29 janvier 2001 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse conjointe de M. Jacques Chirac, Président de la République, M. Giuliano Amato, Président du conseil italien et M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le sommet franco-italien de Turin, les relations bilatérales entre la France et l'Italie, l'accord sur la réouverture du tunnel du Mont Blanc, la construction de la ligne ferroviaire Turin-Lyon, l'avenir de l'Union européenne et la réforme de la PAC, Turin, Italie, le 29 janvier 2001.

M. AMATO : mesdames, messieurs,
Cette conférence de presse conclut une rencontre qui a eu trois caractéristiques fondamentales. La première est que la rencontre a eu lieu dans un milieu fantastique, qui a fasciné tous les participants : il s'agit du Palais Royal de Turin qui, je puis le dire puisque je suis né dans cette ville, donc il s'agit d'un peu de chauvinisme que vous allez me consentir, n'est plus une capitale mais est toujours équipée pour l'être. Elle l'est tout à fait avec une grande qualité.
La deuxième caractéristique de cette rencontre est qu'elle s'est déroulée dans une atmosphère très amicale et de grande compréhension. Une grande compréhension qui signifie facilité de s'entendre et c'est le résultat, probablement, de la grande amitié et de la fréquence de nos relations.
La troisième caractéristique est qu'il s'est agi d'une rencontre qui a donné de grands résultats, car le fait de pouvoir conclure des accords aussi importants dans une telle occasion est quelque chose qui n'arrive pas très fréquemment dans des rencontres bilatérales.
Nous avons pu faire signer par nos ministres l'accord historique pour la ligne ferroviaire Turin-Lyon. Il s'agit d'une infrastructure cruciale pour les relations entre nos deux pays en vue de la construction de réseaux européens dont une partie, une tranche essentielle est la ligneTurin-Lyon, pour faire en sorte que notre développement puisse être davantage soutenu. Le réseau Turin-Lyon est une clé de voûte pour transférer d'une manière progressive sur les chemins de fer une grande partie de la circulation routière, qui contribue à la pollution de l'environnement.
Nous avons également atteint un accord sur la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, et ce n'est pas par hasard si cet accord se rattache à l'autre accord sur la ligne Turin-Lyon. Le tunnel va être réouvert au mois de septembre 2001, mais il s'agira d'un tunnel beaucoup plus sûr par rapport à la moyenne des tunnels. Il s'agira d'un tunnel où la circulation qui passait auparavant ne sera plus permise. Ce tunnel aura des quotas de circulation, cette circulation sera réglementée. Il faudra s'habituer à agir de la sorte pour tous les grands systèmes de circulation routière. Il en va de l'intérêt général de prévoir une telle réglementation.
Deuxièmement, il s'agira de partager cette circulation avec les chemins de fer. Notre intérêt commun est d'entamer, dès maintenant, la mise en route vers les chemins de fer des poids lourds qui arrivent avec leurs containers, que ces camions puissent dès maintenant utiliser la ligne qui existe à l'heure actuelle, en utilisant les technologies qui permettent cette mise en route par voie ferroviaire.
Nous avons donc conclu des accords de coopération technologique et scientifique, sur l'université, sur l'observation par satellite, sur la coopération technique entre les deux pays.
Nous avons conclu un accord préliminaire en matière de justice, et un accord préliminaire, qui n'a pas été signé mais qui a été atteint sur le principe, parallèlement, pour la coopération entre les forces de police. Il s'agit là d'un point important que je tiens à souligner à nos amis de la presse. La coopération en matière de justice et de forces de police est en train de prendre pied dans les pays européens. Il s'agit d'une réponse importante que l'Europe, ou les pays membres de l'Europe, sont en train de donner aux soucis principaux des opinions publiques nationales dans les pays européens, à savoir comment mettre un frein à l'immigration clandestine, comment lutter contre la criminalité organisée qui se sert de notre intégration mieux que ce que nous-mêmes sommes en mesure de faire. Voilà donc que l'attention de nos gouvernements et des institutions européennes se porte de plus en plus sur le travail en commun que nous pouvons faire pour mieux nous défendre vis-à-vis de la criminalité organisée, de la criminalité en général, et de l'immigration clandestine.
