29 juin 2000 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur les dangers de la mondialisation, sur les liens entre développement et droits de l'homme et sur l’aide publique au développement, à Paris le 29 juin 2000.

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Ministre français de la Coopération et du Développement,
Je voudrais tout d'abord saluer et remercier chaleureusement l'administrateur du PNUD, M. Malloch Brown, et la responsable éminente du rapport, Mme Fukuda-Parr, à qui je présente mes respectueux hommages, et je voudrais saluer avec beaucoup de joie la présence de Mme Mary Robinson, Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme.
La France est honorée, le mot convient parfaitement, d'avoir été choisie par le PNUD pour la présentation d'un rapport de référence qui, cette année, est consacré aux Droits de l'Homme et au développement.
Pour moi c'est l'occasion, pendant cette semaine du développement à Genève et à Paris, de réaffirmer l'engagement de la France au côté des Nations unies et au service du développement humain. C'est aussi l'occasion, quelques semaines avant le G7 et le G8 d'Okinawa, d'un appel à la conscience et à la solidarité internationale, qui est plus que jamais nécessaire et qui ne peut réellement émaner que des Nations unies.
Nous sommes dans un monde qui se mondialise, se globalise, chacun le sait. Ce phénomène a des aspects contrastés. D'une part cette globalisation est à la fois inéluctable et porteuse de fruits, porteuse d'avantages indiscutables. Mais d'autre part elle est également porteuse de dangers, qui méritent qu'on en prenne bien conscience. Ces dangers, je les vois, moi, dans trois domaines.
Le premier, bien entendu, est celui de l'exclusion, soit au niveau des pays, soit au niveau des individus, des hommes ou des femmes. C'est-à-dire l'incapacité pour beaucoup de suivre le mouvement, qui s'accélère et, qui devient de plus en plus complexe, et par conséquent certains risquent de rester sur le bord de la route. C'est un très grand danger et nous voyons aujourd'hui que, notamment au niveau des pays, les pays riches deviennent de plus en plus riches et les pays pauvres de plus en plus pauvres.
Le deuxième et le troisième danger, je les souligne là pour mémoire parce qu'ils ne sont pas aujourd'hui à l'ordre du jour, mais il faut aussi en avoir conscience.
Le deuxième danger, c'est la dégradation de l'écosystème planétaire qui risque d'être la conséquence de la globalisation si on ne la maîtrise pas. Si chacun veut faire tout ce qu'il veut, compte tenu des moyens techniques d'aujourd'hui, notre écosystème planétaire finira par ne pas résister et la nature n'aura plus, ou risque de ne plus avoir, les ressources nécessaires pour se régénérer face aux agressions dont elle est victime. On le voit par exemple avec la difficulté que nous avons à maîtriser les problèmes dus à l'émission des gaz à effet de serre. Nous piétinons depuis Kyoto. Nous allons peut-être franchir un pas à La Haye, nous l'espérons. La France milite beaucoup pour cela mais les choses ne se présentent pas très bien. Il y a donc un vrai danger et on pourrait naturellement multiplier les exemples de sur-exploitation des mers, des forêts, du sol qui deviennent préoccupants.
Le troisième danger, c'est l'expansion de la criminalité internationale liée à l'évolution des techniques et technologies modernes et à la globalisation. Nous avons encore eu récemment, ici à Paris, au niveau des experts du G8, une réunion dont les conclusions n'étaient pas très optimistes.
Ces deux derniers points ne sont pas à l'ordre du jour aujourd'hui, mais je tenais simplement à dire que cette globalisation, qui peut être la meilleure et la pire des choses comme beaucoup d'évolutions humaines, doit impérativement être maîtrisée, humanisée, sinon nous risquons beaucoup de difficultés. Le rapport du PNUD souligne d'ailleurs que cette mondialisation s'accompagne d'un accroissement des écarts entre les hommes et entre les Etats. Son rapport de l'année dernière avait d'ailleurs souligné des exemples particulièrement frappants ou significatifs. Je me souviens en particulier de ce qui avait été dit pour comparer la fortune des trois personnes les plus riches du monde avec le produit intérieur brut de l'ensemble des pays les moins avancés qui représentent 600 millions de personnes. Eh bien, le rapport de cette année confirme cette évolution. Plus de 800 millions d'hommes, 800 millions cela fait beaucoup de monde n'est-ce pas, ne mangent pas à leur faim et le PNUD considère qu'un milliard deux cents millions d'hommes sont dans une situation de grande misère. Et cela s'accroît. Pas seulement pour des raisons démographiques, mais par l'évolution même des choses. La moitié de l'humanité vit dans la pauvreté avec moins de deux dollars par jour et, je le répète, ce chiffre augmente chaque année. Honnêtement, ce n'est pas acceptable. L'écart des revenus entre les pauvres et les riches se creuse. Le rapport du PNUD indique que cet écart est passé de 1 à 35, il y a 25 ans ou en 1973, à 1 à 72 en 1992, il a doublé, et que 20 pays attirent 80 % de l'investissement international.
