11 septembre 2001 - Seul le prononcé fait foi
Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la place de l'agriculture dans la société française, les pollutions agricoles, la sécurité alimentaire, la crise de la "vache folle", les biocarburants, les contrats territoriaux d'exploitation, la réforme du statut des exploitations agricoles, le rajeunissement de la population agricole et la question de la réforme de la politique agricole commune (PAC), Rennes, le 11 septembre 2001.
Monsieur le président LEMETAYER,
Monsieur le ministre,
Messieurs les présidents du Conseil régional et du Conseil général,
Mesdames et messieurs les parlementaires et les élus,
Mesdames, messieurs,
La visite que je viens de faire et les échanges que j'ai eus avec beaucoup d'entre vous m'ont impressionné. J'ai senti le souffle d'une passion, celle des agriculteurs pour leur métier. Une fois de plus, vous avez réussi à démontrer votre mobilisation pour répondre aux difficultés de l'agriculture et de ses industries de transformation.
Cette édition du SPACE restera comme une vitrine exceptionnelle du secteur agroalimentaire français.
Lorsque vous m'avez invité à venir l'inaugurer, M. le Président LEMETAYER, j'ai tout de suite accepté. J'ai accepté en raison de la réputation professionnelle et internationale de ce salon, qui attire plus de cent mille visiteurs. J'ai accepté parce que la Bretagne est une région agricole puissante, où l'agriculture et l'agroalimentaire jouent un rôle économique et social sans équivalent dans d'autres régions. Les Bretons ont fait preuve, au cours de ces dernières décennies, d'un dynamisme, d'un esprit d'entreprise et d'une ténacité exemplaires qui ont permis de hisser l'agriculture bretonne au plus haut niveau.
Mais j'ai accepté aussi parce que je voulais vous entendre et parce que je voulais vous parler. Notre politique agricole va au-devant de rendez-vous importants. L'agriculture est aujourd'hui un enjeu national qui doit mobiliser toute notre attention et celle de l'ensemble des Français.
Au cours des dernières années, les crises se sont succédées. De nouveaux risques sont apparus. De nouvelles hantises aussi, pour vous comme pour les consommateurs. Elles ont pour nom vache folle, fièvre aphteuse, OGM, atteintes à l'environnement. Ne craignons pas d'en parler.
Par la rapidité de leur développement et leurs conséquences sur les équilibres naturels, les nouvelles techniques inquiètent. Les progrès et les risques se répandent si vite qu'à tout moment ils peuvent nous dépasser.
Il ne s'agit pourtant pas d'arrêter le progrès, gage de nouveaux acquis pour la qualité des produits, pour la santé des consommateurs et pour le niveau de vie de tous. Mais il s'agit d'en rester maîtres.
Désormais, la confiance des consommateurs devra être continuellement conquise et reconquise.
Or, dans le même temps, la concurrence est devenue plus forte sur les marchés internationaux, et les incertitudes augmentent sur les évolutions de la politique agricole commune et des négociations internationales.
Comment s'étonner dans ces conditions que les paysans, qui n'ont pas vu leurs revenus progresser comme ceux des autres Français, aient aujourd'hui le tournis ? Ils savent entendre les critiques, mais ils aimeraient aussi être écoutés, aidés et compris, car ils ont consenti des sacrifices. Ils ont produit et continuent à produire un effort d'ajustement que peu de secteurs de l'économie peuvent revendiquer. Et ils connaissent d'importantes difficultés, particulièrement depuis les deux dernières années.
C'est dans ce contexte que je veux vous faire part ce matin de mes réflexions sur la place de l'agriculture dans notre pays.
Oui, la politique agricole doit évoluer, comme toute politique. En France, comme au niveau communautaire, de profondes réformes ont déjà été engagées au cours des vingt dernières années. Mais dire qu'il faut réformer ne signifie pas qu'il faudrait cesser d'être fiers de ce qui a été fait. Nous devons au contraire le revendiquer.
Après la seconde guerre mondiale, la France et l'Europe ont dû relever des défis majeurs, comme la sous-alimentation et la dépendance alimentaire. On l'oublie trop souvent, les Français ont alors connu une période de rationnement aussi drastique que pendant l'Occupation. C'est pourquoi une politique agricole destinée à rendre à la France son autonomie alimentaire a été mise en place, avec succès.
Ayant acquis leur autosuffisance, la France et l'Union européenne sont ensuite devenues des puissances agroalimentaires à l'échelle mondiale. La capacité exportatrice qu'elles ont conquise est essentielle au revenu des agriculteurs. Elle confère aussi à l'Europe, et à la France qui demeure le principal pays agricole du continent, une force économique et politique de première importance dans les échanges internationaux.
Cette force est le résultat du travail et de l'engagement des agriculteurs. Elle est le résultat de restructurations souvent douloureuses et de l'effort national qui a accompagné notre révolution verte.
Ces acquis sont considérables. Ils doivent être préservés. C'est le socle sur lequel nous pourrons construire pour défendre l'environnement, garantir la sécurité sanitaire des aliments, corriger les excès de l'industrialisation, et renforcer la fonction d'équilibre que remplit l'agriculture au coeur de notre société.
Relever tous ces défis, c'est retrouver les voies d'une agriculture de confiance.
Aujourd'hui comme hier, la production agricole est au coeur des intérêts de la France.
Cela est dû d'abord à la place particulière qu'elle tient dans notre identité nationale et à la manière dont elle a façonné les paysages et les traditions de notre pays. Mais il ne s'agit pas seulement de notre héritage historique.
L'agriculture appartient plus que jamais à l'avenir de la France. Elle est l'une des composantes de notre puissance. Elle demeure l'un de nos principaux atouts. Elle occupe d'ailleurs une place croissante dans les préoccupations de chaque Français, qu'il s'agisse de son alimentation, de sa santé, de ses références culturelles, de son cadre de vie, de son environnement.
Chacun connaît mon profond attachement à l'agriculture française et aux paysans français. Il m'autorise à vous dire ma conviction que la place des agriculteurs dans notre société, qui est et restera essentielle, dépendra de plus en plus de leur capacité à relever les défis de l'environnement.
