20 mars 1998 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Intervention de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'élaboration d'un plan d'actions pour la coopération internationale en faveur de la préservation des ressources en eau douce, l'amélioration de l'accès à l'eau potable et la lutte contre la pollution et le gaspillage, Paris le 20 mars 1998.

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO,
Monsieur le Secrétaire Général Adjoint des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les Ministres et les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
A New-York, au mois de juin dernier, je vous avais invités à Paris afin que nous puissions élaborer ensemble un programme d'action pour l'eau. Cette initiative, lancée par la France et par l'Union Européenne, reprise par les Nations Unies, est pour moi une grande priorité. C'est pourquoi je suis heureux aujourd'hui d'ouvrir vos travaux et de vous souhaiter à toutes et à tous la bienvenue. Je vous remercie, Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO, pour votre accueil et pour vos propos toujours éclairants.
Ministres de 80 Etats, responsables d'organisations internationales et de collectivités locales, représentants d'associations humanitaires et de développement, chefs d'entreprises, experts et scientifiques, vous êtes venus de tous les continents. Et sur vous reposent de grands espoirs.
Notre rassemblement, à la veille de la Journée internationale de l'eau, témoigne d'une volonté commune : construire un nouveau partenariat pour le développement durable. Partenariat entre le Nord et le Sud, bien sûr. Mais aussi partenariat entre les représentants des Etats et tous les autres acteurs de la société internationale. Partenariat pour les générations à venir.
L'eau est source de vie. Et pourtant cette source se tarit chaque jour. Des mers intérieures, des lacs, des fleuves s'assèchent. Les zones humides disparaissent à mesure que progressent les villes, l'industrie, les surfaces cultivées. Les lacs et les nappes phréatiques se dégradent à cause de la pollution. Dans certaines régions, les déserts avancent, souvent par notre faute. Et nous commençons à mesurer que ces dégradations, parfois irréversibles, vont être aggravées par les changements climatiques qu'engendre l'activité humaine.
Quelle situation lèguerons-nous à nos enfants ? La consommation d'eau augmente deux fois plus vite que la croissance démographique. Elle double tous les vingt ans. Au tournant du siècle, la quantité d'eau douce disponible par habitant ne sera plus que le quart de ce qu'elle était en 1950 en Afrique, le tiers de ce qu'elle était en Asie ou en Amérique Latine.
L'eau est source de vie. Et pourtant l'eau est responsable chaque année de millions de décès. Et des centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont gravement affaiblis par la malaria, les parasitoses, le choléra, et tant d'autres pathologies liées à l'eau. Cette tragédie humaine est en même temps un fléau économique : elle hypothèque gravement le développement des pays du Sud.
Les raisons de cette situation sont bien connues. En dépit des progrès accomplis pendant la
« décennie de l'eau », la moitié de la population du globe n'est toujours pas desservie par des réseaux d'assainissement. Un quart de l'humanité n'a même pas accès à l'eau potable. Les moyens existent pour remédier à cette situation. Nous ne pouvons pas rester sans réagir.
L'eau est source de vie. Et pourtant elle est trop souvent source de guerre. Les Nations Unies ont recensé soixante-dix foyers dans le monde de tensions liés à l'eau, du Proche-Orient au Sahel, des zones arides de l'Amérique Latine au sous-continent indien. Les risques de conflits augmenteront à mesure que les ressources s'épuiseront. Laisserons-nous le XXIème siècle devenir celui des guerres pour l'eau ?
Il est temps de réagir. La tâche est à notre mesure. A l'heure de la mondialisation, le développement durable, c'est d'organiser à l'échelle de la planète la gestion commune des ressources rares. C'est retrouver au niveau mondial le savoir ancestral de nos terroirs. A Dublin, Rio et Noordwijk, nous avons énoncé les principes d'une bonne gestion de l'eau. A Kyoto, sur un autre sujet sensible, le climat, nous avons démontré notre volonté de travailler ensemble quand l'urgence nous y pousse. A Paris, donnons-nous une nouvelle fois la preuve de nos capacités et de notre détermination.