Un dernier chiffre, parce que je pense que l'on n'en a pas vraiment conscience, les quarante-trois pays les moins avancés, je cite toujours le PNUD naturellement, qui représentent 10% de la population du monde, environ 600 millions d'habitants en réalité, comptent pour 0,4% des exportations et des investissements mondiaux. Et, ce chiffre baisse. Il y a là un vrai, vrai problème posé à la conscience humaine.
Tout à l'heure, je disais à l'Administrateur du PNUD que le PNUD était en quelque sorte, avait vocation à être, la conscience de l'humanité via les Nations unies. Mme Robinson a ajouté, d'ailleurs, que le Haut-commissariat avait vocation à être la conscience du PNUD.
Les pays développés insistent, à juste titre, sur le respect des Droits de l'Homme, dans la mesure où nous sommes convaincus du caractère universel des Droits de l'Homme. Et, d'ailleurs, le rapport du PNUD souligne aussi ce caractère universel des Droits de l'Homme. Mais, pour pouvoir tenir cette position, qui est juste et légitime et qui tient à l'idée que l'on se fait de la personne humaine et donc de ses droits, il faut qu'il y ait une solidarité active et accrue, il ne faut pas que certains prennent l'essentiel et ne laissent que des miettes aux autres. Sinon, cela ne peut pas marcher parce que les autres, à ce moment-là, ne peuvent pas surmonter leur handicap naturel et, par conséquent, s'enfoncent dans le sous-développement.
Il y a un exemple type pour lequel nous sommes tous, à un titre ou à un autre, mobilisés, qui est le sida. Cette maladie a de plus en plus de conséquences dramatiques en Afrique, alors qu'il y a tout de même des thérapies positives et qui améliorent les choses. On constate qu'elles n'ont pas cours dans ces pays du sud. On caricature un peu en disant : " mais les malades sont au Sud et les médicaments au Nord ", mais c'est un peu vrai.
Il y a longtemps que nous nous battons contre cela, et moi-même je plaide depuis longtemps en ce sens. Je me souviens de la réunion que nous avions faite, il y a cinq ans, à Abidjan pour essayer de créer un fonds thérapeutique mondial pour tenter de faire en sorte d'envoyer aussi les moyens nécessaires au Sud pour lutter contre le sida, en associant toutes les bonnes volontés, y compris les laboratoires qui gagnent beaucoup d'argent - ce que je ne leur reproche pas naturellement, parce que s'ils n'en gagnaient pas, ils ne feraient pas de recherches et on ne trouverait pas de médicaments, naturellement.
Je me réjouis, mais cela a pris cinq ans quand même, de l'accord récent qui a été passé entre les Nations unies et les groupes pharmaceutiques sur la baisse du prix des médicaments. C'est une bonne nouvelle, maintenant il faut mettre cet accord en oeuvre. Mais, je persiste à penser que l'on pourrait aller plus loin.
Je voudrais saluer aussi le PNUD qui a popularisé et a rendu plus clair la notion de développement humain.
L'idée paraît évidente, mais malheureusement elle ne l'est pas pour tous, c'est que l'homme doit être au coeur de tout projet politique ou économique. C'est aussi grâce au PNUD que les institutions financières internationales commencent à faire du développement social une priorité. Je ne suis pas de ceux qui critiquent les institutions financières internationales. Elles ont fait un travail admirable. Je pense, notamment, au FMI qui a, récemment encore en 1998, évité des catastrophes en réagissant comme il fallait, quand il fallait, contre les effets dangereux de la crise monétaire qui avait frappé un certain nombre de pays asiatiques. Et, si le Fonds monétaire international n'avait pas réagi comme il a réagi, peut-être aurions-nous connu, et même sûrement, des drames humains considérables dans ces pays et ailleurs, par voie de contagion.
