17 février 1999 - Seul le prononcé fait foi

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Article de M. Jacques Chirac, Président de la République, dans le "Wall Street Journal" du 17 février 1999, sur l'élaboration d'une nouvelle architecture financière mondiale, la réforme du FMI et la stabilité des monnaies dans la zone euro.

La puissance et les performances économiques des Etats-Unis et de l¿Union Européenne exercent une influence déterminante sur la croissance mondiale. Nos deux ensembles représentent 57 % de la richesse produite dans le monde. Cela nous confère une responsabilité particulière : un dialogue transatlantique dense et confiant est nécessaire à une croissance mondiale équilibrée. Soyons précis, nous devons élaborer une nouvelle architecture financière mondiale. C¿est ce dont je suis heureux de venir m¿entretenir à Washington avec les plus hautes autorités américaines et avec les responsables des institutions financières internationales.
Ce début d¿année 1999 est marqué par un grand événement : la naissance de l¿Euro.
Pour la première fois dans l¿histoire, des pays viennent de se doter d¿un instrument monétaire commun par une volonté politique pacifique et démocratique.
L¿Euro, les nations européennes l¿ont d¿abord voulu pour assurer leur croissance, leurs emplois, leur avenir commun. Et non pas, bien sûr, pour concurrencer le Dollar, comme on l¿écrit parfois. L¿Amérique a tout à gagner à une Europe forte, stable et ouverte que nous construisons avec l'Euro.
L¿Euro se définit d¿abord comme un instrument de stabilité, puisqu¿il fait disparaître les variations de change entre nos pays. Cette stabilité favorisera les échanges au sein de l¿Union Européenne, mais aussi entre l¿Europe et ses grands partenaires, au premier rang desquels les Etats-Unis.
L¿Euro va favoriser naturellement la concurrence au sein du marché européen et inciter à une plus grande efficacité, donc à une meilleure compétitivité de nos économies. C¿est un atout pour les entreprises américaines qui veulent développer leur présence et leurs investissements en Europe. C¿est, pour l¿ensemble du monde, un moteur pour les échanges et une garantie pour la croissance.
C'est pourquoi la France entre dans l¿Euro avec confiance, même si elle sait qu¿elle devra renforcer sa compétitivité pour se rendre toujours plus attractive, plus accueillante.
Il faudra plusieurs années pour que l¿Euro acquiert un statut de monnaie de réserve internationale. Mais, d¿ores et déjà, sa naissance change la donne monétaire mondiale.
Le Dollar et l¿Euro vont désormais, avec le Yen, être les devises de référence de la grande majorité des transactions financières et, de ce fait, leurs évolutions domineront la scène économique mondiale.
Les Etats-Unis et l¿Union Européenne constituent ensemble la plus vaste zone de stabilité du monde. Nous le devons aux politiques économiques avisées qui ont été mises en oeuvre. Mais cette stabilité contraste fortement avec l¿instabilité qui existe à l¿extérieur de la zone transatlantique. Ce contraste doit nous rendre attentifs : ce serait une erreur de penser que notre croissance peut, dans la durée, être indépendante de celles des autres parties du monde.
Il revient donc aux Etats-Unis, à l¿Europe et au Japon de maintenir un environnement mondial favorable à la production et aux échanges, au moment où de nombreux pays émergents effectuent des efforts considérables pour sortir de leurs difficultés.
La croissance passe par la stabilité entre nos monnaies. Celle-ci ne doit pas être obtenue par des voies artificielles qui empêcheraient les ajustements nécessaires ou qui mettraient en péril une autre stabilité essentielle, celle des prix. Mais elle ne sera pas non plus atteinte sans un renforcement substantiel de notre coopération. Nous devons donc inventer, sur une base permanente et communément acceptée, les moyens et procédures pour y parvenir.