L'entente préliminaire en matière de justice prévoit l'accélération d'Eurojust, la ratification rapide de la Convention des Nations Unies de Palerme contre la criminalité transnationale organisée. Elle prévoit la mise en place d'un centre d'études permanent sur le malaise des jeunes, qui sera institué à Naples. Elle prévoit un accord opérationnel entre la France et l'Italie pour l'exécution immédiate des jugements de condamnations et par des enquêtes menées pour les crimes de la criminalité organisée, la traite des êtres humains, l'abus contre les mineurs, le trafic illicite de stupéfiants et d'armes, le blanchiment de l'argent et la corruption, de façon à ce que dans les deux pays on puisse exécuter immédiatement les jugements qui concernent ces délits typiques de la criminalité organisée. Et quelquefois, bien sûr, ces délits sont commis par des criminels de manière individuelle, naturellement.
L'exécution dans toute l'Union européenne des décisions de saisie des biens est prévue aussi. Il s'agit d'une coopération entre nous pour obtenir cela de l'Union européenne, la mise en place d'équipes d'enquêtes en commun. Voilà les points essentiels.
Quant à la coopération des forces de police, nous allons entamer ensemble, et l'Italie le fait déjà avec d'autres pays, une coopération aux frontières de l'Union entre les forces de police de nos pays respectifs, l'objectif étant qu'à la fin de ce processus, les frontières extérieures de l'Union, qu'il s'agisse des frontières de l'Italie ou de la Hongrie ou de la Pologne, puissent être protégées par des corps de police multinationaux dotés du plus haut professionnalisme que l'Europe soit en mesure d'assurer dans ce domaine très délicat.
Nous nous sommes penchés sur beaucoup d'autres questions. Sur l'avenir de l'Europe, nous sommes convenus d'entreprendre, au niveau informel, des coopérations renforcées entre nous et d'autres pays. Il y a d'autres domaines, par exemple la sécurité maritime, où la France et l'Italie souhaitent anticiper au niveau bilatéral, ou à plusieurs pays, des initiatives de façon à avoir au sein de l'Union davantage de garanties. En matière de sécurité alimentaire, également. Et là, après des difficultés initiales, nous avons pu identifier une série de mesures et d'interventions homogènes au niveau européen.
Nous sommes convenus de l'utilité d'entreprendre le processus de réflexion sur l'avenir de l'Europe prévu par la déclaration de Nice. Il se peut que l'on arrive à identifier un groupe de personnalités qui aura non pas la tâche de rédiger une constitution européenne mais plutôt la tâche d'organiser, de rendre transparent, de façon à ce que le Conseil européen puisse l'utiliser, la discussion démocratique que la déclaration de Nice a prévue en tant que début du processus qui devra aboutir à une Conférence intergouvernementale en 2004.
Nous avons naturellement parlé des Balkans. Nous avons parlé des relations entre l'Europe et la nouvelle administration américaine. Nous avons parlé de la prochaine réunion du G8 et le Président CHIRAC m'a assuré du soutien de la France, soutien que la France avait eu de la part de l'Italie au cours des mois passés durant la présidence française de l'Union européenne. Je lui suis très reconnaissant de ce soutien et j'apprécie également le fait que les premiers échanges que nous avons eus sur les sujets principaux à aborder au sein du G8 et sur les procédures de la rencontre nous voient dès maintenant en plein accord.
Je vais maintenant donner la parole à mes collègues français.
LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, avant de commencer, je voudrais évoquer ce que nous avons dit au début de la séance plénière, c'est-à-dire notre émotion et notre solidarité après les événements dramatiques qui ont frappé l'Inde et, bien entendu, notre pensée très forte pour ces innombrables victimes.
Je voudrais aussi remercier chaleureusement le Président du Conseil, les autorités italiennes, la ville de Turin pour un accueil, comme toujours en Italie, exceptionnel par sa qualité. D'abord, sa qualité matérielle. Ce Palais Royal est évidemment magnifique. Nous avons eu beaucoup de plaisir à le voir et à y travailler. Et puis, sa qualité, je dirais, sentimentale. Tout à l'heure, le Président AMATO faisait état de la nature de ces relations qui sont celles des Français et des Italiens, c'est particulièrement vrai d'ailleurs ici, à Turin, et qui sont faites d'amitié, de compréhension et de chaleur. Et, terminant la réunion tout à l'heure, le Premier Ministre français disait que travailler ici c'était un plaisir. Je crois que le mot était bien choisi.