Je ne les critique donc pas. Mais, néanmoins, l'on voit bien depuis quelque temps que ces institutions, dont le rôle est de redresser des situations économiques pour rendre des pays aptes à se développer, imposent des contraintes difficiles à supporter socialement et politiquement et que le volet social de leur action n'était pas suffisamment affirmé.
Je crois que l'action du PNUD a été très importante pour convaincre ces institutions, je pense essentiellement au Fonds et à la Banque naturellement, qu'il y avait un volet social, essentiel, et qui devait être pris en compte et que c'était notamment la vocation de la Banque mondiale. J'ai vu que depuis quelques mois, M. Wolfensohn s'est lancé dans cette voie.
Il est maintenant à peu près clair pour tous que l'ajustement structurel, technique nécessaire qui relève du retour à la bonne gouvernance, elle-même indispensable au développement, ne suffit pas à lui seul à enclencher le cercle vertueux de la croissance et du développement.
Il faut aussi disposer de ressources pour, notamment, donner à ces pays les moyens de ce développement : les infrastructures, les moyens nécessaires en matière de structure de santé, d'éducation, etc. Tout ce qui est indispensable pour permettre le développement et qui ne peut pas venir spontanément mais relève obligatoirement de l'aide extérieure, c'est-à-dire d'une façon ou d'une autre de l'aide publique au développement.
C'est la raison pour laquelle je m'étais profondément insurgé contre l'expression "trade not aid", dont vous vous souvenez peut-être, et dont j'espère qu'elle appartient au passé £ on m'avait même accusé d'avoir été excessif dans mon indignation.
Mais je n'avais jamais entendu une stupidité aussi grande : il est évident qu'il n'y aura pas de "trade" s'il n'y a pas de "aid", pas de commerce s'il n'y pas d'aide £ et donc c'est "aid for trade" qu'il faut faire, l'aide pour permettre le commerce. L'autre vision c'est une vision purement ignorante et égoïste des choses, ignorante et égoïste. Enfin, je crois que cela commence à se comprendre, encore que l'aide publique au développement, qui est un élément, je le répète, indispensable au développement des pays qui en ont besoin, continue de baisser. Il y a 20 ans, il y avait eu un grand mouvement de générosité, de solidarité, qui avait consisté à affirmer qu'il fallait que les pays développés consacrent 0,7% de leur produit intérieur brut à l'aide publique au développement. On n'y est jamais arrivé. Mais le problème, c'est que depuis dix ans, la question n'est plus de savoir si on augmente l'aide, mais qu'on la diminue tous. Cela, c'est un processus extrêmement dangereux et dont je veux penser qu'il n'est pas irréversible.
C'est également le PNUD, et je voudrais le remercier aussi pour cela, qui a tiré la sonnette d'alarme en soulignant que le développement des technologies de l'information, porteur de progrès naturellement, inévitable, était également porteur de danger. On appelle cela maintenant le "fossé numérique", cela veut dire tout simplement qu'il y a les gens qui ont accès à ces technologies et les gens qui n'y ont pas accès. Et ça aussi c'est grave aussi bien au niveau des pays que, dans chaque pays, au niveau des gens. L'Internet est la plus grande révolution de l'écriture qui soit intervenue depuis Gutenberg et cela veut dire que ceux qui ne maîtrisent pas convenablement la lecture seront marginalisés, beaucoup plus encore que par le passé. Aujourd'hui en France, on dit qu'un travailleur sur deux travaille, au moins à un moment de la journée, avec un écran. Et on constate qu'en France l'illetrisme, depuis 50 ans, ne recule pas. C'est comme ça. Et j'imagine que ce doit être vrai pour d'autre pays. Il y a donc là, tant au niveau des nations qu'au niveau des hommes et des femmes, un grand danger qu'il convient également de maîtriser et pour le maîtriser il faut d'abord en prendre conscience, naturellement.
Et enfin, je voudrais féliciter les auteurs du rapport pour leur démonstration de l'universalité des Droits de l'Homme. Parce qu'ils le font de façon parfaitement claire et ouverte. Ils démontrent d'abord, ce qui est une évidence, mais enfin, c'est important quand c'est dit et bien dit, l'efficacité supérieure des démocraties pour lutter contre la pauvreté et le développement.
