14 septembre 1998 - Seul le prononcé fait foi

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Message de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la déclaration universelle des droits de l'homme, notamment le rôle de René Cassin dans sa genèse, Paris le 14 septembre 1998.

Monsieur le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies,
Madame le haut-commissaire,
Monsieur le président,
Madame et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
En cette séance d'ouverture d'un colloque très attendu, je voudrais d'abord vous souhaiter la bienvenue à Paris, en un lieu chargé d'histoire, celui-là même où fut célébré le premier anniversaire du texte magnifique dont nous commémorons cette année le cinquantenaire.
Ne pouvant, à mon grand regret, être des vôtres aujourd'hui, je souhaitais néanmoins m'associer à cette rencontre et vous aider chaleureusement vous qui, partout dans le monde, donnez une voix, un visage, une existence concrète à la communauté universelle et aux valeurs qui la portent. Je tenais également à dire la fidélité de la France à son combat, je dirais de toujours, pour la liberté, l'égalité et la fraternité entre les hommes.
Il y a tout juste cinquante ans, en septembre 1948, c'est au Palais de Chaillot que l'Assemblée générale des Nations unies était réunie pour d'ultimes séances qui devaient permettre, trois mois plus tard, l'adoption du texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La guerre était terminée depuis trois ans. Il y avait eu Auschwitz. Parce quel'innommable avait été commis, il fallait créer des institutions pour que jamais cela ne se reproduise. Parce que des Etats avaient failli, il fallait libérer l'individu de leur emprise absolue. Aussi des hommes courageux, déterminés à rebâtir une société humaine digne de ce nom, ont-ils fait le geste essentiel de se rencontrer et de définir ensemble quelques principes intangibles qui puissent guider l'humanité.
La Déclaration universelle des droits de l'homme n'est pas un texte comme les autres. Certes, en Angleterre, aux Etats-Unis et en France des textes historiques avaient proclamé les libertés et les droits fondamentaux. Mais la Déclaration de 1948 est universelle. C'est le " premier manifeste d'ordre éthique que l'humanité organisée ait jamais adopté ". C'est la promesse d'un monde enfin rendu à son unité, rassemblé autour d'un " idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ".
Parmi tous ceux qui ont porté ce projet il est un homme dont je voudrais ici saluer la mémoire avec une émotion particulière. Nous savons tous ce que nous devons à René Cassin, ce pèlerin infatigable de la paix. René Cassin avait connu les deux guerres mondiales. La première lui avait laissé une blessure physique, la seconde, une blessure morale. Il savait la grandeur et la fragilité de l'homme. A la fois patriote et citoyen du monde, il avait compris que la seule issue pour éviter le retour de la barbarie et rendre à l'homme toute sa dignité était de dire la loi, de la faire connaître et de la faire respecter. Aussi a-t-il mis toute sa science toute son intelligence et toute sa conviction au service des droits de l'homme, si bien que sa vie toute entière se mêle intimement aux différents combats pour la paix qui ont marqué le siècle. Inlassablement il a fait entendre la voix de l'humanisme français sur la scène internationale. Il a enseigné le droit avec passion dans les amphithéâtres des universités.
Si c'est aujourd'hui à la Sorbonne, en présence de nombreux professeurs d'université, que s'ouvrent les cérémonie de commémoration, je serais tenté d'y voir un symbole. Le symbole du rôle primordial qui revient à l'éducation pour transformer les mentalités et faire progresser l'humanité. Eduquer, c'est en effet apprendre la maîtrise de soi. C'est aussi enseigner le dialogue, l'écoute et le respect de l'autre. C'est enfin transmettre d'histoire du monde et les leçons que l'on en a tirées.
Les progrès accomplis dans le domaine des droits de l'homme en un demi-siècle sont immenses. Ce sont aujourd'hui de très nombreuses organisations qui veillent, sur tous les continents, à la protection et au développement des libertés, à l'instar de la Commission nationale consultative des droits de l'homme dont je salue une nouvelle fois le rôle éminent. Dans la plupart de nos pays nous savons nos libertés fondamentales garanties. Récemment, l'un des rêves les plus chers de René Cassin est devenu réalité avec la création d'un Tribunal pénal international, dont nous espérons tous qu'il fera progresser l'humanité sur le chemin de la justice.
Le combat pour les droits de l'homme n'est toutefois jamais gagné d'avance. On recule, sur ce terrain, dès lors qu'on avance pas. Certains pays sont aujourd'hui mis à l'index par la communauté internationale parce qu'on y meurt encore pour établir des libertés essentielles. D'autres découvrent avec stupeur l'existence d'une forme moderne d'esclavage sur leur territoire. La patrie des droits de l'homme elle-même n'est sans doute pas irréprochable. Elle peut et doit encore accomplir des progrès.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, votre expérience et votre vigilance nous sont plus que jamais indispensables. Vous êtes les héritiers de René Cassin et de tous ceux qui ont collaboré à ses côtés à la rédaction de ce texte magnifique. Leurs idéaux sont les vôtres, vous avez leur courage et leur détermination, leur générosité aussi. Permettez-moi de vous dire notre gratitude pour tout ce que vous faites en faveur de millions d'enfants, de femmes et d'hommes dont les droits les plus élémentaires sont encore bafoués. Ils ont besoin de vous. Ils ont besoin de nous.
René Cassin estimait qu'un texte qui ne tiendrait pas ses promesses est pire que l'absence de texte. Un texte peut en effet éveiller l'espoir, il peut aussi donner des illusions, trahir la confiance. Il appartient à chacun d'entre nous de le faire vivre dans toute sa plénitude et, à l'aube du troisième millénaire, de lui donner tout son sens. N'oublions pas que nous n'héritons pas de la terre de nos pères mais que nous l'empruntons à nos enfants. C'est pour cela qu'il nous faut veiller, avec une exigence particulière, à donner à cet idéal commun un avenir digne de celui voulu par nos ancêtres, mais digne surtout d'être légué aux générations futures.