Si les pollutions agricoles se sont incontestablement aggravées, il est clair que c'est d'abord en raison de la pression économique exercée sur les producteurs. La dégradation de l'organisation des marchés et l'engrenage sans fin des baisses de prix portent une grande part de responsabilité. C'est pourquoi je refuse que l'on jette l'opprobre sur les paysans. Depuis toujours, par culture et par nécessité, ils ont assuré le renouvellement des ressources naturelles.
Mais les réalités sont là. Il faut impérativement restaurer nos équilibres environnementaux. Cela doit se faire avec les professionnels, et non contre eux, dans la concertation, avec l'aide des pouvoirs publics sans laquelle il n'y a pas de solution possible, avec aussi l'engagement de tous les acteurs de la chaîne agro-alimentaire, y compris la grande distribution. C'est un effort indispensable. Il est d'intérêt national.
Nos choix de politique agricole ne sont pas seulement des choix techniques ou économiques, ce sont des choix de société, des choix qui mettent en jeu notre cohésion nationale. Une politique agricole ambitieuse n'est pas seulement nécessaire pour nos agriculteurs £ elle l'est pour la France et pour l'ensemble des Français.
Notre agriculture va devoir franchir une nouvelle étape, de nouveaux obstacles. En contrepartie, de nouvelles garanties devront lui être apportées. Ainsi pourra s'établir un nouveau contrat de confiance entre la Nation et ses paysans.
Et cette confiance sera bien placée car, l'expérience le démontre, il n'est pas d'activité qui ait été capable de plus grands changements que l'agriculture.
Les agriculteurs vont devoir répondre à trois attentes essentielles : la sécurité sanitaire, le respect de l'environnement et la sauvegarde de l'équilibre de nos territoires.
Ces objectifs ambitieux peuvent être atteints si nous savons libérer les capacités d'initiative de chaque agriculteur et profiter des prochaines années pour redéfinir une politique européenne qui protégera et améliorera son revenu.
Il ne peut y avoir d'agriculture écologiquement responsable qui ne soit en même temps économiquement forte.
Garantir la sécurité alimentaire pour tous et l'accès aux produits de qualité doit être notre première priorité.
Dans cet esprit, la France, pendant sa présidence de l'Union européenne, a obtenu la création d'une Agence européenne de sécurité alimentaire.
Les crises alimentaires que nous connaissons, et en particulier la crise de la "vache folle", n'ont pas seulement répandu une angoisse compréhensible parmi les consommateurs, elles ont aussi profondément atteint les agriculteurs. Fragilisés économiquement et moralement, les éleveurs se retrouvent seuls, en butte à la méfiance, sans toujours rencontrer du côté de l'Etat la solidarité et les soutiens qu'ils espéraient. Nous ne pouvons laisser durer cette situation. De nouvelles mesures de dégagement du marché doivent être mises en oeuvre rapidement. Un véritable plan de soutien aux éleveurs est devenu indispensable.
Mais la crise de l'élevage remet aussi en question la quête permanente de prix toujours plus bas à la production.
La sécurité a un coût. Chacun devrait être prêt à le partager. Elle ne peut s'accommoder de marchés agricoles complètement dérégulés.
Sur l'ensemble de la chaîne qui relie le producteur au consommateur, les stratégies commerciales se sont traduites par une pression démesurée sur les prix agricoles. Pour garantir la sécurité des aliments, nous devons arrêter la course à la baisse des prix. C'est une course où il n'y a que des perdants. Ces stratégies doivent changer. Nous pourrons ainsi -car c'est une vocation française- viser l'excellence par une politique de qualité, et nous pourrons nous engager plus fortement dans l'agriculture biologique.
*
Dans un même esprit de sécurité, la promotion d'une agriculture "écologiquement responsable" doit être privilégiée.
Les efforts réalisés par les agriculteurs pour mieux répondre aux préoccupations environnementales doivent être reconnus et encouragés, qu'il s'agisse de la protection des eaux et des paysages, de la lutte contre les inondations, de l'entretien de l'espace rural, du bien-être animal ou d'un usage plus raisonné des pesticides et de l'irrigation.
Mais il faut aussi aller plus loin. Des solutions existent aujourd'hui pour remédier aux pollutions d'origine agricole. J'ai pu constater, au cours de ma visite, l'importance des initiatives allant dans ce sens. Dans cette région particulièrement concernée par le problème des nitrates, des dispositifs innovants sont testés et progressivement mis en place. Puisque ces solutions sont efficaces, leur développement doit être accéléré. Je souhaite qu'un programme prioritaire d'action sur cinq ans soit établi, en concertation avec le Conseil régional et les Conseils généraux, pour que ces pollutions puissent être définitivement résorbées à l'horizon de l'année 2006.
Plus globalement, un processus progressif de qualification environnementale et sanitaire de toutes les exploitations agricoles doit être engagé. Je suis convaincu que les agriculteurs y sont prêts et qu'ils préféreront cette approche volontaire à celle de l'accumulation de réglementations de plus en plus complexes, voire contradictoires. La qualification environnementale et sanitaire devrait être prise en compte pour l'octroi des aides nationales et communautaires.
Je crois utile aussi que nous révisions nos procédures d'aménagement foncier. Sans tomber dans le travers de certaines critiques exagérées, nous pouvons envisager des modes d'aménagement foncier moins radicaux et substituer au remembrement tel qu'il fonctionne aujourd'hui des procédures d'aménagement moins lourdes et mieux acceptées.
Enfin, la contribution de l'agriculture à la protection de l'environnement devra se manifester grâce aux biocarburants.
"Energie cultivable" et de ce fait renouvelable, les biocarburants doivent devenir d'un usage banal. Techniquement, plus rien ne s'y oppose. La loi sur l'air de 1996 a prévu l'obligation d'incorporer des bio-carburants à l'essence et au gasoil. Trop longtemps différée, cette obligation doit être appliquée. Une fiscalité incitatrice et des réseaux de distribution adaptés permettront aussi de progresser plus rapidement dans le développement des carburants verts. C'est essentiel pour notre environnement, pour notre agriculture et pour diminuer notre dépendance énergétique.
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Au-delà des enjeux sanitaires et écologiques, faire des choix de politique agricole, c'est aussi agir directement sur les paysages de notre pays et sur la qualité de l'espace dans lequel vivent les Français, qu'ils habitent la ville ou la campagne. C'est imprimer des orientations riches de conséquences pour plus de la moitié de notre territoire et en particulier pour des régions au patrimoine culturel et touristique exceptionnel, notamment en montagne ou sur le littoral. Aucune autre politique ne présente un tel enjeu à la fois social, territorial et environnemental.
