tous les cas, cela ne me touche pas.
Parce que, cette impunité pour vous, elle est légale bien sûr, mais elle vous paraît normale ?
Ce n'est pas mon impunité. Il y a tout simplement une garantie constitutionnelle qui existe dans tous les pays et qui, seule, peut permettre au président de la République d'assumer convenablement ses fonctions au service de la France et des Français, comme dans les autres pays au service de leurs concitoyens.
Dans les mauvaises ondes du mois de janvier, il y a eu également une révélation de notre confrère Eric Zemmour qui a dit qu'entre les deux tours de la présidentielle de 1988 cette fois vous aviez rencontré une ou deux fois Jean-Marie Le Pen. Est-ce que vous confirmez ou pas ?
L'Elysée a eu l'occasion de faire à ce sujet un communiqué.
Et vous-même ?
Un communiqué pour infirmer cette affirmation. Il m'est arrivé de rencontrer, ou plus exactement d'être en présence fortuitement de M. Le Pen. Une fois notamment. Cela m'a d'ailleurs permis de lui dire en face ce que je pensais. Mais...
Charles Pasqua dit que c'est lui qui a organisé la rencontre ?
Monsieur Poivre d'Arvor, vous connaissez mes actes, vous connaissez mon engagement. Est-ce que vous pouvez trouver dans mes actes, dans mes engagements, dans mes propos, quoi que ce soit qui puisse vous conduire à penser que j'ai transigé, quel qu'en soit le prix, avec convictions ? Jamais, Monsieur Poivre d'Arvor.
Donc, vous ne l'avez jamais rencontré pour essayer de discuter du deuxième tour ? Toujours dans les abcès, puisque Philippe Séguin vous exhortait justement à crever tous ces abcès, il disait "l'abcès de la dissolution". Moi, je me mets un peu à votre place, je me dis "pourquoi ne pas dire une bonne fois pour toutes, oui, il y a cinq ans j'ai fait une bêtise ce jour-là. J'ai fait perdre cinq ans, sinon à la France, en tout cas à mes idées, à mes électeurs ?" Il est si difficile cet aveu-là ?
Cela ne serait pas difficile, mais je ne le pense pas. Lorsque l'ai été élu, j'ai été immédiatement confronté avec un problème essentiel : est-ce que la France pourrait rester dans la construction européenne et adhérer à l'euro. Nous étions dans une situation financière qui ne nous le permettait pas. Nous ne remplissions pas les critères nécessaires, notamment sur le plan financier, pour être membre du club européen. Et c'était dramatique pour la France et pour son avenir. Inacceptable. J'ai donc fait un choix qui était le choix de l'Europe. Ce choix m'a conduit à prendre un certain nombre de mesures qui ont été, c'est vrai, mal comprises et surtout mal ressenties, dans la mesure où c'étaient des contraintes, par les Français. Pour rétablir notre situation financière et par voie de conséquence pour nous permettre d'être aujourd'hui dans l'euro et pour vous permettre d'avoir aujourd'hui des euros dans votre poche. A partir de là j'ai bien vu que la contestation existait, que les Français comprenaient mal cette situation et que non seulement la contestation était politique mais elle était aussi dans la rue. A partir de là il y a eu une exigence démocratique. Et l'exigence démocratique, c'est de faire appel aux Français pour leur dire voilà la situation, il vous appartient, puisque vous contestez, et je peux le comprendre, de trancher. C'est la raison pour laquelle j'ai dissous. Quelques mois, j'ai mis fin au mandat de l'Assemblée nationale, quelques mois avant l'échéance je vous le ferai remarquer, c'est l'exigence démocratique et je ne le regrette pas. Il fallait le faire.
Il y a sept ans, comme d'ailleurs tous les candidats, vous avez fait de belles promesses, en ce qui vous concerne, vous avez dit essentiellement je voudrais réduire la fracture sociale, je voudrais baisser les impôts. Or, on s'aperçoit bien que la fracture sociale n'est pas vraiment réduite et que les impôts ont immédiatement augmenté peu de temps après. Pourquoi on vous croirait cette fois-ci ? Donnez-nous des bonnes raisons ?