Le développement ne peut pas se faire sans une coopération des populations. Et par conséquent, il y a un lien direct entre la démocratie, la liberté, la bonne gouvernance, et le développement. C'est aujourd'hui une évidence. Et le PNUD souligne, à juste titre, que la bonne gouvernance et la participation des populations sont l'une des clés. Ce n'est pas la seule clé mais c'est l'une des clés essentielles du développement. Et le rapport met en lumière le lien indissociable entre Droits de l'Homme et développement.
Ce qui est très important, notamment pour montrer à beaucoup de pays, à beaucoup de populations, que le problème n'est pas simplement de leur imposer une culture qui n'est pas ou pas encore la leur concernant les Droits de l'Homme mais qu'il n'y aura pas de développement s'il n'y a pas un respect des Droits de l'Homme. C'est cette présentation qui est vraie au niveau de chaque Etat, et vraie au niveau mondial. Les améliorations des dernières décennies s'accompagnent aussi, et le PNUD le souligne, car il faut le souligner, de graves dysfonctionnements, de lacunes. C'est vrai en ce qui concerne les femmes, qui trop souvent sont laissées pour compte. C'est vrai en ce qui concerne les enfants dont les droits sont, il faut le dire, massivement bafoués dans le monde moderne, et pas seulement dans les pays en développement. Et c'est vrai au niveau des minorités, qui sont de plus en plus soumises à des agressions tout à fait inacceptables. C'est vrai pour les pays développés. La persistance de la misère et de la faim dans le monde à l'heure du retour de la croissance engage directement leur responsabilité. D'ailleurs même s'il n'y avait pas de croissance. Mais notamment au moment de la croissance.
En clair, le PNUD nous dit bien que le développement est d'autant plus efficace que les aspirations populaires sont prises en compte. Il nous dit que la démocratie, la liberté, l'Etat de droit sont porteurs, sont accélérateurs de développement. Alors je voudrais simplement, pour conclure, saluer cette approche pédagogique du PNUD qui ne dénonce pas, qui ne condamne pas, mais qui explique et qui démontre, sans complaisance, mais sans animosité.
Nous allons avoir, prochainement, le Sommet d'Okinawa, sous présidence japonaise. Pour ma part, je compte insister sur le développement, m'appuyant sur les conclusions du PNUD, sur la nécessité pour nos pays de respecter leurs engagements en matière d'aide au développement, en matière de dettes, en matière de lutte contre la pauvreté. Il faut essayer de réagir contre la tendance à l'égoïsme croissant qui caractérise nos sociétés modernes dans les pays développés. Voilà.
(...)
Q - Monsieur le Président, la France a été critiquée récemment pour la faiblesse des sommes qu'elle consacre au développement. Ma question est : est-ce que cette critique vous semble fondée et si c'est oui, comment comptez-vous y remédier ?
R - Chère Madame, je ne sais pas où vous avez vu une critique. Sur les sommes que consacre la France au développement, je voudrais vous dire que la France est le premier pays du G7 en ce qui concerne l'aide au développement, en pourcentage de son produit intérieur brut et, surtout, c'est le plus important je crois, le deuxième après le Japon et avant les Etats-Unis en valeur absolue, le deuxième.
Alors cette critique est naturellement dépourvue de tout fondement. Elle n'a pas de sens. Il n'en reste pas moins, et je l'ai évoqué tout à l'heure, que l'effort de la France comme les efforts de tous les autres est très insuffisant et que nous devons retrouver la grande ambition d'il y a quinze ans ou vingt ans, qui était de fixer un minimum d'effort à 0,7% du PIB des pays riches. Nous en sommes, hélas, très très loin. Et, je le répète, la situation continue à se dégrader.
Je vous rappelle que dans le cadre de la convention entre l'Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), la France a été le pays qui a dû se battre, il y a cinq ans, pour maintenir le niveau d'aide et, comme les autres pays voulaient diminuer leur effort, c'est la France qui a pris la différence. C'est ainsi qu'aujourd'hui sur les quinze pays de l'Union européenne, l'aide en direction des pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, vient de la France à hauteur de 24,5%. C'est pour cela que, si je ne suis pas du tout fier de ce résultat, il est tout de même l'un des plus importants du monde.
Q - C'est sûr que la France, l'Union européenne et les pays membres de l'Union européenne sont plutôt leaders en matière d'APD dans le monde, mais moi je trouve que cela leur donne plutôt une responsabilité supplémentaire. Effectivement, c'est à elles en terme de leader d'essayer de tirer à la fois leur propre pays et leur région.