Nous devons reconnaître pleinement le rôle de l'agriculture pour la mise en valeur du territoire et assurer sa viabilité économique. Il serait vain d'orienter les producteurs vers des activités connexes dont la pérennité dépendrait d'aides qui ne seraient pas durablement garanties. Le revenu des agriculteurs doit d'abord être le résultat de leur production et de leur présence sur des marchés solvables. L'avenir n'est pas à une agriculture paysagère. Elle ne correspondrait pas à la réalité agricole de notre pays. Paysagère aujourd'hui, notre agriculture serait contemplative demain et notre espace agricole deviendrait de plus en plus stérile.
Peut-on dire que les contrats territoriaux d'exploitation, mis en place en 2000 constituent un instrument durable de politique agricole alors que moins de dix pour cent de l'objectif annoncé a été atteint ?
A l'avenir, je souhaite que l'on recherche des solutions collectives de long terme plutôt que des solutions individuelles temporaires pour conforter le revenu des agriculteurs et favoriser le développement rural. Dans le même esprit, il faudra revoir les modalités de la modulation dite "à la française", qui a agi comme un véritable prélèvement sans que son caractère redistributif joue réellement.
Les contrats territoriaux d'exploitation n'ont pas non plus apporté de solution aux tensions nouvelles qui apparaissent autour de l'usage du sol. Les relations entre les propriétaires de l'espace agricole ou forestier et les usagers de cet espace - touristes, randonneurs, chasseurs, pêcheurs - se font parfois conflictuelles. Elles doivent être clarifiées et apaisées, dans le respect de tous ceux qui ont des droits à faire valoir. Il faut le faire avec le souci de préserver les équilibres économiques, sociaux et territoriaux du monde rural. Celui-ci doit rester un espace vivant, respectant les modes de vie de ceux qui l'habitent toute l'année.
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Sécurité alimentaire, lutte contre les pollutions, mise en valeur de notre territoire : ces exigences formeront le premier volet du pacte de confiance, la première partie du contrat. Pour la remplir, les agriculteurs doivent se voir proposer des contreparties adaptées.
Il s'agit d'abord de libérer et d'encourager leurs capacités d'initiative, individuelles ou collectives. Cela passe par une remise en cause des contraintes administratives, d'une lourdeur excessive, auxquelles les agriculteurs sont soumis. Une simplification s'impose. Elle doit profiter à toutes les exploitations.
Respecter la capacité d'initiative des agriculteurs, c'est aussi veiller à ce que l'introduction de normes sanitaires ou environnementales nouvelles s'accompagne de la suppression d'autres réglementations dont l'utilité n'est plus avérée. Je pense, en particulier, à certains éléments de la politique des structures qui apparaissent très décalés, voire contradictoires, avec les nouvelles réalités.
Il est devenu indispensable de construire un véritable droit économique de l'entreprise agricole grâce à la création de la notion juridique de "fonds agricole", sur le modèle du "fonds de commerce". Ainsi, la valeur des entreprises agricoles correspondra à leur réalité économique et leur transmission en sera facilitée.
Ces orientations devront être largement débattues avec la profession parce qu'elles remettent en cause un ordre et des habitudes établis depuis très longtemps.
Une question méritera un débat particulier, c'est celle de l'installation des jeunes. Au cours des dix dernières années, nous avons perdu 40 % de nos agriculteurs. En Bretagne, cette baisse atteint 50 %.
Ce phénomène s'explique en partie par la diminution d'un tiers du nombre des installations depuis 1998. Il est dû aussi au départ de nombreux agriculteurs âgés, ce qui nous renvoie au problème difficile des retraites agricoles, dont le niveau reste encore aujourd'hui en deçà des objectifs annoncés. Les promesses qui ont été faites devront être tenues. La parité avec les autres secteurs d'activité doit être assurée. Le plus tôt sera le mieux pour répondre aux demandes des deux millions de retraités agricoles qui attendent la reconnaissance de leur travail passé.
Sur un autre plan, le départ de nombreux exploitants âgés conduit à un rajeunissement de la population agricole, renforçant le dynamisme de notre agriculture et sa capacité d'adaptation. En diminuant fortement le nombre des agriculteurs, il a permis d'éviter des baisses importantes du revenu individuel au cours de ces dernières années. Mais désormais, ce facteur jouera moins.
L'évolution du revenu de la "ferme France" devra donc être surveillée attentivement : c'est la clé de la relance d'une politique d'installation dont le principal moteur doit demeurer la capacité des jeunes agriculteurs à dégager un revenu de leur activité sur des marchés qui rémunèrent équitablement leur travail.
Les jeunes agriculteurs et vous-mêmes, Monsieur LEMETAYER, avez à juste titre alerté les responsables politiques sur ce point crucial.
Au-delà de la dynamique que peut créer cette relance de la politique d'installation, le développement de la filière agricole nécessite aussi qu'elle puisse bénéficier du travail de nos chercheurs.
S'agissant des organismes génétiquement modifiés, Il est normal que des recherches soient poursuivies. Elles sont porteuses de nombreux espoirs sur les plans alimentaire, thérapeutique, voire écologique. Mais ces recherches, parce qu'elles sont aussi source d'inquiétude, doivent être conduites en toute transparence et selon des règles de précaution éthiques et scientifiques admises par tous.
Les expérimentations sont déjà réglementées. Les ministres compétents autorisent les essais après l'avis d'une Commission scientifique qui évalue les risques. Je pense cependant qu'il faut aller plus en s'inspirant des règles applicables à l'expérimentation et à la mise sur le marché des médicaments.
Mais je tiens à dire que les actions de destruction sauvage conduites ces dernières semaines ne sont pas admissibles et doivent être fermement condamnées. Nous sommes dans un Etat de droit. Rien ne peut justifier que quelques-uns s'arrogent le droit de saccager la propriété des autres pour faire valoir leurs arguments. On ne peut accepter de tels comportements. Ils doivent être poursuivis et sanctionnés.
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Dans le même temps, nous devons conforter une politique européenne de long terme garantissant le revenu des agriculteurs et l'équilibre économique de leur activité.