Vous évoquez en quelque sorte....
Je résume oui...
Je vous l'ai dit à l'instant, l'essentiel c'était de pouvoir être dans les pays qui étaient ensemble dans l'Union européenne. Cela a supposé naturellement l'augmentation des impôts, la réduction des déficits. Il n'y a pas eu que cela. J'ai pris tout un ensemble de mesures, le gouvernement de M. Juppé a pris tout un ensemble de mesures qui étaient dans le droit-fil des engagements que j'avais pris. Le contrat initiative-emploi a apporté des emplois à plusieurs centaines de milliers de chômeurs de longue durée dans une période où, comme vous le savez, la croissance était très faible et où l'emploi aurait pu se développer beaucoup. La politique de réduction des charges sur les emplois les plus modestes a permis d'après les documents officiels la création de quatre cent mille emplois. Et c'est bien grâce à ça que le chômage n'a pas augmenté pendant cette période malgré la situation économique. Le prêt à taux zéro en faveur des familles les plus modestes pour leur logement a été un grand succès et allait tout droit dans le sens que vous évoquiez à l'instant. Nous avions une situation de l'assurance maladie et de la Sécurité sociale dramatique. Nous avons pris des mesures courageuses et qui ont été c'est vrai, là aussi, mal ressenties, mais qui ont sauvé la Sécurité sociale de la faillite. La loi sur l'exclusion, c'est le gouvernement Juppé qui l'a élaborée, à mon initiative et sous mon impulsion. A quelques jours près, elle n'a pas pu être votée, elle a été reprise par le gouvernement suivant et adoptée ensuite, mais c'était bien dans ce sens et, pour ne pas allonger le débat, je ne parlerai pas de la défense des institutions, de l'augmentation des pouvoirs du Parlement et notamment des pouvoirs de contrôle de la réforme des armées, de la suppression d'un service militaire qui était obsolète et qui nous permet aujourd'hui d'avoir une armée qui est capable de faire face à la défense de notre pays, de ses valeurs, de ses intérêts dans le monde. Ce n'est pas négligeable. Sans parler du fait que j'ai voulu porter d'une voix forte la voix de la France dans le monde. Personne ne conteste que je l'ai fait. J'ai donné de la France une image forte dans le monde. Cela m'a permis également de défendre, ce n'était pas l'habitude dans notre pays, avec acharnement les intérêts économiques de la France un peu partout dans le monde. Cela m'a permis de relancer des débats essentiels, celui notamment de la diversité culturelle nécessaire, du dialogue des cultures, celui concernant l'aide aux pays pauvres qui finalement va probablement, notamment pour l'Afrique, prendre corps après un combat que j'ai mené pendant des années et des années, celui de la défense des éléments essentiels d'un environnement qui se dégrade de plus en plus et qui est géré en dépit du sens commun sur le plan international. Tout cela ce n'est pas tout à fait rien. Et j'en suis fier.
Ça, c'est le bilan, donc c'est le passé. On va essayer de s'interroger sur, parce que j'imagine que c'est la préoccupation de nos concitoyens, sur l'avenir. Candidat pour quoi faire, président pour quoi faire. D'abord, est-ce que la France est en bonne santé ?
Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire ça. Et ce que je veux, c'est redonner toutes ses chances à la France. L'avenir de la France n'est pas écrit à l'avance. Je vous l'ai dit, il y a des choix à faire, des décisions à prendre. On a un peu le sentiment aujourd'hui que la France marche au ralenti. On observe que notre situation par rapport à nos grands partenaires européens ou étrangers se dégrade, notamment en terme de pouvoir d'achat, en terme de richesse par habitant, on a le sentiment qu'il y a une sorte de crise, je dirai de désordre, qui s'est installée dans les esprits, dans les m¿urs, dans les comportements et dans l'une des manifestations les plus dramatiques qu'est l'insécurité. Donc, il faut demain faire des choix, il faut imprimer à la France une direction claire et ferme.
Alors justement quel va être l'axe de votre campagne, est-ce que ça va être la fracture sociale comme en 1995 ou est-ce que ça va être une droite plus assumée comme vous le conseille, par exemple, Nicolas Sarkozy ?