A ce titre, vous allez inaugurer dans deux jours le début de la présidence française de l'Union européenne. Vous nous avez dit que vous allez intervenir au Sommet d'Okinawa.
Mais concrètement, au niveau de l'Europe, par exemple, vous savez très bien, parce que cela a été largement publié, que quasiment une dizaine de milliards d'euros n'ont pas été dépensés sur les précédents FED, alors pour des raisons tout à fait honorables qui -grosso modo- ressortent des procédures. Cela veut dire que quelqu'un est de l'autre côté de la rue, il est en train de mourir, il vous appelle à l'aide et vous lui dites, premièrement, présentez votre demande dans les formes requises, deuxièmement, attendez que je vérifie qu'il ne va pas y avoir de scandale, etc. Le temps que vous ayez fait cela, effectivement, la personne est morte. Là, il y a quand même des choses concrètes, est-ce que pendant la présidence de la France, en utilisant notamment la structure du Conseil des Ministres de la Coopération que va présider M. Josselin, il va y avoir des choses concrètes de faites ?
Autre sujet concret dont on a reparlé encore il y a quelques jours, à cause du premier bilan de la conférence de Pékin sur les femmes. Ce scandale universel qui s'appelle la persistance de la mortalité maternelle. Parce qu'il y a comme cela des choses. On traîne des stocks, alors on traite 800 millions de gens qui meurent de faim. On traîne, on traite 600 000 femmes qui meurent chaque année. On sait très bien de quoi. Ce n'est pas sorcier. Ce n'est pas comme le sida. Il n'y a pas de médicament à inventer. C'est très très simple à faire. On ne le fait pas.
Est-ce que là aussi, la France, au nom de l'Union européenne, va essayer de passer aux actes ? J'ai entendu tout à l'heure, comme vous, avec un grand intérêt ce qui a été dit sur la nécessité de combler le fossé entre le discours et l'action. Je sais bien quand on est placé au sommet comme vous, on le voit d'autant plus ce fossé. Mais que peut-on faire pour essayer d'en sortir ?
R - Pour ce qui concerne la première question, il y a certainement des procédures lourdes. Je serais le dernier à pouvoir le contester puisque je ne cesse d'intervenir soit auprès des institutions financières internationales, soit auprès de l'Union européenne pour accélérer le déblocage de tel ou tel programme qui intéresse tel ou tel pays dont le chef d'Etat ou de gouvernement est intervenu auprès de moi ou auprès du ministre compétent.
Donc, je ne conteste pas du tout la lourdeur des procédures. Bien entendu, nous ferons le maximum pour l'accélération de ces procédures, je l'ai d'ailleurs déjà dit. Et le Premier ministre, également, l'a souligné. Mais il faut aussi savoir qu'on ne peut pas jeter l'argent par les fenêtres, sinon on est aussi immédiatement critiqué. Combien de fois ai-je entendu dire vous avez pris ces décisions, vous avez financé cela, c'était inutile, cela a nourri la corruption, faites donc attention à ce que vous faites ? Evidemment, la critique est facile, l'art est beaucoup plus difficile.
Enfin, nous essayons en permanence d'améliorer nos procédures. Je sais que c'est l'un des soucis de M. Josselin, dont je vous évoquais à l'instant l'action.
Pour ce qui concerne la mortalité maternelle, c'est aussi un sujet que nous connaissons bien. Il s'agit également de moyens à mettre en oeuvre £ il ne s'agit pas simplement d'une bonne volonté, il s'agit de moyens. Il y a d'innombrables causes de misère tout aussi dramatiques les unes que les autres. Si nous n'arrivons pas à les maîtriser et si nous assistons aujourd'hui à une dérive vers la misère et l'exclusion dans le monde -et d'ailleurs dans les pays y compris développés également- c'est tout simplement parce que la solidarité s'efface petit à petit et cela est très dangereux. Il ne faut pas toujours prendre des exemples dans les pays en développement et on pourrait prendre l'exemple des pays riches qui sont aujourd'hui en période de croissance, les pays du nord, où les affaires vont bien. Le résultat, c'est que le chômage diminue. Nous sommes tous très heureux que le chômage diminue. Et on publie à cet égard des chiffres optimistes. A juste titre, c'est une réalité qui est liée à la croissance et aux politiques poursuivies. Mais si vous regardez l'évolution de l'exclusion dans un pays comme la France ou dans l'ensemble des pays des Quinze européens, vous vous apercevrez que, malgré la croissance, l'exclusion augmente. Cela s'explique d'ailleurs parfaitement, parce qu'il y a des phénomènes et des barrières qui se créent et qui sont dus aux insuffisances de formation notamment.