L'agriculture restera toujours soumise à de fortes variations parce qu'elle mobilise des capitaux importants, parce qu'elle repose sur les cycles du vivant et parce qu'elle est exposée aux aléas climatiques. Sans régulation, les marchés agricoles ne peuvent assurer un équilibre harmonieux entre l'offre et la demande.
Les conditions de l'activité agricole justifient donc une politique particulière, permettant aux exploitants de dégager un niveau de revenu suffisant et stable. Ce n'est pas seulement une protection pour les producteurs, c'est aussi une assurance pour les consommateurs.
C'est à cette difficulté que, depuis maintenant quarante ans, la politique agricole commune apporte une réponse. Une réponse souple et adaptée, qui a évolué dans le temps, mais qu'il est vital de préserver.
Nous ne pourrions accepter que la poursuite de la construction européenne néglige la principale politique véritablement communautaire que l'Europe ait su définir jusqu'à nos jours.
Il ne faut pas aller trop loin dans les directions ouvertes en 1992, au risque de déstabiliser les fondements de la politique agricole commune.
La préférence communautaire est et doit rester au coeur de l'Europe agricole. C'est l'intérêt et l'existence même de la politique agricole commune qui sont ici en jeu. Ou bien celle-ci continue son évolution vers encore davantage de dérégulation, ou bien nous nous attachons à défendre sans complexe une véritable politique européenne, parce que nous considérons que nous avons de bonnes raisons de le faire.
Mon choix, c'est celui de la cohérence, de la cohésion, de l'identité et du projet européens. C'est une ambition pour l'agriculture, mais aussi pour l'Europe.
Je regrette que cette ambition ne soit pas davantage partagée au niveau européen et que la politique agricole soit si souvent malmenée, au risque de lâcher la proie pour l'ombre, dans des débats internes mal posés ou des négociations internationales mal maîtrisées.
L'hypothèse d'une réforme anticipée de la politique agricole commune ayant été avancée, je veux ici rappeler la position française.
Les accords de Berlin ont fixé le régime en vigueur jusqu'en 2006. Il faut l'appliquer. D'ici là, des adaptations de la politique agricole commune sont possibles pour améliorer la sécurité alimentaire et favoriser le développement rural, mais dans le cadre de ce compromis, et dans ce cadre uniquement. Evidemment utiles et souhaitables, les réflexions préparatoires sur l'après-2006 peuvent et doivent commencer, mais à condition qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur ce point.
Cette position est motivée par plusieurs raisons :
- Comme tous les entrepreneurs, les agriculteurs ont besoin de stabilité. Les règles de Berlin ont été fixées pour six ans. Il ne serait pas acceptable de les remettre en cause avant 2006.
- Nul ne voit se dessiner de projet alternatif sérieux car les pays qui plaident pour une réforme radicale de la politique agricole commune ont des objectifs contradictoires : libéralisme accru pour les uns et " tout biologique " pour les autres.
- Une réforme anticipée de la politique agricole commune en 2003 retarderait le processus d'élargissement.
- Un débat interne prématuré placerait l'Europe en situation de faiblesse dans les prochaines négociations commerciales internationales.
- Enfin, il serait raisonnable de prendre en compte, avant tout réexamen de nos dispositifs, les effets de la réforme de la politique agricole américaine, qui doit intervenir en 2002.
Je constate aussi que le thème du cofinancement, rejeté lors du compromis de Berlin, revient insidieusement dans les débats. Plus que l'agriculture, la question budgétaire demeure en effet la préoccupation majeure de nombreux pays membres, avec en arrière-plan la remise en cause de la solidarité financière. Aujourd'hui, comme hier à Berlin, je refuse le cofinancement, parce que ce sont les principes de la politique agricole commune qui sont en cause.
L'Europe forme un tout dans lequel les intérêts de chacun doivent être compris et respectés. L'agriculture est pour la France un témoin essentiel de la solidarité européenne.
En revanche, je crois que les politiques agricoles, française ou communautaire, doivent laisser une plus grande place à l'action des régions.
Plus diverse, plus hétérogène, l'Europe de l'élargissement ne se satisfera pas d'un modèle uniforme. Les réalités régionales devront être mieux prises en compte. Cette régionalisation évitera d'ailleurs les dérives bureaucratiques liées à toute centralisation.
La France a intérêt à progresser rapidement dans ce sens. Parmi les cinq pays les plus peuplés de l'Union européenne, elle est la seule où les régions ont aussi peu de poids. En agriculture comme dans de nombreux autres domaines, nous devons donner du pouvoir aux régions.
Ayant évoqué l'Organisation mondiale du commerce, à quelques semaines du rendez-vous de Doha, je souhaite enfin dire solennellement, que si nous sommes prêts pour l'ouverture d'un nouveau cycle de négociation -un cycle large comme nous le souhaitions- nous n'accepterons aucune concession agricole qui serait un préalable à l'ouverture des discussions.
L'agriculture reste une pierre d'achoppement dans les négociations commerciales et l'on peut déjà prévoir que la politique agricole commune sera une nouvelle fois mise en cause par ceux-là mêmes qui, sans aucun scrupule, ont multiplié par trois au cours de ces dernières années leurs aides agricoles, au risque d'entretenir artificiellement des prix bas sur le marché mondial. L'Union européenne et ses négociateurs ne devront pas rentrer dans le piège d'une négociation où notre politique agricole serait prise en otage. Nous défendrons notre politique contre toutes les forces qui poussent vers la dérégulation, parce qu'il y va d'une agriculture de qualité, d'une agriculture de confiance et de sécurité pour le consommateur. Parce que c'est notre identité, parce que c'est le choix européen qui sont en jeu. Et parce que nous n'avons pas à payer d'acompte pour lancer la négociation.
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Telles sont, Mesdames, Messieurs, les quelques réflexions dont je souhaitais vous faire part. Nous sommes face à la nécessité de choix importants pour notre agriculture.
J'ai confiance dans la capacité des agriculteurs à répondre aux demandes de la société. Des efforts importants ont déjà été faits, ils doivent être poursuivis. Tous les progrès que nous ferons, nous ne pourrons les faire qu'avec les agriculteurs.
Je le sais, vous êtes prêts à vous faire les alliés du combat pour l'environnement. Je souhaite que ce combat soit animé par une nouvelle conception de l'écologie, une écologie humaniste soucieuse de créer les conditions d'un progrès durable.