Les experts ont bien travaillé. Prenant appui sur les conclusions de la « décennie de l'eau », ils ont émis des diagnostics. Nous savons désormais quel chemin suivre pour connaître l'état des ressources et leur évolution. Nous avons identifié les meilleures solutions institutionnelles. Nous avons mesuré l'ampleur des efforts de formation nécessaires. Nous sommes d'accord pour élaborer des programmes nationaux et régionaux. Pour mobiliser les ressources humaines et financières. Pour promouvoir une gestion de l'eau dans son cadre naturel, le bassin hydrographique.
Nos propositions sont ambitieuses. Les Nations Unies, sous l'excellente présidence de Monsieur Habito, que je salue ici, les transformeront en un plan d'action. Il reviendra alors à chacun de mobiliser les moyens et les énergies pour en assurer la réalisation.
Je l'ai dit à New-York. Je vous le dis : si nous le voulons, nous pouvons assurer en quelques années à chaque village du Tiers-monde, et notamment à ceux des zones arides d'Afrique, un accès durable à l'eau potable. Si nous le voulons, nous pouvons, en quelques années, relier toutes les populations urbaines, y compris celles des quartiers défavorisés, à des réseaux d'eau potable et d'assainissement.
Comment réussir ? Agissons pour que cessent les gaspillages. Soyons pragmatiques et fixons-nous des échéances.
Et d'abord, mettons un terme à de gigantesques gaspillages. Les réseaux d'adduction des grandes métropoles laissent s'échapper plus de la moitié de l'eau qu'ils acheminent. Les nappes phréatiques sont polluées faute d'application rigoureuse des lois sur les rejets. L'irrigation, qui utilise à elle seule 70% des ressources, et qui pourtant doit être encore développée, laisse s'évaporer la moitié de l'eau puisée. Tous les pays, riches et pauvres, connaissent cette situation. Le premier devoir des collectivités publiques est de remédier à ces carences.
Les solutions existent : à Paris et dans bien d'autres grandes villes, des procédés simples, rigoureusement appliqués, ont permis en quelques années de diminuer considérablement la déperdition d'eau. En milieu rural, dans la vallée du Jourdain par exemple, des fermiers jordaniens ont réussi à diviser par deux les quantités nécessaires à l'irrigation. Je pourrais citer, naturellement, bien d'autres exemples. Beaucoup vous ont été présentés au cours de ces journées. Sachons nous en inspirer.
Soyons aussi pragmatiques dans la recherche de solutions. Mettons un terme aux oppositions stériles entre le marché et l'Etat, entre la gratuité et la tarification, entre la souveraineté sur les ressources et la nécessaire solidarité.
L'eau a un prix. La gratuité est annonciatrice de pénurie. Tous ceux qui ne disposent pas d'un approvisionnement direct en eau potable ou de réseaux d'assainissement le mesurent tous les jours. Et l'expérience démontre que son coût pour les individus est d'autant plus élevé que l'investissement collectif est défaillant. C'est la raison pour laquelle, même dans les quartiers défavorisés, les populations sont disposées à payer l'eau et l'assainissement.
Les professionnels le savent aussi. Il est possible de moduler les prix, naturellement, en faveur des plus démunis. Il est possible d'adapter les modes de gestion, pour favoriser une gestion collective des équipements locaux.
Autre question qu'il faut aborder de façon pragmatique : comment financer les énormes équipements nécessaires, évalués, vous dit-on, à 400 milliards de dollars ? Ni l'impôt, ni l'aide au développement n'y suffiront, même si le devoir de solidarité s'impose. Il faut imaginer les moyens d'attirer l'épargne, nationale et mondiale, vers ces investissements collectifs en lui assurant une rentabilité suffisante.
Nous avons développé, en France, mais aussi ailleurs en Europe, des formules par lesquelles les entreprises se voient confier la gestion de l'eau, sous la tutelle de la puissance publique. Gestion déléguée, concession de service public, ce n'est ni la nationalisation, ni la privatisation. C'est la mise au point d'instruments spécifiques pour gérer un patrimoine collectif. Et ces instruments sont particulièrement adaptés aux phases de décollage économique, qui exigent de lourds investissements initiaux.