Et je voudrais donc à mon tour remercier pour cet accueil et remercier en particulier, donc, Turin qui est si proche de la France par l'Histoire, par la géographie, par le coeur, peut-être surtout, et dire à Turin tous nos voeux de brillante réussite, dont nous ne doutons pas, pour les Jeux olympiques d'hiver en 2006 qui, je l'espère, seront le préalable aux Jeux olympiques d'été à Paris en 2008.
Premier point capital qu'a souligné le Président AMATO, c'est la question des franchissements alpins. C'est effectivement une décision historique qui a été prise ce matin. Les autorités françaises y ont beaucoup travaillé et s'en réjouissent naturellement. Vous me permettrez de dire combien, personnellement, je me réjouis de l'aboutissement de ces discussions, car je suis un militant de cette liaison depuis bien, bien des années. Je crois que c'était indispensable. L'économie réclamait cette liaison. Nos populations l'ont souhaitée. Aujourd'hui, les préoccupations environnementales, mais aussi le bien-être de nos vallées alpines, rendaient cette décision nécessaire. Les modes de transport doivent être adaptés, le ferroutage développé.
Bref, c'est une grande décision et c'est une décision irréversible maintenant. Nous allons construire cette voie nouvelle. Nous nous sommes fixés un objectif qui sera une mise en oeuvre pour 2015. Nous devrons être imaginatifs et ambitieux sur le plan de son financement.
Voilà un grand moment pour la relation entre l'Italie et la France, mais, au-delà, pour la construction européenne. Elle se fait aussi par l'amélioration de ses infrastructures.
Je me réjouis aussi que nous ayons pu, que les deux ministres des transports aient pu trouver un accord pour la réouverture, en toute sécurité, en toutes garanties assurées, du tunnel sous le Mont-Blanc, après le dramatique accident du 24 mars 1999, et ceci pour le mois de septembre.
Nous avons naturellement parlé d'autres sujets. Le sommet a été l'occasion de constater combien nos relations étaient étroites. L'Italie est notre deuxième partenaire commercial et nos affinités culturelles n'ont pas besoin d'être soulignées. C'est dire à quel point nous nous sommes réjouis de la signature de cet accord sur l'Université franco-italienne qui a été tout à l'heure évoquée par les ministres compétents.
S'agissant de l'Europe, nous en avons longuement parlé. Là encore, nous partageons les mêmes ambitions, les mêmes réflexions. Et nous avons la même réaction à l'égard des choses.
Nous nous sommes réjouis ensemble de la conclusion d'un accord à Nice, qui était de notre point de vue excellent s'agissant des problèmes de société et le meilleur possible, compte tenu des circonstances, s'agissant de la Conférence intergouvernementale qu'il convenait de clore si l'on voulait poursuivre la politique d'élargissement dont l'objectif est d'enraciner la démocratie, la paix, le développement sur l'ensemble de notre continent. Et nous nous sommes donc réjouis d'avoir réussi cela à Nice. Cela aussi, c'était quelque chose d'historique.
Nous avons chaleureusement salué la déclaration sur l'avenir de l'Europe, sur laquelle nous sommes tout à fait en convergence de vues. Nous avons les mêmes ambitions, je l'ai dit tout à l'heure. Nous sommes des pays fondateurs de l'Europe. Nous avons porté cette Europe jusqu'où elle est maintenant. Et nous continuerons à la porter avec, je le répète, une grande ambition. Et c'est avec enthousiasme, ambition et sérieux que nous abordons ce débat qui va caractériser cette année 2001 dans le cadre des perspectives qui ont été arrêtées par les Quinze dans la déclaration et devant s'achever par une Conférence en 2004.
Les autres sujets européens qui ont été évoqués ont fait l'objet, là encore, d'une très grande convergence de vues et de décisions. Il s'agit de la sécurité maritime, de la sécurité alimentaire, de la préparation du Conseil européen de Stockholm sur les questions économiques et sociales. Nous n'avons dans tous ces domaines aucune divergence de vues.
Enfin, le Président AMATO a évoqué sa conception du G8, qui tend à revenir un peu à l'essentiel, ce qui avait été quelque peu perdu de vue depuis quelque temps et qui nous apparaît comme une conception parfaitement saine et sereine, comme il faut faire. Donc, à la fois sur les sujets à traiter et sur les modalités de mise en oeuvre de cette conférence du G7/G8, nous sommes complètements d'accord et nous apporterons à l'Italie un soutien aussi ferme et constant comme l'Italie, d'ailleurs, nous a apporté un soutien ferme et constant lors de la présidence française.