Nous pouvons relever le défi d'une agriculture écologiquement responsable, respectueuse des consommateurs et économiquement forte. C'est pourquoi j'ai confiance et je vous fais confiance.
Je vous remercie.
Monsieur le ministre,
Messieurs les présidents du Conseil régional et du Conseil général,
Mesdames et messieurs les parlementaires et les élus,
Mesdames, messieurs,
La visite que je viens de faire et les échanges que j'ai eus avec beaucoup d'entre vous m'ont impressionné. J'ai senti le souffle d'une passion, celle des agriculteurs pour leur métier. Une fois de plus, vous avez réussi à démontrer votre mobilisation pour répondre aux difficultés de l'agriculture et de ses industries de transformation.
Cette édition du SPACE restera comme une vitrine exceptionnelle du secteur agroalimentaire français.
Lorsque vous m'avez invité à venir l'inaugurer, M. le Président LEMETAYER, j'ai tout de suite accepté. J'ai accepté en raison de la réputation professionnelle et internationale de ce salon, qui attire plus de cent mille visiteurs. J'ai accepté parce que la Bretagne est une région agricole puissante, où l'agriculture et l'agroalimentaire jouent un rôle économique et social sans équivalent dans d'autres régions. Les Bretons ont fait preuve, au cours de ces dernières décennies, d'un dynamisme, d'un esprit d'entreprise et d'une ténacité exemplaires qui ont permis de hisser l'agriculture bretonne au plus haut niveau.
Mais j'ai accepté aussi parce que je voulais vous entendre et parce que je voulais vous parler. Notre politique agricole va au-devant de rendez-vous importants. L'agriculture est aujourd'hui un enjeu national qui doit mobiliser toute notre attention et celle de l'ensemble des Français.
Au cours des dernières années, les crises se sont succédées. De nouveaux risques sont apparus. De nouvelles hantises aussi, pour vous comme pour les consommateurs. Elles ont pour nom vache folle, fièvre aphteuse, OGM, atteintes à l'environnement. Ne craignons pas d'en parler.
Par la rapidité de leur développement et leurs conséquences sur les équilibres naturels, les nouvelles techniques inquiètent. Les progrès et les risques se répandent si vite qu'à tout moment ils peuvent nous dépasser.
Il ne s'agit pourtant pas d'arrêter le progrès, gage de nouveaux acquis pour la qualité des produits, pour la santé des consommateurs et pour le niveau de vie de tous. Mais il s'agit d'en rester maîtres.
Désormais, la confiance des consommateurs devra être continuellement conquise et reconquise.
Or, dans le même temps, la concurrence est devenue plus forte sur les marchés internationaux, et les incertitudes augmentent sur les évolutions de la politique agricole commune et des négociations internationales.
Comment s'étonner dans ces conditions que les paysans, qui n'ont pas vu leurs revenus progresser comme ceux des autres Français, aient aujourd'hui le tournis ? Ils savent entendre les critiques, mais ils aimeraient aussi être écoutés, aidés et compris, car ils ont consenti des sacrifices. Ils ont produit et continuent à produire un effort d'ajustement que peu de secteurs de l'économie peuvent revendiquer. Et ils connaissent d'importantes difficultés, particulièrement depuis les deux dernières années.
C'est dans ce contexte que je veux vous faire part ce matin de mes réflexions sur la place de l'agriculture dans notre pays.
Oui, la politique agricole doit évoluer, comme toute politique. En France, comme au niveau communautaire, de profondes réformes ont déjà été engagées au cours des vingt dernières années. Mais dire qu'il faut réformer ne signifie pas qu'il faudrait cesser d'être fiers de ce qui a été fait. Nous devons au contraire le revendiquer.
Après la seconde guerre mondiale, la France et l'Europe ont dû relever des défis majeurs, comme la sous-alimentation et la dépendance alimentaire. On l'oublie trop souvent, les Français ont alors connu une période de rationnement aussi drastique que pendant l'Occupation. C'est pourquoi une politique agricole destinée à rendre à la France son autonomie alimentaire a été mise en place, avec succès.
Ayant acquis leur autosuffisance, la France et l'Union européenne sont ensuite devenues des puissances agroalimentaires à l'échelle mondiale. La capacité exportatrice qu'elles ont conquise est essentielle au revenu des agriculteurs. Elle confère aussi à l'Europe, et à la France qui demeure le principal pays agricole du continent, une force économique et politique de première importance dans les échanges internationaux.
Cette force est le résultat du travail et de l'engagement des agriculteurs. Elle est le résultat de restructurations souvent douloureuses et de l'effort national qui a accompagné notre révolution verte.
Ces acquis sont considérables. Ils doivent être préservés. C'est le socle sur lequel nous pourrons construire pour défendre l'environnement, garantir la sécurité sanitaire des aliments, corriger les excès de l'industrialisation, et renforcer la fonction d'équilibre que remplit l'agriculture au coeur de notre société.
Relever tous ces défis, c'est retrouver les voies d'une agriculture de confiance.
Aujourd'hui comme hier, la production agricole est au coeur des intérêts de la France.
Cela est dû d'abord à la place particulière qu'elle tient dans notre identité nationale et à la manière dont elle a façonné les paysages et les traditions de notre pays. Mais il ne s'agit pas seulement de notre héritage historique.
L'agriculture appartient plus que jamais à l'avenir de la France. Elle est l'une des composantes de notre puissance. Elle demeure l'un de nos principaux atouts. Elle occupe d'ailleurs une place croissante dans les préoccupations de chaque Français, qu'il s'agisse de son alimentation, de sa santé, de ses références culturelles, de son cadre de vie, de son environnement.
Chacun connaît mon profond attachement à l'agriculture française et aux paysans français. Il m'autorise à vous dire ma conviction que la place des agriculteurs dans notre société, qui est et restera essentielle, dépendra de plus en plus de leur capacité à relever les défis de l'environnement.
Si les pollutions agricoles se sont incontestablement aggravées, il est clair que c'est d'abord en raison de la pression économique exercée sur les producteurs. La dégradation de l'organisation des marchés et l'engrenage sans fin des baisses de prix portent une grande part de responsabilité. C'est pourquoi je refuse que l'on jette l'opprobre sur les paysans. Depuis toujours, par culture et par nécessité, ils ont assuré le renouvellement des ressources naturelles.