Q - Je reviens deux minutes sur le rapport du PNUD et ce que l'on vient de dire sur le lien entre le développement et les Droits de l'Homme. Seriez-vous favorable, comme cela vient d'être fait pour les pays qui blanchissent de l'argent sale, à ce que la communauté internationale établisse une liste noire des pays qui bafouent les Droits de l'Homme, de manière à ajuster ces politiques de développement en fonction des pratiques de ces pays ?
R - Je crois que vous évoquez deux sujets, au fond. Premièrement, le principe d'une liste et, deuxièmement, en réalité, la conditionnalité de l'aide. C'est cela que vous voulez dire, je pense.
Alors, sur les listes : moi je me méfie toujours un peu des listes, parce qu'on peut se demander qui est en mesure de les établir. Elles existent d'ailleurs, elles existent. En revanche, la question la plus importante est celle de la conditionnalité de l'aide. Est-ce qu'il faut avoir un principe de conditionnalité ? Cela a été longuement discuté depuis longtemps. Je voudrais souligner d'abord que la notion de conditionnalité est déjà présente et, pour dire la vérité je la crois nécessaire.
J'évoquais tout à l'heure la convention entre les pays ACP et l'Union européenne. Cette convention signée la semaine dernière, au Bénin, est un élément très important de l'aide au développement dans le monde et a succédé à la convention dite de Lomé. Elle comporte un volet renforcé sur ce que nous attendons de ces pays en matière de démocratie et de bonne gouvernance. Cela a fait l'objet d'ailleurs d'une discussion très longue et difficile.
Je suis moi-même intervenu très amicalement auprès de toute une série de chefs d'Etat pour leur faire comprendre que ce n'était pas un problème d'ingérence dans leurs affaires, que c'était un problème de solidarité et de responsabilité globale et que l'aide au développement, la bonne gouvernance et le développement étaient intimement liés. Et, après de longues discussions, tous ces pays, qui sont au nombre de 77, l'ont admis et la convention a été signée. Donc il y a là une conditionnalité.
De la même manière, vous savez que nous avons décidé, à l'occasion du G7 qui s'est tenu l'année dernière à Cologne, d'annuler la dette des pays les plus endettés à concurrence de 90 % et cela passera à 100 %. Cette mesure a été assortie, à Cologne d'une conditionnalité, c'est-à-dire du respect d'un certain nombre de données fondamentales de bonne gouvernance.
Je voudrais surtout insister sur le fait que le développement, et c'est probablement ce que nous aura bien souligné le PNUD, c'est le résultat d'un effort partagé. Je crois que c'est ça qu'il faut bien comprendre. Un effort des pays développés qui doivent la solidarité, qui la doivent. Et de ce point de vue, l'aide publique au développement reste absolument nécessaire. Un effort des institutions financières internationales, je l'ai évoqué tout à l'heure, qui doivent jouer leur rôle, naturellement, notamment dans le domaine de l'incitation à la bonne gestion et la bonne gouvernance, mais sans oublier l'importance du développement social. Et enfin, un effort des pays en développement eux-mêmes qui doivent enraciner la démocratie, la bonne gestion, répondre aux aspirations de leur population. C'est ce qu'on appelle, en clair, la bonne gouvernance. Et ce triple effort, solidarité, aide au développement venant des pays riches, adaptation sociale de l'effort des institutions financières internationales et bonne gouvernance des pays en développement, c'est ce triple effort qui permet le développement, qui permet d'engager le cercle vertueux du développement. Le développement, c'est un effort partagé, c'est un contrat où chacun s'engage et où chacun apporte sa part d'effort.
Q - Monsieur le Président, vous avez évoqué déjà trois volets qui concernent les Droits de l'Homme, je crois qu'ils comprendront l'immigration clandestine massive. Est-ce que vous avez l'intention de faire une proposition quelconque au sommet d'Okinawa le mois prochain ?
