24 octobre 2001 - Seul le prononcé fait foi

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Point de presse conjoint de M. Jacques Chirac, Président de la République, M. Gerhard Schroeder, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne et M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la rencontre bilatérale franco-allemande, la situation en Afghanistan, la lutte contre le terrorisme, l'avenir de l'Union européenne et la situation au Proche-Orient, Paris le 24 octobre 2001.

LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs,
C'était notre première rencontre bilatérale depuis le 11 septembre, même si nous nous étions rencontrés avec nos amis britanniques à Gand, il y a quelques jours, et vous comprendrez que le premier sujet dont nous avons longuement débattu était le problème de l'Afghanistan.
Nous avons d'abord échangé nos réflexions sur l'ensemble de ce sujet et, ensuite, nous avons examiné successivement ses données militaires, ses données politiques et, je dirais presque surtout, ses données humanitaires. Nous sommes en effet particulièrement inquiets des perspectives humanitaires en Afghanistan.
Dans la deuxième partie de nos entretiens, nous avons évoqué les problèmes européens. Naturellement, la préparation du grand débat européen qui nous conduira au sommet de Bruxelles-Laeken, les problèmes liés à l'élargissement, les problèmes liés à la préparation de la Conférence de Doha dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce et un certain nombre d'autres sujets, notamment le lancement de l'avion gros porteur A 400M.
Sur le premier sujet, c'est-à-dire toutes les affaires relatives à l'Afghanistan, nos analyses sont convergentes. Et notre solidarité avec les Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme est identique.
Sur le deuxième sujet concernant en particulier ce qu'il y a de plus important, c'est-à-dire l'avenir de l'Europe, je crois pouvoir dire que la France et l'Allemagne auront au sommet de Bruxelles-Laeken une position unique.
LE CHANCELIER -- Je n'ajouterai pas grand chose aux propos du Président de la République. Nous sommes absolument d'accord quant à avoir une approche commune pour la lutte contre le terrorisme international. Nos positions se rejoignent tout à fait et nous estimons que les mesures prises par les Etats-Unis, notamment les mesures militaires, sont légitimes pour se débarrasser du terrorisme international. Nous sommes aux côtés des Américains.
Il y a, et c'est une remarque d'ordre personnel que je voudrais faire, dans nos deux sociétés, certaines voix qui s'élèvent pour réclamer, pour des raisons d'ordre humanitaire, qu'on marque une pause dans l'action militaire. Je crois qu'une telle pause n'est pas une décision appropriée car elle aurait pour effet de prolonger l'action et elle aurait pour conséquences d'accroître et de prolonger les souffrances des victimes de cette situation.
Ce conflit n'a été voulu ni par la France, ni par l'Allemagne, ni par les Etats-Unis. C'est un conflit qui nous a été imposé par les terroristes. Ce conflit, nous devons et nous allons le gagner.
Mais il est clair que la composante militaire de cette action n'est que l'une des composantes, qui s'associe à la composante politique, diplomatique et humanitaire, avec le concours de la France, de l'Allemagne et de l'Europe dans son ensemble.
Et dans le processus de construction de l'après-Taleban que nous appelons de nos voeux pour un avenir proche, en tant qu'Européens, nous serons amenés à jouer un rôle substantiel.
En ce qui concerne la poursuite de la construction européenne, il y a un accord total entre les positions française et allemande et il découle de cet accord que nous avons un très grand espoir d'arriver au sommet de Bruxelles-Laeken à des résultats tout à faits positifs.
La présidence belge a très bien préparé les choses et c'est sur cette base que nous arriverons à un bon accord.
Il n'y a pas de problèmes bilatéraux à proprement parler. Si, ici ou là, il y a des points de détail, ils sont résolus dans un esprit d'amitié, comme cette rencontre de ce soir l'a une fois de plus démontré. Et je voudrais dire que ces rencontres régulières entre le Président de la République, le Premier ministre, les ministres des affaires étrangères et moi-même sont extrêmement propices à la promotion de l'entente entre nos deux pays, entre nos deux sociétés. Ceci dans le souhait de faire progresser plus encore la construction européenne. Et je voudrais qu'il soit clair que ces rencontres ne sont dirigées contre personne, contre aucun de nos partenaires.