Enfin, je me réjouis que l'on puisse signer l'accord COSMOS-SKYMED, car il nous permettra d'acquérir une capacité d'observation satellitaire tout temps, grâce au radar. Et ce programme renforcera les moyens européens de renseignement et accroîtra par conséquent la crédibilité européenne dans ce domaine du renseignement militaire.
En conclusion, je crois que ce Xxème sommet restera une date dans l'histoire des sommets entre l'Italie et la France. Et je me réjouis que cette année 2001 s'annonce comme une année de concertation intense entre nos deux pays avec, je l'ai dit, le travail en commun que nous allons faire dans le cadre de notre ambition commune pour l'Europe, et pour le monde au travers des réunions du G7/G8. Encore une fois, un très grand merci au Président AMATO, au gouvernement italien et à la ville du Turin.
LE PREMIER MINISTRE - M. le Président de la République, M. le Président du Conseil des Ministres, cher Giuliano, je m'associe naturellement aux remerciements qu'au nom de la délégation française, le Président de la République a adressé à nos hôtes et amis italiens.
Cette XXème rencontre franco-italienne a permis à la fois d'illustrer la richesse et la densité de nos relations bilatérales et la proximité de nos vues en ce qui concerne le futur de l'Europe.
Sur le plan bilatéral, nos relations seraient étroites, même si nous n'avions pas eu aujourd'hui à annoncer des décisions importantes. Mais il vrai qu'il faut marquer que ce sommet franco-italien de Turin est en outre un sommet où des décisions tout à fait décisives sont prises.
Les premières sont celles qui vont frapper le plus sans doute à la fois de ce côté des Alpes et aussi de l'autre côté où j'étais il y a quelques semaines, deux semaines à peine£ concernent les décisions que nous prenons sur les traversées alpines. Ce sont des projets dont on parle depuis longtemps. Nous avons donné un premier élan au sommet franco-italien de Chambéry, il y a trois ans maintenant. Mais, aujourd'hui, nous pouvons annoncer des décisions. Je crois que cela tient à un travail considérable qui a été accompli depuis trois ans entre les deux gouvernements, particulièrement, bien sûr, entre les deux ministres des transports, mais aussi entre les entreprises ferroviaires de nos deux pays. Et, la commission intergouvernementale a naturellement permis de cadrer tout cela.
Alors, en ce qui concerne les traversées alpines, nous nous sommes, tous, je crois, rendu compte, que nous devions offrir des possibilités nouvelles, mais que nous ne devions plus le faire de la même manière. Et il est clair que nous devons opérer un transfert de la route vers le rail aussi important que possible. D'où cette nouvelle vision du ferroutage.
En ce qui concerne la réalisation de la nouvelle liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin, nous prenons donc la décision de moderniser la ligne existante, de commencer des expériences de ferroutage à partir de 2002, de les systématiser sur la période 2005-2006 et, naturellement, de creuser ce tunnel international de 50 kilomètres à l'horizon, avec comme perspectives de débouchés 2015.
La partie française a arrêté elle-même de ce côté des décisions touchant le tunnel sous la Chartreuse et sous Belledonne et des aménagements routiers et ferroviaires qui permettront de remplir nos obligations.
En ce qui concerne la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, parce que ce travail de trois ans a été en même temps marqué par cette tragédie qui s'est produite et qui a profondément touché nos populations. Nous avons pris la décision d'une réouverture en septembre 2001, mais au terme d'un processus qui garantisse à la fois un haut niveau de sécurité et des mesures de régulation du trafic des poids lourds. Les populations de nos vallées ne pourraient se rallier à cette ouverture si elle devait se faire non seulement dans des conditions de sécurité qui ne seraient pas totalement, ou complètement modifiées, mais surtout en régulant le trafic en même temps que d'ailleurs le ferroutage va apporter ses propres solutions.
Je crois donc qu'il s'agit là de décisions tout à fait majeures qui impliqueront naturellement des financements considérables. Mais, de même que nous avons été capables de dégager les financements nécessaires aux études et que nous avons prévu sur nos budgets ou dans nos contrats de plan les financements nécessaires aux premiers investissements, de même je ne doute pas que les deux gouvernements, et en tous les cas les gouvernements français à travers le temps prendront les engagements financiers sans lesquels on n'avance pas à l'évidence. Je crois que c'est là aussi, un changement majeur qui a été opéré.