Mais les réalités sont là. Il faut impérativement restaurer nos équilibres environnementaux. Cela doit se faire avec les professionnels, et non contre eux, dans la concertation, avec l'aide des pouvoirs publics sans laquelle il n'y a pas de solution possible, avec aussi l'engagement de tous les acteurs de la chaîne agro-alimentaire, y compris la grande distribution. C'est un effort indispensable. Il est d'intérêt national.
Nos choix de politique agricole ne sont pas seulement des choix techniques ou économiques, ce sont des choix de société, des choix qui mettent en jeu notre cohésion nationale. Une politique agricole ambitieuse n'est pas seulement nécessaire pour nos agriculteurs £ elle l'est pour la France et pour l'ensemble des Français.
Notre agriculture va devoir franchir une nouvelle étape, de nouveaux obstacles. En contrepartie, de nouvelles garanties devront lui être apportées. Ainsi pourra s'établir un nouveau contrat de confiance entre la Nation et ses paysans.
Et cette confiance sera bien placée car, l'expérience le démontre, il n'est pas d'activité qui ait été capable de plus grands changements que l'agriculture.
Les agriculteurs vont devoir répondre à trois attentes essentielles : la sécurité sanitaire, le respect de l'environnement et la sauvegarde de l'équilibre de nos territoires.
Ces objectifs ambitieux peuvent être atteints si nous savons libérer les capacités d'initiative de chaque agriculteur et profiter des prochaines années pour redéfinir une politique européenne qui protégera et améliorera son revenu.
Il ne peut y avoir d'agriculture écologiquement responsable qui ne soit en même temps économiquement forte.
Garantir la sécurité alimentaire pour tous et l'accès aux produits de qualité doit être notre première priorité.
Dans cet esprit, la France, pendant sa présidence de l'Union européenne, a obtenu la création d'une Agence européenne de sécurité alimentaire.
Les crises alimentaires que nous connaissons, et en particulier la crise de la "vache folle", n'ont pas seulement répandu une angoisse compréhensible parmi les consommateurs, elles ont aussi profondément atteint les agriculteurs. Fragilisés économiquement et moralement, les éleveurs se retrouvent seuls, en butte à la méfiance, sans toujours rencontrer du côté de l'Etat la solidarité et les soutiens qu'ils espéraient. Nous ne pouvons laisser durer cette situation. De nouvelles mesures de dégagement du marché doivent être mises en oeuvre rapidement. Un véritable plan de soutien aux éleveurs est devenu indispensable.
Mais la crise de l'élevage remet aussi en question la quête permanente de prix toujours plus bas à la production.
La sécurité a un coût. Chacun devrait être prêt à le partager. Elle ne peut s'accommoder de marchés agricoles complètement dérégulés.
Sur l'ensemble de la chaîne qui relie le producteur au consommateur, les stratégies commerciales se sont traduites par une pression démesurée sur les prix agricoles. Pour garantir la sécurité des aliments, nous devons arrêter la course à la baisse des prix. C'est une course où il n'y a que des perdants. Ces stratégies doivent changer. Nous pourrons ainsi -car c'est une vocation française- viser l'excellence par une politique de qualité, et nous pourrons nous engager plus fortement dans l'agriculture biologique.
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Dans un même esprit de sécurité, la promotion d'une agriculture "écologiquement responsable" doit être privilégiée.
Les efforts réalisés par les agriculteurs pour mieux répondre aux préoccupations environnementales doivent être reconnus et encouragés, qu'il s'agisse de la protection des eaux et des paysages, de la lutte contre les inondations, de l'entretien de l'espace rural, du bien-être animal ou d'un usage plus raisonné des pesticides et de l'irrigation.
Mais il faut aussi aller plus loin. Des solutions existent aujourd'hui pour remédier aux pollutions d'origine agricole. J'ai pu constater, au cours de ma visite, l'importance des initiatives allant dans ce sens. Dans cette région particulièrement concernée par le problème des nitrates, des dispositifs innovants sont testés et progressivement mis en place. Puisque ces solutions sont efficaces, leur développement doit être accéléré. Je souhaite qu'un programme prioritaire d'action sur cinq ans soit établi, en concertation avec le Conseil régional et les Conseils généraux, pour que ces pollutions puissent être définitivement résorbées à l'horizon de l'année 2006.
Plus globalement, un processus progressif de qualification environnementale et sanitaire de toutes les exploitations agricoles doit être engagé. Je suis convaincu que les agriculteurs y sont prêts et qu'ils préféreront cette approche volontaire à celle de l'accumulation de réglementations de plus en plus complexes, voire contradictoires. La qualification environnementale et sanitaire devrait être prise en compte pour l'octroi des aides nationales et communautaires.
Je crois utile aussi que nous révisions nos procédures d'aménagement foncier. Sans tomber dans le travers de certaines critiques exagérées, nous pouvons envisager des modes d'aménagement foncier moins radicaux et substituer au remembrement tel qu'il fonctionne aujourd'hui des procédures d'aménagement moins lourdes et mieux acceptées.
Enfin, la contribution de l'agriculture à la protection de l'environnement devra se manifester grâce aux biocarburants.
"Energie cultivable" et de ce fait renouvelable, les biocarburants doivent devenir d'un usage banal. Techniquement, plus rien ne s'y oppose. La loi sur l'air de 1996 a prévu l'obligation d'incorporer des bio-carburants à l'essence et au gasoil. Trop longtemps différée, cette obligation doit être appliquée. Une fiscalité incitatrice et des réseaux de distribution adaptés permettront aussi de progresser plus rapidement dans le développement des carburants verts. C'est essentiel pour notre environnement, pour notre agriculture et pour diminuer notre dépendance énergétique.
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Au-delà des enjeux sanitaires et écologiques, faire des choix de politique agricole, c'est aussi agir directement sur les paysages de notre pays et sur la qualité de l'espace dans lequel vivent les Français, qu'ils habitent la ville ou la campagne. C'est imprimer des orientations riches de conséquences pour plus de la moitié de notre territoire et en particulier pour des régions au patrimoine culturel et touristique exceptionnel, notamment en montagne ou sur le littoral. Aucune autre politique ne présente un tel enjeu à la fois social, territorial et environnemental.
