3 janvier 2002 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur le renforcement du rôle du Parlement, l'amélioration du contrôle parlementaire, le travail des commissions des finances et des commissions d'enquête des deux assemblées, l'équilibre des pouvoirs, le travail des députés pendant la dernière législature, le rôle du Sénat dans la démocratie de proximité et les réformes inspirées par les rapports du Conseil économique et social, Paris le 3 janvier 2002.

Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Monsieur le Président du Conseil économique et social,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires et membres du Conseil économique et social,
Je suis heureux de vous accueillir et je vous remercie, Messieurs les Présidents, des voeux que vous venez de me présenter au nom de nos trois assemblées constitutionnelles et des réflexions que ces voeux vous ont inspirées. A mon tour, je forme pour vous, pour vos proches, pour les parlementaires et les membres du Conseil économique et social, pour les fonctionnaires de vos assemblées, et pour toutes celles et tous ceux qui vous entourent dans votre travail, des voeux très chaleureux pour l'année 2002.
Vous le savez, lorsque j'ai été élu Président de la République, je me suis fixé comme objectif de renforcer les moyens d'action du Parlement.
Plusieurs réformes sont venues concrétiser cette ambition.
L'instauration d'une session unique de neuf mois, qui accorde plus de temps aux Parlementaires pour discuter les textes soumis à leur examen et leur permet de contrôler dans la continuité l'action du gouvernement.
Le vote désormais annuel d'une loi de financement de la Sécurité sociale, qui offre l'occasion aux élus du peuple français de fixer le cap dans un domaine de l'action publique auquel nos concitoyens sont à juste titre particulièrement attachés.
La loi constitutionnelle de 1999 qui, complétant celle de 1992, autorise le Parlement français à voter des résolutions sur les projets d'actes communautaires.
Et enfin, je veux souligner le travail remarquable que les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat ont mené avec l'ensemble des groupes pour moderniser notre constitution financière et adapter l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 aux exigences nouvelles de notre démocratie.
Il est sans doute encore trop tôt pour tirer tous les enseignements de ces réformes. L'usage souverain qu'en fera chaque assemblée conditionnera en définitive leur portée et leur effet sur nos institutions démocratiques.
Les membres du Parlement disposent désormais des moyens de contrôler effectivement l'action du Gouvernement dans tous les domaines essentiels pour l'avenir de notre pays : la protection sociale, la maîtrise des comptes publics ou la construction européenne.
Les fondements parlementaires de nos institutions s'en trouvent ainsi considérablement renforcés.
Conformément à l'esprit de la Ve République, le Gouvernement dispose de tous les moyens pour mener une action s'inscrivant dans la durée. Il n'a pas à redouter l'instabilité chronique qui l'avait condamné à l'impuissance sous la IIIème et sous la IVe République. Il n'a pas à négocier interminablement auprès de divers groupes de pression l'adoption des textes nécessaires à la conduite de son programme. Il trouve dans le Parlement à la fois une majorité qui le soutient et la représentation fidèle des Français, devant laquelle il rend compte de sa politique et engage sa responsabilité.
Je crois essentiel de conserver cet équilibre et cette efficacité. Je crois plus que jamais à la nécessité de maintenir le caractère parlementaire de notre démocratie.
Plusieurs voix souvent éminentes se sont - c'est vrai - prononcées, au cours des dernières années, en faveur de l'adoption d'un régime présidentiel à l'américaine. Vous le savez, je n'y suis pas favorable.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, un régime présidentiel ne met pas fin aux cohabitations car il confie souvent l'exécutif à une personnalité issue d'un parti autre que celui qui détient la majorité au Parlement.
Le parlementarisme rationalisé que la Ve République a instauré est plus conforme à nos traditions et à la réalité de notre vie politique. Il répond aussi aux nécessités de l'avenir car il est facteur de réformes. Il donne en effet à l'exécutif la possibilité de mettre en oeuvre son programme législatif. En France, depuis les débuts de la Ve République, le Gouvernement dispose des moyens constitutionnels nécessaires à la conduite de son action. Il en a aussi les moyens financiers, à travers les prérogatives budgétaires qui lui sont reconnues.
Loin de séparer radicalement le Parlement de l'administration, notre système invite la représentation nationale à s'impliquer dans le contrôle quotidien de l'action du Gouvernement.
C'est assurément un domaine dans lequel beaucoup de progrès restent à réaliser. Mais vous savez à quel point je suis attaché au renforcement de cette mission de contrôle. L'un des grands principes de la Déclaration des droits de l'Homme réside dans la possibilité reconnue aux citoyens de " demander compte à tout agent public de son administration ". Il vous revient dans tous les domaines de mettre en oeuvre cette ambition, c'est-à-dire de vous assurer du bon fonctionnement de l'administration et de la transparence effective de nos institutions.
On pourrait multiplier les exemples qui témoignent de votre volonté de pousser toujours plus avant la mission de contrôle qui vous est dévolue.