Je ne reviens pas sur ce qui a été évoqué par le Président du Conseil des Ministres et par le Président de la République française, mais l'accord de coopération spatiale en matière d'observation de la terre que nous avions signé tout à l'heure, mon cher Giuliano, est tout à fait important parce qu'il permet d'unir nos capacités respectives, optiques, plutôt du côté français et de radar plutôt du côté italien, en visant des applications à la fois civiles et militaires et, en nous inscrivant dans une coopération bilatérale ouverte elle-même à des perspectives européennes.
L'accord de coopération scientifique et technologique, le lancement de l'université franco-italienne, vous ont été présentés d'une façon particulièrement précise pour que je n'aie pas à y revenir.
A la charnière de nos relations bilatérales et de notre travail en commun dans l'Union européenne, se situe je crois, le plan de la coopération judiciaire entre les deux pays. Car nous avons à la fois à prendre des décisions concernant l'Italie et la France et la déclaration commune des deux ministres de la justice vont dans ce sens et en même temps, à nous inscrire dans la mise en oeuvre des décisions prises à Tempere dans ce domaine.
Piero FASSINO a eu l'occasion pendant ce sommet de souligner que les questions dites du troisième pilier auraient dans l'avenir pour nos opinions publiques une importance considérable. Et que les gouvernements devaient être capables de donner des réponses aux problèmes de migration, aux problèmes de justice, d'entraide judiciaire, aux problèmes de lutte contre la criminalité sous toutes ses formes. Et c'est bien dans cet esprit que nous nous inscrivons.
Enfin, en ce qui concerne les questions européennes, je redis ce que je disais au départ, les visions de nos deux pays sont très proches.
A la fois en ce qui concerne les réflexions du futur de l'Union, en même temps, et je crois que nous sommes d'accord sur ce point, nous avons insisté du côté français sur le fait que nous étions en 2001, la prochaine conférence intergouvernementale était en 2004 et que nous devions consacrer les mois qui viennent à un véritable débat démocratique.
Il faut que ces questions institutionnelles qui passionnent les experts, qui intéressent beaucoup les journalistes deviennent des questions familières pour nos peuples. Ce n'a pas été le cas jusqu'à maintenant, d'où parfois des incompréhensions et donc à la fois nos parlements nationaux, les forces politiques, mais aussi les syndicats, le mouvement associatif doivent être saisis d'un véritable débat sur la future architecture de l'Europe, et nous souhaitons que cette étape ne soit pas enjambée, sautée trop vite par les gouvernements se pressant de reprendre des processus, puisque la perspective est à 2004.
Nous souhaitons aussi une Europe qui réponde aux préoccupations concrètes de nos concitoyens, d'ou notre vision commune et nos décisions notamment d'anticipation sur la sécurité maritime, d'où notre souci de la sécurité alimentaire, même si nous avons encore quelques souhaits bilatéraux en ce qui concerne l'exportation dans votre pays de la viande française, mais vous attendez, je le sais, des décisions de caractère scientifique, nous le comprenons, nous espérons bien que les réponses seront positives et qu'alors vous pourrez prendre à nouveau des décisions positives.
Et enfin, à la fois à moyen terme, puisque nous avons la chance que l'Europe est renouée avec la croissance, mais plus précisément encore pour le sommet de Stockholm, qui est le sommet de printemps consacré aux questions économiques et sociales, nous avons, je crois, la même vision d'une Europe au service de la croissance, du plein emploi et du progrès social, c'est-à-dire d'une Europe qui reste fidèle au modèle européen, voilà comment, moi aussi, après le Président de la République et le Président du Conseil, je donnerai l'esprit de notre rencontre qui s'est faite (puisque le Président a eu l'amabilité de me citer), sous le signe du plaisir.
QUESTION pour M. AMATO. - M. JOSPIN vient de rappeler la question des exportations de viande française. Est-ce que vous avez parlé de la vache folle ? Et quel est votre avis sur les réponses du laboratoire de Turin, qui étaient négatives ou positives dans le sens que la vache n'est pas folle ?