Nous devons reconnaître pleinement le rôle de l'agriculture pour la mise en valeur du territoire et assurer sa viabilité économique. Il serait vain d'orienter les producteurs vers des activités connexes dont la pérennité dépendrait d'aides qui ne seraient pas durablement garanties. Le revenu des agriculteurs doit d'abord être le résultat de leur production et de leur présence sur des marchés solvables. L'avenir n'est pas à une agriculture paysagère. Elle ne correspondrait pas à la réalité agricole de notre pays. Paysagère aujourd'hui, notre agriculture serait contemplative demain et notre espace agricole deviendrait de plus en plus stérile.
Peut-on dire que les contrats territoriaux d'exploitation, mis en place en 2000 constituent un instrument durable de politique agricole alors que moins de dix pour cent de l'objectif annoncé a été atteint ?
A l'avenir, je souhaite que l'on recherche des solutions collectives de long terme plutôt que des solutions individuelles temporaires pour conforter le revenu des agriculteurs et favoriser le développement rural. Dans le même esprit, il faudra revoir les modalités de la modulation dite "à la française", qui a agi comme un véritable prélèvement sans que son caractère redistributif joue réellement.
Les contrats territoriaux d'exploitation n'ont pas non plus apporté de solution aux tensions nouvelles qui apparaissent autour de l'usage du sol. Les relations entre les propriétaires de l'espace agricole ou forestier et les usagers de cet espace - touristes, randonneurs, chasseurs, pêcheurs - se font parfois conflictuelles. Elles doivent être clarifiées et apaisées, dans le respect de tous ceux qui ont des droits à faire valoir. Il faut le faire avec le souci de préserver les équilibres économiques, sociaux et territoriaux du monde rural. Celui-ci doit rester un espace vivant, respectant les modes de vie de ceux qui l'habitent toute l'année.
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Sécurité alimentaire, lutte contre les pollutions, mise en valeur de notre territoire : ces exigences formeront le premier volet du pacte de confiance, la première partie du contrat. Pour la remplir, les agriculteurs doivent se voir proposer des contreparties adaptées.
Il s'agit d'abord de libérer et d'encourager leurs capacités d'initiative, individuelles ou collectives. Cela passe par une remise en cause des contraintes administratives, d'une lourdeur excessive, auxquelles les agriculteurs sont soumis. Une simplification s'impose. Elle doit profiter à toutes les exploitations.
Respecter la capacité d'initiative des agriculteurs, c'est aussi veiller à ce que l'introduction de normes sanitaires ou environnementales nouvelles s'accompagne de la suppression d'autres réglementations dont l'utilité n'est plus avérée. Je pense, en particulier, à certains éléments de la politique des structures qui apparaissent très décalés, voire contradictoires, avec les nouvelles réalités.
Il est devenu indispensable de construire un véritable droit économique de l'entreprise agricole grâce à la création de la notion juridique de "fonds agricole", sur le modèle du "fonds de commerce". Ainsi, la valeur des entreprises agricoles correspondra à leur réalité économique et leur transmission en sera facilitée.
Ces orientations devront être largement débattues avec la profession parce qu'elles remettent en cause un ordre et des habitudes établis depuis très longtemps.
Une question méritera un débat particulier, c'est celle de l'installation des jeunes. Au cours des dix dernières années, nous avons perdu 40 % de nos agriculteurs. En Bretagne, cette baisse atteint 50 %.
Ce phénomène s'explique en partie par la diminution d'un tiers du nombre des installations depuis 1998. Il est dû aussi au départ de nombreux agriculteurs âgés, ce qui nous renvoie au problème difficile des retraites agricoles, dont le niveau reste encore aujourd'hui en deçà des objectifs annoncés. Les promesses qui ont été faites devront être tenues. La parité avec les autres secteurs d'activité doit être assurée. Le plus tôt sera le mieux pour répondre aux demandes des deux millions de retraités agricoles qui attendent la reconnaissance de leur travail passé.
Sur un autre plan, le départ de nombreux exploitants âgés conduit à un rajeunissement de la population agricole, renforçant le dynamisme de notre agriculture et sa capacité d'adaptation. En diminuant fortement le nombre des agriculteurs, il a permis d'éviter des baisses importantes du revenu individuel au cours de ces dernières années. Mais désormais, ce facteur jouera moins.
L'évolution du revenu de la "ferme France" devra donc être surveillée attentivement : c'est la clé de la relance d'une politique d'installation dont le principal moteur doit demeurer la capacité des jeunes agriculteurs à dégager un revenu de leur activité sur des marchés qui rémunèrent équitablement leur travail.
Les jeunes agriculteurs et vous-mêmes, Monsieur LEMETAYER, avez à juste titre alerté les responsables politiques sur ce point crucial.
Au-delà de la dynamique que peut créer cette relance de la politique d'installation, le développement de la filière agricole nécessite aussi qu'elle puisse bénéficier du travail de nos chercheurs.
S'agissant des organismes génétiquement modifiés, Il est normal que des recherches soient poursuivies. Elles sont porteuses de nombreux espoirs sur les plans alimentaire, thérapeutique, voire écologique. Mais ces recherches, parce qu'elles sont aussi source d'inquiétude, doivent être conduites en toute transparence et selon des règles de précaution éthiques et scientifiques admises par tous.
Les expérimentations sont déjà réglementées. Les ministres compétents autorisent les essais après l'avis d'une Commission scientifique qui évalue les risques. Je pense cependant qu'il faut aller plus en s'inspirant des règles applicables à l'expérimentation et à la mise sur le marché des médicaments.
Mais je tiens à dire que les actions de destruction sauvage conduites ces dernières semaines ne sont pas admissibles et doivent être fermement condamnées. Nous sommes dans un Etat de droit. Rien ne peut justifier que quelques-uns s'arrogent le droit de saccager la propriété des autres pour faire valoir leurs arguments. On ne peut accepter de tels comportements. Ils doivent être poursuivis et sanctionnés.
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Dans le même temps, nous devons conforter une politique européenne de long terme garantissant le revenu des agriculteurs et l'équilibre économique de leur activité.
L'agriculture restera toujours soumise à de fortes variations parce qu'elle mobilise des capitaux importants, parce qu'elle repose sur les cycles du vivant et parce qu'elle est exposée aux aléas climatiques. Sans régulation, les marchés agricoles ne peuvent assurer un équilibre harmonieux entre l'offre et la demande.