Les commissions d'enquête et les missions d'information ont considérablement développé leur activité au cours des dernières années. Elles sont à l'origine de rapports importants, comme ceux sur l'organisation de l'administration pénitentiaire et sur les inondations. La réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, que j'évoquais à l'instant, permettra aux Parlementaires de s'impliquer plus étroitement dans la procédure budgétaire, y compris dans sa phase d'exécution.
Ce mouvement doit être poursuivi. Il est essentiel que l'intervention du Parlement ne se limite pas à l'adoption de la loi, mais qu'il puisse en suivre et en garantir la stricte exécution auprès des Français. Il y va de l'autorité de l'Etat.
Au-delà du vote des lois et du contrôle que vous exercez sur l'exécutif, il vous appartient de représenter les Français dans la diversité de leurs expressions.
Chacune de vos assemblées joue en la matière un rôle particulier. Mais, sous des formes diverses, c'est toujours la voix des Français que vous faites entendre.
Il est essentiel que nos concitoyens se retrouvent dans leurs représentants. En renforçant la place des femmes, la loi récente sur la parité a amélioré sans aucun doute la représentativité des élus. Dans les années qui viennent, cette réforme devra être complétée par un statut de l'élu qui permette aux travailleurs indépendants et aux salariés d'exercer un mandat électif dans des conditions aussi favorables que celles dont bénéficient les fonctionnaires. Notre démocratie y gagnera en richesse, en pluralisme et en représentativité.
Au moment où le mandat des députés arrive à son terme, je tiens à saluer le travail accompli ces cinq dernières années par chacune et chacun d'eux.
Quel que soit le groupe parlementaire auquel ils appartiennent, je rends hommage au dévouement dont ils ont fait preuve dans leurs relations avec les Français. Au-delà des confrontations d'idées qui font vivre le débat démocratique, ils témoignent, à Paris et dans leur circonscription, d'un engagement constant au service de leurs concitoyens. Au nom de l'ensemble des Français, je leur exprime toute la gratitude et la reconnaissance qu'appelle leur action d'élus de la Nation.
Pour progresser encore sur la voie de la démocratie, peu de réformes seront plus importantes dans les années à venir que la mise en oeuvre d'une nouvelle architecture des pouvoirs et des responsabilités fondée sur le respect du principe de subsidiarité.
Dans cette nouvelle démocratie de proximité, le Sénat aura un rôle essentiel. Tout en jouant pleinement son rôle de législateur, avec le recul, la sagesse et l'expérience qui le caractérisent, je souhaite que le Sénat voie sa fonction de représentation des collectivités territoriales confortée, car la Haute assemblée n'a pas vocation à devenir le double de l'Assemblée nationale.
Je souhaite notamment que le Sénat puisse jouer un rôle spécifique pour garantir l'autonomie financière des collectivités territoriales, ainsi que pour évaluer les expériences qu'elles seraient amenées à conduire au titre d'un nouveau droit à l'expérimentation. Il remplira ainsi pleinement sa fonction de protecteur des libertés locales.
Pour mener à bien cette mission, le Sénat doit conserver sa spécificité. A trop vouloir rapprocher sa composition de celle de l'Assemblée nationale, l'équilibre qui le caractérise entre le principe démocratique et le principe territorial finirait par se rompre.
Aux côtés du Sénat et de l'Assemblée nationale, le Conseil économique et social joue un rôle essentiel de conseil et de proposition - vous l'avez souligné à juste titre M. le Président. On ne compte plus, Monsieur le Président, les réformes qui ont été inspirées par un rapport ou un avis de votre assemblée. Je pense notamment à la loi contre l'exclusion. Année après année, vous aidez ainsi le Parlement à mieux prendre en compte la diversité des situations professionnelle et sociale de chacun.
Pour conduire les évolutions essentielles dont notre pays a besoin, pour assurer la pérennité de nos régimes de prévoyance collective, nous devons plus que jamais veiller à la qualité et au renforcement du dialogue entre les partenaires sociaux.
Il ne s'agit pas de renoncer au rôle essentiel de l'Etat. Le Parlement reste le garant des principes sociaux fondamentaux. Il lui revient de fixer les règles auxquelles aucune dérogation ne saurait être apportée.
Mais, à l'intérieur de ce cadre, les pouvoirs publics doivent laisser plus de place à la négociation collective, en invitant syndicats et entreprises à trouver les accords les plus adaptés aux réalités de chaque branche professionnelle.
Je sais, Monsieur le Président, l'importance que vous accordez au développement du dialogue social, vous l'avez évoqué tout à l'heure en termes tout à fait précis et que j'approuve. Je souhaite qu'il puisse jouer en France le rôle qui doit être le sien dans une grande démocratie.
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Des réformes importantes devront être menées au cours des prochaines années, notamment pour mieux assurer la sécurité des Français et pour garantir la pérennité de notre système de protection sociale et de retraite. Elles ne se feront que si elles rencontrent au sein de vos assemblées la volonté nécessaire à leur mise en oeuvre, dans le respect du débat démocratique et du dialogue social.
Je renouvelle à chacune et à chacun d'entre vous, ainsi qu'à tous les membres de vos trois assemblées et à tous ceux qui travaillent avec vous, et à travers eux à la Nation tout entière, mes meilleurs voeux pour une bonne et heureuse année 2002.