M. GIULIANO AMATO - Sur la vache folle, nous avons exprimé une opinion commune. Le Premier Ministre, Monsieur JOSPIN, devrait peut-être vous répondre à ma place. Notre position comporte deux volets : primo, aboutir à l'adoption de mesures uniformes décidées, arrêtées à l'échelon européen, et ce de manière à éviter tout malentendu entre les pays membres. Et voilà un peu ce que nous sommes en train de voir. Aujourd'hui, il va y avoir une réunion des ministres de l'agriculture à Bruxelles et l'engagement commun est de s'adapter aux décisions prises par les organes scientifiques communs européens.
Le deuxième point, qui est peut-être davantage important, consiste à oeuvrer ensemble pour pouvoir remettre en place une agriculture et une activité de transformation auxquelles les citoyens puissent faire confiance. Les événements récents sont à un tel point graves Pour moi, l'idée qu'il y ait une industrie qui utilise des déchets et qu'elle les utilise pour la nourriture des herbivores en altérant quelque chose de fondamental dans la nature, et tout cela en faisant courir un grand risque aux consommateurs, c'est à un tel point grave qu'il faut vraiment envisager maintenant une agriculture reposant sur des critères de fiabilité, et ce tant au bénéfice des agriculteurs que des consommateurs.
Je voudrais préciser que je suis tout à fait conscient que les éleveurs sont souvent victimes de ces événements. Mais cela n'est pas toujours vrai. Je ne suis pas prêt à pardonner aux éleveurs qui, en connaissance de cause, ont pu nourrir leurs bêtes herbivores par des farines animales, mais je puis comprendre les éleveurs pour lesquels tout cela s'est passé sans qu'ils en soient conscients. Et c'est dans leur intérêt que nous ne voulions plus courir de tels risques. Ces dernières semaines, j'ai vu les représentants des organisations agricoles qui m'ont soumis des documents où ils s'engagent à assurer des productions sûres et fiables pour les consommateurs.
A propos de votre deuxième question, je suis très heureux, je suis content, je n'ai pas d'évaluation à faire, mais je suis tout à fait satisfait que ce test soit négatif. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous pouvons être tranquilles et abandonner les tests. Ces tests s'imposent, il faut les poursuivre. Il faut que nos éleveurs, nos bouchers et nos consommateurs aient toutes les garanties qu'ils méritent, dont ils ont besoin.
QUESTION - M. le Président de la République, est-ce que vous êtes favorable à une réforme profonde de la politique agricole commune, compte tenu de la crise grave que traverse l'Europe des Quinze ?
LE PRESIDENT - Si vous faites allusion à la crise de la vache folle, la première chose, et je souscris tout à fait à ce qu'a dit le Président AMATO, c'est d'avoir une réponse coordonnée européenne à cette crise. Et c'est ce qui est en train de se faire. Aujourd'hui même, je crois, les ministres de l'agriculture sont réunis avec ce point à l'ordre du jour. Donc, une réponse coordonnée.
Deuxièmement, s'agissant de la politique agricole commune, il faut certainement repenser les choses à moyen terme et à long terme. Mais je ferais néanmoins deux réserves, ou je donnerais deux précisions.
La première, c'est que le cadrage financier de cette politique agricole commune a été arrêté à Berlin jusqu'en 2006, et c'est un engagement communautaire souscrit, signé. Par conséquent, la France ne saurait accepter la remise en cause de l'accord de Berlin. La deuxième réflexion, c'est que je comprends très bien ce que dit, à juste titre, M. AMATO quand il dit : il est scandaleux d'avoir nourri des herbivores avec des farines carnées. C'est évident. Il y a d'autres excès qui ont conduit à d'autres conséquences fâcheuses pour la santé alimentaire, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que, depuis bien des années, l'ambition essentielle des institutions européennes a été constamment de faire baisser le prix des produits agricoles. Depuis très longtemps, déjà lorsque j'étais ministre de l'agriculture, je mettais en garde en disant : bien sûr il faut penser aux consommateurs en termes de prix mais il faut aussi penser aux consommateurs en termes de qualité, car une politique systématique de baisse des prix ne pouvait conduire en réaction, de la part des paysans, qu'à une politique, aussi, systématique d'augmentation des rendements de façon à maintenir le revenu. C'est ce qui s'est passé. Au fur et à mesure où on se félicitait de diminuer les prix, eh bien, on avait un nombre de plus en plus grand d'intrants dans l'agriculture, on faisait des rendements de plus en plus importants, avec les risques que cela comportait.