LE PREMIER MINISTRE - J'ai très peu de choses à ajouter après le Président de la République et le Chancelier SCHROEDER. Bien sûr nous avons réaffirmé notre solidarité à l'égard des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme£ et regardé en nous informant mutuellement, de façon précise, comment nous pourrions aider notre allié dans cette circonstance. Nous avons aussi consacré un temps assez long, en utilisant les voyages récents qu'ont opérés nos deux ministres des affaires étrangères, notamment dans la région proche de l'Afghanistan, pour essayer d'éclairer la perspective qui est devant nous. Au-delà des frappes, du combat qui est engagé, des étapes qui viendront ensuite et qui seront sans doutes nécessaires, nous avions besoin de nous sentir d'accord sur les conditions d'une réussite du processus qui est engagé, c'est-à-dire les conditions militaires mais aussi les conditions politiques en Afghanistan et les conditions diplomatiques qui permettront le succès.
Nous avons également, c'est peut-être un point sur lequel je peux compléter l'information qui vous a été donnée, parler de la situation au Proche-Orient, car nous ressentons que, dans ce moment si difficile, alors qu'il faut maintenir une coalition contre le terrorisme, le fait que cette impasse tragique subsiste est un obstacle de plus. Et donc nous avons regardé comment, Français et Allemands, avec nos amis américains, peut-être avec d'autres partenaires, nous pouvions aider à reconstruire une démarche de paix.
En ce qui concerne l'Europe, je n'ai rien d'autre à dire que ce qui a été indiqué. Il y a une série de dossiers sur lesquels, spontanément nous n'avons pas forcément la même approche. Il ne s'agit pas des grands dossiers de l'Europe, il ne s'agit pas de la perspective de l'élargissement, il ne s'agit pas non plus du futur de l'Europe, mais il peut s'agir de tel ou tel grand dossier industriel, et nous avons décidé de les aborder dans un esprit constructif, pour trouver des compromis. Je pense à des questions comme : les chantiers navals, le charbon et d'autres sujets de ce type. Enfin nous avons insisté sur le projet de l'avion militaire de transport, l'A 400M. Si nous voulons donner un appui à une industrie aéronautique qui est évidemment un tout petit peu plus incertaine après le 11 septembre, si nous voulons par ailleurs donner un contenu plus concret encore à l'Europe de la défense, ce projet industriel a une force particulière et nous avons, notamment du côté français, insisté, même si le Chancelier a la même perspective mais s'intéresse comme nous d'ailleurs, mais peut-être de façon plus précise encore que nous, au coût. Alors les coûts doivent être examinés au plus près mais le projet politique lui, ne doit pas être abandonné.
QUESTION - En ce qui concerne l'Afghanistan, est-ce qu'à un moment donné, les forces spéciales françaises vont être impliquées, mais de façon publique, dans le travail de préparation au sol, aux côtés des Américains et des Britanniques ou est-ce que cette option est absolument exclue pour l'instant ?
LE PRESIDENT - Rien n'est exclu, et je l'ai déjà dit. La France a fait savoir qu'elle était disposée à donner la participation de ses forces spéciales, dans toute la mesure, naturellement, où les objectifs et les modalités d'emploi pourraient faire l'objet d'un accord. Si tel était le cas, la France le fera. La décision n'est pas encore prise.
QUESTION - Qu'est-ce qui compte pour l'instant, Monsieur le Président ?
LE PRESIDENT - Je ne vous en dirai pas plus pour l'instant.
LE CHANCELIER - On peut faire exactement la même réponse en ce qui concerne l'Allemagne. Et pas un mot de plus.
QUESTION - Vous avez dit, Monsieur le Chancelier, que vous étiez en accord en ce qui concerne le processus post-Taleban. Est-ce que vous pouvez préciser ce que vous envisagez de faire à ce moment là ?
LE CHANCELIER - Je précise volontiers ce point. Je crois que, tout d'abord, il faut détruire le régime Taleban et ses structures, car c'est un régime qui a opprimé, qui opprime son peuple, et, ensuite, à partir du peuple afghan lui-même et sous l'égide des Nations-Unies, il convient de mettre en place de nouvelles structures. Et c'est dans ce processus que l'Europe en général, l'Allemagne et la France en particulier, entendent jouer un rôle utile.
LE PRESIDENT - Je vous remercie.