Il y a entre la France et l¿Allemagne une identité de vue à ce sujet. Lors de la récente visite du Premier Ministre japonais à Paris, une communauté de pensée s¿est également dégagée. J¿espère trouver aux Etats-Unis une même convergence d¿analyse pendant ma visite.
Nous vivons dans un monde fragile comme la répétition des crises au Mexique, en Asie, en Russie et aujourd¿hui au Brésil, le démontre.
Certes, la communauté financière a su se mobiliser pour faire face à leurs conséquences immédiates, notamment grâce à la forte intervention du FMI avec le soutien financier du G7. Aux côtés des Etats-Unis, l¿Europe y a pleinement contribué, assurant toute sa part des financements nécessaires pour combattre la crise. L¿Europe n¿est restée ni indifférente, ni inerte.
Mais au-delà de ces réactions à court terme, il nous faut des réponses plus ambitieuses.
Une telle entreprise prendra du temps. Raison de plus pour nous hâter car les conséquences humaines, sociales et politiques des désordres financiers sont lourdes dans de nombreux pays. N¿oublions pas que la démocratie s¿enracine dans le développement économique et que les démagogies trouvent un terreau fertile quand la confiance en l¿avenir est ébranlée.
Je suis persuadé que les fondations qui avaient été posées à Bretton Woods, il y a 50 ans, sur lesquelles la prospérité de l¿économie mondiale a longtemps reposé, doivent être adaptées aux données nouvelles et si rapidement changeantes, d¿une économie mondialisée.
Nous connaissons bien les tentations et les risques à éviter : le repli sur soi, le développement du protectionnisme commercial et financier, l¿action unilatérale. Nous devons prévenir ces risques et résister à ces tentations. Laissons de côté les réponses idéologiques et privilégions les solutions concrètes issues d¿une concertation élargie à l¿ensemble des acteurs. Il s¿agit d¿apporter une réponse globale, à la fois politique, sociale, et, bien sûr, économique.
Les Chefs d¿Etat et de Gouvernement du G7 ont donné les impulsions nécessaires pour reconstruire l¿architecture financière internationale. Aujourd¿hui il nous faut définir précisément et mettre en oeuvre les réformes indispensables pour renforcer les relations monétaires et financières internationales et les rendre plus favorables à la croissance et au développement du monde.
Les directions sont connues : nous devons renforcer les obligations des Etats et des institutions financières internationales en matière de transparence et de diffusion des données £ encourager une libéralisation ordonnée des mouvements de capitaux £ mieux réguler les marchés en adoptant un vrai " code de la route " de la circulation des capitaux, qui s¿applique à tous, y compris aux fonds d¿investissements spéculatifs et aux centres off shore. Nous devons aussi accroître la responsabilité politique du FMI, en transformant son comité intérimaire en un organe responsable. Il faut mieux associer le secteur privé à la solution des crises. Enfin et surtout, il faut nous donner les moyens de mieux prendre en compte la dimension sociale des crises et trouver, dès le Sommet du G7 de Cologne en juin, une solution définitive à la dette des pays les plus pauvres. Accroître aussi notre effort d¿aide publique au développement.
Les travaux sont lancés, des solutions s¿esquissent, mais beaucoup reste à faire et vite.
Dans ces domaines, les Chefs d¿Etat sont devant leurs responsabilités. J¿ai évoqué ces sujets à plusieurs reprises avec le Président Clinton . Je sais qu¿il partage ce sentiment de l¿urgence. L¿année 1999 doit être celle de la réalisation des réformes nécessaires.
Dans le prolongement des décisions qui seront prises au prochain Sommet du G7, la France a proposé que se tienne, si possible à l¿automne, et pourquoi pas à Paris, un Sommet rassemblant notamment les Chefs d¿Etat et de Gouvernement des pays membres du comité intérimaire du FMI pour entériner solennellement ces réformes et ouvrir, avec l¿assentiment de tous, de nouvelles voies vers une mondialisation maîtrisée et humanisée.