R - C'est l'un des problèmes dont nous avons beaucoup parlé au sein de l'Union européenne et qui nous préoccupe. D'autant qu'on voit se développer de plus en plus des filières criminelles, avec des conséquences parfois dramatiques et horribles, comme on l'a vu tout récemment avec les Chinois morts qu'on a retrouvés à Douvres. Nous devons donc lutter contre ces filières, les casser et donc essayer d'avoir une politique qui soit harmonisée en matière d'immigration. Nous commençons à le faire dans l'Union Européenne £ c'est plus difficile au plan mondial.
Mais vous savez, ce n'est pas seulement une réglementation qui traitera le problème de l'immigration. Les gens qui immigrent, ce ne sont pas des gens qui ont envie d'aller se promener ou d'aller en vacances, ce sont des gens qui souvent meurent de faim chez eux ou qui pensent qu'ils seront mieux ailleurs, qu'ils vivront mieux ailleurs, mais généralement ce sont des gens qui regrettent d'avoir à quitter leur terre, leur village, leur pays. Donc le problème, c'est beaucoup plus de permettre le développement ou d'inciter au développement. A partir de là, on limitera évidemment l'émigration. Il y a donc un lien très fort qui doit être souligné et c'est l'une des raisons pour lesquelles, je le répète, nous devons faire un effort supplémentaire très important, nous, les pays riches, en matière d'aide publique au développement, en liaison étroite avec les organisations financières internationales et en ayant conscience, je le répète, de ce contrat de développement qui suppose que les pays qui bénéficient de l'aide fassent l'effort nécessaire de bonne gouvernance qui s'impose.
Q - Je suis le vice-président pour l'Europe de la Banque mondiale et j'avais une question pour vous, Monsieur le Président, et pour mon collègue.
R - Alors brièvement parce que c'est aux journalistes de poser les questions dans une conférence de presse, pas aux institutions.
Q - D'abord, je voulais vous féliciter de cette extraordinaire semaine du Développement qui a eu lieu à Paris, de la qualité des événements et d'avoir inscrit le sujet des Droits de l'Homme et de la bonne gouvernance dans cette semaine. Je crois que c'est une espèce de première mondiale et donc je suis très content que la France ait pris l'initiative de l'organiser.
Ma question spécifique est au sujet du fossé numérique dont vous avez parlé : est-ce que c'est un sujet qui sera abordé à Okinawa ?
R - Réponse : oui £ et peut-être par d'autres mais en tout cas par la France.
Q - On dit aujourd'hui qu'il n'y aura pas de développement sans respect des Droits de l'Homme mais l'histoire économique récente et les exemples qui nous viennent d'Asie montrent que plusieurs pays asiatiques, que l'on appelle aujourd'hui des "dragons", sont développés, sont super-développés, industrialisés mais qu'ils ont réussi sans respecter les Droits de l'Homme. Maintenant vous dites aux pays, notamment qui se trouvent en Afrique, attention ne faites pas comme l'Asie, donc respectez les Droits de l'Homme. Est-ce que le lien aujourd'hui s'impose différemment que par le passé ou est-ce qu'il n'y aura pas indulgence ou notamment pour certains pays, même en Afrique du Nord qui disent : la croissance d'abord ?
R - Je voudrais simplement dire qu'il faut atténuer votre affirmation, cher Monsieur, en précisant que les "dragons" auxquels vous faites allusion n'étaient peut-être pas toujours respectueux des Droits de l'Homme, encore que cela pouvait se discuter, pour certains d'entre eux, mais qu'ils ont eu une bonne gouvernance. Ce qui leur a permis de faciliter le développement.
Q - A partir du 1er juillet, la France assurera la présidence de l'Union européenne et sa voix donc sera particulièrement écoutée dans les instances internationales qui s'occupent de l'aide au développement et des Droits de l'Homme. Quel message comptez-vous envoyer dans ce domaine en ce qui concerne particulièrement la Russie ? Compte tenu du contexte contemporain, à savoir par exemple l'élection du nouveau président, la situation en Tchétchénie, etc. Merci, Monsieur le Président.
R - Nous sortons là un peu du sujet qui nous occupe aujourd'hui ! Je n'ai pas à entrer dans le détail pour ce qui concerne la Russie. Vous savez les bonnes relations que la France a avec la Russie. En ce qui concerne la Tchétchénie et les événements qui s'y passent, la France a eu l'occasion de prendre des positions claires, sur lesquelles elle n'a pas changé, sur lesquelles je n'ai rien à ajouter.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2000).