29 septembre 1998 - Seul le prononcé fait foi

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Tribune de M. Jacques Chirac, Président de la République, dans "Le Figaro" et le "Frankurter allgemeine Zeitung" du 29 septembre 1998, sur le renforcement des liens entre la France et l'Allemagne après l'élection du Chancelier Schröder, intitulée "La France et l'Allemagne, une nouvelle chance".

A l'heure où l'Allemagne vient d'élire un nouveau chancelier je voudrais vous parler de nos deux pays.
La relation franco-allemande a longtemps reposé sur deux volontés : d'abord la volonté, de réconciliation entre nos deux peuples, ensuite la volonté de préserver la paix du continent et d'assurer son développement par un regroupement des nations dans un ensemble européen organisé. De cette double ambition est né un partenariat fructueux. Alors que le contexte géopolitique s'est transformé radicalement depuis la fin de la guerre froide, certains se demandent si cette relation n'a pas perdu sa raison d'être.
J'ai la conviction contraire.
D'abord, parce que la nécessaire poursuite de la construction européenne passe par une relation franco-allemande solide et dynamique. Ce que nous avons fait est le meilleur garant de ce que nous allons faire. Sans notre volonté commune, sans notre communauté de vision et d'objectifs, il n'y aurait eu ni marché unique, ni Union économique et monétaire, ni début de politique étrangère et de sécurité. Aujourd'hui, c'est hardiment que nous devons engager, ensemble et avec nos partenaires, des politiques nouvelles, notamment en matière sociale et d'emploi, de recherche, d'environnement, de lutte contre les grands fléaux.
Ensuite, parce que les choses ont profondément changé, avec la mondialisation, l'évolution inéluctable vers un monde multipolaire qui entraîne les intégrations régionales, les changements dans l'ordre de la sécurité liés à l'apparition de nouveaux risques, les nouvelles exigences des relations entre les pays riches et les pays pauvres. A ces évolutions s'ajoutent les crises financières et les difficultés d'adaptation de l'emploi.
Dans ce monde nouveau et incertain, la nécessité de l'Europe s'affirme chaque jour davantage et c'est une nouvelle chance à saisir pour le couple franco-allemand, une raison supplémentaire pour l'Allemagne et la France d'agir de concert.
Or notre relation bilatérale a pu paraître moins intense : l'émotion de la réconciliation, si forte pour nos aînés, s'atténue avec le passage des générations. Les deux peuples donnent le sentiment de moins se connaître, d'avoir moins de curiosité l'un pour l'autre, d'aller moins spontanément l'un vers l'autre. Il faut donc nous rapprocher, qu'il s'agisse des jeunes, des étudiants des travailleurs des entreprises des collectivités locales. Un travail exemplaire a été fait par l'Office franco-allemand pour la jeunesse et le réseau des associations franco-allemandes. Il faut que les gouvernements les aident davantage et je pense en particulier à l'apprentissage des langues et aux échanges de jeunes et d'étudiants.
Depuis la période difficile de l'après-guerre, nos deux pays ont recouvré l'estime d'eux-mêmes et affirmé leur place dans le monde. Comme la France, l'Allemagne n'hésite plus à faire valoir ses idées et ses intérêts. Cette évolution est positive pour la relation franco-allemande. En effet, une relation durable suppose la confiance en soi de chaque partenaire, la reconnaissance des différences, l'affirmation sereine de l'identité nationale de chacun.
Comme l'Europe, la relation franco allemande est entrée dans une nouvelle ère avec la chute du Mur de Berlin et la réunification. Et je veux rendre ici hommage au rôle historique joué par le chancelier Kohl. Pour la France, une autre Allemagne est à découvrir, celle des nouveaux Lander, qui doivent prendre toute leur part à l'entente entre nos deux pays. Mais surtout, la France et l'Allemagne doivent faire face à un vrai défi : aller au-delà de la réconciliation, en donnant à leur relation un nouvel esprit, un esprit de fraternité et d'initiative dans lequel nos deux sociétés se reconnaissent et s'engagent pleinement. Il faut développer notre aptitude à travailler ensemble en permanence et en profondeur, à surmonter nos différences pour notre bien et pour celui de l'Europe.
Au moment où nous allons réaliser l'euro et nous engager dans l'élargissement le plus ambitieux de l'Union européenne, nous avons besoin du soutien résolu de nos deux peuples.
C'est pourquoi le temps est venu de rénover la relation franco-allemande. Nous avons changé. Il faut refonder, renforcer nos liens en adaptant nos méthodes de travail et nos mécanismes bilatéraux, mais aussi en rapprochant nos peuples à travers l'intensification du dialogue entre nos cultures et, plus largement, entre nos sociétés.
Pour porter cette ambition, qu'a mûrie l'expérience, j'ai des propositions à faire. J'en ai parlé au gouvernement. J'en parlerai au nouveau chancelier, M. Gerhard Schröder, dès notre premier entretien.
Mais, à l'évidence, le couple franco-allemand n'est pas seul. S'il est indispensable, il doit fonctionner comme une force d'impulsion et d'attraction au bénéfice de toute l'Europe ainsi que l'a montré la création de l'euro.
C'est en renforçant l'entente entre l'Allemagne et la France que nous pourrons poursuivre ensemble et avec nos partenaires notre mission historique qui, loin de s'être épuisée avec la fin de la guerre froide, a pris une ampleur nouvelle : il s'agit d'aboord d'achever l'oeuvre engagé avec la chute du Mur de Berlin, c'est-à-dire l'Union de l'Europe élargie. Il s'agit aussi d'assurer le renforcement moral, politique et institutionnel de la construction européenne.
Hier, c'est le projet européen qui a scellé la réconciliation franco-allemande. Aujourd'hui, au tournant du siècle, nos deux pays doivent sans attendre rénover leur relation, pour franchir une nouvelle étape dans le dialogue entre nos deux peuples, pour donner une nouvelle impulsion à l'Europe.