Je trouve mes propres conseils dans les contacts permanents que j'ai avec les Français.
Qu'est-ce qu'ils vous disent, les Français ?
Ils me disent un certain nombre de choses qui me conduisent à des conclusions. D'abord, qu'il y a un préalable, et ce préalable c'est de retrouver la cohésion sociale dans notre pays. Cela veut dire d'abord restaurer l'autorité de l'Etat qui a tendance à se dégrader. Cela veut dire rendre la sécurité, notamment des biens et des personnes, à tous les Français, car lorsqu'il y a peur il y a forcément manque de sérénité et dynamisme. Il faut renforcer la solidarité, il n'est pas normal que dans un pays comme la France, après quatre ans de croissance et tout ce que cela comporte comme richesse accumulée, la pauvreté n'ait pas reculé. Il faut donner à la justice tous les moyens dont elle a besoin pour faire sereinement, efficacement et plus rapidement son devoir essentiel pour notre pays. Il faut en un mot retrouver une valeur qui s'est un peu effacée, c'est le respect que chaque Français doit avoir pour l'autre, doit avoir pour l'ensemble de ses concitoyens. On manque aujourd'hui du respect de l'autre. Et c'est un effort essentiel de faire comprendre l'importance de cette valeur. Alors, ayant, si j'ose dire, un peu remis la France à l'endroit, nous pourrons, avec plus d'énergie, de dynamisme, donner toute sa force à cette initiative qui est dans le c¿ur et dans la tête de tous les Français que je voyais encore ce matin à Avignon, en les libérant d'un carcan paralysant d'excès de réglementations, d'excès de charges.
Un carcan socialiste ?
Un carcan d'idéologies dépassées, c'est-à-dire qui ne tient pas compte des réalités aujourd'hui de ce monde. Chacun devrait pouvoir être beaucoup plus maître de son destin, autrement dit on ne peut plus avoir aujourd'hui un pays où les décisions, toutes les décisions, jusqu'aux plus modestes, sont prises dans des bureaux parisiens en fonction d'une idéologie. Il faut libérer ces énergies, c'est très important.
Concrètement parlant, en matière économique, est-ce qu'il faut baisser les impôts et quel impôt ?
Je ne rentrerai pas dans le détail. Nous avons une situation financière très difficile en perspective, car...
Ça veut dire que vous aurez une toute petite marge de man¿uvre ?
Oui, toute petite, car nous avons mangé notre blé en herbe. Nous n'avons pas profité réellement des chances que nous donnait la croissance et, maintenant qu'elle a diminué, nous allons en payer les effets. Or, nous avons la nécessité d'assumer des charges nouvelles, notamment dans le domaine je vous le disais tout à l'heure de la sécurité, dans le domaine de la garantie des retraites qui sont un des plus graves problèmes qui n'aient pas été résolus et qui se posent maintenant. Et pourtant, nous sommes dans l'obligation impérieuse de donner un signal clair incontestable aux Français que les charges diminueront. Tout simplement parce que, si nous ne le faisons pas, la compétitivité de la France continuera à baisser. Ça veut dire que les investisseurs français continueront, comme c'est le cas maintenant, à investir à l'étranger, que les investisseurs étrangers viendront moins en France et que les cerveaux français continueront à s'expatrier.
Est-ce qu'il faut pour cela toucher à l'appareil de l'Etat, réformer l'Etat ?
Sans aucun doute redéfinir les fonctions de l'Etat. Les conforter là où elles sont nécessaires et petit à petit les alléger là où elles le sont moins. Mais ce que je veux vous dire, c'est que l'un des grands défis à relever ce sera de faire en sorte que notre pays soit à nouveau compétitif, que les gens viennent y investir, que ce soit les Français ou les étrangers, que les cerveaux français restent chez nous. A partir de là nous aurons, si nous libérons par ailleurs d'un certain nombre de contraintes l'initiative individuelle, nous aurons un vrai progrès et ça suppose notamment que l'on cesse de tout décider à Paris et que l'on transfère au dialogue social, c'est-à-dire à la responsabilité des partenaires sociaux au niveau de la branche, de la région, de l'entreprise nationale, un grand nombre de décisions qui aujourd'hui sont prises de façon idéologique et incompétente, et inadaptée. Alors, naturellement, l'Etat doit conserver la maîtrise du cadre qui peut garantir à tous l'égalité des chances et aussi naturellement la protection sociale nécessaire et qui est un élément fondamental de la cohésion nationale que l'on ne peut naturellement en aucun cas mettre en cause mais, dans ce cadre, il faut laisser plus de liberté notamment au dialogue social pour s'exprimer.