Aujourd'hui, on est probablement arrivé au bout de cette logique, que j'ai condamnée bien souvent, qui ne peut pas être imputée aux paysans qui n'ont jamais demandé ça, qui ont simplement réagi, ne pouvant pas faire autrement, qui doit peut être conduire à une réflexion un peu plus originale de la part des responsables agricoles européens pour ce qui concerne l'avenir d'une agriculture qui, de surcroît, est une puissance et une richesse pour l'Europe, notamment pour ses exportations. Et j'ajoute, c'est mon dernier mot, que la France n'accepterait en aucun cas que l'on mette en cause la vocation exportatrice de l'agriculture européenne.
QUESTION - Vous avez parlé également de la nouvelle administration des Etats-Unis. Je voudrais savoir si vous avez de nouvelles informations quant au projet de défense anti-missiles. Et puis, vu qu'en Italie un débat s'est ouvert sur un retour éventuel des héritiers de Savoie, le Président du Conseil, en tant que constitutionnaliste, a-t-il un mot à dire à cet égard ?
M. GIULIANO AMATO - Nous n'avons pas d'informations nouvelles sur la NMD. Donc, nous n'avons pas parlé sur la base d'informations nouvelles. Nous avons bien sûr déjà fait, en Europe, cette évaluation, notamment sur les risques d'incompatibilité que la NMD peut présenter par rapport au principe de l'indivisibilité de la sécurité transatlantique et sur les tensions qui peuvent en résulter avec des pays aussi importants que la Russie et la Chine.
Nous avons donc souligné, une fois de plus, qu'il incombe à l'Europe et aux pays européens d'avoir des consultations avec les Etats-Unis et ce pour éviter que ces risques ne se vérifient. Bien sûr, il ne peut pas y avoir de nouveautés. Nous avons perçu dans la nouvelle administration la volonté de relancer aussi rapidement que possible ce thème. Néanmoins, M. POWELL, dès son premier discours, a affirmé lui-même que l'évolution technologique de ces missiles était fondamentale en ce sens que, si ces missiles ne fonctionnent pas il n'y a pas de problème.
Quant à votre deuxième question, je reste convaincu, depuis longtemps, en tant que constitutionnaliste, je suis d'avis que ces normes sur la question de la Maison de Savoie peuvent être parfaitement expliquées. Est-ce qu'elles sont compréhensibles ? Tout de suite après la naissance de la nouvelle constitution, ces normes reflétaient un risque réel, à savoir la possibilité d'un retour, d'un revirement sur des décisions fondamentales, comme celle d'avoir une République dans notre pays.
Mais en l'an 2001, à mon sens, cette norme ne peut plus jouer le même rôle, ne peut plus s'acquitter de la même tâche. Moi, personnellement, je suis d'avis que cette norme devrait être éliminée et, pour la même raison, j'aimerais qu'au moment de la suppression de ces normes, les bénéficiaires déclarent leur loyauté vis-à-vis de la République. Les deux choses vont de pair.
LE PRESIDENT - Sur la première question, je voudrais juste ajouter une phrase. Notre inquiétude tient au fait que, pour nous, à nos yeux, la NMD ne peut pas ne pas relancer la course aux armements dans le monde. Cela nous inquiète énormément.
Deuxièmement, c'est une technologie qui représente des coûts colossaux. Et il nous apparaît qu'il y a quelque chose de contradictoire entre l'augmentation démesurée des dépenses militaires et une diminution très excessive des dépenses d'aide publique au développement dans le monde.
QUESTION - Le problème entre la France et l'Italie sur la ligne Turin - Lyon a été résolu. Comment allez-vous faire face à ce problème avec les habitants de la vallée de Suse ?
M. GIUALIANO AMATO - Le problème avec les habitants de la vallée de Suse est en train de trouver une solution. Il faut les persuader du fait qu'il s'agit d'une grande ligne internationale. Il faut qu'elle tienne compte, bien sûr, des communautés locales mais il faut également une réciprocité. Je crois qu'en tenant compte des exigences respectives, ce problème est déjà dans une phase de solution.
QUESTION - J'aimerais savoir si vous avez aussi abordé l'offre française sur les Mirage anglais.
M. GIULIANO AMATO - Non, pas nous trois. Je ne sais pas si cette question a été abordée par les ministres de la Défense. Non, apparemment pas.
Je vous remercie.