Dernier débat et sans doute le plus difficile, celui de la coopération internationale. Chacun reconnait que les Etats doivent se concerter en vue d'une bonne gestion des fleuves, des nappes phréatiques ou des lacs internationaux. Et pourtant, combien d'Etats rappellent avec force qu'ils sont souverains et qu'ils ne sauraient se voir imposer par la communauté internationale des règles contraignantes ?
Mais l'établissement de règles universelles est-il vraiment nécessaire ? N'est-il pas plus sage d'encourager les Etats concernés à fixer entre eux les modalités pratiques de leur coopération ? Qui aurait jamais imaginé, voici deux générations, que des fleuves âprement disputés à travers l'histoire comme le Rhin, la Meuse ou l'Escaut feraient l'objet tout tranquillement d'une gestion commune ? Loin d'être isolés, ces exemples se multiplient. En témoignent les progrès accomplis dans la gestion du Mékong, du Paraguay ou du Sénégal.
Il ne s'agit pas, j'insiste, de mettre en cause la souveraineté des Etats. Il s'agit d'associer des souverainetés pour gérer en commun un patrimoine partagé.
Sur tous ces sujets, prix de l'eau, systèmes institutionnels, gestion partagée, nous devrions disposer d'un lieu où échanger nos expériences. J'appelle à la formation d'une Académie internationale de l'eau, sous l'égide de l'une des grandes institutions existantes. Nous ne prétendons pas, bien entendu, créer un nouvel organisme. Notre ambition doit être d'établir un système informel par lequel les acteurs de la gestion de l'eau de tous les pays pourraient en permanence confronter leurs analyses, leurs contraintes, leurs résultats.
Enfin, pour que notre plan d'action soit pleinement efficace, nous devons en assurer le suivi. Les moyens que la communauté internationale met au service de l'eau sont considérables. Nous devons pouvoir mieux les coordonner, mieux les orienter, mieux définir nos priorités, mieux fédérer les organisations internationales concernées.
Nous avons porté le docteur Klaus Töpfer à la tête du Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Il saura lui rendre sa vocation de « conscience du monde pour l'environnement». Qui mieux que lui devrait se voir confier la mission de proposer un dispositif de coordination, d'évaluation et de suivi de notre plan d'action ? En l'an 2000, les Pays-Bas accueilleront une nouvelle réunion. Nous devons y arriver avec un premier rapport d'étape qui soit vraiment satisfaisant.
La France, pour ce qui la concerne, affecte déjà une part importante de son aide au développement aux investissements dans le domaine de l'eau. Le quart des projets qu'elle finance, soit plus de trois milliards de francs, lui sont consacrés, principalement au bénéfice de l'Afrique et du Moyen Orient. A l'aide de l'Etat s'ajoutent, de plus en plus, la coopération décentralisée et l'action des ONG, en prise directe avec les populations.
Avec l'Union européenne, la France entend accentuer ses efforts. Le Premier ministre et le ministre délégué à la coopération vous parleront de nos projets. Mise en place de réseaux de surveillance et de mesure, aide à la formation des cadres et des techniciens, appui au montage des mécanismes institutionnels pour la gestion intégrée, construction et fonctionnement des infrastructures, suivi du plan d'action, la France participera à toutes les actions qui seront engagées.
Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames et Messieurs,
Responsables politiques, entrepreneurs, experts, scientifiques, militants, nous ne sommes pas ici pour défendre les intérêts, certes légitimes, des collectivités que nous représentons. Nous sommes rassemblés pour identifier l'intérêt supérieur de la planète et imaginer les nouveaux modes de travail qui s'imposent aujourd'hui. Cette lourde responsabilité, aucune génération n'a dû l'assumer avant la nôtre. Aucune n'a été confrontée avec la même urgence à une obligation impérative de résultat.
Que notre plan d'action soit à la hauteur de nos espérances ! Nous en avons la capacité ! A nous de prouver que nous en avons aussi la volonté !
Je vous remercie.