Est-ce que vous dites que le futur président aura finalement une marge de man¿uvre économique toute petite, est-ce qu'il ne faut pas par exemple privatiser encore par exemple EDF, essayer de récupérer de l'argent là où on peut ?
Nous verrons cela le moment venu. Il existe des marges de man¿uvre si on les veut et de toute façon, si on peut répondre aux exigences que je viens d'évoquer, il faudra bien les trouver.
Maintenant que vous vous êtes déclaré est-ce que vous souhaitez que le premier ministre le fasse à son tour ?
C'est son problème.
Vous pensez qu'il le fera ?
J'imagine qu'un jour ou l'autre il le fera. J'en ai l'intuition.
On connaît votre goût des campagnes. Qu'est-ce qui fait qu'à soixante-neuf ans, pour la quatrième fois, vous vous représentiez à la présidentielle ?
Je vous l'ai dit tout à l'heure, la passion. Vous savez la passion, ça ne s'émousse pas. Je dirais au contraire que ça se renforce avec l'expérience.
François Bayrou, qu'on a entendu tout à l'heure, ne cesse d'appeler de ses v¿ux une relève. Quand est-ce que vous exaucerez ce v¿u à droite. De votre côté, vous occupez la place depuis longtemps maintenant.
Je vous ai dit que je n'ai l'intention de polémiquer avec personne. Notamment avec aucun candidat.
Nous évoquions au début de cet entretien l'hypocrisie qu'il y avait jusqu'alors à être candidat sans l'être. Pour ce qui est du prochain premier ministre, est-ce qu'on peut savoir par avance, non pas son nom peut-être, mais si vous avez décidé dans votre tête qui il serait ou qui elle serait ?
Je vous ai dit tout à l'heure, l'ampleur des tâches et leur difficulté, des tâches que le prochain président, le prochain gouvernement, aura à assumer. Pour cela, elles seront exigeantes, elles seront difficiles, pour cela, je veux rassembler des hommes et des femmes enthousiastes, compétents, déterminés, audacieux, des hommes et des femmes de dialogue, sachant parler avec les Français. Et je constituerai, croyez-le bien, une équipe, si les Français m'en donnent mandat, je constituerai une équipe qui sera à la fois nouvelle et efficace et une équipe qui peut-être vous étonnera.
Très surprenante, et avec derrière vous un parti, un mouvement différent et non pas des partis qui se chamaillent en permanence ?
Je ne suis pas, je vous l'ai dit à maintes reprises, je ne suis pas ou je ne suis plus depuis que je suis en fonction, l'homme d'un parti. Je suis le président de tous les Français, en tous les cas c'est ce que je veux être naturellement. Je veux être le candidat non pas d'une idéologie, non pas d'un parti, a fortiori pas de la nostalgie, je veux être le candidat de la passion, je veux être le candidat de la France, je veux être le candidat du renouvellement et du rassemblement.
Et vous êtes sûr que pendant dix semaines vous réussirez à ne jamais dire de mal de M. Jospin comme vous avez réussi à le faire pendant une demi-heure. Vous tiendrez ?
Je le souhaite vivement, car je me décevrais si tel n'était pas le cas. Ce qui ne veut pas dire naturellement...
Que vous n'en pensiez pas ?
Non, pas du tout. Ce n'est pas du tout le cas, je respecte le premier ministre, il a ses engagements, il a ses convictions, elles sont très différentes des miennes, je peux critiquer une politique, je peux critiquer des mesures, je n'ai aucune intention de critiquer un homme.
Merci M. le Président, ou Jacques Chirac, puisque vous êtes maintenant candidat, d'être venu pour la première fois sur notre plateau.