Les conditions de l'activité agricole justifient donc une politique particulière, permettant aux exploitants de dégager un niveau de revenu suffisant et stable. Ce n'est pas seulement une protection pour les producteurs, c'est aussi une assurance pour les consommateurs.
C'est à cette difficulté que, depuis maintenant quarante ans, la politique agricole commune apporte une réponse. Une réponse souple et adaptée, qui a évolué dans le temps, mais qu'il est vital de préserver.
Nous ne pourrions accepter que la poursuite de la construction européenne néglige la principale politique véritablement communautaire que l'Europe ait su définir jusqu'à nos jours.
Il ne faut pas aller trop loin dans les directions ouvertes en 1992, au risque de déstabiliser les fondements de la politique agricole commune.
La préférence communautaire est et doit rester au coeur de l'Europe agricole. C'est l'intérêt et l'existence même de la politique agricole commune qui sont ici en jeu. Ou bien celle-ci continue son évolution vers encore davantage de dérégulation, ou bien nous nous attachons à défendre sans complexe une véritable politique européenne, parce que nous considérons que nous avons de bonnes raisons de le faire.
Mon choix, c'est celui de la cohérence, de la cohésion, de l'identité et du projet européens. C'est une ambition pour l'agriculture, mais aussi pour l'Europe.
Je regrette que cette ambition ne soit pas davantage partagée au niveau européen et que la politique agricole soit si souvent malmenée, au risque de lâcher la proie pour l'ombre, dans des débats internes mal posés ou des négociations internationales mal maîtrisées.
L'hypothèse d'une réforme anticipée de la politique agricole commune ayant été avancée, je veux ici rappeler la position française.
Les accords de Berlin ont fixé le régime en vigueur jusqu'en 2006. Il faut l'appliquer. D'ici là, des adaptations de la politique agricole commune sont possibles pour améliorer la sécurité alimentaire et favoriser le développement rural, mais dans le cadre de ce compromis, et dans ce cadre uniquement. Evidemment utiles et souhaitables, les réflexions préparatoires sur l'après-2006 peuvent et doivent commencer, mais à condition qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur ce point.
Cette position est motivée par plusieurs raisons :
- Comme tous les entrepreneurs, les agriculteurs ont besoin de stabilité. Les règles de Berlin ont été fixées pour six ans. Il ne serait pas acceptable de les remettre en cause avant 2006.
- Nul ne voit se dessiner de projet alternatif sérieux car les pays qui plaident pour une réforme radicale de la politique agricole commune ont des objectifs contradictoires : libéralisme accru pour les uns et " tout biologique " pour les autres.
- Une réforme anticipée de la politique agricole commune en 2003 retarderait le processus d'élargissement.
- Un débat interne prématuré placerait l'Europe en situation de faiblesse dans les prochaines négociations commerciales internationales.
- Enfin, il serait raisonnable de prendre en compte, avant tout réexamen de nos dispositifs, les effets de la réforme de la politique agricole américaine, qui doit intervenir en 2002.
Je constate aussi que le thème du cofinancement, rejeté lors du compromis de Berlin, revient insidieusement dans les débats. Plus que l'agriculture, la question budgétaire demeure en effet la préoccupation majeure de nombreux pays membres, avec en arrière-plan la remise en cause de la solidarité financière. Aujourd'hui, comme hier à Berlin, je refuse le cofinancement, parce que ce sont les principes de la politique agricole commune qui sont en cause.
L'Europe forme un tout dans lequel les intérêts de chacun doivent être compris et respectés. L'agriculture est pour la France un témoin essentiel de la solidarité européenne.
En revanche, je crois que les politiques agricoles, française ou communautaire, doivent laisser une plus grande place à l'action des régions.
Plus diverse, plus hétérogène, l'Europe de l'élargissement ne se satisfera pas d'un modèle uniforme. Les réalités régionales devront être mieux prises en compte. Cette régionalisation évitera d'ailleurs les dérives bureaucratiques liées à toute centralisation.
La France a intérêt à progresser rapidement dans ce sens. Parmi les cinq pays les plus peuplés de l'Union européenne, elle est la seule où les régions ont aussi peu de poids. En agriculture comme dans de nombreux autres domaines, nous devons donner du pouvoir aux régions.
Ayant évoqué l'Organisation mondiale du commerce, à quelques semaines du rendez-vous de Doha, je souhaite enfin dire solennellement, que si nous sommes prêts pour l'ouverture d'un nouveau cycle de négociation -un cycle large comme nous le souhaitions- nous n'accepterons aucune concession agricole qui serait un préalable à l'ouverture des discussions.
L'agriculture reste une pierre d'achoppement dans les négociations commerciales et l'on peut déjà prévoir que la politique agricole commune sera une nouvelle fois mise en cause par ceux-là mêmes qui, sans aucun scrupule, ont multiplié par trois au cours de ces dernières années leurs aides agricoles, au risque d'entretenir artificiellement des prix bas sur le marché mondial. L'Union européenne et ses négociateurs ne devront pas rentrer dans le piège d'une négociation où notre politique agricole serait prise en otage. Nous défendrons notre politique contre toutes les forces qui poussent vers la dérégulation, parce qu'il y va d'une agriculture de qualité, d'une agriculture de confiance et de sécurité pour le consommateur. Parce que c'est notre identité, parce que c'est le choix européen qui sont en jeu. Et parce que nous n'avons pas à payer d'acompte pour lancer la négociation.
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Telles sont, Mesdames, Messieurs, les quelques réflexions dont je souhaitais vous faire part. Nous sommes face à la nécessité de choix importants pour notre agriculture.
J'ai confiance dans la capacité des agriculteurs à répondre aux demandes de la société. Des efforts importants ont déjà été faits, ils doivent être poursuivis. Tous les progrès que nous ferons, nous ne pourrons les faire qu'avec les agriculteurs.
Je le sais, vous êtes prêts à vous faire les alliés du combat pour l'environnement. Je souhaite que ce combat soit animé par une nouvelle conception de l'écologie, une écologie humaniste soucieuse de créer les conditions d'un progrès durable.
Nous pouvons relever le défi d'une agriculture écologiquement responsable, respectueuse des consommateurs et économiquement forte. C'est pourquoi j'ai confiance et je vous fais confiance.
Je vous remercie.